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Sans titre

Lecture linéaire / LE BUFFET, Arthur Rimbaud.

« Au cours des brèves années qu’il consacra à la poésie, une évolution prodigieusement

rapide conduit Rimbaud à faire exploser le cadre de ses propres débuts en même temps que toute

la tradition littéraire », écrit le critique Hugo Friedrich dans son ouvrage Structure de la poésie

moderne. Né le 20 octobre 1854 à Charleville et mort le 10 novembre 1891 à Marseille, Arthur

Rimbaud est en effet l’un des poètes les plus fulgurants et les plus novateurs du 19ème siècle.

Figure mythique du génie adolescent, ses conceptions en faveur d’un renouvellement de la poésie,

théorisées dans les Lettres du Voyant en 1871 ont fortement contribué à l’avènement de la

modernité et influencé durablement les auteurs après lui. En 1870, lors d’une fugue à Douai,

Rimbaud laisse chez l’écrivain et éditeur Paul Demeny un ensemble de 22 poèmes parvenus

jusqu’à nous sous le titre Les Cahiers de Douai. On y trouve le sonnet « Le Buffet » qui, bien

qu’appartenant à la première partie de l’œuvre de Rimbaud, contient déjà des éléments de

modernité. En effet, le « Voyant » choisit comme sujet et source d’inspiration une chose

inanimée, un simple meuble, et tente de dépasser sa dimension matérielle par la force de son

regard poétique. Comment Rimbaud fait-il de la description d’un objet banal du quotidien

l’occasion d’une méditation émouvante sur la fuite du temps et la mort ? Dans le premier

quatrain, le poète décrit l’aspect extérieur de l’objet ; puis il décrit son contenu dans la deuxième

strophe ; le premier tercet marque la volta du sonnet et un changement de plan : Rimbaud

imagine ce que le meuble pourrait contenir d’autre ; enfin, dans le dernier tercet il s’adresse avec

émotion à ce buffet chargé d’histoire.

C'est un large buffet sculpté ; le chêne sombre,

Très vieux, a pris cet air si bon des vieilles gens ;

Le buffet est ouvert, et verse dans son ombre

Comme un flot de vin vieux, des parfums engageants ;

⇒ Le présentatif « C’est » introduit ici un objet du quotidien, un élément de mobilier que l’on

trouve dans tous les foyers à l’époque de Rimbaud : un « buffet ».

⇒ On a l’impression que le poète se trouve devant le meuble. Il en décrit l’apparence et les

caractéristiques grâce à plusieurs adjectifs : le meuble est « large », il est donc imposant ; il est «

sculpté », donc décoré, orné ; le matériau qui le compose, du « chêne », c’est-à-dire un bois noble,

est « sombre », il a donc une teinte foncée (patine laissée par le temps). Ce bois, par ailleurs, est «

très vieux » : l’adverbe d’intensité insiste sur l’ancienneté de l’objet. Même si cet objet peut

sembler banal de prime abord, la description qu’en donne le poète lui confère tout de même une

certaine noblesse, une importance.

⇒ La personnification du deuxième vers « a pris cet air si bon des vieilles gens » montre même

qu’il considère ce meuble comme une personne, un être humain. Plus précisément, on relève une

métaphore entre la patine du buffet et la physionomie particulière des personnes âgées. Cela

apporte l’idée que cet objet a une histoire, qu’il a traversé le temps.

⇒ D’ailleurs, on note l’emploi de mots très proches, qui tous ont un rapport avec la vieillesse : «

vieux », « vieille » puis à nouveau « vieux » en fin de strophe. C’est un polyptote (figure de style

qui consiste à employer dans la même phrase, le même paragraphe, la même strophe, plusieurs

mots venant d’un même radical).

⇒ L’adverbe intensif « si » et l’adjectif mélioratif « bon » offrent une image positive de la vieillesse.

Celle-ci est valorisée par le poète.

⇒ Le poète décrit cet objet qui se trouve sous ses yeux avec tendresse et curiosité. On note à ce

propos l’emploi du présent de description : « c’est », « est ». La description se fait au fur et à

mesure de l’observation, de la découverte. Le poète est celui dont le regard dépasse les

apparences, cherche l’extraordinaire dans l’ordinaire.

⇒ Le fait que le buffet soit « ouvert » va d’ailleurs l’inciter à s’approcher du buffet et lui permettre

d’en décrire le contenu.

⇒ En effet, après cette première description de l’apparence du meuble, Rimbaud va se pencher

sur ce qu’il contient, entrer dans une véritable intimité avec lui. Le verbe d’action « verse » apporte

l’idée que le poète est alors submergé par différentes sensations. À commencer par l’odorat avec

les groupes nominaux « parfums engageants » et « flot de vin vieux ». L’odeur qui se dégage du

buffet est agréable, comme le montre l’adjectif mélioratif « engageants » et la métaphore avec du «

vin vieux », car un tel vin s’est bonifié avec les années et contient des arômes riches et précieux. Le

poète regarde la vieillesse avec bienveillance, en fait l’éloge, l’associe à des sensations plaisantes :

registre laudatif (quand on fait l’éloge d’une chose ou d’une personne).

⇒ Dans la seconde strophe, le poète passe en revue les différents objets à l’intérieur du meuble.

Tout plein, c'est un fouillis de vieilles vieilleries,

De linges odorants et jaunes, de chiffons

De femmes ou d'enfants, de dentelles flétries,

De fichus de grand-mère où sont peints des griffons ;

⇒ Le buffet contient en effet un fatras d’objets divers, hétéroclites. Il déborde littéralement,

comme le suggère la locution adverbiale « tout plein ». De plus, il n’est pas rangé, le plus grand

désordre règne à l’intérieur comme l’indique le nom « fouillis ».

⇒ C’est un véritable amoncellement de choses. Tous les noms des objets, en effet, sont au pluriel

dans cette seconde strophe : « vieilleries », « linges », « chiffons », « dentelles », « fichus ». ⇒

L’énumération et l’enjambement du vers 6 sur le vers 7 soulignent encore cette profusion, cette

quantité.

⇒ Les objets décrits par le poète sont également des objets du quotidien : il s’agit de vêtements.

Les sens sont à nouveau convoqués : l’odorat, encore, puis la vue avec l’adjectif de couleur « jaune

» et le détail des « griffons » qui sont « peints ».

⇒ Les compléments du nom « de femmes ou d’enfants », « de grand-mère » précisent que ces

objets sont liés à des personnes qui les ont utilisés. Différentes générations sont rassemblées. ⇒

Le caractère abîmé, usé de ces objets est souligné par le pléonasme « vieilles vieilleries » et les

adjectifs « jaunes » et « flétries ». Bien qu’inutiles et démodés, ces objets ont été conservés car ils

gardent la mémoire des personnes à qui ils ont appartenus.

⇒ Néanmoins, l’absence de noms propres et l’emploi de déterminants indéfinis (« de femmes », «

de grand-mère ») nous indiquent cependant que ces objets sont des traces ténues du passé : leurs

propriétaires ne sont plus connus, ils sont oubliés, absorbés par l’écoulement inexorable du temps.

⇒ De plus les objets sont en désordre, comme le montre le nom « fouillis » ; c’est une image de la

mémoire où les souvenirs ne sont classés, rangés, mais renfermés pêle-mêle.

⇒ Le buffet est une sorte de coffre qui renferme la matière du temps lui-même. Son contenu,

bien que de peu de prix, n’en est pas moins précieux. Sa valeur est sentimentale. ⇒ Le détail des

« fichus de grand-mère où sont peint des griffons » introduit d’ailleurs une dimension

merveilleuse, onirique, dans ce mélange d’étoffes fanées. Le griffon est en effet une

chimère, un animal fantastique de la mythologie (mi-aigle, mi-lion). L’imagination peut se mettre à

errer à partir de ces objets.

— C'est là qu'on trouverait les médaillons, les mèches

De cheveux blancs ou blonds, les portraits, les fleurs sèches

Dont le parfum se mêle à des parfums de fruits.

VOLTA ⇒ Le verbe « trouverait », au conditionnel, indique que le poète ne parle plus de ce qu’il

voit en réalité, mais qu’il imagine d’autres objets que pourrait contenir ce buffet. ⇒

L’énumération ici met en avant, en effet, des objets particulièrement intimes : « mèches de

cheveux » que l’on garde en souvenir de personnes ou d’enfants ; « médaillons » ou « portraits »,

images des gens aimés ; « fleurs sèches », peut-être offertes, souvenirs d’amours passées, ou d’un

mariage.

⇒ On peut penser que c’est une forme de respect de l’intimité, de pudeur, qui retient le poète de

fouiller les recoins les plus reculés du buffet. C’est par l’imagination qu’il explore maintenant le

meuble.

⇒ « Cheveux blancs ou blonds » - antithèse qui oppose l’enfance et la vieillesse. Celle-ci est

reprise avec le couple « fleurs sèche » et « fruits » : le buffet rassemble tous les âges de la vie

humaine, il est bien cette mémoire dans laquelle coexistent toutes les périodes d’une existence.

— O buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires,

Et tu voudrais conter tes contes, et tu bruis

Quand s'ouvrent lentement tes grandes portes noires.

⇒ Dans le dernier tercet, le poète s’adresse directement au buffet, avec une grande révérence, un

véritable respect, comme en témoigne l’interjection « ô buffet ».

⇒ Le meuble, en effet, est à nouveau personnifié, avec les verbes « tu sais et « tu voudrais ». Pour

le poète, ce meuble est le gardien de la mémoire d’une famille, il est comme un aïeul doué de

savoir et de volonté.

⇒ D’ailleurs, le pléonasme « conter tes contes » renvoie bien à cette fonction du conteur, de cette

personne qui détient les histoires d’un groupe humain et les transmet aux générations futures. ⇒

La seule chose qui manque au buffet, c’est la parole : le dialogue avec le poète ne peut pas se faire,

tout ce que le buffet livre c’est un bruit inarticulé : « et tu bruis ». Les allitérations en «-r » et en «-t

» qui traversent la dernière strophe peuvent ainsi imiter le craquement des portes. ⇒ Le CC de

temps, au présent de vérité générale : « quand s’ouvre lentement tes grandes portes noires »,

évoque l’instant solennel que constitue à chaque fois l’ouverture de ce meuble qui conserve les

reliques du temps jadis. L’assonance en « -an » renforce d’ailleurs la gravité d’un tel moment. ⇒

La pointe du sonnet est plus lugubre que le reste du poème : « les grandes portes noires »

pourraient en effet symboliser la mort, renvoyer aux grilles d’un cimetière par exemple. Le texte

s’achève ainsi sur une note ténébreuse, avec l’adjectif « noir ». Le poète laisse la place au silence,

comme si malgré tout la mort avait toujours le dernier mot.

CONCLUSION

En conclusion, avec son poème « Le Buffet », Rimbaud a su faire d’un objet du quotidien le point

de départ d’une méditation sur la fuite du temps. Avec le poète, le meuble se transfigure en effet

pour devenir le gardien de la mémoire des hommes et un témoin des temps passés. L’exploration

de son contenu permet à Rimbaud d’évoquer avec un lyrisme discret ces souvenirs palpables que

sont certains objets. Pour lui, même après notre mort, nous continuons à vivre dans ces traces

matérielles que nous laissons. Malgré tout, il s’agit d’un prolongement ténu de l’existence, voué lui

aussi à disparaître peu à peu. Ainsi, le sonnet s’achève sur une image lugubre, preuve que la mort

a toujours le dernier mot. En étant capable, par la force de son regard poétique, de percer à jour

les mystères d’un objet, Rimbaud aborde déjà, dans ce poème de 1870, la posture du Voyant qu’il

théorisera un an plus tard dans sa fameuse lettre à Paul Demeny.

Autre ouverture possible :

Avec ce texte, Rimbaud fait preuve de modernité en annonçant déjà la poésie de l’objet qui sera

celle, bien des années plus tard, de Francis Ponge avec son poème « Le Pain » publié en 1942.


Sans titre

Lecture linéaire / LE BUFFET, Arthur Rimbaud.

« Au cours des brèves années qu’il consacra à la poésie, une évolution prodigieusement

rapide conduit Rimbaud à faire exploser le cadre de ses propres débuts en même temps que toute

la tradition littéraire », écrit le critique Hugo Friedrich dans son ouvrage Structure de la poésie

moderne. Né le 20 octobre 1854 à Charleville et mort le 10 novembre 1891 à Marseille, Arthur

Rimbaud est en effet l’un des poètes les plus fulgurants et les plus novateurs du 19ème siècle.

Figure mythique du génie adolescent, ses conceptions en faveur d’un renouvellement de la poésie,

théorisées dans les Lettres du Voyant en 1871 ont fortement contribué à l’avènement de la

modernité et influencé durablement les auteurs après lui. En 1870, lors d’une fugue à Douai,

Rimbaud laisse chez l’écrivain et éditeur Paul Demeny un ensemble de 22 poèmes parvenus

jusqu’à nous sous le titre Les Cahiers de Douai. On y trouve le sonnet « Le Buffet » qui, bien

qu’appartenant à la première partie de l’œuvre de Rimbaud, contient déjà des éléments de

modernité. En effet, le « Voyant » choisit comme sujet et source d’inspiration une chose

inanimée, un simple meuble, et tente de dépasser sa dimension matérielle par la force de son

regard poétique. Comment Rimbaud fait-il de la description d’un objet banal du quotidien

l’occasion d’une méditation émouvante sur la fuite du temps et la mort ? Dans le premier

quatrain, le poète décrit l’aspect extérieur de l’objet ; puis il décrit son contenu dans la deuxième

strophe ; le premier tercet marque la volta du sonnet et un changement de plan : Rimbaud

imagine ce que le meuble pourrait contenir d’autre ; enfin, dans le dernier tercet il s’adresse avec

émotion à ce buffet chargé d’histoire.

C'est un large buffet sculpté ; le chêne sombre,

Très vieux, a pris cet air si bon des vieilles gens ;

Le buffet est ouvert, et verse dans son ombre

Comme un flot de vin vieux, des parfums engageants ;

⇒ Le présentatif « C’est » introduit ici un objet du quotidien, un élément de mobilier que l’on

trouve dans tous les foyers à l’époque de Rimbaud : un « buffet ».

⇒ On a l’impression que le poète se trouve devant le meuble. Il en décrit l’apparence et les

caractéristiques grâce à plusieurs adjectifs : le meuble est « large », il est donc imposant ; il est «

sculpté », donc décoré, orné ; le matériau qui le compose, du « chêne », c’est-à-dire un bois noble,

est « sombre », il a donc une teinte foncée (patine laissée par le temps). Ce bois, par ailleurs, est «

très vieux » : l’adverbe d’intensité insiste sur l’ancienneté de l’objet. Même si cet objet peut

sembler banal de prime abord, la description qu’en donne le poète lui confère tout de même une

certaine noblesse, une importance.

⇒ La personnification du deuxième vers « a pris cet air si bon des vieilles gens » montre même

qu’il considère ce meuble comme une personne, un être humain. Plus précisément, on relève une

métaphore entre la patine du buffet et la physionomie particulière des personnes âgées. Cela

apporte l’idée que cet objet a une histoire, qu’il a traversé le temps.

⇒ D’ailleurs, on note l’emploi de mots très proches, qui tous ont un rapport avec la vieillesse : «

vieux », « vieille » puis à nouveau « vieux » en fin de strophe. C’est un polyptote (figure de style

qui consiste à employer dans la même phrase, le même paragraphe, la même strophe, plusieurs

mots venant d’un même radical).

⇒ L’adverbe intensif « si » et l’adjectif mélioratif « bon » offrent une image positive de la vieillesse.

Celle-ci est valorisée par le poète.

⇒ Le poète décrit cet objet qui se trouve sous ses yeux avec tendresse et curiosité. On note à ce

propos l’emploi du présent de description : « c’est », « est ». La description se fait au fur et à

mesure de l’observation, de la découverte. Le poète est celui dont le regard dépasse les

apparences, cherche l’extraordinaire dans l’ordinaire.

⇒ Le fait que le buffet soit « ouvert » va d’ailleurs l’inciter à s’approcher du buffet et lui permettre

d’en décrire le contenu.

⇒ En effet, après cette première description de l’apparence du meuble, Rimbaud va se pencher

sur ce qu’il contient, entrer dans une véritable intimité avec lui. Le verbe d’action « verse » apporte

l’idée que le poète est alors submergé par différentes sensations. À commencer par l’odorat avec

les groupes nominaux « parfums engageants » et « flot de vin vieux ». L’odeur qui se dégage du

buffet est agréable, comme le montre l’adjectif mélioratif « engageants » et la métaphore avec du «

vin vieux », car un tel vin s’est bonifié avec les années et contient des arômes riches et précieux. Le

poète regarde la vieillesse avec bienveillance, en fait l’éloge, l’associe à des sensations plaisantes :

registre laudatif (quand on fait l’éloge d’une chose ou d’une personne).

⇒ Dans la seconde strophe, le poète passe en revue les différents objets à l’intérieur du meuble.

Tout plein, c'est un fouillis de vieilles vieilleries,

De linges odorants et jaunes, de chiffons

De femmes ou d'enfants, de dentelles flétries,

De fichus de grand-mère où sont peints des griffons ;

⇒ Le buffet contient en effet un fatras d’objets divers, hétéroclites. Il déborde littéralement,

comme le suggère la locution adverbiale « tout plein ». De plus, il n’est pas rangé, le plus grand

désordre règne à l’intérieur comme l’indique le nom « fouillis ».

⇒ C’est un véritable amoncellement de choses. Tous les noms des objets, en effet, sont au pluriel

dans cette seconde strophe : « vieilleries », « linges », « chiffons », « dentelles », « fichus ». ⇒

L’énumération et l’enjambement du vers 6 sur le vers 7 soulignent encore cette profusion, cette

quantité.

⇒ Les objets décrits par le poète sont également des objets du quotidien : il s’agit de vêtements.

Les sens sont à nouveau convoqués : l’odorat, encore, puis la vue avec l’adjectif de couleur « jaune

» et le détail des « griffons » qui sont « peints ».

⇒ Les compléments du nom « de femmes ou d’enfants », « de grand-mère » précisent que ces

objets sont liés à des personnes qui les ont utilisés. Différentes générations sont rassemblées. ⇒

Le caractère abîmé, usé de ces objets est souligné par le pléonasme « vieilles vieilleries » et les

adjectifs « jaunes » et « flétries ». Bien qu’inutiles et démodés, ces objets ont été conservés car ils

gardent la mémoire des personnes à qui ils ont appartenus.

⇒ Néanmoins, l’absence de noms propres et l’emploi de déterminants indéfinis (« de femmes », «

de grand-mère ») nous indiquent cependant que ces objets sont des traces ténues du passé : leurs

propriétaires ne sont plus connus, ils sont oubliés, absorbés par l’écoulement inexorable du temps.

⇒ De plus les objets sont en désordre, comme le montre le nom « fouillis » ; c’est une image de la

mémoire où les souvenirs ne sont classés, rangés, mais renfermés pêle-mêle.

⇒ Le buffet est une sorte de coffre qui renferme la matière du temps lui-même. Son contenu,

bien que de peu de prix, n’en est pas moins précieux. Sa valeur est sentimentale. ⇒ Le détail des

« fichus de grand-mère où sont peint des griffons » introduit d’ailleurs une dimension

merveilleuse, onirique, dans ce mélange d’étoffes fanées. Le griffon est en effet une

chimère, un animal fantastique de la mythologie (mi-aigle, mi-lion). L’imagination peut se mettre à

errer à partir de ces objets.

— C'est là qu'on trouverait les médaillons, les mèches

De cheveux blancs ou blonds, les portraits, les fleurs sèches

Dont le parfum se mêle à des parfums de fruits.

VOLTA ⇒ Le verbe « trouverait », au conditionnel, indique que le poète ne parle plus de ce qu’il

voit en réalité, mais qu’il imagine d’autres objets que pourrait contenir ce buffet. ⇒

L’énumération ici met en avant, en effet, des objets particulièrement intimes : « mèches de

cheveux » que l’on garde en souvenir de personnes ou d’enfants ; « médaillons » ou « portraits »,

images des gens aimés ; « fleurs sèches », peut-être offertes, souvenirs d’amours passées, ou d’un

mariage.

⇒ On peut penser que c’est une forme de respect de l’intimité, de pudeur, qui retient le poète de

fouiller les recoins les plus reculés du buffet. C’est par l’imagination qu’il explore maintenant le

meuble.

⇒ « Cheveux blancs ou blonds » - antithèse qui oppose l’enfance et la vieillesse. Celle-ci est

reprise avec le couple « fleurs sèche » et « fruits » : le buffet rassemble tous les âges de la vie

humaine, il est bien cette mémoire dans laquelle coexistent toutes les périodes d’une existence.

— O buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires,

Et tu voudrais conter tes contes, et tu bruis

Quand s'ouvrent lentement tes grandes portes noires.

⇒ Dans le dernier tercet, le poète s’adresse directement au buffet, avec une grande révérence, un

véritable respect, comme en témoigne l’interjection « ô buffet ».

⇒ Le meuble, en effet, est à nouveau personnifié, avec les verbes « tu sais et « tu voudrais ». Pour

le poète, ce meuble est le gardien de la mémoire d’une famille, il est comme un aïeul doué de

savoir et de volonté.

⇒ D’ailleurs, le pléonasme « conter tes contes » renvoie bien à cette fonction du conteur, de cette

personne qui détient les histoires d’un groupe humain et les transmet aux générations futures. ⇒

La seule chose qui manque au buffet, c’est la parole : le dialogue avec le poète ne peut pas se faire,

tout ce que le buffet livre c’est un bruit inarticulé : « et tu bruis ». Les allitérations en «-r » et en «-t

» qui traversent la dernière strophe peuvent ainsi imiter le craquement des portes. ⇒ Le CC de

temps, au présent de vérité générale : « quand s’ouvre lentement tes grandes portes noires »,

évoque l’instant solennel que constitue à chaque fois l’ouverture de ce meuble qui conserve les

reliques du temps jadis. L’assonance en « -an » renforce d’ailleurs la gravité d’un tel moment. ⇒

La pointe du sonnet est plus lugubre que le reste du poème : « les grandes portes noires »

pourraient en effet symboliser la mort, renvoyer aux grilles d’un cimetière par exemple. Le texte

s’achève ainsi sur une note ténébreuse, avec l’adjectif « noir ». Le poète laisse la place au silence,

comme si malgré tout la mort avait toujours le dernier mot.

CONCLUSION

En conclusion, avec son poème « Le Buffet », Rimbaud a su faire d’un objet du quotidien le point

de départ d’une méditation sur la fuite du temps. Avec le poète, le meuble se transfigure en effet

pour devenir le gardien de la mémoire des hommes et un témoin des temps passés. L’exploration

de son contenu permet à Rimbaud d’évoquer avec un lyrisme discret ces souvenirs palpables que

sont certains objets. Pour lui, même après notre mort, nous continuons à vivre dans ces traces

matérielles que nous laissons. Malgré tout, il s’agit d’un prolongement ténu de l’existence, voué lui

aussi à disparaître peu à peu. Ainsi, le sonnet s’achève sur une image lugubre, preuve que la mort

a toujours le dernier mot. En étant capable, par la force de son regard poétique, de percer à jour

les mystères d’un objet, Rimbaud aborde déjà, dans ce poème de 1870, la posture du Voyant qu’il

théorisera un an plus tard dans sa fameuse lettre à Paul Demeny.

Autre ouverture possible :

Avec ce texte, Rimbaud fait preuve de modernité en annonçant déjà la poésie de l’objet qui sera

celle, bien des années plus tard, de Francis Ponge avec son poème « Le Pain » publié en 1942.

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