I. Un pouvoir de maintien de l’ordre public : nature, fondements et articulation institutionnelle
1.1. Fondement juridique et définition
Le pouvoir de police du maire est principalement défini par les articles L. 2212-1 à L. 2212-5 du Code général des collectivités territoriales (CGCT). Il constitue un pouvoir de police administrative générale, exercé au nom de la commune (sauf exceptions).
Il s’agit d’un pouvoir propre au maire visant à garantir l’ordre public, notion tripartite selon l’article L. 2212-2 CGCT :
- Sécurité publique : prévention des accidents, catastrophes naturelles, délinquance…
- Tranquillité publique : lutte contre les nuisances sonores, troubles nocturnes, attroupements…
- Salubrité publique : hygiène, propreté, lutte contre les épidémies, pollution, gestion des déchets.
Ce pouvoir permet au maire d’édicter des règlements municipaux (arrêtés) restreignant certaines libertés dans un but préventif et non répressif.
1.2. Police générale et polices spéciales
Distinction fondamentale :
- Police administrative générale : compétence autonome du maire sur tout ce qui relève de l’ordre public (bruit, circulation, hygiène…).
- Polices administratives spéciales : régies par des textes particuliers, souvent partagées ou transférées. Exemples :
- Police des funérailles et des cimetières (L. 2213-7 CGCT),
- Police des immeubles menaçant ruine (Code de la construction),
- Police des ERP (établissements recevant du public), codifiée dans le Code de la construction et de l’habitation,
- Police de l’affichage publicitaire (Code de l’environnement),
- Police sanitaire en matière de santé publique (Covid, grippe aviaire, etc.).
Le maire ne peut excéder les pouvoirs que la loi lui confère expressément en matière de police spéciale. En cas de cumul, c’est souvent la police spéciale qui prime (jurisprudence constante du Conseil d’État).
1.3. Articulation avec le pouvoir de l’État : le préfet
- Le maire exerce son pouvoir de police au nom de la commune, sauf lorsqu’il agit au nom de l’État (état civil, élections, police des étrangers).
- Le préfet conserve une compétence de substitution en cas de défaillance du maire (art. L. 2215-1 CGCT).
- Le préfet peut également intervenir :
- Pour des troubles à l’ordre public dépassant les capacités locales (ex. rassemblements violents, catastrophe majeure) ;
- Pour garantir la cohérence des mesures au niveau départemental (ex. canicule, inondations, crise sanitaire).
Cas typique : en période de crise Covid, le maire pouvait ordonner la fermeture anticipée de lieux publics, mais sous le contrôle préfectoral, notamment en matière de libertés publiques.
II. Un pouvoir aux domaines d’application variés, fondé sur des outils réglementaires souples
2.1. Sécurité publique
Le maire peut prendre des mesures préventives pour garantir la sécurité :
- Réglementer la circulation (création de zones piétonnes, limitation de vitesse, déviations) ;
- Interdire l’accès à des zones dangereuses (plages, falaises, zones inondables) ;
- Mettre en œuvre des plans communaux de sauvegarde (PCS) en cas de risque majeur ;
- Mobiliser la police municipale ou coordonner les interventions avec la gendarmerie nationale.
Exemple : interdiction de baignade sur une plage non surveillée en période estivale pour éviter les noyades.
2.2. Tranquillité publique
Le maire agit pour prévenir les désordres liés à la vie collective :
- Réglementation des horaires d’ouverture des débits de boisson ;
- Encadrement des rassemblements (festivals, fêtes de village, manifestations, marchés) ;
- Lutte contre les nuisances sonores (travaux, activités commerciales, rodéos urbains) ;
- Encadrement des terrasses et de la sonorisation dans l’espace public.
Exemple : un maire peut interdire temporairement la musique amplifiée en soirée dans une zone résidentielle.
2.3. Salubrité publique
Le maire veille à la protection sanitaire du territoire communal :
- Gestion des déchets : horaires, tri, stockage, sanctions pour dépôts sauvages ;
- Prévention des épidémies : désinfection, fermeture de locaux insalubres, lutte contre les nuisibles ;
- Encadrement de l’abreuvement, des réseaux d’assainissement, des eaux stagnantes ;
- Actions contre la pollution de l’air ou de l’eau : limitation du brûlage à l’air libre, interdiction de produits polluants.
Exemple : en cas de présence de rats dans un quartier, le maire peut imposer une dératisation à la charge des propriétaires concernés.
III. Des limites juridiques strictes et un contrôle permanent par le juge et le préfet
3.1. Principes généraux du droit applicables
Le pouvoir de police du maire est limité par les libertés publiques et le respect du droit. Trois principes jurisprudentiels fondamentaux (CE, 1933, Benjamin) encadrent chaque décision :
- Principe de nécessité : la mesure doit répondre à un trouble réel, actuel ou imminent ;
- Principe de proportionnalité : elle doit être adaptée et ne pas excéder ce qui est strictement nécessaire ;
- Principe d’adaptation aux circonstances locales : elle doit être fondée sur des éléments propres à la commune.
Le non-respect de ces principes entraîne l’annulation de la décision par le juge administratif.
Exemple : un maire qui interdit toute manifestation sur la voie publique pour une durée indéterminée, sans trouble caractérisé, verrait son arrêté annulé comme disproportionné.
3.2. Le contrôle du juge administratif
Toute mesure de police municipale peut faire l’objet :
- D’un recours pour excès de pouvoir (REP) devant le tribunal administratif ;
- D’un référé-suspension ou référé-liberté en cas d’atteinte grave à une liberté fondamentale.
Les principaux requérants sont :
- Des particuliers ou des commerçants affectés (ex. restriction d’ouverture) ;
- Des associations (libertés publiques, environnement, droits sociaux) ;
- Le préfet (via contrôle de légalité ou substitution en cas de carence).
Le juge peut :
- Annuler l’arrêté ;
- Enjoindre la commune de modifier ou d’abroger la mesure ;
- Condamner la commune à des réparations si un dommage a été causé.
3.3. Le contrôle préfectoral et la substitution
- Le préfet exerce le contrôle de légalité sur les actes du maire (art. L. 2131-6 CGCT) ;
- Il peut suspendre un arrêté municipal manifestement illégal ou contraire à l’ordre public ;
- En cas de carence grave du maire (ex. inaction face à un immeuble dangereux), le préfet peut se substituer à lui(art. L. 2215-1).
Le préfet reste le garant de la cohérence des mesures de police à l’échelle du département, en particulier pour :
- La lutte contre les risques majeurs (inondations, incendies, épidémies) ;
- L’ordre public lors d’événements sensibles (manifestations, crise sociale) ;
- La coordination intercommunale en cas de fusion ou de mutualisation des services de police.
Conclusion
Le pouvoir de police du maire est un outil fondamental au service du maintien de l’ordre public local, de la protection des populations, et du bon fonctionnement de la vie collective. Il donne au maire une compétence régalienne dans un cadre décentralisé, mais fortement encadrée juridiquement, soumise à un triple contrôle : administratif, préfectoral et juridictionnel.
Dans un contexte marqué par les crises sanitaires, climatiques et sécuritaires, le maire devient un acteur de première ligne, devant concilier :
- Protection de l’ordre public,
- Respect des libertés fondamentales,
- Responsabilité politique locale.
L’avenir du pouvoir de police municipale passera par une professionnalisation accrue, une meilleure coordination avec les services de l’État, et une intégration plus forte des enjeux de résilience urbaine, environnementale et sociale.