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Séance 3 : La conclusion des contrats d'affaires

Partie 1 : L'abus de dépendance au regard de l'article 1143 du Code civil et L.420 du Code de commerce

Introduction

Le consentement des parties peut être, comme celui de tout contractant, vicié par un fait de violence, au sens classique du terme (C.civ., art. 1140). Le contrat peut alors être annulé et la responsabilité du fautif engagée. Il est évident néanmoins que les professionnels auront plus souvent l’occasion d’invoquer la forme moderne de la violence que constitue l’abus d’état de dépendance.

Cette problématique, qui reflète une forme subtile de contrainte dans des relations contractuelles déséquilibrées, est devenue centrale tant en droit civil qu’en droit de la concurrence. Deux dispositifs distincts visent à encadrer et sanctionner ces pratiques : l’article 1143 du Code civil, issu de la réforme de 2016 et ratifié en 2018, et l’article L. 420-2 du Code de commerce, introduit par la loi de 1986 sur la concurrence.

Si leur finalité commune est la protection de la partie faible, ces deux textes se distinguent par leur champ d’application, leur nature juridique et les sanctions prévues.

Dès lors, comment ces deux branches du droit appréhendent-elles l’abus de dépendance, et dans quelle mesure ces dispositifs convergent-ils ou s’opposent-ils ?

I. Le champ d’application et les objectifs respectifs des deux textes

A. La violence à travers l'abus de dépendance selon l'art. 1143 du Code civil

L’article 1143 du Code civil s’inscrit dans la section relative aux vices du consentement (articles 1130 et suivants), aux côtés de l’erreur, du dol et de la violence. Il vise plus précisément une forme particulière de violence : l’abus d’un état de dépendance. Cet article définit cette situation ainsi : " Il y a également violence lorsqu'une partie, abusant de l'état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant, obtient de lui un engagement qu'il n'aurait pas souscrit en l'absence d'une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif."

Certains théoriciens du droit ont établi un parallèle entre cette notion et celle de la lésion qualifiée, reconnue dans certains droits étrangers, notamment en droit belge.

La mise en oeuvre de cet article repose sur la présence de 3 éléments :


  1. La caractérisation d’un état de dépendance : Ici, le texte ne distingue pas une forme particulière de dépendance mais est à priori visé la dépendance économique mais aussi technologique, financière, juridique.

a. Cet état de dépendance n'est pas défini mais ne peut depuis la loi de ratification de 2008 être assimilée à un état général de faiblesse ou de vulnérabilité, il est à l'égard du cocontractant et par opposition, il ne l'est pas à l'égard des tiers comme avec une filiale ou une société mère.

b. Il n'y a aucune distinction de fait non plus en fonction de la taille des opérateurs.


2. La caractérisation d'un abus : Le seul fait de contracter avec un opérateur dépendant n'est pas un acte interdit. Textuellement, le terme d'abus est utilisé mais il est également sous-entendu dans l'emploi de : "(..) engagement qu'il n'aurait pas souscrit en l'absence d'une telle contrainte". De nouveau l'utilisation du terme contrainte renvoi au caractère déterminant de la violence. Il reste à savoir si l'abus est réductible au résultat soit le fait d'avoir obtenu l'avantage ou s'il doit impliquer de façon additionnelle l'existence d'actes de pression.


3. La preuve d’un avantage manifestement excessif : Cette dernière condition n'apparaissait pas dans le projet d'ordonnance mais a été introduite par le gouvernement par la suite afin de répondre aux craintes des entreprises. En effet, le terme "manifestement" renvoi à cette idée d'évidence et donc permet de rendre objectif l'appréciation de l'abus.


B. La notion objective de dépendance économique au regard des pratiques anticoncurrentielles

"Le droit de la concurrence est devenu un droit nécessairement perturbateur du droit commun, un corps de règles très directives qui fait peser sur le contrat une forte contrainte» (A. Constantin, professeur de droit université de Paris Saclay). L.420-2 du Code de commerce s'inscrit dans la section relative aux pratiques anticoncurrentielles.

A l’origine prévu pour appréhender les abus commis par la grande distribution dans ses relations avec ses fournisseurs du fait de sa puissance d’achat, l’abus de dépendance économique a, aujourd’hui, une vocation plus large puisqu’il permet aussi d’appréhender la puissance de vente. La dépendance ici est appréciée de manière plus objective et économique.

Le but premier de cet article est de protéger la structure et le fonctionnement de la concurrence sur le marché et non pas à la différence l'article 1143 du Code civil de protéger le consentement d'une partie. L'article vient même énoncer une liste de pratiques contraires à cet équilibre concurrentiel comme le refus de vente, ventes liées ou pratiques discriminatoires.

Les conditions de mise en oeuvre son différentes :

  1. Une dépendance économique entre entreprises
  2. La caractérisation d’un abus 
  3. Une atteinte à la concurrence 


C. Un régime de sanctions différent

  • L'article 1143 du Code civil prévoit des sanctions principalement centrées sur la nullité du contrat conclu sous l’influence d’un abus de dépendance. En outre, des dommages et intérêts peuvent être accordés à la partie lésée pour réparer le préjudice subi en raison de cet abus, ce qui permet une réparation individuelle du préjudice.


  • L'article L. 420-2 du Code de commerce, quant à lui, prévoit des sanctions économiques plus lourdes. En droit de la concurrence, les pratiques anticoncurrentielles sont passibles par les autorités administratives, d'amendes importantes, pouvant atteindre jusqu’à 10% du chiffre d’affaires mondial de l'entreprise fautive. En plus des amendes, des sanctions administratives (ex : injonctions de faire ou de ne pas faire) peuvent être imposées, et la victime peut également demander des dommages et intérêts pour le préjudice économique subi.


 II. Une logique commune : empêcher l’exploitation d’une faiblesse

L’objectif commun de ces textes est de protéger la partie faible face à un déséquilibre de pouvoir :

  • L’article 1143 vise la protection du consentement individuel : il s’agit d’éviter que l’accord donné par une partie soit obtenu par la contrainte économique.
  • L’article L. 420-2, quant à lui, se concentre sur la protection du fonctionnement concurrentiel du marché : il cherche à préserver une dynamique saine entre acteurs économiques.

Partie 2 : L’erreur sur la rentabilité́ dans les contrats de franchise.

En droit des contrats appliqué à la matière des affaires, il est difficile de concevoir une erreur sur la rentabilité prévisionnelle car il faut tenir compte de l'aléa des affaires. Sous ce prisme, le défaut de rentabilité constitue un risque normal que l'entrepreneur est censé accepter. L'art. 1136 C. civ. (issu de la réforme de 2016) : « l’erreur sur la valeur […] n’est pas une cause de nullité. » va dans ce sens.

Un cas demeure spécifique : celui de l'erreur sur la rentabilité dans les contrats de franchise. Un premier arrêt en date du 4 octobre 2011 est venu ouvrir une saga jurisprudentielle importante. Il s'agit de la première consécration de l'erreur substantielle sur la rentabilité en matière de franchise.

II. Trois conditions pour admettre la nullité du contrat (Cass. com., 12 juin 2012, puis 17 mars 2015, 5 janv. 2016…)

La jurisprudence fixe trois conditions cumulatives pour que l’erreur sur la rentabilité entraine la nullité :

  1. Les comptes prévisionnels doivent avoir été fournis par le franchiseur
  • Si le franchisé les a réalisés lui-même, aucune nullité possible (ex : Cass. com., 24 juin 2020, n°18-15.249).

2. Ces comptes doivent être manifestement erronés ou trop optimistes

Ex : chiffrage irréaliste, excès d’optimisme, erreurs sur le potentiel du lieu, etc : Cass. Com 12 mai 2021.

3. Le franchisé ne doit pas être responsable de l’échec

  • Pas de nullité si l’échec vient d’une faute de gestion (ex : mauvaise exploitation, absence de diligence...)


Précisions importantes de la jurisprudence récente :

a) L’erreur substantielle peut être invoquée même sans faute du franchiseur dans son obligation d’information

  • Même si le franchiseur a respecté son obligation d’information précontractuelle, le franchisé peut demander la nullité s’il s’est trompé sur la rentabilité et que cette erreur a déterminé son consentement (Cass. com., 6 sept. 2023).

b) Les comptes prévisionnels, même non obligatoires dans le DIP, doivent être sérieux

  • Si le franchiseur communique des comptes prévisionnels (même si la loi ne l’y oblige pas), ces chiffres doivent être sérieux et crédibles (Cass. com., 13 sept. 2017).



Séance 3 : La conclusion des contrats d'affaires

Partie 1 : L'abus de dépendance au regard de l'article 1143 du Code civil et L.420 du Code de commerce

Introduction

Le consentement des parties peut être, comme celui de tout contractant, vicié par un fait de violence, au sens classique du terme (C.civ., art. 1140). Le contrat peut alors être annulé et la responsabilité du fautif engagée. Il est évident néanmoins que les professionnels auront plus souvent l’occasion d’invoquer la forme moderne de la violence que constitue l’abus d’état de dépendance.

Cette problématique, qui reflète une forme subtile de contrainte dans des relations contractuelles déséquilibrées, est devenue centrale tant en droit civil qu’en droit de la concurrence. Deux dispositifs distincts visent à encadrer et sanctionner ces pratiques : l’article 1143 du Code civil, issu de la réforme de 2016 et ratifié en 2018, et l’article L. 420-2 du Code de commerce, introduit par la loi de 1986 sur la concurrence.

Si leur finalité commune est la protection de la partie faible, ces deux textes se distinguent par leur champ d’application, leur nature juridique et les sanctions prévues.

Dès lors, comment ces deux branches du droit appréhendent-elles l’abus de dépendance, et dans quelle mesure ces dispositifs convergent-ils ou s’opposent-ils ?

I. Le champ d’application et les objectifs respectifs des deux textes

A. La violence à travers l'abus de dépendance selon l'art. 1143 du Code civil

L’article 1143 du Code civil s’inscrit dans la section relative aux vices du consentement (articles 1130 et suivants), aux côtés de l’erreur, du dol et de la violence. Il vise plus précisément une forme particulière de violence : l’abus d’un état de dépendance. Cet article définit cette situation ainsi : " Il y a également violence lorsqu'une partie, abusant de l'état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant, obtient de lui un engagement qu'il n'aurait pas souscrit en l'absence d'une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif."

Certains théoriciens du droit ont établi un parallèle entre cette notion et celle de la lésion qualifiée, reconnue dans certains droits étrangers, notamment en droit belge.

La mise en oeuvre de cet article repose sur la présence de 3 éléments :


  1. La caractérisation d’un état de dépendance : Ici, le texte ne distingue pas une forme particulière de dépendance mais est à priori visé la dépendance économique mais aussi technologique, financière, juridique.

a. Cet état de dépendance n'est pas défini mais ne peut depuis la loi de ratification de 2008 être assimilée à un état général de faiblesse ou de vulnérabilité, il est à l'égard du cocontractant et par opposition, il ne l'est pas à l'égard des tiers comme avec une filiale ou une société mère.

b. Il n'y a aucune distinction de fait non plus en fonction de la taille des opérateurs.


2. La caractérisation d'un abus : Le seul fait de contracter avec un opérateur dépendant n'est pas un acte interdit. Textuellement, le terme d'abus est utilisé mais il est également sous-entendu dans l'emploi de : "(..) engagement qu'il n'aurait pas souscrit en l'absence d'une telle contrainte". De nouveau l'utilisation du terme contrainte renvoi au caractère déterminant de la violence. Il reste à savoir si l'abus est réductible au résultat soit le fait d'avoir obtenu l'avantage ou s'il doit impliquer de façon additionnelle l'existence d'actes de pression.


3. La preuve d’un avantage manifestement excessif : Cette dernière condition n'apparaissait pas dans le projet d'ordonnance mais a été introduite par le gouvernement par la suite afin de répondre aux craintes des entreprises. En effet, le terme "manifestement" renvoi à cette idée d'évidence et donc permet de rendre objectif l'appréciation de l'abus.


B. La notion objective de dépendance économique au regard des pratiques anticoncurrentielles

"Le droit de la concurrence est devenu un droit nécessairement perturbateur du droit commun, un corps de règles très directives qui fait peser sur le contrat une forte contrainte» (A. Constantin, professeur de droit université de Paris Saclay). L.420-2 du Code de commerce s'inscrit dans la section relative aux pratiques anticoncurrentielles.

A l’origine prévu pour appréhender les abus commis par la grande distribution dans ses relations avec ses fournisseurs du fait de sa puissance d’achat, l’abus de dépendance économique a, aujourd’hui, une vocation plus large puisqu’il permet aussi d’appréhender la puissance de vente. La dépendance ici est appréciée de manière plus objective et économique.

Le but premier de cet article est de protéger la structure et le fonctionnement de la concurrence sur le marché et non pas à la différence l'article 1143 du Code civil de protéger le consentement d'une partie. L'article vient même énoncer une liste de pratiques contraires à cet équilibre concurrentiel comme le refus de vente, ventes liées ou pratiques discriminatoires.

Les conditions de mise en oeuvre son différentes :

  1. Une dépendance économique entre entreprises
  2. La caractérisation d’un abus 
  3. Une atteinte à la concurrence 


C. Un régime de sanctions différent

  • L'article 1143 du Code civil prévoit des sanctions principalement centrées sur la nullité du contrat conclu sous l’influence d’un abus de dépendance. En outre, des dommages et intérêts peuvent être accordés à la partie lésée pour réparer le préjudice subi en raison de cet abus, ce qui permet une réparation individuelle du préjudice.


  • L'article L. 420-2 du Code de commerce, quant à lui, prévoit des sanctions économiques plus lourdes. En droit de la concurrence, les pratiques anticoncurrentielles sont passibles par les autorités administratives, d'amendes importantes, pouvant atteindre jusqu’à 10% du chiffre d’affaires mondial de l'entreprise fautive. En plus des amendes, des sanctions administratives (ex : injonctions de faire ou de ne pas faire) peuvent être imposées, et la victime peut également demander des dommages et intérêts pour le préjudice économique subi.


 II. Une logique commune : empêcher l’exploitation d’une faiblesse

L’objectif commun de ces textes est de protéger la partie faible face à un déséquilibre de pouvoir :

  • L’article 1143 vise la protection du consentement individuel : il s’agit d’éviter que l’accord donné par une partie soit obtenu par la contrainte économique.
  • L’article L. 420-2, quant à lui, se concentre sur la protection du fonctionnement concurrentiel du marché : il cherche à préserver une dynamique saine entre acteurs économiques.

Partie 2 : L’erreur sur la rentabilité́ dans les contrats de franchise.

En droit des contrats appliqué à la matière des affaires, il est difficile de concevoir une erreur sur la rentabilité prévisionnelle car il faut tenir compte de l'aléa des affaires. Sous ce prisme, le défaut de rentabilité constitue un risque normal que l'entrepreneur est censé accepter. L'art. 1136 C. civ. (issu de la réforme de 2016) : « l’erreur sur la valeur […] n’est pas une cause de nullité. » va dans ce sens.

Un cas demeure spécifique : celui de l'erreur sur la rentabilité dans les contrats de franchise. Un premier arrêt en date du 4 octobre 2011 est venu ouvrir une saga jurisprudentielle importante. Il s'agit de la première consécration de l'erreur substantielle sur la rentabilité en matière de franchise.

II. Trois conditions pour admettre la nullité du contrat (Cass. com., 12 juin 2012, puis 17 mars 2015, 5 janv. 2016…)

La jurisprudence fixe trois conditions cumulatives pour que l’erreur sur la rentabilité entraine la nullité :

  1. Les comptes prévisionnels doivent avoir été fournis par le franchiseur
  • Si le franchisé les a réalisés lui-même, aucune nullité possible (ex : Cass. com., 24 juin 2020, n°18-15.249).

2. Ces comptes doivent être manifestement erronés ou trop optimistes

Ex : chiffrage irréaliste, excès d’optimisme, erreurs sur le potentiel du lieu, etc : Cass. Com 12 mai 2021.

3. Le franchisé ne doit pas être responsable de l’échec

  • Pas de nullité si l’échec vient d’une faute de gestion (ex : mauvaise exploitation, absence de diligence...)


Précisions importantes de la jurisprudence récente :

a) L’erreur substantielle peut être invoquée même sans faute du franchiseur dans son obligation d’information

  • Même si le franchiseur a respecté son obligation d’information précontractuelle, le franchisé peut demander la nullité s’il s’est trompé sur la rentabilité et que cette erreur a déterminé son consentement (Cass. com., 6 sept. 2023).

b) Les comptes prévisionnels, même non obligatoires dans le DIP, doivent être sérieux

  • Si le franchiseur communique des comptes prévisionnels (même si la loi ne l’y oblige pas), ces chiffres doivent être sérieux et crédibles (Cass. com., 13 sept. 2017).


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