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Sans titre

INTRODUCTION

Arthur Rimbaud compose le poème « Ma bohème » à seize ans, en 1870.

Ce sonnet, sans doute le plus célèbre de Rimbaud, appartient aux Cahiers de Douai. Ce recueil est

publié en 1893, après la mort de Rimbaud par Paul Demeny : Rimbaud lui avait d’abord confié ses

poèmes puis lui avait demandé de les détruire,.

Génie précoce, Rimbaud est aussi un adolescent rebelle, il aspire à devenir poète et expérimente la vie

de bohème en fuguant du foyer maternel ; Paul Verlaine l’a surnommé « l’homme aux semelles de

vent ». La bohème pour Rimbaud c’est une vie de dénuement et d’errance, sous le signe de la liberté

absolu, de l’insouciance et de la poésie. Dernier poème du recueil (ce n’est pas un choix de Rimbaud),

ce sonnet synthétise la pulsion créatrice et le désir d’émancipation.

Titre

« Ma bohème » - Errance sans but, sans itinéraire préétabli, selon le hasard et la fantaisie du

vagabond qui vit au jour le jour, en marge des conventions et du conformisme bourgeois. cf.

bohémien : roms, tsiganes, gitans, nomades de Bohême.

Le titre de ce poème introduit d'emblée le thème de l'émancipation en utilisant le topos (= cliché, lieu

commun) de la bohème et du bohémien cher aux artistes du XIXème siècle.

Comment la bohème devient un phénomène de mode au XIXème siècle ?

https://essentiels.bnf.fr/fr/article/a454c075-0ea8-4277-8fad-b306e4964e35-invention-la-boheme

La vie de bohème, libre, désintéressée, guidée seulement par la quête artistique est une vie pauvre

souvent et marginale. (cf. aussi la célèbre chanson d’Aznavour https://www.youtube.com/watch?

v=hWLc0J52b2I)

L'utilisation du déterminant possessif "ma" rend ce topos plus personnel et donne au poème une

dimension autobiographique et une tonalité lyrique.

Sous-titre « Fantaisie » : importance de l’imaginaire, de la rêverie.

LECTURE

Faire une lecture correcte des alexandrins : liaisons, [e] accentués et muets, chaque vers doit bien

compter 12 syllabes !

Attention également au rythme avec les enjambements, respecter la ponctuation.

Travailler la diction et aussi l’intonation. Faire une lecture articulée et adressée.

Cf. G. Gallienne de la Comédie Française : https://www.youtube.com/watch?v=hzVCc7F1ud8

Problématiques

Comment Rimbaud revendique-t-il sa volonté de renouveler la poésie par l’errance et le

« dérèglement de tous les sens » ?

Comment la liberté de mouvement est-elle symbolique de la liberté de création poétique ?

Comment les choix poétiques du jeune Rimbaud reflètent-ils sa recherche de la liberté ?

En quoi ce récit d’errance se transforme en quête poétique ?

Comment l’errance stimule et engendre la création poétique ?

En quoi la nature est-elle matrice de fantaisie et d’invention poétique ?

Comment le voyage est pour Rimbaud autant un art de vivre qu’un art poétique ?

Comment Rimbaud célèbre l’errance comme moyen d’accéder à la création poétique ?

=> différentes formulations reprennent toutes idée d’une tension entre vie de bohème et création

poétique


OE 1 POÉSIE – Explication Linéaire 1 « Ma bohème », Cahier de Douai, A. Rimbaud 1 WAGNER 2024-25


Mouvements

C’est un sonnet - forme fixe constituée de 2 quatrains (strophes de 4 vers) et 2 tercets (strophes de 3

vers)

Quatrains : l’errance d’un vagabond qui trouve le réconfort dans le rêve et la nature

Tercets : l’inspiration et la création poétique

Premier mouvement = premier quatrain - le vagabondage en pleine Nature

Récit de fugues répétées et description du dénuement de l’adolescent vagabond

- Poème s'ouvre sur le récit d’une expérience personnelle, marques de la 1ère personne (pronom

personnel « J’ » fait écho au déterminant possessif « ma » du titre) : référence aux fugues de Rimbaud.

Lyrisme, dimension personnelle, autobiographique.

- « Je m’en allais » : Insistance sur le départ du poète avec un imparfait à valeur itérative (= répétition)

et durative qui suggère que ces fugues sont récurrentes et sans limite de durée.

Verbe de mouvement « allais » n'est pas associé à un CC de lieu ou de but : un déplacement sans

destination ni objectif précis, marcher sans but est propre de l’errance. On ne sait pas non plus d’où il

part. Idée de lieu disparaît, insistance sur errance.

- Alexandrin traditionnellement avec césure à l’hémistiche (rythme 6-6) : ici dès le v.1, rythme 4-8 :

écart provocateur avec la tradition qui mime la cadence des pas effrontés, césure irrégulière crée effet

de rapidité, comme un élan, départ de l’errance, début du poème.

- Choix de l’adjectif « crevées » plus fort que trouées associé aux « poings » plutôt qu’aux mains

suggère une forme de colère, de révolte qui l'anime et rejoint la volonté d’émancipation.

- « mes poches crevées » : déterminant possessif répété indique logiquement la possession mais

l’adjectif souligne l’absence, le rien ; le poète possède donc autre chose.

- Pauvreté, misère matérielle : peu de vêtements + usure, lexique rappelle les conditions matérielles

de la vie de bohème. Tous les éléments vestimentaires décrits montrent le dénuement (« poches

crevées », « paletot devenait idéal ») mais la souffrance n’est pas soulignée, occasion de s'affranchir

des codes de la société bourgeoise que Rimbaud veut fuir : la pauvreté a un pouvoir libératoire.

Cette liberté a le pouvoir de métamorphoser les choses, le « paletot devenait idéal » : l'errance rend

tout positif.

Jeu sur la polysémie du mot « idéal » :

1. le paletot est si usé qu'il n'est plus que l'idée d'un manteau, il n’a plus de matérialité ;

2. le paletot est idéalement = parfaitement adapté à la fugue. La liberté transforme positivement ce

manteau dans un état lamentable.

- Remarque sur l’adverbe « aussi » : peut faire référence au mouvement du Parnasse, avec sa recherche de la beauté

parfaite. Rimbaud se moque des parnassiens et de leur quête d’idéal tout en reprenant cette quête à son compte.

Une errance poétique dans le sein de la Nature

- v.3 CCL « sous le ciel » ne donne aucun repère, la destination reste inconnue mais sans limite si ce

n’est l’espace céleste, symbole de liberté et de rêve. Immensité du ciel mais aussi protection

(préposition « sous »).

- Apostrophe à une "Muse" + tutoiement : figure de l'inspiration dans l'Antiquité grecque

« féal » : terme rare associé à la chevalerie, serviteur, vassal au Moyen Âge, référence romantique à la

poésie courtoise. Chevalier servant et errant. Poète n’accepte aucune autorité, seulement poésie.

Errance guidée par inspiration poétique.

- v.4 locution exclamative familière + exaltation sensuelle : fait entrer en poésie des mots jusque-là

peu utilisés, traduit l'enthousiasme, la nostalgie de ces amours placées au pluriel et associées à

l'adjectif hyperbolique « splendides » dans une exclamative introduite par "que". Exaltation de

trouver horizon plus excitant que quotidien banal et oppressant.

- Hyperbole de l’exclamation v. 4. Poète se moque de son propre rêve. Passé composé = passé révolu.

S’estime ridicule d’avoir cherché poésie parfaite permettant d’atteindre beauté idéale, ironie :

Rimbaud remet question le lyrisme romantique (avec la surabondance de la 1ère personne, l’exaltation

hyperbolique, il surjoue) et l’école parnassienne. Il porte un regard moqueur voire critique sur ses


OE 1 POÉSIE – Explication Linéaire 1 « Ma bohème », Cahier de Douai, A. Rimbaud 2 WAGNER 2024-25


exaltations passées et tourne en dérision la grandiloquence de la poésie romantique amoureuse.

D'autant que « rêvées » qui célèbre le monde de l'imaginaire rime avec le très prosaïque « crevées ».

- Le découpage rythmique du v.4 est particulièrement perturbé : on trouve une suite de monosyllabes

dans le premier hémistiche qui disloque l'alexandrin et montre bien que le poète se détache de la

poésie traditionnelle et entend bien la pratiquer avec une grande liberté.

Deuxième mouvement = second quatrain - figure du Petit Poucet rêveur

Retour à l'idée du dénuement vestimentaire avec une pointe de provocation : suite de la description

vestimentaire organisée de haut en bas, du manteau aux souliers à la fin du poème.

- Utilisation d'un mot peu poétique « culotte » associé à l'adjectif « unique » insiste sur le dénuement

et allitération inélégante en [k]. Après le verbe « avait » qui indique la possession, on ne trouve que le

vide avec COD « large trou » : paradoxe accentue impression de dénuement. (+ provocation : large

trou laisse voir postérieur)

Que possède-t-il alors ? Relation fusionnelle avec Nature.

L'errance rend le monde fantastique et stimule la création poétique.

- Poète utilise la métaphore du Petit-Poucet, personnage de conte merveilleux avec points

communs : pauvre, abandonné par son père, seul en pleine Nature, parcours initiatique qui le

transforme MAIS le poète est parti de son plein gré pour fuir sa famille, ne cherche pas à rentrer,

n'exprime aucune souffrance liée à son état. Épithète « rêveur » permet de distinguer Rimbaud du

personnage du conte et fait écho au v.4 « j'ai rêvées » et au sous-titre « fantaisie ». Référence au conte

permet d’introduire description merveilleuse du monde qui se retrouve transfiguré devenant

fantastique et animé.

- Au lieu de semer des cailloux, sème des rimes. Rejet COD « Des rimes » au vers 7 met en valeur le

terme et mime le geste d’égrener. Les rimes créent le chemin, le vagabondage permet l’invention

poétique. Rejet illustre verbe « égrener ». Errance crée création poétique qui elle-même donne sens à

l’errance.

- Le poète détourne dans une métaphore l’expression dormir à la belle étoile : montre son manque

d’argent mais aussi poursuit le thème de l’univers et du ciel infini, illimité. Nature devient une figure

maternelle, protectrice. « auberge » : refuge, abri, sécurité. Bonne étoile = chance


- Nature s'anime sous le regard du poète avec l’onomatopée familière, fantaisie langagière « frou-

frou » qui évoque le bruissement d’un tissu renforcée par l’adjectif « doux ». Étoiles sont associées à


un possessif qui renforce proximité du poète avec Nature. Sensualité de l’évocation : à la fois son et

toucher. La liberté totale au sein de la nature est propice à la création poétique et transfigure le

monde donnant vie aux étoiles qui produisent un son que seul le poète peut entendre (cf. « se faire

voyant »).

- Toute la strophe est traversée par une assonance en [ou] qui culmine à la fin du v.8 et apporte

beaucoup de douceur à l’oreille : errance nocturne comme un moment très agréable

- Destination est bien création poétique

- Libre, indépendant, Insouciant, abandon à la nature. Déterminants possessifs : attachement exclusif

à celle qui l’héberge dans son itinérance, auberge n’est qu’hébergement provisoire.

- à la lisière entre deux mondes : poète perçoit au-delà de réalité matérielle et fait entendre grâce à

sa poésie.

- « Mes étoiles » : aussi référence aux poètes parnassiens (Banville, Gautier) que le jeune Rimbaud

admirait et aux poètes du XVIème siècle de la Pléiade (Ronsard, Du Bellay), emprunt au nom d’une

constellation.

À la fois admiration mais aussi ironie : ses rimes sont des cailloux, alors que le recueil de T. Gautier

s’intitule Émaux et camés, où les rimes sont comme des pierres précieuses.

Troisième mouvement = deux tercets - le bonheur de la création poétique dans une Nature

transfigurée.

Un poète en symbiose avec une Nature source d’inspiration

- Après le mouvement (« j'allais », « ma course »), poète se décrit dans une posture statique

d’attente, d’observation « assis » : pause, contemplation, sens en éveil. CCL « au bord des routes » :

OE 1 POÉSIE – Explication Linéaire 1 « Ma bohème », Cahier de Douai, A. Rimbaud 3 WAGNER 2024-25


toujours position à la marge du vagabond, en retrait des voies tracées par une société bourgeoise et

matérialiste.

- Rejet conventions poétiques, Rimbaud s’affranchit de la structure classique du sonnet où quatrains

et tercet devaient être distincts, aborder des thèmes différents. OR ici il relie quatrains et sonnets

avec conjonction de coordination « et » pour traduire l'inspiration poétique ininterrompue et le lien

qui unit cette expérience de bohème à l'écriture. Pour autant les vers 9 à 11 respectent la césure à

l’hémistiche : jeu entre tradition et émancipation.

- CCT « septembre » seule référence temporelle précise du texte : détail autobiographique associé à

un adjectif mélioratif « bons » suggère un souvenir heureux. Septembre est aussi la période des

vendanges, symbole dionysiaque (de Dionysos, dieu grec – Bacchus chez latins – du vin et de

l’ivresse), cf. comparaison avec le « vin de vigueur ». L’ enjambement vers 10-11 évoque aussi l’élan

vital de l’adolescent débordant d’audace et de vitalité.

- Expérience sollicitant plusieurs sens du poète : ouïe (« écoutais »), toucher (« sentais »), goût

(« vin ») = plénitude ressentie au sein d'une Nature qui l'inspire et avec laquelle il semble en symbiose.

Synesthésie, « dérèglement de tous les sens ». Contemplation de la Nature qui offre une nourriture

symbolique, spirituelle. Ainsi le poète ressent l’ivresse poétique (« vin de vigueur ») et se fait voyant

en accédant à un monde invisible aux autres qui sollicitent tous les sens.

La création en action : le trivial devient poétique

- Dernier tercet est le point d'orgue de la célébration de la poésie, champ lexical de la poésie

omniprésent, elle transfigure à nouveau le réel en faisant de ce qui aurait pu être effrayant - être seul

en pleine nuit dans la Nature - une expérience « fantastique ». Surgissement du surnaturel,

transfiguration de la réalité

- À travers une comparaison (« lyres » – « élastiques », mot trivial et anti-poétique), détournement de

l’image poétique traditionnelle de la lyre (référence burlesque au mythe d'Orphée qui charme le

monstre Cerbère) : ici les cordes sont les lacets de ses chaussures.

Également jeu sonore : « des lyres »/délires souligne pouvoir de la poésie.

L'enjambement rallonge le rythme et semble mimer l’étirement des lacets. Écrire c’est étirer les

mots, jouer avec et sur les mots. Rime riche « -astique » : ornementation vaine, activité ménagère ou

même connotation grivoise

- Expérience de fugues devient cheminement spirituel, positive : environnement réel devait être peu

rassurant et pourtant ombres fantomatiques repoussés par chant poétique. Enchantement, magie de

poésie. Cf. Apollinaire convaincu de pouvoir incantatoire de poésie.

- Plusieurs interprétations pour « souliers blessés » : une métonymie : ce sont les pieds dans les

souliers qui souffrent ; une personnification des souliers usés après de si longues marches et donc le

retour à la description d'une tenue abimée par l'errance ; un hypallage : l'adjectif « blessés » renvoie

en réalité à « cœur ». L'adjectif « blessés » témoigne d'une souffrance mise à distance grâce à

l'écriture poétique, célébrée grâce au plaisir de l'errance : c'est en usant les souliers par la marche que

naît la création poétique.

- Jeu sur la polysémie de «pied» : celui du poète qui marche beaucoup et se penche sur ses pieds

meurtris (image triviale) ET unité de mesure du vers, synonyme de syllabe : l’inspiration poétique

vient de la marche. Émancipation poétique : chez Rimbaud, l’inspiration ne repose pas sur des motifs

sublimes mais trouve sa source dans la réalité la plus triviale qu'elle transfigure

CONCLUSION

Récit d'errance se transforme en quête poétique.

Bohème du poète correspond à son errance sur les routes, celle d'un vagabond fugueur, révolté et

rêveur aux vêtements usés par le voyage mais la poésie permet à Rimbaud de transformer les

conditions matérielles difficiles de son errance solitaire et le cadre naturel en autant d'objets

poétiques. La poésie est présentée comme une façon de vivre, d'être au monde. En cela, le poème

apparaît comme une sorte d'art poétique malgré sa désinvolture apparente. Processus de sa création

poétique : mener vie de bohème est condition à création et c’est au sein de la nature et dans solitude

que le poète puise son NRJ créatrice, épreuve de la liberté totale et transfiguration du monde.

Lien avec le parcours « émancipations créatrices » :

OE 1 POÉSIE – Explication Linéaire 1 « Ma bohème », Cahier de Douai, A. Rimbaud 4 WAGNER 2024-25


Double émancipation : émancipation sociale/familiale d'un jeune homme qui fuit les codes d'une

société dans laquelle il affirme sa marginalité par le choix de l'errance et du dénuement ET

émancipation poétique puisqu'il convoque des motifs et formes poétiques traditionnels pour mieux

s'en détacher.

Transfiguration de la réalité banale en œuvre d’art. Recherche d’une langue nouvelle.

En 14 vers Rimbaud parvient à condenser toutes les thématiques de l’œuvre : le goût de l’errance, du

voyage, de la liberté, de la révolte, de l’amour, de la nature et de la poésie.

Ce sonnet annonce la volonté de se débarrasser des vieilleries poétiques que concrétiseront Les

Illuminations et Un saison en enfer.

Rimbaud y brise l’alexandrin, flirte avec la prose, joue avec les mots, joue avec les rimes, pratique

l’auto dérision, la parodie si bien que le poème peut se lire comme un manifeste pour une poésie

nouvelle.

Ouvertures :

Importance NRJ, puissance créatrice du poète (cf . Étymologie poiétès « créateur ») en lien avec

parcours : principes écriture rimbaldienne explicités dans la « Lettre du voyant » envoyée à Paul

Demeny (cf. p.112 de l’édition de poche). Marginalité revendiquée comme art de vivre. « Voleur de

feu » qui va capturer sensations, visions pour les restituer aux hommes, commence à se dessiner.

Création langage nouveau : rupture avec conventions traditionnelles, images sensorielles, et

synesthésiques.

Cahiers de Douai : début itinéraire, exploration : va vers voyance et « dérèglement de tous les sens ».

Cf. lettre à Izambard prémisses du « dérèglement de tous les sens » : « Les souffrances sont énormes,

mais il faut être fort, être né poète, et je me suis reconnu poète. »

Parallèle avec « Sensation »


Sans titre

INTRODUCTION

Arthur Rimbaud compose le poème « Ma bohème » à seize ans, en 1870.

Ce sonnet, sans doute le plus célèbre de Rimbaud, appartient aux Cahiers de Douai. Ce recueil est

publié en 1893, après la mort de Rimbaud par Paul Demeny : Rimbaud lui avait d’abord confié ses

poèmes puis lui avait demandé de les détruire,.

Génie précoce, Rimbaud est aussi un adolescent rebelle, il aspire à devenir poète et expérimente la vie

de bohème en fuguant du foyer maternel ; Paul Verlaine l’a surnommé « l’homme aux semelles de

vent ». La bohème pour Rimbaud c’est une vie de dénuement et d’errance, sous le signe de la liberté

absolu, de l’insouciance et de la poésie. Dernier poème du recueil (ce n’est pas un choix de Rimbaud),

ce sonnet synthétise la pulsion créatrice et le désir d’émancipation.

Titre

« Ma bohème » - Errance sans but, sans itinéraire préétabli, selon le hasard et la fantaisie du

vagabond qui vit au jour le jour, en marge des conventions et du conformisme bourgeois. cf.

bohémien : roms, tsiganes, gitans, nomades de Bohême.

Le titre de ce poème introduit d'emblée le thème de l'émancipation en utilisant le topos (= cliché, lieu

commun) de la bohème et du bohémien cher aux artistes du XIXème siècle.

Comment la bohème devient un phénomène de mode au XIXème siècle ?

https://essentiels.bnf.fr/fr/article/a454c075-0ea8-4277-8fad-b306e4964e35-invention-la-boheme

La vie de bohème, libre, désintéressée, guidée seulement par la quête artistique est une vie pauvre

souvent et marginale. (cf. aussi la célèbre chanson d’Aznavour https://www.youtube.com/watch?

v=hWLc0J52b2I)

L'utilisation du déterminant possessif "ma" rend ce topos plus personnel et donne au poème une

dimension autobiographique et une tonalité lyrique.

Sous-titre « Fantaisie » : importance de l’imaginaire, de la rêverie.

LECTURE

Faire une lecture correcte des alexandrins : liaisons, [e] accentués et muets, chaque vers doit bien

compter 12 syllabes !

Attention également au rythme avec les enjambements, respecter la ponctuation.

Travailler la diction et aussi l’intonation. Faire une lecture articulée et adressée.

Cf. G. Gallienne de la Comédie Française : https://www.youtube.com/watch?v=hzVCc7F1ud8

Problématiques

Comment Rimbaud revendique-t-il sa volonté de renouveler la poésie par l’errance et le

« dérèglement de tous les sens » ?

Comment la liberté de mouvement est-elle symbolique de la liberté de création poétique ?

Comment les choix poétiques du jeune Rimbaud reflètent-ils sa recherche de la liberté ?

En quoi ce récit d’errance se transforme en quête poétique ?

Comment l’errance stimule et engendre la création poétique ?

En quoi la nature est-elle matrice de fantaisie et d’invention poétique ?

Comment le voyage est pour Rimbaud autant un art de vivre qu’un art poétique ?

Comment Rimbaud célèbre l’errance comme moyen d’accéder à la création poétique ?

=> différentes formulations reprennent toutes idée d’une tension entre vie de bohème et création

poétique


OE 1 POÉSIE – Explication Linéaire 1 « Ma bohème », Cahier de Douai, A. Rimbaud 1 WAGNER 2024-25


Mouvements

C’est un sonnet - forme fixe constituée de 2 quatrains (strophes de 4 vers) et 2 tercets (strophes de 3

vers)

Quatrains : l’errance d’un vagabond qui trouve le réconfort dans le rêve et la nature

Tercets : l’inspiration et la création poétique

Premier mouvement = premier quatrain - le vagabondage en pleine Nature

Récit de fugues répétées et description du dénuement de l’adolescent vagabond

- Poème s'ouvre sur le récit d’une expérience personnelle, marques de la 1ère personne (pronom

personnel « J’ » fait écho au déterminant possessif « ma » du titre) : référence aux fugues de Rimbaud.

Lyrisme, dimension personnelle, autobiographique.

- « Je m’en allais » : Insistance sur le départ du poète avec un imparfait à valeur itérative (= répétition)

et durative qui suggère que ces fugues sont récurrentes et sans limite de durée.

Verbe de mouvement « allais » n'est pas associé à un CC de lieu ou de but : un déplacement sans

destination ni objectif précis, marcher sans but est propre de l’errance. On ne sait pas non plus d’où il

part. Idée de lieu disparaît, insistance sur errance.

- Alexandrin traditionnellement avec césure à l’hémistiche (rythme 6-6) : ici dès le v.1, rythme 4-8 :

écart provocateur avec la tradition qui mime la cadence des pas effrontés, césure irrégulière crée effet

de rapidité, comme un élan, départ de l’errance, début du poème.

- Choix de l’adjectif « crevées » plus fort que trouées associé aux « poings » plutôt qu’aux mains

suggère une forme de colère, de révolte qui l'anime et rejoint la volonté d’émancipation.

- « mes poches crevées » : déterminant possessif répété indique logiquement la possession mais

l’adjectif souligne l’absence, le rien ; le poète possède donc autre chose.

- Pauvreté, misère matérielle : peu de vêtements + usure, lexique rappelle les conditions matérielles

de la vie de bohème. Tous les éléments vestimentaires décrits montrent le dénuement (« poches

crevées », « paletot devenait idéal ») mais la souffrance n’est pas soulignée, occasion de s'affranchir

des codes de la société bourgeoise que Rimbaud veut fuir : la pauvreté a un pouvoir libératoire.

Cette liberté a le pouvoir de métamorphoser les choses, le « paletot devenait idéal » : l'errance rend

tout positif.

Jeu sur la polysémie du mot « idéal » :

1. le paletot est si usé qu'il n'est plus que l'idée d'un manteau, il n’a plus de matérialité ;

2. le paletot est idéalement = parfaitement adapté à la fugue. La liberté transforme positivement ce

manteau dans un état lamentable.

- Remarque sur l’adverbe « aussi » : peut faire référence au mouvement du Parnasse, avec sa recherche de la beauté

parfaite. Rimbaud se moque des parnassiens et de leur quête d’idéal tout en reprenant cette quête à son compte.

Une errance poétique dans le sein de la Nature

- v.3 CCL « sous le ciel » ne donne aucun repère, la destination reste inconnue mais sans limite si ce

n’est l’espace céleste, symbole de liberté et de rêve. Immensité du ciel mais aussi protection

(préposition « sous »).

- Apostrophe à une "Muse" + tutoiement : figure de l'inspiration dans l'Antiquité grecque

« féal » : terme rare associé à la chevalerie, serviteur, vassal au Moyen Âge, référence romantique à la

poésie courtoise. Chevalier servant et errant. Poète n’accepte aucune autorité, seulement poésie.

Errance guidée par inspiration poétique.

- v.4 locution exclamative familière + exaltation sensuelle : fait entrer en poésie des mots jusque-là

peu utilisés, traduit l'enthousiasme, la nostalgie de ces amours placées au pluriel et associées à

l'adjectif hyperbolique « splendides » dans une exclamative introduite par "que". Exaltation de

trouver horizon plus excitant que quotidien banal et oppressant.

- Hyperbole de l’exclamation v. 4. Poète se moque de son propre rêve. Passé composé = passé révolu.

S’estime ridicule d’avoir cherché poésie parfaite permettant d’atteindre beauté idéale, ironie :

Rimbaud remet question le lyrisme romantique (avec la surabondance de la 1ère personne, l’exaltation

hyperbolique, il surjoue) et l’école parnassienne. Il porte un regard moqueur voire critique sur ses


OE 1 POÉSIE – Explication Linéaire 1 « Ma bohème », Cahier de Douai, A. Rimbaud 2 WAGNER 2024-25


exaltations passées et tourne en dérision la grandiloquence de la poésie romantique amoureuse.

D'autant que « rêvées » qui célèbre le monde de l'imaginaire rime avec le très prosaïque « crevées ».

- Le découpage rythmique du v.4 est particulièrement perturbé : on trouve une suite de monosyllabes

dans le premier hémistiche qui disloque l'alexandrin et montre bien que le poète se détache de la

poésie traditionnelle et entend bien la pratiquer avec une grande liberté.

Deuxième mouvement = second quatrain - figure du Petit Poucet rêveur

Retour à l'idée du dénuement vestimentaire avec une pointe de provocation : suite de la description

vestimentaire organisée de haut en bas, du manteau aux souliers à la fin du poème.

- Utilisation d'un mot peu poétique « culotte » associé à l'adjectif « unique » insiste sur le dénuement

et allitération inélégante en [k]. Après le verbe « avait » qui indique la possession, on ne trouve que le

vide avec COD « large trou » : paradoxe accentue impression de dénuement. (+ provocation : large

trou laisse voir postérieur)

Que possède-t-il alors ? Relation fusionnelle avec Nature.

L'errance rend le monde fantastique et stimule la création poétique.

- Poète utilise la métaphore du Petit-Poucet, personnage de conte merveilleux avec points

communs : pauvre, abandonné par son père, seul en pleine Nature, parcours initiatique qui le

transforme MAIS le poète est parti de son plein gré pour fuir sa famille, ne cherche pas à rentrer,

n'exprime aucune souffrance liée à son état. Épithète « rêveur » permet de distinguer Rimbaud du

personnage du conte et fait écho au v.4 « j'ai rêvées » et au sous-titre « fantaisie ». Référence au conte

permet d’introduire description merveilleuse du monde qui se retrouve transfiguré devenant

fantastique et animé.

- Au lieu de semer des cailloux, sème des rimes. Rejet COD « Des rimes » au vers 7 met en valeur le

terme et mime le geste d’égrener. Les rimes créent le chemin, le vagabondage permet l’invention

poétique. Rejet illustre verbe « égrener ». Errance crée création poétique qui elle-même donne sens à

l’errance.

- Le poète détourne dans une métaphore l’expression dormir à la belle étoile : montre son manque

d’argent mais aussi poursuit le thème de l’univers et du ciel infini, illimité. Nature devient une figure

maternelle, protectrice. « auberge » : refuge, abri, sécurité. Bonne étoile = chance


- Nature s'anime sous le regard du poète avec l’onomatopée familière, fantaisie langagière « frou-

frou » qui évoque le bruissement d’un tissu renforcée par l’adjectif « doux ». Étoiles sont associées à


un possessif qui renforce proximité du poète avec Nature. Sensualité de l’évocation : à la fois son et

toucher. La liberté totale au sein de la nature est propice à la création poétique et transfigure le

monde donnant vie aux étoiles qui produisent un son que seul le poète peut entendre (cf. « se faire

voyant »).

- Toute la strophe est traversée par une assonance en [ou] qui culmine à la fin du v.8 et apporte

beaucoup de douceur à l’oreille : errance nocturne comme un moment très agréable

- Destination est bien création poétique

- Libre, indépendant, Insouciant, abandon à la nature. Déterminants possessifs : attachement exclusif

à celle qui l’héberge dans son itinérance, auberge n’est qu’hébergement provisoire.

- à la lisière entre deux mondes : poète perçoit au-delà de réalité matérielle et fait entendre grâce à

sa poésie.

- « Mes étoiles » : aussi référence aux poètes parnassiens (Banville, Gautier) que le jeune Rimbaud

admirait et aux poètes du XVIème siècle de la Pléiade (Ronsard, Du Bellay), emprunt au nom d’une

constellation.

À la fois admiration mais aussi ironie : ses rimes sont des cailloux, alors que le recueil de T. Gautier

s’intitule Émaux et camés, où les rimes sont comme des pierres précieuses.

Troisième mouvement = deux tercets - le bonheur de la création poétique dans une Nature

transfigurée.

Un poète en symbiose avec une Nature source d’inspiration

- Après le mouvement (« j'allais », « ma course »), poète se décrit dans une posture statique

d’attente, d’observation « assis » : pause, contemplation, sens en éveil. CCL « au bord des routes » :

OE 1 POÉSIE – Explication Linéaire 1 « Ma bohème », Cahier de Douai, A. Rimbaud 3 WAGNER 2024-25


toujours position à la marge du vagabond, en retrait des voies tracées par une société bourgeoise et

matérialiste.

- Rejet conventions poétiques, Rimbaud s’affranchit de la structure classique du sonnet où quatrains

et tercet devaient être distincts, aborder des thèmes différents. OR ici il relie quatrains et sonnets

avec conjonction de coordination « et » pour traduire l'inspiration poétique ininterrompue et le lien

qui unit cette expérience de bohème à l'écriture. Pour autant les vers 9 à 11 respectent la césure à

l’hémistiche : jeu entre tradition et émancipation.

- CCT « septembre » seule référence temporelle précise du texte : détail autobiographique associé à

un adjectif mélioratif « bons » suggère un souvenir heureux. Septembre est aussi la période des

vendanges, symbole dionysiaque (de Dionysos, dieu grec – Bacchus chez latins – du vin et de

l’ivresse), cf. comparaison avec le « vin de vigueur ». L’ enjambement vers 10-11 évoque aussi l’élan

vital de l’adolescent débordant d’audace et de vitalité.

- Expérience sollicitant plusieurs sens du poète : ouïe (« écoutais »), toucher (« sentais »), goût

(« vin ») = plénitude ressentie au sein d'une Nature qui l'inspire et avec laquelle il semble en symbiose.

Synesthésie, « dérèglement de tous les sens ». Contemplation de la Nature qui offre une nourriture

symbolique, spirituelle. Ainsi le poète ressent l’ivresse poétique (« vin de vigueur ») et se fait voyant

en accédant à un monde invisible aux autres qui sollicitent tous les sens.

La création en action : le trivial devient poétique

- Dernier tercet est le point d'orgue de la célébration de la poésie, champ lexical de la poésie

omniprésent, elle transfigure à nouveau le réel en faisant de ce qui aurait pu être effrayant - être seul

en pleine nuit dans la Nature - une expérience « fantastique ». Surgissement du surnaturel,

transfiguration de la réalité

- À travers une comparaison (« lyres » – « élastiques », mot trivial et anti-poétique), détournement de

l’image poétique traditionnelle de la lyre (référence burlesque au mythe d'Orphée qui charme le

monstre Cerbère) : ici les cordes sont les lacets de ses chaussures.

Également jeu sonore : « des lyres »/délires souligne pouvoir de la poésie.

L'enjambement rallonge le rythme et semble mimer l’étirement des lacets. Écrire c’est étirer les

mots, jouer avec et sur les mots. Rime riche « -astique » : ornementation vaine, activité ménagère ou

même connotation grivoise

- Expérience de fugues devient cheminement spirituel, positive : environnement réel devait être peu

rassurant et pourtant ombres fantomatiques repoussés par chant poétique. Enchantement, magie de

poésie. Cf. Apollinaire convaincu de pouvoir incantatoire de poésie.

- Plusieurs interprétations pour « souliers blessés » : une métonymie : ce sont les pieds dans les

souliers qui souffrent ; une personnification des souliers usés après de si longues marches et donc le

retour à la description d'une tenue abimée par l'errance ; un hypallage : l'adjectif « blessés » renvoie

en réalité à « cœur ». L'adjectif « blessés » témoigne d'une souffrance mise à distance grâce à

l'écriture poétique, célébrée grâce au plaisir de l'errance : c'est en usant les souliers par la marche que

naît la création poétique.

- Jeu sur la polysémie de «pied» : celui du poète qui marche beaucoup et se penche sur ses pieds

meurtris (image triviale) ET unité de mesure du vers, synonyme de syllabe : l’inspiration poétique

vient de la marche. Émancipation poétique : chez Rimbaud, l’inspiration ne repose pas sur des motifs

sublimes mais trouve sa source dans la réalité la plus triviale qu'elle transfigure

CONCLUSION

Récit d'errance se transforme en quête poétique.

Bohème du poète correspond à son errance sur les routes, celle d'un vagabond fugueur, révolté et

rêveur aux vêtements usés par le voyage mais la poésie permet à Rimbaud de transformer les

conditions matérielles difficiles de son errance solitaire et le cadre naturel en autant d'objets

poétiques. La poésie est présentée comme une façon de vivre, d'être au monde. En cela, le poème

apparaît comme une sorte d'art poétique malgré sa désinvolture apparente. Processus de sa création

poétique : mener vie de bohème est condition à création et c’est au sein de la nature et dans solitude

que le poète puise son NRJ créatrice, épreuve de la liberté totale et transfiguration du monde.

Lien avec le parcours « émancipations créatrices » :

OE 1 POÉSIE – Explication Linéaire 1 « Ma bohème », Cahier de Douai, A. Rimbaud 4 WAGNER 2024-25


Double émancipation : émancipation sociale/familiale d'un jeune homme qui fuit les codes d'une

société dans laquelle il affirme sa marginalité par le choix de l'errance et du dénuement ET

émancipation poétique puisqu'il convoque des motifs et formes poétiques traditionnels pour mieux

s'en détacher.

Transfiguration de la réalité banale en œuvre d’art. Recherche d’une langue nouvelle.

En 14 vers Rimbaud parvient à condenser toutes les thématiques de l’œuvre : le goût de l’errance, du

voyage, de la liberté, de la révolte, de l’amour, de la nature et de la poésie.

Ce sonnet annonce la volonté de se débarrasser des vieilleries poétiques que concrétiseront Les

Illuminations et Un saison en enfer.

Rimbaud y brise l’alexandrin, flirte avec la prose, joue avec les mots, joue avec les rimes, pratique

l’auto dérision, la parodie si bien que le poème peut se lire comme un manifeste pour une poésie

nouvelle.

Ouvertures :

Importance NRJ, puissance créatrice du poète (cf . Étymologie poiétès « créateur ») en lien avec

parcours : principes écriture rimbaldienne explicités dans la « Lettre du voyant » envoyée à Paul

Demeny (cf. p.112 de l’édition de poche). Marginalité revendiquée comme art de vivre. « Voleur de

feu » qui va capturer sensations, visions pour les restituer aux hommes, commence à se dessiner.

Création langage nouveau : rupture avec conventions traditionnelles, images sensorielles, et

synesthésiques.

Cahiers de Douai : début itinéraire, exploration : va vers voyance et « dérèglement de tous les sens ».

Cf. lettre à Izambard prémisses du « dérèglement de tous les sens » : « Les souffrances sont énormes,

mais il faut être fort, être né poète, et je me suis reconnu poète. »

Parallèle avec « Sensation »

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