Introduction générale

La culture est définie comme l'ensemble des croyances, des valeurs, des attitudes et des normes sociales partagées par un groupe donné. 

Ces traits culturels, partiellement appris, sont transmis d'une génération à l'autre. Leur importance économique repose sur leur influence directe sur les décisions individuelles et collectives, notamment les préférences, les comportements face au risque, à l'éducation ou à l'épargne. Pendant longtemps, l'économie a négligé la culture, la supposant fixe ou rapidement adaptative.

Depuis les années 2000, un tournant a lieu avec trois grandes questions :

1. Quel est l'effet de la culture sur les résultats économiques ?
2. Quelles sont les origines des valeurs culturelles ?
3. Comment évolue la culture dans le temps ?

1. Modèles de transmission culturelle

1.1 Transmission exogène (Cavalli-Sforza & Feldman, 1981)

Ce modèle propose que les enfants apprennent un trait culturel {a, b} via deux canaux :

• Verticalement (via les parents), avec une probabilité de transmission directe.
• Horizontalement (via la population🧑‍🧑‍🧒‍🧒), avec probabilité d'adopter le trait a en cas d'échec de transmission verticale.

La dynamique de population s'exprime par :

Ce qui implique :

• Si , le trait a devient dominant.
• Si , le trait b s'impose.
• Si , l'équilibre est indéterminé.

1.2 Transmission endogène (Bisin & Verdier, 2001)

Les parents choisissent activement l'intensité de la transmission culturelle (coût quadratique). Ils maximisent leur utilité espérée :

La solution optimale est :

L'équilibre stable est intérieur : si les deux groupes sont symétriques. Cela reflète une hétérogénéité culturelle stable

1.3 Extensions du modèle

• Plus de deux traits (Montgomery, 2010) : hétérogénéité multiple et équilibres multiples.
• Choix de fertilité : les parents adaptent aussi le nombre d'enfants.

=> Implication : les groupes majoritaires peuvent avoir une fécondité plus élevée (complémentarité culturelle).

• Transmission horizontale biaisée (Saez-Marti & Sjögren, 2008) : certains traits sont sur- ou sous-exposés dans la population, influençant les trajectoires culturelles.

2. Transmission culturelle et modèles macroéconomiques

2.1 Intégration des préférences culturelles dans les modèles de croissance (Klasing, 2014)

Modèle de croissance endogène à plusieurs secteurs avec deux types d'agents :

• Tolérants au risque (type 1) : préfèrent entreprendre.
• Averses au risque (type 0) : préfèrent un emploi stable.

Les choix des parents (niveau de transmission culturelle) dépendent des gains futurs anticipés de leurs enfants, pondérés par leurs propres préférences :

L'équilibre détermine la part stable d'entrepreneurs, donc le taux de croissance 

Une subvention à la R&D augmente , la croissance, et le degré de socialisation des parents vers la tolérance au risque.

Comparaison avec Doepke & Zilibotti (2013) : même cadre mais parents altruistes et capables d'encourager des traits opposés aux leurs. Cela génère des équilibres multiples et de la dépendance au sentier.

3. Évidence empirique

3.1 Transmission verticale et horizontale (Dohmen et al., 2012)

Utilise le panel socio-économique allemand (SOEP). Résultats :

• Corrélation forte entre attitudes des parents et des enfants (risque, confiance).
• Influence indépendante du contexte régional : transmission verticale et horizontale sont complémentaires.

3.2 Culture d'entrepreneuriat et immigration (Kleinhempel et al., 2023)

Les enfants d'immigrés de cultures entrepreneuriales (d'après les taux d'entrepreneuriat du pays d'origine) ont plus de chances de devenir entrepreneurs.

• Données : CPS (US), ESS (Europe).
• Effet robuste, notamment si l'intensité parentale est forte.

3.3 Attitudes envers la redistribution (Alesina & Fuchs-Schuendeln, 2007)

Exploite la division Est/Ouest de l'Allemagne (1945-1990) :

• Les Allemands de l'Est ont une préférence plus marquée pour l'intervention de l'État.
• Ce trait culturel persiste même après la réunification.
• La convergence est lente (~30 ans).

3.4 Choix des prénoms et conditions locales (Algan et al., 2021)

Etudie les prénoms arabes donnés en France :

• Parents arabes favorisent les prénoms arabes (vertical).
• Le choix est influencé par la part d'enfants portant un prénom arabe dans le quartier (horizontal).
• Plus les pénalités économiques associées à un prénom arabe sont fortes, moins ces prénoms sont choisis : réponse à l'environnement économique.

3.5 Choc institutionnel et transmission (Doepke & Klasing, 2024)

Etudie l'effet de la réunification allemande sur les corrélations parent-enfant en matière de préférences :

• Corrélations plus faibles pour les Allemands de l'Est nés après 1985.
• Effets compatibles avec une influence économique sur les choix de socialisation.
• Pour d'autres attitudes (patience, réciprocité), la transmission est différente, souvent influencée par l'État.

Conclusion

La transmission culturelle, à travers les générations, façonne les trajectoires économiques. Les modèles montrent que les parents adaptent leur effort de socialisation en fonction de l'environnement économique. Cela crée un mécanisme d'évolution conjointe entre culture et développement. Les données empiriques confirment la pertinence des modèles, soulignant l'importance de l'interaction entre héritage culturel et politiques économiques dans les dynamiques de long terme.

Ce chapitre montre que la culture : c’est-à-dire les préférences, normes et croyances = un facteur économique majeur. 

Elle se transmet entre générations par les parents et l’environnement social, de manière passive ou stratégique. 

Ces transmissions culturelles influencent les comportements économiques et peuvent expliquer des phénomènes comme la persistance de la diversité culturelle ou le rythme de croissance économique

La culture influence l’économie

➤ Les préférences (ex : risque, épargne, confiance) dépendent de la culture.

➤ Donc, la culture affecte directement le développement économique.

La culture se transmet entre générations

➤ Par les parents (transmission verticale) et par la société (transmission horizontale).

➤ Cette transmission peut être passive (automatique) ou active (choisie par les parents).

Les minorités culturelles font plus d’efforts de transmission

➤ Dans le modèle de Bisin & Verdier, les petits groupes veulent préserver leur identité.

➤ Résultat : la diversité culturelle persiste (équilibre stable).

Culture et économie s’influencent mutuellement

➤ Si la culture valorise l’entrepreneuriat, la croissance accélère.

➤ En retour, un bon environnement économique pousse les parents à transmettre ces valeurs.

Les données confirment ces modèles

➤ Les attitudes (risque, confiance, redistribution...) sont corrélées entre parents et enfants.

➤ Elles changent aussi selon les conditions politiques ou économiques