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Lycée

venus anadyomène


structure

Le poème propose une description continue de la femme, de la « tête » (v.1) à la « croupe » (v.13). Les trois premières strophes sont d’ailleurs constituées d’une seule et même phrase. Nous analyserons donc le poème strophe par strophe afin de souligner l’organisation verticale du portrait proposé par le poète.

v.1 à 4 : l’apparition de Vénus et la description de sa tête

v.5 à 8 : l’évocation du dos de Vénus

v.9 à 11 : un éveil sensoriel peu conventionnel

v.12 à 14 : un vision horriblement burlesque


v.1 à 4 : l’apparition de Venus et la description de sa tête

 

Comme d’un cercueil vert en fer-blanc, une tête

De femme à cheveux bruns fortement pommadés

D’une vieille baignoire émerge, lente et bête,

Avec des déficits assez mal ravaudés ;

 

- deux mots du titre « Venus Anadyomène » font naître chez lecteur une image mentale, qui superpose toutes représentations connues de la naissance de Vénus et la toile de Botticelli. lecteur s’imagine découvrir une nouvelle réécriture de ce topos, sans doute à l’aide d’un portrait élogieux. Mais cette attente est déçue dès le premier vers…

 

- premier quatrain décrit un personnage féminin qui « émerge » (v.3) de l’eau ce qui rappelle le mythe de la naissance de Venus évoquée par titre, et plus particulièrement par l’adjectif « anadyomène ». Cependant, ce motif est réduit à une image réaliste, triviale : celle d’une femme laide (v.4) sortant d’une « vieille baignoire » (v.3), ce qui donne directement l’impression d’une parodie, voire d’une caricature du motif mythologique.

- La baignoire est doublement triviale car la précision du matériau utilisé au vers 1, le « fer blanc » est en fait un objet bon marché, mais également car la comparaison au « cercueil » la renvoie à l’image de la mort. Le poète prend le contrepied exact du mythe originel : la déesse n’a plus rien de divin ni de majestueux ; elle ne naît pas mais se rapproche de la mort.


- groupe nominal « une tête », qui apparaît à la fin du vers. La lenteur de l’émergence de la tête est suggérée par le contre-rejet qui ralentit la lecture en plaçant en fin de vers un groupe de mots appartenant, par sa signification et sa syntaxe, au vers suivant. Le groupe nominal « une tête » est le sujet de la proposition développée aux vers 2, 3 et 4 et se voit complété par le complément du nom au vers 2 : « De femme à cheveux bruns fortement pommadés ». => Adverbe « fortement » = image dévalorisante car excès (pas de grâce comme les cheveux de la Venus de Botticelli)

 

- Rimbaud poursuit sa relecture du mythe en inversant les valeurs : Venus, déesse de la Beauté, est métamorphosée ici en déesse laide et vulgaire. Dans la mythologie, Venus se remarque par sa perfection physique et naturelle, mais la Venus de Rimbaud tente ici de cacher ses défauts physiques : elle est dépeinte, laide et vieille, avec des « déficits assez mal ravaudés » (v.4) que son maquillage outrancier ne réussit donc manifestement pas à masquer.

- La chevelure blond vénitien de la Venus peinte par Botticelli est devenue brune (v.2) chez Rimbaud. Les cheveux, loin de flotter au vent de la mer, sont « fortement pommadés » (v.2), c’est-à-dire gras et luisants.

- Enfin, le regard traditionnellement pensif et doux de la déesse est remplacé par un air « bête » (v.3).


Ainsi, le portrait qui débute dans ce quatrain est fortement péjoratif et déstabilise le lecteur qui ne s’attendait pas du tout à cela.  


v.5 à 8 : l’évocation du dos de Vénus

 

Puis le col gras et gris, les larges omoplates

Qui saillent ; le dos court qui rentre et qui ressort ;

Puis les rondeurs des reins semblent prendre l’essor ;

La graisse sous la peau paraît en feuilles plates ;

 

- second quatrain s’ouvre sur un adverbe de temps « puis ». Son rôle est double : il permet, tout d’abord, de lier le premier quatrain au second en créant un enchaînement syntaxique ; il permet aussi d’offrir un lien explicitement chronologique entre les différents moments du dévoilement des parties du corps décrites, qui sortent de la baignoire. Il sera répété au vers 7 donnant une impression d’accumulation de détails. Effet cumulatif de la description : Rimbaud rajoute des couches successives à son tableau.

 

- La description se poursuit dans le deuxième quatrain. La Venus est décrite par de petites touches : d’abord la « tête » (v.1), puis le « col » (v.5) et enfin le « dos » (v.6), de haut les « omoplates » (v.5) en bas « les reins » (v.7), au fur et à mesure qu’elle se relève pour sortir de l’eau. Ces parties du corps ne renvoient pas à l’idéal poétique féminin. La poésie ne fait que rarement mention des « omoplates » ou encore du « col », termes qui relèvent d’un vocabulaire anatomique utilisé par la médecine ou pouvant décrire un animal.

- Des effets d’enjambement soulignent ce procédé : le contre-rejet déjà évoqué du vers 1, qui détache et souligne le mot « tête » dans le poème comme elle surgit de l’eau. Dans le second quatrain, la proposition relative « Qui saillent » est rejetée au début du vers 6, faisant ressortir, dans le rythme du poème, le déséquilibre, la difformité corporelle de la Vénus. Ce procédé contribue à faire du corps décrit un assemblage disparate de difformités, et non un tout harmonieux.

 

- Chacune des précisions anatomiques s’accompagne d’adjectifs qualificatifs qui ne relèvent pas là encore de l’idéal féminin. Le poète met en avant combien le corps de cette Vénus est, de manière surprenante, disgracieux. Il évoque ainsi de manière dépréciative un col « gras et gris » (v.5), des omoplates « larges » (v.5), un dos « court » (v.6), « les rondeurs des reins » (v.7) et, enfin, « la graisse sous la peau » (v.8). Tout semble souligner un embonpoint peu grâcieux et, au XIXème siècle, la maigreur n’est pourtant pas aussi valorisée qu’aujourd’hui ! « Les feuilles plates » de la graisse évoque ici la cellulite. La Vénus de Rimbaud apparaît comme l’antithèse même de la perfection classique.

 

- Rimbaud reprend ici la logique métonymique du genre poétique du blason, et la tradition de dénigrement de son pendant satirique, le contre-blason, en s’appropriant cette tradition poétique qui remonte à la Renaissance. Ainsi, le poète ne s’attache pas à une seule partie du corps féminin, mais constitue une sorte de succession de petits contre-blasons.

 

- La femme, entre cadavre animé et automate, nous fait entrer dans un monde fantastique et proche de l’horreur. Dans le premier quatrain déjà, tous les éléments concrets de la scène sont transformés : la baignoire devient, par la comparaison initiale, « un cercueil » ; la femme est décrite uniquement par la « tête » qui en « émerge », tel un mort-vivant sortant de son tombeau. Les couleurs mentionnées (« blanc », « vert », « gris » et « rouge ») renvoient ainsi à la décomposition de ce corps sans vie. Étonnamment employé pour qualifier le visage, le terme de « déficits » laisse perplexe, et l’on se demande quels sont les manques que le poète décrit. Rides ? Blessures ? Plus loin, avec « assez mal ravaudés », le lexique de la couture fait du visage un haillon, une pièce de linge abîmée. Dans le second quatrain, les différentes parties du corps prennent vie de manière autonome : les omoplates « saillent », le dos « rentre » et « ressort ». L’hypallage du vers 7 (« les rondeurs des reins semblent prendre l’essor ») prête aux reins le mouvement du corps de la femme. (les seins sont ronds , pas les seins….)


A la différence du blason qui fait l’éloge des parties du corps, le contre-blason est un type de poème qui dévalorise certains attributs corporels comme l’illustre ce poème. Loin de louer la beauté de la déesse, Rimbaud choisit, au contraire, d’évoquer sur un mode satirique les défauts physiques de Vénus. Ainsi, le poète se moque-t-il de sa grosseur ou de ses hanches trop larges, qu’il décrit au moyen de l’euphémisme suivant : « les rondeurs des reins semblent prendre l’essor ». Ce contre-blason fait écho à celui de Clément Marot intitulé le blason « Du laid tétin » (1535). 


v.9 à 11 : un éveil sensoriel peu conventionnel

 

L’échine est un peu rouge, et le tout sent un goût

Horrible étrangement ; on remarque surtout

Des singularités qu’il faut voir à la loupe…

 

- Les vers 9 et 10 sollicitent l’odorat et le goût, mêlés dans l’expression « le tout sent un goût ». la description n’est plus seulement visuelle, comme dans les deux quatrains, elle devient aussi olfactive et gustative. Tous les sens sont ainsi contaminés comme dans une « horrible » synesthésie. Rimbaud montre, en effet, comment la laideur de Vénus perturbe tous les sens. Préfigurant ce que, dans ses lettres du « voyant », le jeune poète nommera un an plus tard « le dérèglement » de tous les sens, le sonnet fait état d’une perturbation de la perception sensorielle. Ainsi, le « goût » ne livre-t-il aucune saveur gustative mais, de manière parodique, renvoie à un autre sens, l’odorat.

 

- L’apparition de Vénus, qui devait procurer du plaisir, déclenche au contraire des sensations désagréables. Cette répulsion se signale par l’usage d’un champ lexical de l’agression et du dégoût. C’est le cas au vers 11 avec le mot « horrible » qui signale combien la Vénus est repoussante. La mention de l’adverbe « étrangement », placé à l’hémistiche et accolé à cet adjectif est surprenant car, loin de sentir bon au sortir du bain, la femme dégage paradoxalement une odeur affreuse et inexplicable.

 

- Ce premier tercet repose là encore sur le procédé de l’enjambement. On définit un enjambement comme un procédé rythmique consistant à reporter sur le vers suivant les mots nécessaires au sens du vers précédent. Le double enjambement aux vers 9-10 puis 10-11, rend la lecture volontairement malaisée car, loin de la fluidité classique de l’alexandrin, le but de Rimbaud est d’installer ici un rythme haché. Le lecture peu harmonieuse qui en résulte renvoie au refus de l’idéal de la beauté classique de cette Vénus.

 

- Enfin, le jeu des couleurs déjà évoqué précédemment se poursuit : alors que la beauté classique met en valeur une peau pâle, blanche, cette Vénus a le teint gris ou rouge, deux couleurs qui s’y opposent et peuvent renvoyer à la maladie ou des conditions de vie difficile. La seule mention de la blancheur attendue est d’ailleurs, retournement humoristique, celle du « fer-blanc » de la baignoire.

 

- Signe de la modernité poétique de Rimbaud, l’humour passe par un jeu complice avec le lecteur, en particulier dans les tercets du sonnet. Pour clore cette hideuse description, le poète fait en effet intervenir le lecteur : « on remarque surtout », nous dit-il, et le pronom personnel indéfini « on » nous inclut très clairement dans ce contre-blason. Nous voici dans la même pièce que cette prostituée, assistant directement à sa sortie du bain. Enfin, à partir du vers 10, le poète pique la curiosité de son lecteur, avec l’adverbe « surtout », et la précision du verbe « remarquer ». Nous nous attendons à être éclairés, mais le suspense se poursuit au vers 11 : le terme « singularités » reste tout aussi vague, et l’aposiopèse ( = les points de suspension) retarde le moment du dévoilement. Nous voici amenés à prendre une « loupe » et à nous approcher de cette prostituée au point, quasiment, de la toucher !


v.12 à 14 : un vision horriblement burlesque

 

Les reins portent deux mots gravés : CLARA VENUS ;

- Et tout ce cops remue et tend sa large croupe

Belle hideusement d’un ulcère à l’anus.

 

- dernière strophe fait éclater l’ironie et l’humour de Rimbaud avec la formule latine « CLARA VENUS » (= illustre Vénus) que sa Vénus a fait tatouer sur ses reins. La formule, qui pourrait apparaître sur un socle de statue comme le rappelle le verbe « graver » qui ne correspond pas à ce que l’on peut faire sur une peau, rappelle une beauté classique unanimement reconnue et contraste totalement avec la laideur physique du personnage.

- La laideur et la vulgarité de la déesse atteignent leur paroxysme dans ce second tercet. La Vénus de Rimbaud, très prosaïque, n’hésite pas à exhiber des parties de son corps peu évoqués en poésie. La « croupe » (v.13) renvoie trivialement au derrière de la déesse, Rimbaud souhaitant ainsi renverser les codes classiques de la beauté. Notons que les mots « croupe » ou « échine » renvoie directement à l’anatomie animale éloignant la déesse de l’humanité : elle est clairement animalisée. La précision du tatouage est là aussi révélatrice puisqu’au XIXème siècle, la pratique est réservée aux marges de la société et notamment aux prostituées. Vénus, la déesse de la beauté annoncée dans le titre, a donc pour modèle une prostituée. On le comprend à la scène décrite – la sortie d’une « vieille baignoire » (à l’époque, la baignoire est l’attribut nécessaire des filles de joie) –, à la nudité dénuée de toute pudeur, aux « deux mots gravés » sur les « reins », et évidemment à la position de l’« ulcère », liée à ses… activités professionnelles. Par ailleurs, le choix du pseudonyme qu’elle se donne est un écho à sa profession : les prostituées sont porteuses de maladie vénériennes (adjectif formé sur le nom Venus !)

 

- L’expression « Belle hideusement » (v.14) est un oxymore : occupant tout le premier hémistiche du dernier vers du poème, elle frappe par son caractère paradoxal puisqu’elle tend à réconcilier deux notions que l’on pourrait juger incompatibles : la beauté et la laideur. Dans la lignée de Baudelaire, Rimbaud va chercher dans le laid, l’atroce, une forme nouvelle de beauté, une esthétique moderne.

 

- La chute du sonnet offre traditionnellement une surprise finale qui éveille l’intérêt du lecteur. Ici, Rimbaud achève son sonnet sur le mot « anus » proscrit en poésie, indiquant qu’il se moque des codes de l’idéal de la beauté classique. Le poème abandonne ici toute pudeur d’autant plus que cette partie du corps est dégradée par la maladie, « un ulcère ». En faisant également rimer deux mots antithétiques (Vénus rime avec anus !), le poète entend prendre le contre-pied et se moquer ouvertement des codes de la tradition lyrique. C’est donc une fin particulièrement provocatrice, presque blasphématoire, un véritable pied-de-nez adolescent à la culture classique.

 

Conclusion

 

              Poème provocateur, parodique, presque insolent, sorte de contre-blason moderne, « Venus anadyomène » constitue un vrai pied-de-nez au sonnet en alexandrins, forme poétique par excellence depuis la Renaissance. Il va à l’encontre de l’inspiration mythologique qui nourrit la poésie française depuis la Pléiade jusqu’au Parnasse, du topos évoqué par le titre et, plus généralement, de l’idée que l’on se fait d’un « beau » poème. En cela, il peut se lire comme un art poétique, la proclamation d’une poésie nouvelle, « belle hideusement », qui interroge et bouscule la notion même de beauté, dans la continuité du poème « Une Charogne » (1857) de Charles Baudelaire, et à travers une démarche qui rappelle celle de Lautréamont dans Les Chants de Maldoror (1869). 


Lycée

venus anadyomène


structure

Le poème propose une description continue de la femme, de la « tête » (v.1) à la « croupe » (v.13). Les trois premières strophes sont d’ailleurs constituées d’une seule et même phrase. Nous analyserons donc le poème strophe par strophe afin de souligner l’organisation verticale du portrait proposé par le poète.

v.1 à 4 : l’apparition de Vénus et la description de sa tête

v.5 à 8 : l’évocation du dos de Vénus

v.9 à 11 : un éveil sensoriel peu conventionnel

v.12 à 14 : un vision horriblement burlesque


v.1 à 4 : l’apparition de Venus et la description de sa tête

 

Comme d’un cercueil vert en fer-blanc, une tête

De femme à cheveux bruns fortement pommadés

D’une vieille baignoire émerge, lente et bête,

Avec des déficits assez mal ravaudés ;

 

- deux mots du titre « Venus Anadyomène » font naître chez lecteur une image mentale, qui superpose toutes représentations connues de la naissance de Vénus et la toile de Botticelli. lecteur s’imagine découvrir une nouvelle réécriture de ce topos, sans doute à l’aide d’un portrait élogieux. Mais cette attente est déçue dès le premier vers…

 

- premier quatrain décrit un personnage féminin qui « émerge » (v.3) de l’eau ce qui rappelle le mythe de la naissance de Venus évoquée par titre, et plus particulièrement par l’adjectif « anadyomène ». Cependant, ce motif est réduit à une image réaliste, triviale : celle d’une femme laide (v.4) sortant d’une « vieille baignoire » (v.3), ce qui donne directement l’impression d’une parodie, voire d’une caricature du motif mythologique.

- La baignoire est doublement triviale car la précision du matériau utilisé au vers 1, le « fer blanc » est en fait un objet bon marché, mais également car la comparaison au « cercueil » la renvoie à l’image de la mort. Le poète prend le contrepied exact du mythe originel : la déesse n’a plus rien de divin ni de majestueux ; elle ne naît pas mais se rapproche de la mort.


- groupe nominal « une tête », qui apparaît à la fin du vers. La lenteur de l’émergence de la tête est suggérée par le contre-rejet qui ralentit la lecture en plaçant en fin de vers un groupe de mots appartenant, par sa signification et sa syntaxe, au vers suivant. Le groupe nominal « une tête » est le sujet de la proposition développée aux vers 2, 3 et 4 et se voit complété par le complément du nom au vers 2 : « De femme à cheveux bruns fortement pommadés ». => Adverbe « fortement » = image dévalorisante car excès (pas de grâce comme les cheveux de la Venus de Botticelli)

 

- Rimbaud poursuit sa relecture du mythe en inversant les valeurs : Venus, déesse de la Beauté, est métamorphosée ici en déesse laide et vulgaire. Dans la mythologie, Venus se remarque par sa perfection physique et naturelle, mais la Venus de Rimbaud tente ici de cacher ses défauts physiques : elle est dépeinte, laide et vieille, avec des « déficits assez mal ravaudés » (v.4) que son maquillage outrancier ne réussit donc manifestement pas à masquer.

- La chevelure blond vénitien de la Venus peinte par Botticelli est devenue brune (v.2) chez Rimbaud. Les cheveux, loin de flotter au vent de la mer, sont « fortement pommadés » (v.2), c’est-à-dire gras et luisants.

- Enfin, le regard traditionnellement pensif et doux de la déesse est remplacé par un air « bête » (v.3).


Ainsi, le portrait qui débute dans ce quatrain est fortement péjoratif et déstabilise le lecteur qui ne s’attendait pas du tout à cela.  


v.5 à 8 : l’évocation du dos de Vénus

 

Puis le col gras et gris, les larges omoplates

Qui saillent ; le dos court qui rentre et qui ressort ;

Puis les rondeurs des reins semblent prendre l’essor ;

La graisse sous la peau paraît en feuilles plates ;

 

- second quatrain s’ouvre sur un adverbe de temps « puis ». Son rôle est double : il permet, tout d’abord, de lier le premier quatrain au second en créant un enchaînement syntaxique ; il permet aussi d’offrir un lien explicitement chronologique entre les différents moments du dévoilement des parties du corps décrites, qui sortent de la baignoire. Il sera répété au vers 7 donnant une impression d’accumulation de détails. Effet cumulatif de la description : Rimbaud rajoute des couches successives à son tableau.

 

- La description se poursuit dans le deuxième quatrain. La Venus est décrite par de petites touches : d’abord la « tête » (v.1), puis le « col » (v.5) et enfin le « dos » (v.6), de haut les « omoplates » (v.5) en bas « les reins » (v.7), au fur et à mesure qu’elle se relève pour sortir de l’eau. Ces parties du corps ne renvoient pas à l’idéal poétique féminin. La poésie ne fait que rarement mention des « omoplates » ou encore du « col », termes qui relèvent d’un vocabulaire anatomique utilisé par la médecine ou pouvant décrire un animal.

- Des effets d’enjambement soulignent ce procédé : le contre-rejet déjà évoqué du vers 1, qui détache et souligne le mot « tête » dans le poème comme elle surgit de l’eau. Dans le second quatrain, la proposition relative « Qui saillent » est rejetée au début du vers 6, faisant ressortir, dans le rythme du poème, le déséquilibre, la difformité corporelle de la Vénus. Ce procédé contribue à faire du corps décrit un assemblage disparate de difformités, et non un tout harmonieux.

 

- Chacune des précisions anatomiques s’accompagne d’adjectifs qualificatifs qui ne relèvent pas là encore de l’idéal féminin. Le poète met en avant combien le corps de cette Vénus est, de manière surprenante, disgracieux. Il évoque ainsi de manière dépréciative un col « gras et gris » (v.5), des omoplates « larges » (v.5), un dos « court » (v.6), « les rondeurs des reins » (v.7) et, enfin, « la graisse sous la peau » (v.8). Tout semble souligner un embonpoint peu grâcieux et, au XIXème siècle, la maigreur n’est pourtant pas aussi valorisée qu’aujourd’hui ! « Les feuilles plates » de la graisse évoque ici la cellulite. La Vénus de Rimbaud apparaît comme l’antithèse même de la perfection classique.

 

- Rimbaud reprend ici la logique métonymique du genre poétique du blason, et la tradition de dénigrement de son pendant satirique, le contre-blason, en s’appropriant cette tradition poétique qui remonte à la Renaissance. Ainsi, le poète ne s’attache pas à une seule partie du corps féminin, mais constitue une sorte de succession de petits contre-blasons.

 

- La femme, entre cadavre animé et automate, nous fait entrer dans un monde fantastique et proche de l’horreur. Dans le premier quatrain déjà, tous les éléments concrets de la scène sont transformés : la baignoire devient, par la comparaison initiale, « un cercueil » ; la femme est décrite uniquement par la « tête » qui en « émerge », tel un mort-vivant sortant de son tombeau. Les couleurs mentionnées (« blanc », « vert », « gris » et « rouge ») renvoient ainsi à la décomposition de ce corps sans vie. Étonnamment employé pour qualifier le visage, le terme de « déficits » laisse perplexe, et l’on se demande quels sont les manques que le poète décrit. Rides ? Blessures ? Plus loin, avec « assez mal ravaudés », le lexique de la couture fait du visage un haillon, une pièce de linge abîmée. Dans le second quatrain, les différentes parties du corps prennent vie de manière autonome : les omoplates « saillent », le dos « rentre » et « ressort ». L’hypallage du vers 7 (« les rondeurs des reins semblent prendre l’essor ») prête aux reins le mouvement du corps de la femme. (les seins sont ronds , pas les seins….)


A la différence du blason qui fait l’éloge des parties du corps, le contre-blason est un type de poème qui dévalorise certains attributs corporels comme l’illustre ce poème. Loin de louer la beauté de la déesse, Rimbaud choisit, au contraire, d’évoquer sur un mode satirique les défauts physiques de Vénus. Ainsi, le poète se moque-t-il de sa grosseur ou de ses hanches trop larges, qu’il décrit au moyen de l’euphémisme suivant : « les rondeurs des reins semblent prendre l’essor ». Ce contre-blason fait écho à celui de Clément Marot intitulé le blason « Du laid tétin » (1535). 


v.9 à 11 : un éveil sensoriel peu conventionnel

 

L’échine est un peu rouge, et le tout sent un goût

Horrible étrangement ; on remarque surtout

Des singularités qu’il faut voir à la loupe…

 

- Les vers 9 et 10 sollicitent l’odorat et le goût, mêlés dans l’expression « le tout sent un goût ». la description n’est plus seulement visuelle, comme dans les deux quatrains, elle devient aussi olfactive et gustative. Tous les sens sont ainsi contaminés comme dans une « horrible » synesthésie. Rimbaud montre, en effet, comment la laideur de Vénus perturbe tous les sens. Préfigurant ce que, dans ses lettres du « voyant », le jeune poète nommera un an plus tard « le dérèglement » de tous les sens, le sonnet fait état d’une perturbation de la perception sensorielle. Ainsi, le « goût » ne livre-t-il aucune saveur gustative mais, de manière parodique, renvoie à un autre sens, l’odorat.

 

- L’apparition de Vénus, qui devait procurer du plaisir, déclenche au contraire des sensations désagréables. Cette répulsion se signale par l’usage d’un champ lexical de l’agression et du dégoût. C’est le cas au vers 11 avec le mot « horrible » qui signale combien la Vénus est repoussante. La mention de l’adverbe « étrangement », placé à l’hémistiche et accolé à cet adjectif est surprenant car, loin de sentir bon au sortir du bain, la femme dégage paradoxalement une odeur affreuse et inexplicable.

 

- Ce premier tercet repose là encore sur le procédé de l’enjambement. On définit un enjambement comme un procédé rythmique consistant à reporter sur le vers suivant les mots nécessaires au sens du vers précédent. Le double enjambement aux vers 9-10 puis 10-11, rend la lecture volontairement malaisée car, loin de la fluidité classique de l’alexandrin, le but de Rimbaud est d’installer ici un rythme haché. Le lecture peu harmonieuse qui en résulte renvoie au refus de l’idéal de la beauté classique de cette Vénus.

 

- Enfin, le jeu des couleurs déjà évoqué précédemment se poursuit : alors que la beauté classique met en valeur une peau pâle, blanche, cette Vénus a le teint gris ou rouge, deux couleurs qui s’y opposent et peuvent renvoyer à la maladie ou des conditions de vie difficile. La seule mention de la blancheur attendue est d’ailleurs, retournement humoristique, celle du « fer-blanc » de la baignoire.

 

- Signe de la modernité poétique de Rimbaud, l’humour passe par un jeu complice avec le lecteur, en particulier dans les tercets du sonnet. Pour clore cette hideuse description, le poète fait en effet intervenir le lecteur : « on remarque surtout », nous dit-il, et le pronom personnel indéfini « on » nous inclut très clairement dans ce contre-blason. Nous voici dans la même pièce que cette prostituée, assistant directement à sa sortie du bain. Enfin, à partir du vers 10, le poète pique la curiosité de son lecteur, avec l’adverbe « surtout », et la précision du verbe « remarquer ». Nous nous attendons à être éclairés, mais le suspense se poursuit au vers 11 : le terme « singularités » reste tout aussi vague, et l’aposiopèse ( = les points de suspension) retarde le moment du dévoilement. Nous voici amenés à prendre une « loupe » et à nous approcher de cette prostituée au point, quasiment, de la toucher !


v.12 à 14 : un vision horriblement burlesque

 

Les reins portent deux mots gravés : CLARA VENUS ;

- Et tout ce cops remue et tend sa large croupe

Belle hideusement d’un ulcère à l’anus.

 

- dernière strophe fait éclater l’ironie et l’humour de Rimbaud avec la formule latine « CLARA VENUS » (= illustre Vénus) que sa Vénus a fait tatouer sur ses reins. La formule, qui pourrait apparaître sur un socle de statue comme le rappelle le verbe « graver » qui ne correspond pas à ce que l’on peut faire sur une peau, rappelle une beauté classique unanimement reconnue et contraste totalement avec la laideur physique du personnage.

- La laideur et la vulgarité de la déesse atteignent leur paroxysme dans ce second tercet. La Vénus de Rimbaud, très prosaïque, n’hésite pas à exhiber des parties de son corps peu évoqués en poésie. La « croupe » (v.13) renvoie trivialement au derrière de la déesse, Rimbaud souhaitant ainsi renverser les codes classiques de la beauté. Notons que les mots « croupe » ou « échine » renvoie directement à l’anatomie animale éloignant la déesse de l’humanité : elle est clairement animalisée. La précision du tatouage est là aussi révélatrice puisqu’au XIXème siècle, la pratique est réservée aux marges de la société et notamment aux prostituées. Vénus, la déesse de la beauté annoncée dans le titre, a donc pour modèle une prostituée. On le comprend à la scène décrite – la sortie d’une « vieille baignoire » (à l’époque, la baignoire est l’attribut nécessaire des filles de joie) –, à la nudité dénuée de toute pudeur, aux « deux mots gravés » sur les « reins », et évidemment à la position de l’« ulcère », liée à ses… activités professionnelles. Par ailleurs, le choix du pseudonyme qu’elle se donne est un écho à sa profession : les prostituées sont porteuses de maladie vénériennes (adjectif formé sur le nom Venus !)

 

- L’expression « Belle hideusement » (v.14) est un oxymore : occupant tout le premier hémistiche du dernier vers du poème, elle frappe par son caractère paradoxal puisqu’elle tend à réconcilier deux notions que l’on pourrait juger incompatibles : la beauté et la laideur. Dans la lignée de Baudelaire, Rimbaud va chercher dans le laid, l’atroce, une forme nouvelle de beauté, une esthétique moderne.

 

- La chute du sonnet offre traditionnellement une surprise finale qui éveille l’intérêt du lecteur. Ici, Rimbaud achève son sonnet sur le mot « anus » proscrit en poésie, indiquant qu’il se moque des codes de l’idéal de la beauté classique. Le poème abandonne ici toute pudeur d’autant plus que cette partie du corps est dégradée par la maladie, « un ulcère ». En faisant également rimer deux mots antithétiques (Vénus rime avec anus !), le poète entend prendre le contre-pied et se moquer ouvertement des codes de la tradition lyrique. C’est donc une fin particulièrement provocatrice, presque blasphématoire, un véritable pied-de-nez adolescent à la culture classique.

 

Conclusion

 

              Poème provocateur, parodique, presque insolent, sorte de contre-blason moderne, « Venus anadyomène » constitue un vrai pied-de-nez au sonnet en alexandrins, forme poétique par excellence depuis la Renaissance. Il va à l’encontre de l’inspiration mythologique qui nourrit la poésie française depuis la Pléiade jusqu’au Parnasse, du topos évoqué par le titre et, plus généralement, de l’idée que l’on se fait d’un « beau » poème. En cela, il peut se lire comme un art poétique, la proclamation d’une poésie nouvelle, « belle hideusement », qui interroge et bouscule la notion même de beauté, dans la continuité du poème « Une Charogne » (1857) de Charles Baudelaire, et à travers une démarche qui rappelle celle de Lautréamont dans Les Chants de Maldoror (1869). 


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