🎓 Introduction
Dans le poème Roman, écrit en 1870 alors qu'il n’a que 16 ans, Arthur Rimbaud dresse un portrait tendre et ironique de l’adolescence. À travers une promenade d’un soir de juin, il évoque les premiers émois amoureux, l’élan de liberté, mais aussi les désillusions qui accompagnent cette période de la vie. Ce texte s’inscrit pleinement dans le parcours « Émancipations créatrices » : on y perçoit la liberté de ton, la fraîcheur du regard et l’inventivité poétique d’un jeune auteur qui révolutionne les codes.
Problématique possible : Comment Rimbaud exprime-t-il, à travers ce poème, la richesse sensible et contradictoire de l’adolescence ?
🧩 I. Une ouverture légère et rêveuse : l’éveil à la vie (strophes 1 et 2)
- Le poème s’ouvre sur une phrase célèbre et détachée :
« On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans. »
Elle installe un ton familier, presque complice. Le pronom « on » généralise une expérience universelle, et le temps du présent rend l’expérience vivante.
- S’ensuit une scène de sortie du quotidien :
« foin des bocks et de la limonade »,
où l’adolescent rejette les habitudes et les lieux communs de la ville.
- La promenade sous les tilleuls, dans la douceur d’un soir de juin, évoque un cadre bucolique et propice à la rêverie. Les sens sont mobilisés (odorat, ouïe, toucher) :
« L’air est parfois si doux, qu’on ferme la paupière »
« des parfums de vigne et des parfums de bière ».
- Ce cadre sensoriel installe un climat de flottement, de transition entre enfance et monde adulte.
💘 II. La naissance du désir et l’imaginaire amoureux (strophes 3 et 4)
- Le regard de l’adolescent se tourne vers le ciel :
« un tout petit chiffon d’azur sombre »
C’est une scène intime, symbolique : l’observation d’une étoile devient le miroir de son trouble intérieur.
- L’usage des diminutifs (« petit », « douce », « petite bête ») traduit la tendresse, l’émotion maladroite mais intense.
- Le corps ressent un éveil :
« La sève est du champagne et vous monte à la tête… »
Cette image associe la nature et la fête, métaphore de l’ivresse amoureuse.
- Le baiser rêvé est décrit de façon originale :
« Qui palpite là, comme une petite bête… »
Rimbaud innove par ses images : le désir reste encore flou, presque irréel.
💔 III. Entre illusion et désillusion : l’amour contrarié (strophes 5 et 6)
- Le cœur « Robinsonne » : un néologisme qui exprime l’imaginaire romanesque de l’adolescent, influencé par ses lectures.
- La rencontre rêvée avec la demoiselle est aussitôt freinée par la figure paternelle :
« l’ombre du faux-col effrayant de son père »
Une manière subtile d’évoquer la pression sociale ou familiale.
- L’ironie de Rimbaud se fait plus mordante dans la dernière strophe :
« Vos sonnets / La font rire »
« Vous êtes mauvais goût »
L’amour est éphémère, moqué, et le poète se retrouve seul. On passe de l’idéalisation à la lucidité.
- Le poème se referme sur le même vers qu’au début :
« On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans »
Ce refrain circulaire donne une structure à l’ensemble et renforce le caractère universel de cette expérience.
✅ Conclusion
Rimbaud capture ici la magie de l’adolescence, avec son mélange d’euphorie, d’amour naissant, d’illusions et de déceptions. À travers une écriture libre et inventive, il fait du poème un espace d’émancipation. Roman est à la fois une célébration de la jeunesse et un regard lucide sur ses limites. Ce texte révèle déjà le génie rimbaldien, capable de transformer des émotions simples en matière poétique universelle.