La querelle des méthodes entre Max Weber et Émile Durkheim est l'un des débats fondateurs de la sociologie en tant que discipline académique. Elle reflète leurs visions divergentes sur la manière d'étudier les phénomènes sociaux et illustre deux approches méthodologiques distinctes : une perspective compréhensive (Weber) et une perspective positiviste (Durkheim).
Les positions d’Émile Durkheim
Durkheim (1858-1917) défend une sociologie fondée sur une démarche scientifique, inspirée du positivisme d’Auguste Comte. Son objectif est de traiter les faits sociaux comme des choses objectives, indépendantes des individus, et susceptibles d'être étudiés avec les méthodes des sciences naturelles.
- Le fait social comme objet d'étude :
- Les faits sociaux sont définis par leur extériorité et leur coercition sur les individus (par exemple, les normes, les institutions, ou le droit).
- Il préconise une analyse objective, en mettant de côté les opinions ou les jugements subjectifs.
- Méthode explicative :
- Durkheim cherche à expliquer les faits sociaux en identifiant les causes qui les déterminent, souvent en relation avec d'autres faits sociaux. Par exemple, dans Le Suicide (1897), il analyse les taux de suicide comme dépendant de variables structurelles telles que l'intégration sociale.
- L’objectif ultime :
- Construire des lois générales sur les phénomènes sociaux, comme on le ferait pour la physique ou la biologie.
Les positions de Max Weber
Weber (1864-1920) propose une sociologie compréhensive, qui met l’accent sur les significations subjectives et la dimension intentionnelle des actions humaines.
- L’action sociale comme objet d’étude :
- Pour Weber, la sociologie doit se concentrer sur l’action sociale, définie comme un comportement auquel les individus attribuent un sens et qui est orienté vers autrui.
- Par exemple, il s’intéresse à la manière dont des motivations religieuses ont influencé l'émergence du capitalisme dans L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme (1905).
- Méthode compréhensive :
- Weber insiste sur la nécessité de comprendre le sens que les individus attribuent à leurs actions, en utilisant des outils comme les idéaux-types (modèles abstraits permettant d’interpréter la réalité).
- L’objectif ultime :
- Reconstruire, par une démarche interprétative, les logiques internes des phénomènes sociaux sans prétendre établir des lois universelles. Weber privilégie une compréhension contextualisée des phénomènes.
Points de divergence
- Nature des faits sociaux :
- Pour Durkheim, les faits sociaux sont des entités objectives indépendantes des consciences individuelles.
- Pour Weber, les phénomènes sociaux doivent être interprétés à partir des significations subjectives que les acteurs leur attribuent.
- Objectif de la sociologie :
- Durkheim veut expliquer les faits sociaux par leurs causes, en cherchant des régularités comparables à celles des sciences naturelles.
- Weber veut comprendre les actions sociales à travers une démarche interprétative.
- Méthodologie :
- Durkheim adopte une approche holiste, privilégiant les structures sociales et leurs effets sur les individus.
- Weber privilégie une démarche individualiste méthodologique, qui part des actions des individus pour expliquer les phénomènes sociaux.
Convergences partielles
Malgré leurs différences, Durkheim et Weber partagent certains points :
- Ils considèrent tous deux la sociologie comme une discipline distincte, avec des méthodes spécifiques.
- Ils s'opposent à une explication purement biologique ou psychologique des phénomènes sociaux.
Impact sur la sociologie moderne
La querelle des méthodes entre Durkheim et Weber continue de structurer la sociologie contemporaine. Les débats entre approches holistes (focalisées sur les structures sociales) et approches individualistes (centrées sur les actions et significations individuelles) restent centraux. Ces deux perspectives sont aujourd'hui souvent intégrées ou combinées dans les recherches sociologiques, ce qui témoigne de leur complémentarité.