Les lois organiques sont des lois qui viennent compléter la Constitution et détailler certaines de ses dispositions. Elles sont importantes en matière constitutionnelle et financière. Aujourd'hui, la loi organique régissant le budget, son vote, et son exécution est relative à la loi du 1er août 2021, appelée LOLF (Loi Organique relative aux Lois de Finances).
Pourquoi a-t-on adopté la LOLF ?
L’ordonnance organique du 2 janvier 1959 est fondée sur l’article 92 de la Constitution et a été en vigueur jusqu’en 2001. Elle a été largement critiquée pour plusieurs raisons :
1.Manque d’adaptation au contexte européen :
- À l’époque, peu de règles encadraient les finances publiques, mais progressivement, des règles visant à encadrer le déficit et la dette sont apparues, notamment dans le cadre de l’Union européenne.
- L’objectif principal était de maintenir la stabilité de la monnaie unique, l’euro, ce que l'ordonnance DEBRÉ ne prenait pas en compte.
2.Critiques sur la répartition des pouvoirs entre le gouvernement et le parlement :
- Cette ordonnance était perçue comme trop favorable au gouvernement et trop défavorable au Parlement.
- Le gouvernement préparait le budget et le présentait au Parlement, qui ne faisait que l’enregistrer, sans pouvoir amender le budget. Le parlement n’avait donc pas de véritable pouvoir sur le consentement à l’impôt, ce qui a mené à des critiques concernant l'absence de respect de ce principe fondamental.
3.Rigidité des règles :
- Le budget de l'État était voté par ministères, et chaque ministère avait un plafond de dépenses appelé crédit budgétaire.
Par exemple, si le ministre de l’enseignement supérieur avait 16 milliards d'euros de crédits, cela signifiait qu’il avait l'autorisation de dépenser jusqu'à cette somme.
- Cette organisation favorisait une logique ministérielle isolée, où chaque ministre agissait dans son propre “couloir” sans coordination inter-ministérielle.
Cela entraînait des contradictions et une inefficacité. De plus, l'évaluation de l’efficacité de la dépense n’était pas au cœur de la gestion budgétaire, ce qui posait problème
4.Le mécanisme de reconduction des dépenses :
- Une fois les crédits votés pour une année, ils étaient automatiquement reconduits pour l'année suivante avec, si nécessaire, un ajustement à la hausse.
- Cela menait à l’augmentation systématique des dépenses publiques. Bien que cela n’ait pas été un problème tant que l’économie allait bien, à partir de 1974, la France a connu son premier déficit budgétaire. Le gouvernement a dû alors réduire les dépenses.
5.Lisibilité du budget :
- En 1959, le budget de l'État était présenté uniquement par nature de dépenses (par exemple, dépenses militaires, administratives…).
- Cela ne permettait pas de voir l’utilité concrète de chaque dépense, comme par exemple les dépenses liées à la politique environnementale ou à la politique publique. Aujourd’hui, avec la LOLF, les dépenses sont présentées non seulement par nature, mais aussi selon leur utilité concrète.
La LOLF est d’origine parlementaire et a été adoptée avec l'aval du gouvernement. Il y a eu deux votes parlementaires : un à l’Assemblée nationale et un au Sénat. Ces deux institutions ont défendu et élaboré la LOLF.
- Didier MIGUAUD, président de la Cour des comptes et de la HATVP, initialement député.
- Alain LAMBERT, sénateur, ont joué un rôle clé dans son élaboration.
Quels sont les objectifs de la LOLF ? Afin de répondre aux critiques de l'ordonnance de 1959, la LOLF a été mise en place avec 3 grands objectifs :
1.Adopter une logique budgétaire pluriannuelle :
- La LOLF s'inscrit dans le contexte européen de lutte contre le déficit public et la dette publique. Un traité européen fixe un plafond de 3% pour le déficit public annuel et 60% pour la dette par rapport au PIB.
Or, à l’époque, le vote du budget ne permettait pas de limiter la croissance de la dette.
<- La LOLF introduit donc une logique pluriannuelle pour dessiner des trajectoires de réduction du déficit et de la dette sur plusieurs années, au lieu de se concentrer sur une seule année.
2.La performance :
- Didier MIGUAUD et Alain LAMBERT ont cherché à introduire une logique de performance dans la LOLF.
- Ils ont établi des indicateurs de performance pour chaque dépense et ont associé des crédits à ces dépenses.L’idée est de savoir si les fonds alloués ont été utilisés efficacement.
- Cela fait partie du New Public Management, où l’administration est vue comme devant être performante. On fixe donc des objectifs et on évalue les résultats.
3.Revaloriser le Parlement :
- Cet objectif a probablement été le plus réussi. Avant 2001, le Parlement était principalement une chambre d’enregistrement en matière budgétaire.
- Avec la LOLF, il a désormais plus de poids : les parlementaires peuvent non seulement amender, mais aussi modifier les prévisions de recettes et de dépenses.
La LOLF permet ainsi un contrôle parlementaire plus actif et une meilleure participation des élus à l’élaboration du budget.
La LOLF a opéré un changement de logique dans la gestion du budget de l'État, en passant d’une logique de moyens(attachée à l'ordonnance de 1959) à une logique de résultats et de performance (introduite par la loi de 2001).
1. Passage d'une logique de moyens à une logique de résultats :
- Avant 2001, l'objectif du budget était de financer les dépenses évaluées sans se soucier de l'efficacité de ces dépenses. On estimait les impôts et les emprunts nécessaires en fonction des dépenses, mais sans réellement se soucier de l'impact ou de l'efficacité des dépenses publiques.
- La LOLF introduit une logique de résultats : chaque dépense est désormais associée à des objectifs spécifiques et l'on évalue si ces objectifs sont atteints, ce qui marque un passage vers une culture de la performance.
2. Les deux éléments principaux de cette logique de résultats :
Fixation des objectifs pour chaque crédit et autorisation de dépense :
- Pour chaque crédit et autorisation de dépense, des objectifs sont fixés.
Chaque dépense est maintenant « fléchée », ce qui signifie que l'on attribue des objectifs précis à chaque dépense, et des indicateurs de performance sont définis pour mesurer si ces objectifs sont atteints.On cherche à quantifier la performance des dépenses, en vérifiant si les objectifs sont bien réalisés.
- Traditionnellement, depuis 1814, le gouvernement préparait le budget, le Parlement le votait, puis le gouvernement l’exécutait, et enfin le Parlement le contrôlait. Avec la LOLF, ce contrôle est renforcé. Le Parlement, accompagné de la Cour des comptes, doit s'assurer que les objectifs ont bien été atteints.
- Les dépenses sont désormais présentées non seulement par nature mais aussi en fonction de leur finalité, c’est-à-dire l’objectif qu’elles visent.
- Cela implique de briser la logique de reconduction des services votés : à chaque préparation et vote du budget, le gouvernement doit remettre à plat le budget de l’année précédente, c'est ce qu'on appelle parfois un « 0 budget ». Les dépenses doivent être réévaluées chaque année, sans simplement reprendre les crédits des années précédentes.
Modification de l'architecture budgétaire :
- L'architecture budgétaire a été modifiée pour mieux refléter cette logique de performance. Le budget de l'État est désormais présenté avec une nomenclature en 3 divisions :
- Mission budgétaire : La mission est la division la plus importante, qui regroupe des programmes budgétaires.
- Programme budgétaire : Chaque mission budgétaire se divise en programmes.
- Action budgétaire : Les programmes sont eux-mêmes subdivisés en actions budgétaires.
Cette nouvelle organisation vise à mieux suivre et évaluer les dépenses en fonction des objectifs assignés, permettant ainsi une plus grande performance.
Cette nomenclature est la solution miracle des promoteurs de la
Le budget de l’État est désormais divisé en une trentaine de missions budgétaires, définies à l'article 7 de la LOLF, qui stipule qu’une mission budgétaire correspond à une politique publique. Ces politiques publiques peuvent être interministérielles, et chaque mission est créée par la loi de finances chaque année. Elles reflètent ainsi l’agenda politique du gouvernement.
- Les missions budgétaires sont 33 enveloppes de crédits qui répartissent le budget de plusieurs milliards d'euros entre différentes missions. Ces missions flèchent les dépenses par nature, c’est-à-dire qu’elles précisent la destination des fonds (par exemple, pour la mission "enseignement", l'objectif est de financer les dépenses liées à l'éducation). Le Parlement doit voter chaque mission budgétaire une à une, soit 33 votes en commission, puis 33 votes dans l’hémicycle sur chaque mission. Il y a donc une unité de vote pour chaque mission.
- Chaque mission budgétaire se divise en programmes budgétaires, qui peuvent être plus ou moins nombreux en fonction de la mission. Un programme représente un ensemble cohérent d'actions visant à atteindre un objectif commun. En tout, il y a environ 140 à 150 programmes budgétaires pour toutes les missions de l'État. Chaque programme ministériel fixe des objectifs à atteindre et des indicateurs de performance.
Pour chaque programme, un document annexé à la loi de finances, appelé "Le projet annuel de performance" (PAP), présente les objectifs et les indicateurs de performance. Ces documents sont transmis au Parlement sous forme de "bleus budgétaires", ce qui permet aux parlementaires de comprendre les prévisions de dépenses et d'évaluer les objectifs associés.
= Par exemple, la mission "justice judiciaire" est divisée en 5 à 6 programmes :
• Programme justice judiciaire, administration pénitentiaire, protection judiciaire de la jeunesse, etc.
• Trois objectifs sont fixés pour cette mission :
o Rendre une justice de qualité.
o Renforcer la qualité de la réponse pénale.
o Améliorer les délais de jugement, avec des indicateurs tels que le délai de jugement (moins de 2 ans) et le taux d’appel et de cassation.
Les dotations sont des dépenses qui ne sont pas liées à une mission spécifique et ne visent pas une performance mesurable. Elles sont hors nomenclature.
Les dotations comprennent :
- Les dépenses accidentelles, comme les réserves pour les catastrophes économiques ou les pandémies.
- Les dépenses des pouvoirs publics, comme les crédits affectés à l'Assemblée nationale ou à l'Élysée pour payer les agents affectés.
Un des problèmes soulignés par la LOLF est le risque de technocratie :
Le Parlement, bien qu'il soit responsable du vote et du contrôle du budget, dispose de compétences limitées comparé aux administrations ministérielles qui ont des compétences techniques pointues. Cela amène à se demander si le Parlement ne se trouve pas trop dépendant des compétences techniques du gouvernement. Ce phénomène a été accentué par la LOLF, qui complexifie encore davantage le contrôle parlementaire sur le budget.