Introduction
- Deux approches historiographiques du passage de l’Antiquité au Moyen Âge :
- La transformation du monde romain
- Mise en avant de la christianisation, de l’émergence de la noblesse et de la séparation progressive entre Orient et Occident.
- Le rôle des Barbares
- Concept des « Grandes invasions » (plus tard remplacé par celui de « migrations des peuples » pour des raisons politiques et culturelles) qui présente la fin de Rome comme le résultat de l’effort destructeur de peuples considérés comme féroces et sauvages.
- Enjeux du débat :
- La vision dite « barbare » a longtemps été marquée par des préjugés (notamment une lecture négative des Germains) et a évolué vers une compréhension plus nuancée intégrant les processus d’ethnogenèse et de fusion des cultures.
I. Les Peuples Germaniques
1. Origines et définition
- Étymologie et perception :
- Le terme "barbare" vient du grec « bar-bar » désignant ceux dont le langage paraissait incompréhensible aux Grecs et fut repris par les Romains pour qualifier les peuples ne parlant ni le grec ni le latin.
- Les Romains voyaient ces peuples comme inférieurs voire bestiaux, surtout dès qu’ils s’éloignaient du limes.
- Les Germains :
- Terme utilisé par les Romains pour désigner certains peuples qui, malgré l’étymologie suggérant « frères » (pour les Gaulois), se désignaient eux-mêmes simplement comme « le peuple ».
- Ils étaient originellement des sociétés sédentaires d’agriculteurs et d’éleveurs, organisées en tribus dirigées par des nobles; leur lien social reposait sur la parenté et l’assemblée des hommes libres.
2. Processus d’ethnogenèse
- Transformation progressive :
- Grâce aux échanges (commerce, mercenariat) avec Rome, les tribus germaniques se complexifièrent, se hiérarchisèrent et s’organisèrent sur le modèle romain.
- Dès le IIIe siècle, ces amas de clans se structurèrent autour d’un chef charismatique, évoluant vers de véritables peuples dotés de royaumes, par un processus connu sous le terme d’ethnogenèse.
3. Relation avec l’armée romaine et le christianisme
- Barbarisation de l’armée :
- Dès le IIIe siècle, Rome intégrait des soldats d’origine barbare dans ses légions, qui devinrent progressivement des unités « fédérées » (soldats recrutés parmi les peuples étrangers et installés en foedus le long des frontières).
- La question de l’arianisme :
- Contexte théologique : Après la conversion de Rome, une grande partie des peuples germaniques adopta le christianisme, mais souvent dans sa forme arienne (ou homéenne), opposée à la doctrine catholique établie par le concile de Nicée (325).
- Cette divergence théologique a contribué à renforcer une identité distincte pour les peuples « barbares » en marge de l’Église romaine orthodoxe.
II. Les Migrations et L’Arrivée des Barbares
1. Du concept des « Grandes invasions » aux migrations
- Évolution du discours :
- Historiquement, l’arrivée massive des peuples barbares en Occident a été interprétée comme une « invasion » destructrice (images de pillages et de violences).
- Aujourd’hui, le terme « migrations des peuples » est privilégié, notamment dans le cadre d’un rapprochement franco-allemand et de la construction européenne, afin de nuancer la vision simpliste de « Rome envahie ».
2. Cas des Wisigoths et autres peuples
- Les Wisigoths :
- Sous la pression des Huns, les Goths de l'Ouest (ou Wisigoths) demandèrent l’asile dans l’Empire.
- Ils traversèrent le Danube (vers 376) et, après des tensions et une révolte (ex. la bataille d’Andrinople), se fixèrent dans les Balkans.
- Alaric, roi des Wisigoths, s’empara de Rome en 410, non pas dans le but de détruire l’Empire, mais de négocier leur place au sein d’un système en crise.
- Autres migrations :
- Les Vandales, les Suèves et les Burgondes s’établirent respectivement en Afrique et en Gaule.
- En Bretagne et dans le nord de la Gaule, des fédérés comme les Francs sont apparus, amorçant la transformation totale de l’Occident romain.
3. Des frontières mouvantes
- Interactions complexes :
- Les frontières entre Romains et Barbares se sont confondues. Nombreux étaient les chefs barbares élevés comme otages à la cour impériale, garantissant ainsi leur romanisation.
- Les armées romaines elles-mêmes se composaient en partie de soldats barbares, brouillant l’opposition entre conquérants et conquis.
III. L’Affermissement des Royaumes Barbares
1. La double nature de la royauté barbare
- Identité hybride :
- Les rois barbares étaient à la fois des chefs tribaux et des titulaires de charges militaires romaines (magister militum, consul, etc.).
- Ils bénéficiaient, par exemple, de l’"hospitalité" romaine qui leur conférait le droit (ou le prélèvement) sur une part des terres ou des impôts.
- Exemple historique :
- Une lettre du roi burgonde Sigismond rappelle cette double appartenance : « Je parais roi au milieu des miens, mais je ne suis que votre soldat », illustrant ainsi la continuité du sentiment d’appartenance au monde romain.
2. L’organisation juridique, politique et religieuse
- Statut juridique différent :
- Les peuples barbares ne relevaient pas du droit romain : ils possédaient leurs propres lois (par exemple, la loi salique chez les Francs).
- Organisation politique et religieuse :
- Politiquement, ils constituaient des entités distinctes, tandis que religieusement, la majorité d’entre eux adoptèrent l’arianisme.
- Le clivage entre chrétiens ariens et catholiques romains contribua à marquer une différence encore plus nette, même si, avec le temps, la conversion au catholicisme facilitera la fusion des identités.
3. La fusion des peuples
- Processus de romanisation et d’assimilation :
- La conversion des rois barbares (ex. Clovis pour les Francs, Sigismond pour les Burgondes, Récarède pour les Wisigoths) aux rites catholiques romains entraîna une recomposition des identités.
- Au fil du temps, l’opposition initiale entre Romains et Barbares s’efface pour laisser place à des identités régionales renouvelées (par exemple, la population gauloise se considérera progressivement comme franque).
- Réorganisation sociale et économique :
- La fusion des populations contribue à expliquer l’affaiblissement progressive du système fiscal romain et la transformation des structures de pouvoir en Occident.
Conclusion
- Complexité du processus historique :
- L’idée que « les Barbares ont envahi Rome » est une simplification. Le déclin et la transformation de l’Empire romain s’expliquent par un ensemble de processus – économique, militaire, politique et religieux – qui ont mené à la création de royaumes hybrides.
- Réappropriation des identités :
- Les chefs barbares se sont souvent vus comme de grands généraux romains ; ils ont joué un rôle dans la transformation du monde antique en un nouveau monde médiéval.
- Question centrale :
- Ainsi, au lieu de concevoir cet épisode historique comme la fin brutale de l’Empire romain, il faut le comprendre comme la transition progressive d’un système productif dépassé, qui se replia sur lui-même et se transforma à travers la christianisation, l’essor de la noblesse locale et la militarisation des structures étatiques.
Question
- En quoi le concept d’ethnogenèse permet-il de repenser la formation des peuples germaniques ?
- Comment la notion de « migration des peuples » offre-t-elle une lecture différente de celle des « grandes invasions » ?
- Quels sont les éléments qui montrent la continuité entre le monde romain et les royaumes barbares (titres, institutions, romanisation) ?
- En quoi les divergences théologiques (arianisme vs. catholicisme) ont-elles contribué à forger des identités distinctes et à influencer la fusion des peuples ?