L’extrait que nous étudierons aujourd’hui est le poème liminaire de son recueil, rédigé en vers libres, et qui ne comporte ni rime ni ponctuation. Il introduit au lecteur les différentes métaphores qu’incarne la forêt selon l’écrivaine.
« Lecture »
Projet de lecture : En quoi ce poème liminaire porte en germe toutes les thématiques qui traversent l'œuvre de DORION, à savoir la nature, le temps et l’intime.
M1: Les forêts, reflet d’un paysage intérieur complexe (v.1 à v.10)
Le poème s’ouvre sur le titre du recueil, « Mes Forêts », répété en anaphore en début de strophe, donnant une musicalité lyrique et posant les thèmes de la nature et de l’intime. Le possessif « mes » n’indique pas une possession matérielle, mais une fusion entre la poétesse et cet espace, image de son monde intérieur. Dès le premier vers, la métaphore « longues traînées de temps » installe la forêt comme témoin du temps qui passe, et même de son éternité.
L’absence de ponctuation renforce cette impression de continuité temporelle, à l’image d’un poème qui ne s’arrête pas.
Mais cette nature d’abord apaisante devient vite plus ambivalente. Du vers 2 au vers 5, les images se font violentes : les « troncs » deviennent « aiguilles », suggérant à la fois le temps (comme les aiguilles d’une montre) et la brutalité.
Cette verticalité renvoie à une quête spirituelle, tandis que l’horizontalité des « traînées » évoquait une introspection sans fin. Les verbes d’action (« percent », « déchirent », « tombent ») et la comparaison « comme une histoire d’orage » renforcent la violence de cette nature déchaînée, révélatrice d’un intérieur tourmenté. Mais un apaisement surgit ensuite.
Du vers 6 à 10, les images deviennent douces : « l’heure bleue » évoque un moment suspendu, entre nuit et jour, où passé et présent se rejoignent.
La forêt devient berceau, début du cycle vital. Le champ lexical des éléments (eau, air, terre) suggère une nature globale et fondatrice. Le « rayon vif de souvenirs » mêle lumière et mémoire, et « l’humus de chaque vie » peut être vu soit comme complément du verbe « glissent », soit comme une apposition, soulignant la richesse de chaque existence enracinée dans la forêt.
Enfin, les métonymies (ailes/oiseaux, cœur/humain) apportent une légèreté contrastant avec la brutalité précédente. Le blanc typographique entre « légère » et « aile » crée un espace visuel de paix, et le mot « cœur » souligne le lyrisme et la complétude que la poétesse trouve dans la forêt.
M2 : Les forêts empreintes d'une temporalité riche et tournée vers l'introspection V11 V15
En reprise anaphorique "mes forêts" sont associées par le verbe d'état être, "sont" à un paysage qui s'ouvre comme une fenêtre au-dedans de soi. Les forêts sont des témoins du temps et gardiennes de la mémoire. La métaphore du grenier montre qu'elles sont aussi un lieu intime pour la poétesse, où elle retrouve son passé et l'histoire du monde.
L'image du grenier évoque les souvenirs et les êtres chers disparus, comme le suggère "peuplés de fantômes" à la fin du vers. La métaphore "elles sont les mats" montre que les forêts soutiennent l’introspection et le voyage intérieur de la poétesse. Ainsi, l'oxymore "voyages immobiles" précise que cette expédition se fait à l'intérieur de soi, grâce à l’imaginaire et à la poésie, qui permettent de s'évader de la réalité. La métaphore “jardin de vent”, reflète la violence constante de la nature et le fait que l’autrice s’approprie les forêts.
De plus, le verbe "cogner" renforce l’aspect sauvage et violent de ces forêts, tout en soulignant qu’elles sont aussi une source nourricière. L’antithèse entre le “passée” et “demain” place la forêt dans un cycle éternel, mêlant souvenir et création dans le présent, symbolisé par le terme « fruit » Les deux derniers vers de cette strophe illustrent le cycle de la vie.
Le parallélisme "d’une saison déjà passée qui s’en retourne vers demain" marque une rupture avec l'idée d'un temps linéaire (en réf au premier vers “mes forêts sont de longues trainées de temps”). Ce temps devient cyclique tout comme les saisons.
MOUVEMENT 3: Les forêts, incarnation d’une promesse d'espoir V16 à V21
Dans cette 3eme strophe, la reprise anaphorique “mes forêts sont” accentue l’idée qu’ Hélène Dorion tente d’encore une fois définir ce que sont ses forêts.
Dans un effet de décrescendo musical, les strophes diminuent au fil du temps, mais restent puissantes. La métaphore des « espoirs debout » renvoie à la verticalité des forêts, présente et essentielle, qu'on retrouve même dans la forme du poème. Cette verticalité symbolise un retour vers le divin et l'espoir d'un monde meilleur. Les espoirs sont personnifiés pour montrer leur force et leur énergie, prêts à se réaliser.
La métaphore du feu de brindilles exprime à la fois la fragilité des espoirs et leur précarité, tout en évoquant un feu d'espoir qui garde la lumière dans l'obscurité. Le contraste entre "feu" et "ombres" représente la peur qui s'oppose à l'espoir.
L'enjambement "et de mots" donne l'impression que les mots naissent des forêts, devenant un vecteur d'espoir. La création poétique préserve ainsi cet espoir.
Le poème s'achève sur une strophe disposée différemment. Pour la première fois et dans une forme de consécration l’anaphore “mes forêts” occupe un seul vers. Enfin, au-delà de toute tentative de définir les forêts, la poétesse propose avec la métaphore "Mes forêts/sont des nuits très hautes" une vision mystérieuse de la vie et de la poésie.
Conclusion:
En conclusion, le poème liminaire annonce clairement le projet d'écriture d'Hélène Dorion, en offrant un chemin poétique qui explore l'intimité des forêts, porteuses d'espoir. L'auteure présente trois interprétations personnelles des forêts : d'abord comme un lieu de connexion éternelle entre le ciel et la terre, puis comme un espace propice à un voyage immobile à travers ses souvenirs, et enfin comme un lieu de création et d’espoir. Cela permet au lecteur de saisir la diversité des significations que prendra la forêt tout au long du recueil. Le poème liminaire résonne ainsi avec la dernière poésie du recueil, "Mes forêts sont de longues tiges d'histoire", où les forêts demeurent un lieu intime, les forêts intérieures d'Hélène Dorion. L’écriture poétique, par sa liberté, offre l’espoir d’une alliance entre l’homme et la nature, comme l’a souligné Michel Collot avec l’idée de « rencontre du moi, du monde et des mots ».