Introduction générale
Le cours se concentre sur la philosophie morale de Kant, à travers ses œuvres principales : Critique de la raison pure, Critique de la raison pratique et Fondements de la métaphysique des mœurs. L'objectif est de comprendre les conditions de possibilité de la morale et les fondements du devoir moral.
Les quatre grandes questions philosophiques de Kant :
- Que puis-je savoir ? - Question métaphysique abordée dans la Critique de la raison pure.
- Que dois-je faire ? - Question morale explorée dans la Critique de la raison pratique.
- Que m'est-il permis d'espérer ? - Question religieuse liée au sens de l'histoire et des attentes humaines.
- Qu'est-ce que l'homme ? - Question anthropologique synthétisant les précédentes.
Les principes fondamentaux de la philosophie morale kantienne
- La morale comme question de devoir :
- Contrairement à l'éthique des vertus (Aristote) ou aux éthiques conséquentialistes (Bentham), la morale kantienne repose sur l'idée de devoir universel.
- La bonne volonté est centrale : une action est morale lorsqu'elle est effectuée par devoir et non par intérêt ou inclination.
- L'impératif catégorique :
- Formule principale : Agis uniquement d'après la maxime qui fait que tu puisses vouloir en même temps qu'elle devienne une loi universelle.
- Plusieurs formulations permettent de préciser cet impératif, notamment :
- La forme logique (universalisation sans contradiction).
- Le respect de l'humanité en tant que fin et non comme simple moyen.
- Distinction entre morale et droit :
- La morale concerne l'intention et la volonté intérieure, tandis que le droit s'intéresse à la conformité extérieure des actes.
- La morale kantienne dépasse les impératifs hypothétiques (conditionnés) pour s'inscrire dans l'inconditionné.
- Les postulats de la raison pratique :
- Liberté, immortalité de l'âme et existence de Dieu sont nécessaires pour garantir la cohérence de l'idée morale, bien qu'ils ne puissent être prouvés théoriquement.
Anthropologie et dimension humaine
Kant distingue entre :
- L'homme comme phénomène : soumis aux lois naturelles et déterminismes.
- La personne comme noumène : être raisonnable, législateur de la loi morale, capable de liberté et de dignité.
Universalité et pluralité
Kant vise une morale universelle tout en tenant compte du pluralisme des traditions morales. Son projet n'est pas d'imposer des normes, mais de comprendre les conditions permettant à une morale universelle d'exister.
Critiques et applications
- Critique de l'universalisme abstrait :
- Les impératifs catégoriques doivent pouvoir s'appliquer à des situations concrètes, comme le montre Kant dans ses exemples sur le mensonge ou l'altruisme.
- La pédagogie et l'éducation morale :
- Éduquer, selon Kant, consiste à émanciper l'individu pour qu'il devienne autonome et capable de juger moralement par lui-même.
- L’articulation entre morale et esthétique :
- Dans la Critique de la faculté de juger, Kant explore la sensibilité et l'imagination comme éléments nécessaires à l'expérience esthétique et morale.
Thèmes importants :
1. Les Formulations de l’impératif catégorique
L’impératif catégorique est central dans la philosophie morale de Kant. Bien qu’unique, il se décline en plusieurs formulations pour répondre à différents aspects du jugement moral.
a) Première formulation : Forme logique
"Agis uniquement d'après la maxime qui fait que tu puisses vouloir en même temps qu'elle devienne une loi universelle."
Cette formulation insiste sur la cohérence logique d’une maxime. Si une action ou une règle personnelle (maxime) ne peut pas être universalisée sans contradiction, elle n’est pas morale. Par exemple, si tout le monde mentait, la confiance serait impossible, et le mensonge deviendrait inefficace, rendant cette maxime contradictoire.
b) Deuxième formulation : Respect de l’humanité
"Agis de telle sorte que tu traites l’humanité, aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours en même temps comme une fin et jamais simplement comme un moyen."
Ici, Kant introduit la notion de dignité humaine. Les personnes ne doivent jamais être instrumentalisées. Même dans des relations utilitaires (travail, éducation), l’individu doit toujours être respecté en tant qu’être autonome.
c) Troisième formulation : Législation universelle
"Agis comme si tu étais, par tes maximes, toujours un législateur dans un royaume des fins."
Cette formulation place chaque individu dans une position de législateur universel. Les lois morales doivent être créées comme si elles s’appliquaient à une communauté idéale, où chacun est libre et respecté. Cela introduit une responsabilité collective dans l’action morale.
2. Critique de l’universalisme abstrait
Kant est souvent accusé de produire une morale trop formelle, difficilement applicable dans des situations complexes. Cependant, dans les Fondements de la métaphysique des mœurs, il donne des exemples pour illustrer les applications concrètes de l’impératif catégorique :
a) L’interdiction du mensonge
Kant affirme que le mensonge est immoral car il ne peut être universalisé. Si mentir devenait une loi universelle, la communication et la confiance s’effondreraient. Cet exemple a été critiqué, notamment pour des cas extrêmes où mentir semble moralement justifié (ex. mentir pour protéger une vie). Kant maintient toutefois que même dans ces cas, le respect de la vérité est un devoir absolu.
b) L’altruisme et le devoir envers autrui
Refuser d’aider autrui dans le besoin peut sembler justifiable sur le plan individuel, mais une telle maxime ne pourrait être universalisée. Dans une société où personne n’aide les autres, l’entraide disparaîtrait, rendant cette maxime contradictoire.
3. Le lien entre morale et esthétique dans la critique kantienne
Dans la Critique de la faculté de juger, Kant établit un lien entre esthétique et morale à travers le jugement. Deux aspects sont particulièrement importants :
a) Le jugement réfléchissant et l’expérience esthétique
Kant distingue deux types de jugements :
- Le jugement déterminant, qui subsume un cas particulier sous une loi générale préexistante.
- Le jugement réfléchissant, qui cherche une loi adaptée à un cas spécifique.
- Dans l’esthétique, ce dernier est central : face à une œuvre d’art ou à une beauté naturelle, nous expérimentons un plaisir lié à une "finalité sans fin", une harmonie des facultés (imagination et entendement).
b) Parallèle avec la morale
Comme dans l’esthétique, la morale implique une activité créatrice : face à une situation morale complexe, nous devons inventer une loi en accord avec l’impératif catégorique. Cette créativité reflète la capacité humaine à transcender les déterminismes naturels.
4. Le rôle de l’éducation morale et l’autonomie
Pour Kant, l’éducation est un processus d’émancipation visant à rendre l’individu autonome.
a) Les trois étapes de l’éducation :
- Discipline : Apprendre à maîtriser ses instincts naturels pour vivre en société.
- Instruction : Développer l’entendement pour accéder à la connaissance.
- Moralisation : Apprendre à agir par devoir, selon des principes rationnels.
b) L’antinomie de la raison pédagogique :
Kant souligne une tension dans l’éducation : pour former un individu libre, on doit temporairement limiter sa liberté. L’enjeu est de trouver un équilibre entre autorité et émancipation.
c) L’autonomie comme finalité de l’éducation :
L’éducation kantienne vise à rendre l’élève capable de juger par lui-même, conformément à l’impératif catégorique. Ce processus implique de ne pas aliéner l’élève, mais de le guider vers sa propre législation morale.
5. Distinction entre morale et droit
Kant distingue strictement la morale et le droit, bien qu’ils soient liés :
a) La morale :
- Intérieure, elle concerne l’intention et l’autonomie.
- Son critère est l’impératif catégorique.
- Elle est inconditionnée : une action morale est bonne en elle-même, indépendamment de ses conséquences.
b) Le droit :
- Extérieur, il régule les actions pour garantir la coexistence pacifique des libertés.
- Il repose sur la conformité à des lois définies par un tiers (tribunal, État).
- Le droit ne garantit pas la moralité, mais vise la légalité.
c) Tensions entre morale et droit :
Kant reconnaît que certaines lois légales peuvent être immorales (ex. esclavage dans le passé). La morale fournit un horizon de légitimité que le droit devrait chercher à atteindre.
6. La philosophie morale comme métaéthique
Kant ne propose pas une éthique spécifique, mais cherche à en établir les conditions de possibilité. Son projet est métaéthique, visant les fondements universels des jugements moraux.
a) Contre le relativisme moral :
En postulant l’existence d’une loi morale universelle, Kant cherche à dépasser le pluralisme des morales culturelles. Cependant, il ne nie pas la diversité des contextes : son formalisme permet d’évaluer des maximes spécifiques sans imposer de contenu particulier.
b) Le rôle du philosophe :
Kant insiste sur la modestie philosophique. Le philosophe n’a pas pour tâche de dicter la morale, mais d’aider les individus à clarifier leurs propres intuitions morales et à les confronter à l’impératif catégorique.