TITRE I- LA NOTION DE CONTRAT
Il convient de définir le contrat en le distinguant des autres actes juridiques (CHAPITRE I), puis de s’intéresser aux fondements du contrat en tant que source d'obligation (CHAPITRE II), avant de terminer par les classifications du contrat (CHAPITRE III).
CHAPITRE I -DISTINCTION DU CONTRAT DES ACTES JURIDIQUES NON CREATEURS D'OBLIGATIONS
Selon l’article 1100-1 CC, « Les actes juridiques sont des manifestations de volonté destinées à produire des effets de droit. Ils peuvent être conventionnels ou unilatéraux. Ils obéissent, en tant que de raison, pour leur validité et leurs effets, aux règles qui gouvernent les contrats ».
Par ailleurs, « Le contrat est un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations » (Art. 1101 CC). Il nécessite ainsi un accord d'au moins deux volontés, en vue de créer des obligations civiles, donc sanctionnables. Le contrat est donc une convention qui génère des obligations et lie les cocontractants. Il se distingue des conventions non obligatoires (SECTION I), et de l'acte juridique unilatéral qui n'est l'expression que d'une seule volonté (SECTION II).
SECTION I-LES CONVENTIONS NON OBLIGATOIRES.
Une convention est l'expression d'un accord de volontés en vue de créer, de modifier, de transmettre ou d'éteindre un droit. La réforme du droit des obligations a repris cette définition pour le contrat (d’où la disparition des mots « conventions » de l’ancien 1134 CC au profit de « contrat » dans l’article 1104 CC). Une variété de contrats, la variété la plus importante et la plus courante, est le contrat qui crée des droits. Il en existe deux autres : les conventions, donc des contrats au sens du 1104 CC, ne générant ni effet juridique ni obligation (§I), et les conventions générant des effets juridiques mais pas d'obligations (§II).
§I-LES CONVENTIONS NE PRODUISANT PAS D’EFFET JURIDIQUE
Selon le doyen Carbonnier1, il s'agit d'accords relevant du domaine du non-droit. Les parties n'ont pas voulu se lier, mais ont pu simplement vouloir être aimables. Par exemple est un simple acte de courtoisie l'invitation à dîner qui a été acceptée, ou une promesse de cadeau. Les parties ont aussi pu vouloir faire un acte de complaisance (aider gratuitement son voisin à poser une barrière). C'est ce que l'on nomme une convention d'assistance. La jurisprudence a longtemps estimé que cette convention n'était pas un contrat. Mais le juge voit désormais parfois dans la convention d'assistance bénévole un véritable contrat faisant naître une obligation de sécurité à la charge du bénéficiaire de l'aide. Pour deux jurisprudences contradictoires, voir Civ 26-1994 JCP 1994-I-3809 obs. G. Viney (n'est pas un contrat) et Civ. 1ère 17-12-97 RTDCiv 1997 p. 431 obs. Patrick Jourdain (c’est un contrat). La convention d’assistance bénévole semble cependant n’être retenue que lorsqu’aucune responsabilité ne peut permettre de dédommager la victime (elle aurait une vocation
1 Flexible droit, p. 23s
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subsidiaire ; v/ en ce sens, Civ. 2ème 3 oct. 2013, n°12-19.320, mais cet arrêt reste peu explicite...). La jurisprudence a retenu qu’« il se forme une convention tacite d’assistance bénévole entre une association et un particulier lorsque ce dernier apporte son aide bénévole au groupement qui l’accepte et que cette participation est déterminante pour la réussite de l’action menée par l’association bénéficiaire » et à condition que l’assistant agisse non seulement bénévolement mais aussi dans l’intérêt exclusif de l’association assistée (Civ. 1ère 15 oct. 2014, n° 13-20.875). Si l’assistant agit aussi dans son intérêt, il n’y a pas de convention d’assistance et la victime n’est pas indemnisée... (Civ. 1ère 13 déc. 2016, n° 15- 01726, n° 16-00524).
Enfin, les parties ont pu conclure un engagement d'honneur (père qui promet une récompense en cas de réussite au bac), ou un accord de principe, (lettre d'intention d'une société mère s'engageant auprès du créancier de sa filiale à faire en sorte que sa filiale règle son emprunt).(B. Oppetit, L'engagement d'honneur, D. 1979-107 ; I. Najjar, L'accord de principe, D. 1991-57).
Tous ces accords ne produisent aucun effet juridique, et n'obéissent à aucun régime.
§II-LES CONVENTIONS PRODUISANT DES EFFETS JURIDIQUES
Ce sont des accords de volontés destinés à transmettre ou à éteindre un droit. Il s'agit de la cession de créance, de la subrogation, et de la remise de dette. Ces conventions ne sont pas des contrats, car elles ne font que transmettre ou éteindre des obligations déjà créées. Mais elles sont soumises au même régime que les contrats.
SECTION II-L'ACTE JURIDIQUE UNILATERAL.
§I-DEFINITION
Lorsque l'acte juridique émane de la volonté d'une seule personne, on le nomme acte unilatéral. Il produit des effets juridiques voulus par son auteur, mais ces effets se produisent au profit d'une personne qui n'exprime aucune volonté au moment de l'acte. C'est pourquoi le droit français ne reconnaissait pas l'acte unilatéral comme source d'obligations, car celles-ci nécessitent l'expression d'au moins deux volontés. Mais l’article 1100-1 al 1er CC issu de la réforme du droit des obligations inclut l’engagement unilatéral de volonté, catégorie d’acte unilatéral créant, par la seule volonté de son auteur, une obligation à la charge de celui-ci.
L’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats a en effet consacré, dans un titre sur les sources des obligations, le caractère obligatoire d’un engagement unilatéral particulier en matière d’obligation naturelle : les obligations « peuvent naître de l'exécution volontaire ou de la promesse d'exécution d'un devoir de conscience envers autrui » (art. 1100, al. 2). C’est la reconnaissance légale de la jurisprudence antérieure.
Par ailleurs, l’ordonnance a créé, l’article 1100-1 du Code civil, qui dispose, toujours concernant les sources des obligations, que « Les actes juridiques sont des manifestations de volonté destinées à produire des effets de droit.
Ils peuvent être conventionnels ou unilatéraux ».
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La majorité de la doctrine présente ce nouvel article comme consacrant l’existence de l’engagement unilatéral de volonté comme source d’obligations (V. not. F. CHÉNEDÉ, Le nouveau droit des obligations et des contrats, D. 2006, p. 12, no 10-14. – M. FABRE- MAGNAN, Droit des obligations, 2016, PUF, p. 812 ; A. Bénabent, Droit des obligations, 16è éd., 2017, LGDJ), peu d’auteurs ne faisant pas ce constat2 (J. Antippas, Revue des contrats, n° 02, p. 272), considérant que l’article 1100-1 du code civil vise les effets de droit, et non, comme l’article 1101 CC, la création d’obligations.
Le rapport au Président de la République sur l’ordonnance du 10 février 2016 confirme cette position : « en précisant que l’acte juridique peut être conventionnel ou unilatéral, [l'article 1100-1, alinéa 1er] inclut l'engagement unilatéral de volonté, catégorie d'acte unilatéral créant, par la seule volonté de son auteur, une obligation à la charge de celui- ci » (https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000032004539&ca tegorieLien=id).
L’engagement unilatéral de volonté serait donc désormais consacré comme étant une source d’obligations.
Outre une consécration législative, l’engagement unilatéral de volonté semble être reconnu comme une source générale d’obligation par la jurisprudence. Par arrêt du 12 décembre 2018 (Com. 12 déc. 2018, n° 17-22.268), la chambre commerciale semble avoir reconnu l’engagement unilatéral de volonté comme source d’obligation pleine et entière.
Dans cette affaire, un contrat a été conclu entre une esthéticienne et le fabricant d’appareils permettant une épilation définitive. Ces appareils ayant une durée de vie restreinte car ils émettent des flashs qui ne fonctionnent plus au bout d’un certain temps, le fabriquant indique ensuite, par mail, qu’il accorde à sa cliente un geste commercial : il lui offre 30 000 flashs supplémentaires. Quand l’esthéticienne les réclame, le fabricant refuse de respecter sa promesse. L’esthéticienne saisit le tribunal de commerce pour engager la responsabilité contractuelle du fabriquant et obtenir une indemnisation. Les juges du fond considèrent que le geste commercial du fabricant ne figurant pas dans le contrat, le mail n’engage pas le fabricant et l’esthéticienne ne peut pas réclamer les flashs.
La Cour de cassation casse l’arrêt.
Si cet arrêt est confirmé, ce serait une évolution : la volonté unilatérale créerait des obligations. en rendant celui qui l’exprime débiteur, sans que cette reconnaissance soit limitée, comme auparavant, à des cas particuliers.
Il reste donc à attendre pour savoir si la jurisprudence va consacrer l’engagement unilatéral de volonté comme une source générale d’obligations.
Attention, il ne faut pas confondre l'acte unilatéral et le contrat unilatéral. Dans le contrat unilatéral, il y a accord de deux volontés en vue d'obliger une personne à s’exécuter (dans un cautionnement par exemple, il y a accord pour obliger la caution à régler à la place du créancier). Dans l'acte unilatéral, le testament, la résiliation d'un contrat ou la
2 J.. Antippas, Revue des contrats, n° 02, p. 272, qui considère que l’article 1100-1 CC vise les effets de droit, et non, comme l’article 1101 CC , notamment la création d’obligations
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reconnaissance d'un enfant naturel par exemple, il n'y a pas d'accord de volontés, puisqu'une seule personne exprime sa volonté.
§II-LA CONTROVERSE SUR L’ENGAGEMENT UNILATERAL DE VOLONTE
En 1874, un juriste autrichien nommé Siegel a estimé qu'une personne peut s'engager envers une autre par sa seule volonté. Il ne s'agit pas d'affirmer que l'on puisse créer des obligations à la charge d'une personne qui n'y a pas consenti. Il n'est en effet pas envisageable qu'une personne puisse par sa seule volonté rendre une autre personne débitrice. Par contre, il s'agit de savoir si l'acte juridique unilatéral peut faire naître une dette à la charge de son auteur. En d'autres termes, le bénéficiaire qui vient à être au courant de l'acte peut-il forcer l'auteur à l'exécuter? Pour une partie de la doctrine, comme Marty et Raynaud ou le doyen Carbonnier, l'acte unilatéral ne peut engager son auteur. Mais pour une autre partie, il peut être générateur d'obligations sous certaines conditions. C'est ainsi que J. Luc Aubert (répertoire civil Dalloz) estime que l'acte unilatéral engendre une obligation lorsque la volonté de son auteur est claire, certaine et réfléchie. Il nomme alors l'acte engagement unilatéral de volonté.
Contrairement au droit allemand, la jurisprudence française a longtemps refusé tout caractère coercitif à l'engagement unilatéral. Puis elle l'a admis pour la promesse d'exécution d'obligation naturelle, et pour la promesse de gains de certains publicitaires (Civ. 1ère 10-10- 95, D. 1997- 155 n. Pignarre et Civ. 1ère 28-3-95, RTDCiv. 1995 p.887 obs. J. Mestre). De même, la jurisprudence sembla voire dans l'offre assortie d'un délai et faite à personne déterminée un engagement unilatéral (mais cf infra). En résumé, il semble que lorsque la volonté de l'auteur de l'acte unilatéral de s'engager est univoque et clairement exprimée, l'acte unilatéral devienne un engagement unilatéral créateur d'obligation. C’est ce qui est retenu en cas de promesse d’exécuter une obligation naturelle.
Voilà pour la définition du contrat et des notions voisines. Il reste maintenant à comprendre pourquoi le contrat est générateur d'obligations.