La question de la détermination du juge compétent est une question d'ordre public, c'est même la première chose que le juge vérifie pour régler un litige.
Section 1 : Le juge administratif, juge naturel de l'administration
§ 1 : L'identification des juridictions administratives
A : La définition de la juridiction administrative
1 : La nature juridictionnelle
La nature juridictionnelle de la juridiction admin s'explique par le fait que :
- Matériellement, ses décisions sont dotées de l'autorité de la chose jugée et qu'elle les rend en application de règles de droit.
- Procéduralement, on vérifie par exemple la nomination de ses membres ou encore la publicité des décisions.
2 : La nature administrative
La tache de déterminer de quel ordre relève tel litige revient aux juridictions suprêmes.
La compétence juridictionnelle suit le fond. En l'espèce, un jury d'honneur instauré pour juger les parlementaires qui avaient donné les pleins pouvoirs à Pétain a été qualifié de juridiction administrative au vu de l'application de règles de droit pour trancher les litiges et de la nature des affaires sur lesquelles il se prononce. De plus, le juge de cassation était le CE.
A retenir :
CE, 1947, D'aillières
Cette approche a par la suite été confirmée pour le conseil supérieur de la magistrature qui est qualifié de juridiction administrative car il a pour but de s'assurer de la bonne organisation du SP de la justice.
A retenir :
CE, 1969, Sieur l'Etang
On retrouve une grande diversité dans les juridictions administratives. Il ne faut cependant pas oublier l'existence de juridictions spécialisées dont on a besoin pour des raisons techniques (ex : la Cour des comptes, les juridictions disciplinaires, la Cour nationale du droit d'asile...).
B : Les compétences de la juridiction administrative
Parfois, il est difficile de répartir les compétences entre l'ordre administratif et l'ordre judiciaire qui sont issues des effets négatifs du dualisme juridictionnel et cela rallonge les délais de procédure, ce qui peut être problématique pour la sécurité juridique des justiciables.
1 : La détermination textuelle de la compétence du JA
a : La détermination constitutionnelle de la compétence du JA
Cette détermination permet de rendre compte du fait que le CC refuse d'effectuer le contrôle de conventionnalité de la loi et consacre implicitement cette compétence aux juridictions administratives.
A retenir :
CC, 1975, IVG
Le CC consacre également l'indépendance des juridictions administratives via un PFRLR selon lequel elles sont indépendances par rapport au pouvoir législatif/exécutif.
A retenir :
CC, 1980
Le contentieux des décisions prises par l'administration et qui manifeste l'usage d'une prérogative de puissance publique relève de la juridiction administrative. Le CC précise que la compétence de cette juridiction porte sur les actes pris par le pouvoir exécutif. Il fait donc du principe de séparation des pouvoirs un PFRLR.
A retenir :
CC, 1987, Conseil de la concurrence
De là, on en déduit que :
- Le JA ne contrôle pas la constitutionnalité d'une loi. Etant le juge du pouvoir exécutif, il ne peut, au nom de la séparation des pouvoirs, contrôler le travail du législateur.
A retenir :
CE, 1936, Arrighi
- Le JA est incompétent du fait de la séparation des autorités administratives et judiciaires pour statuer sur les activités judiciaires
Sauf lorsqu'est en cause l'organisation du SP de la justice !
A retenir :
T des C, 1952, Préfet de la Guyane
- Le JA est compétent pout ce qui concerne le contentieux des actes pris dans l'exercice de prérogatives de puissance publique par des autorités relevant du pouvoir exécutif
Le problème se pose pour les actes de gouvernement, car n'étant pas des actes administratifs unilatéraux, le JA refuse de contrôler les actes de gouvernement adoptés pour des motifs politiques
A retenir :
CE, 1867, Duc D'Aumale
Toutefois, le CE abandonne le critère du motif politique pour qualifier un acte de gouvernement et dit que c'est en raison de leur objet particulier des relations diplomatiques que le JA refuse de les contrôler !
A retenir :
CE, 1875, Prince Napoléon
Toutefois, le CE a pu refuser d'exercer son contrôle au motif que la décision prise par les autorités françaises "n'est pas détachable de la conduite des relations internationales de la France". L'acte en cause n'étant pas détachable d'un acte de gouvernement, son examen bénéficie donc d'une immunité juridictionnelle !
A retenir :
CE, 2003, Comité contre la guerre en Irak
b : La détermination législative de la compétence du JA
Le législateur peut procéder de 2 façons :
- Directe : dire que tel litige relève de la juridiction administrative
- Indirecte : dire que le litige traitera de notions relevant de la compétence du JA.
A retenir :
Loi du 28 pluviôse an VIII
2 : La détermination jurisprudentielle de la compétence des juridictions administratives
En l'absence de texte, le juge se réfère aux lois des 16 et 24 août 1790 pour déterminer la compétence juridictionnelle.
Pour autant, la compétence du JA ou du JJ évolue au gré des saisons (ex : déprime du JA lors de la montée en puissance des SPIC entre 1920 et 1950).
On ne sait pas encore déterminer précisément quel est le critère de répartition des compétences entre le JA et le JJ (possible critère de la mise en oeuvre de prérogatives de puissance publique).
A retenir :
CC, 1987, Conseil de la concurrence
Section 2 : Le juge judiciaire, juge exceptionnel de l'administration
§ 1 : La détermination législative des compétences du JJ en matière administrative
Il arrive que le législateur confie certains litiges de l'administration au JJ pour une bonne administration de la justice et pour une unification du contentieux.
- Concernant le contentieux des accidents causés par des véhicules :
Une loi de 1957 a permis que ces litiges soient traités par le JJ, peu importe que le véhicule appartienne ou non à l'administratif.
La jurisprudence est même allée jusqu'à chercher ce qu'était un véhicule ! Quand on est victime d'un chantier de travaux publics, les dommages qui résultent du fonctionnement du chantier et de la circulation des véhicules relèvent du JA, alors que la poussière qui résulte de l'utilisation des véhicules relève du JJ.
A retenir :
CE, 1975, Société l'entreprise industrielle
- Concernant les régimes légaux de responsabilité du SP :
Le législateur prévoit que cela relève du JJ ou du JA pour une bonne administration de la justice (ex : les dommages causés par les élèves de l'enseignement public sont confiés au JJ).
§ 2 : Le JJ, gardien de la propriété privée et de la liberté individuelle
En cette matière, le JJ est compétent de façon dérogatoire au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires. Au XIXe s, le CE n'était pas vu comme le gardien des droits et libertés des citoyens, notamment parce que seul le JJ possédait les outils nécessaires pour protéger la propriété privée UNIQUEMENT immobilière et la liberté individuelle. Cela explique par exemple pourquoi la question de privation de liberté relève de la compétence du JJ.
A : Le rappel de l'état antérieur du droit
1 : La théorie de l'emprise irrégulière
a : La définition de l'emprise irrégulière
Différentes conditions à remplir :
- Il faut une emprise c'est à dire une dépossession par l'administration d'une propriété immobilière privée comme un emparement par l'administration d'un bien d'une personne privée ou morale de droit privé
- L'application de l'emprise irrégulière nécessite une dépossession illégale et irrégulière par l'administration d'une propriété privée
A retenir :
T des c, 1951, Bonduelle
b : Les conséquences de la constatation d'une emprise irrégulière
Attention, le JA est seul compétent pour constater l'existence d'une emprise irrégulière !
A retenir :
T des c, 1949, Nogier
En revanche, le JJ est compétent pour statuer sur les conséquences de cette emprise (ex : condamnation de l'administration à indemniser le préjudice). Mais il ne peut pas ordonner à l'administration d'adopter une mesure particulière !
2 : La théorie de la voie de fait
Cette théorie a un champ d'application plus large que l'emprise irrégulière. La jurisprudence l'a pour la première fois appliquée en 1935 et en a dégagé 2 caractéristiques :
- Il s'agit d'une action de l'administration d'une particulière gravité
- Il s'agit d'une action portant une atteinte grave au droit de propriété ou à la liberté individuelle.
A retenir :
T des c, 1935, Action française
En 2000, le T des c est venu dégager 2 possibilités de voie de fait :
- Soit une exécution forcée, illégale d'une décision qui porte une atteinte grave au droit de propriété ou à une liberté fondamentale
- Soit une adoption d'une décision qui porte une atteinte grave au droit de propriété ou à une liberté fondamentale et qui ne se rattache pas à un pouvoir de l'administration.
A retenir :
T des c, 2000, Boussadar
a : La voie de fait : une dénaturation de l'action administrative
Tellement l'action de l'administration est illégale, on ne peut plus considérer qu'elle agit dans l'IG, et ne peut donc plus bénéficier de la compétence du JA.
On distingue 2 types de voie de fait :
- Voie de fait par manque de droit : considérer que l'acte est illégal juridiquement au vu de son absence de rattachement à un pouvoir de l'administration
- Voie de fait par manque de procédure : considérer que l'administration procède à l'exécution forcée d'une décision de façon illégale
Ex : quand l'administration exécute d'office ses décisions en l'absence de texte ou d'autorisation par le juge
A retenir :
Arrêt de 1902
b : La voie de fait : une atteinte grave au droit de propriété et aux libertés fondamentales
- Atteinte grave au droit de propriété
Depuis le XIXe s, le JJ est compétent en matière d'expropriation, à condition que l'action dénaturée de l'administration soit particulièrement grave et traduise une perte du droit de propriété du particulier.
- Atteinte aux libertés fondamentales
La jurisprudence a commencé à étendre la notion de liberté, ce qui fait qu'on pouvait presque tout y inclure (ex : personnes morales de droit public qui peuvent contester une voie de fait commise par une autre administration à leur encontre), mais cela avait pour conséquence d'étendre la compétence du JJ en la matière !
c : Quelles conséquences ?
Les compétences du JJ en matière de voie de fait se sont considérablement élargies : en plus de pouvoir constater la voie de fait, il intervient dans la réparation du préjudice, et peut même demander à l'administration de faire cesser la voie de fait.
B : L'état actuel du droit : une restriction de la compétence du JJ
1 : Les motifs de la nouvelle décision
Le T des c est venu restreindre le champ d'application de la voie de fait car son interprétation était trop extensive :
- Presque n'importe quel droit ou liberté entrait dans son champ
- La notion de dénaturation de l'action administrative avait été bien trop assouplie (ex : une simple illégalité suffisait) !
A retenir :
T des c, 2013, Bergoend
Mais en 2000, la mise en place du référé-liberté a donné certains outils au JA, lui permettant de mettre fin à une atteinte manifestement grave de l'administration à une liberté fondamentale. Au départ, la compétence du JA en la matière ne s'applique pas en cas de dénaturation de l'action administrative.
Toutefois, dans le cadre du référé-liberté, le JA va utiliser de façon large ses pouvoirs, en ordonnant à l'administration de faire cesser l'atteinte, y compris si elle constitue une voie de fait !
A retenir :
CE, 2013, Commune de Chirongui
Par ailleurs, le CC est venu préciser l'étendue des compétences du JJ en matière administrative :
- Il a d'abord rappelé que le JJ n'était compétent que pour la liberté individuelle (article 66 de la Constitution)
- Et que la protection du droit de propriété ne concerne que la propriété immobilière, dont le propriétaire aurait été dépossédé de ce droit (ex : expropriation).
2 : La nouvelle définition de la voie de fait
Attention, la voie de fait est restreinte aux seules compétences constitutionnelles accordées au JJ. Ce dernier n'est compétent qu'en cas d'atteinte à une liberté individuelle (ex : cela ne marche pas pour l'atteinte portée à la liberté d'aller et venir) ou à l'extinction du droit de propriété. Ainsi, le JA devient compétent pour tout ce qui ne répond pas à la nouvelle définition de la voie de fait (cf. référé-liberté).
3 : Les conséquences sur la théorie de l'emprise irrégulière
En 2013 s'annonce la fin de la compétence du JJ en matière d'emprise irrégulière depuis la nouvelle définition de la voie de fait : désormais, c'est le JA qui est compétent pour constater l'emprise irrégulière, ordonner à l'administration qu'elle la fasse cesser et indemniser le propriétaire.
A retenir :
T des c, 2013, Commune de St-Palais-sur-Mer
La Cour de cassation a suivi cette solution en confirmant que le JJ est SEULEMENT compétent en matière de voie de fait.
A retenir :
Cass, 1ère civ., 2016
§ 3 : La compétence judiciaire pour interpréter et apprécier la légalité des actes administratifs
On se demande ici si, pour résoudre son litige, le JJ peut lui-même vérifier la légalité de l'acte réglementaire ou administratif individuel ?
D'après la loi des 17 et 24 août 1790, le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires est posé. Ainsi, le JJ ne peut pas lui-même vérifier la légalité d'un acte administratif d'après les lois des 17 et 24 août 1790, il doit surseoir à statuer (= PAUSE) et poser une question préjudicielle au JA.
A retenir :
T des c, 1923, Septfonds
En effet, pour statuer, le juge doit détenir la compétence générale pour trancher la question de principe et toutes les questions accessoires. C'est pourquoi, seul le JA est compétent pour statuer sur la légalité d'un acte administratif.
A retenir :
T des c, 2011, SCEA du chéneau
A : Les nuances apportées au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires
Pour autant, le JJ autant que le juge pénal peuvent interpréter les actes réglementaires dont l'application est nécessaire pour trancher leur litige, sous peine de déni de justice.
A retenir :
T des c, 2011, Société Green Yellow
Cependant, seul le juge pénal peut interpréter les actes individuels, alors que le JJ devra renvoyer cette question au JA !
B : Les exceptions apportées au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires
Il est ici question de la possibilité pour le JJ en dehors de la voie de fait d'apprécier la légalité d'un acte administratif.
Toutefois, le T des c vient préciser que le juge pénal peut uniquement apprécier la légalité des actes administratifs réglementaires !
A retenir :
T des c, 1951, Avranches Desmarets
Mais la réforme du code pénal en 1992 a précisé que le juge pénal peut apprécier la légalité de n'importe quel acte administratif!
Cela n'est toutefois pas le cas pour le JJ qui doit surseoir à statuer et envoyer une question préjudicielle au JA qui vérifiera si l'acte est légal ou pas.
Or, rallongeant les délais de procédure et de jugement, on a pu reconnaître au JJ dans certaines hypothèses le pouvoir de vérifier la légalité d'un acte administratif essentiel pour trancher le litige. Il faut pour cela qu'il existe une jurisprudence administrative constante et que cela ne pose aucune difficulté particulière.
A noter que le JA fait la même chose lorsqu'il est en cause un acte de droit privé. Il vérifie sa légalité au regard d'une jurisprudence judiciaire constante.
D'ailleurs, la Cour de cassation est allée plus loin en disant qu'au vu de son statut de juge de droit commun, elle peut vérifier elle-même la légalité d'un acte administratif vis à vis du droit de l'UE.