Dans ce poème, Arthur Rimbaud déconstruit de manière radicale le mythe classique de Vénus pour en proposer une version grotesque et provocante. Le texte peut être divisé en quatre mouvements, correspondant à une progression anatomique du haut vers le bas du corps, avec un crescendo dans l’horreur.
Le premier mouvement, qui s’étend des vers 1 à 4, décrit l’émergence d’un corps féminin de manière repoussante. Le poème s’ouvre sur une comparaison violente : « Comme d’un cercueil vert en fer blanc, une tête ». L’image du cercueil, associée à celle de la vieille baignoire, installe une ambiance de décrépitude. Le choix du fer blanc, un matériau pauvre, renforce le caractère trivial et dégradant de la scène. La suite du vers insiste sur la lourdeur et la vulgarité de la femme évoquée : « à cheveux bruns fortement pommadés », « lente et bête ». On est ici très loin de la figure divine et gracieuse attendue. Enfin, l’expression « des déficits assez mal ravaudés » donne une image d’un corps rafistolé, abîmé, presque en ruine. À travers le champ lexical du dégoût, Rimbaud annonce dès les premiers vers son intention de parodier la beauté idéale.
Le deuxième mouvement, allant des vers 5 à 8, poursuit cette entreprise de démolition en adoptant une description anatomique méthodique. On descend le long du corps avec « le col gras et gris », « les larges omoplates », puis « le dos court qui rentre et qui ressort », pour finir avec « les rondeurs des reins ». Le ton est froid, presque clinique. La métaphore finale « la graisse sous la peau paraît en feuilles plates » déshumanise totalement le corps en le réduisant à une matière inerte et flasque. La syntaxe en énumération et le vocabulaire corporel prosaïque amplifient le rejet. On assiste ici à une satire frontale des représentations féminines idéalisées dans la tradition artistique.
Le troisième mouvement, constitué des vers 9 à 11, introduit une dimension sensorielle encore plus dérangeante. Le vers « l’échine est un peu rouge » suggère une irritation, une inflammation. Puis, avec « le tout sent un goût horrible étrangement », Rimbaud use d’une synesthésie inattendue pour désorienter le lecteur. L’horreur n’est plus seulement visuelle, elle devient gustative. L’image finale, « des singularités qu’il faut voir à la loupe », évoque une inspection presque médicale, qui suggère des anomalies indéfinies, renforçant le malaise. Le corps est ici objectifié, réduit à une masse difforme à observer avec mépris.
Enfin, le quatrième et dernier mouvement, composé des vers 12 à 14, constitue la chute ironique et brutale du poème. Le vers « Les reins portent deux mots gravés : Clara Venus » provoque une rupture violente entre le nom divin de Vénus et le corps ignoble qu’on vient de décrire. Le mot « gravés » évoque une inscription vulgaire, presque une marque de prostitution. Enfin, la dernière image, « belle hideusement d’un ulcère à l’anus », produit un effet de choc. L’oxymore « belle hideusement » résume toute l’ambiguïté du texte : une beauté pervertie, inversée. Le mot « ulcère » renvoie à la maladie, à la souffrance, et le choix de mentionner l’anus, en fin de vers, achève de briser tous les tabous poétiques.
À travers ces quatre mouvements, Rimbaud déconstruit systématiquement les codes esthétiques classiques pour imposer une vision nouvelle de la poésie et du corps. Il utilise un vocabulaire volontairement trivial, des figures choquantes, un rythme lent et une syntaxe descriptive qui évoque autant l’autopsie que la caricature. Ce texte, inscrit dans le parcours « La quête de soi », montre un jeune poète qui affirme sa singularité en brisant les conventions. Il rejette les images figées, idéalistes, pour révéler une autre forme de vérité : brutale, organique, dérangeante, mais sincère. Vénus Anadyomène devient ainsi un manifeste d’indépendance artistique, une provocation assumée, et un appel à repenser la beauté, non comme une norme figée, mais comme une construction à déconstruire.