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La responsabilité des ministres


Accroche

John Rawls a écrit : « La politique sans la justice n’est que violence. La justice dans la politique n'est que paralysie ». Cette citation éclaire les tensions inhérentes à la responsabilité pénale des ministres, car ceux-ci doivent être tenus responsables de leurs actes pour garantir la justice, mais aussi pouvoir agir librement dans l’exercice de leurs fonctions pour assurer la continuité de l’État.

Définition

Le terme « ministre » vient du latin minister, qui signifie « serviteur ». Ainsi, le ministre est, dans un régime représentatif, le « serviteur » de l’État, investi de responsabilités envers les citoyens et les institutions. La notion de responsabilité renvoie, quant à elle, au devoir de « répondre de », d’être « accountable » devant la loi et la société. Si la responsabilité principale des ministres est politique, elle connaît également une déclinaison pénale pour les actes commis dans le cadre de leurs fonctions.

Contexte historique

Dans les régimes parlementaires, la responsabilité des ministres est traditionnellement politique et collégiale, comme le prévoit l’article 20 alinéa 3 de la Constitution de 1958, qui les rend « responsables devant le Parlement ». Cette responsabilité est encadrée par les articles 49 et suivants de la Constitution, et s’inscrit dans une logique de « responsabilité rationalisée » pour éviter les crises politiques récurrentes des régimes précédents. Cependant, les ministres peuvent aussi être poursuivis pénalement pour des infractions commises dans l’exercice de leurs fonctions ou dans leur vie personnelle, impliquant une distinction entre actes détachables et actes rattachables à leurs fonctions.

Temps 1 : La responsabilité pénale pour les actes détachables des fonctions ministérielles

Les actes détachables de leurs fonctions sont ceux commis par un ministre dans le cadre de sa vie privée, sans lien avec ses attributions ministérielles. Pour ces actes, la Constitution ne prévoit aucun traitement particulier : les ministres sont alors des justiciables ordinaires, soumis aux juridictions de droit commun. Ils peuvent être poursuivis devant le tribunal correctionnel ou la cour d’assises en fonction de la gravité des faits. Cette responsabilité suit le droit commun et ne concerne donc pas spécifiquement le droit public.

En droit constitutionnel, une pratique a émergé, appelée jurisprudence Bérégovoy-Balladur : elle stipule qu’un ministre mis en examen doit démissionner pour préserver l’intégrité de l’institution. Toutefois, cette coutume a été contestée, notamment avec la nomination de Rachida Dati en tant que ministre de la Justice, malgré des controverses. Cela révèle une première tension : comment concilier l'exigence de transparence et d'intégrité de l'État avec la présomption d'innocence des ministres et la continuité de leurs fonctions ?

Temps 2 : La responsabilité pénale pour les actes rattachables aux fonctions ministérielles

Les actes rattachables aux fonctions sont ceux accomplis par un ministre dans l’exercice de ses attributions ministérielles. Avant 1993, les ministres, tout comme le Président de la République, étaient uniquement justiciables devant la Haute Cour de justice. Cette compétence exclusive a été confirmée par la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt du 14 mars 1963, mais elle a montré ses limites, notamment lors de l’affaire du sang contaminé, qui a suscité de vives critiques sur l’impunité des membres du gouvernement.

Face à cette critique, la Constitution a été révisée le 27 juillet 1993 pour créer la Cour de Justice de la République (CJR). Le titre X de la Constitution est désormais consacré à la responsabilité pénale des membres du gouvernement (articles 68-1 à 68-3). La CJR est compétente pour juger les crimes et délits commis par les ministres dans l’exercice de leurs fonctions, mais uniquement pour ces infractions ; elle n’a pas compétence pour les contraventions ni pour statuer sur l’action civile, laquelle relève des juridictions ordinaires.

La CJR représente une tentative d’adapter la responsabilité pénale des ministres aux exigences de la justice tout en tenant compte de leur statut particulier. Elle est composée de parlementaires et de magistrats, mais elle suscite des critiques pour sa complexité et la rareté des condamnations prononcées. En effet, malgré la multiplication des plaintes, notamment depuis la crise du Covid-19 avec plus de 20 000 plaintes déposées, les condamnations de ministres par la CJR demeurent rares et souvent limitées à des peines de prison avec sursis, alimentant le débat sur l’efficacité réelle de ce dispositif.

Problématisation (sans question)

La responsabilité pénale des ministres, pour les actes rattachables ou détachables de leurs fonctions, pose une double exigence : garantir la continuité de l’État et l’efficacité de l’action gouvernementale, tout en assurant une justice équitable et une responsabilité réelle des ministres devant la loi. La création de la CJR et les révisions constitutionnelles successives illustrent un compromis entre ces deux objectifs, mais soulèvent aussi des questions sur l’égalité devant la justice et sur la capacité réelle de l’État à juger ses propres dirigeants.

Problématique

Dans quelle mesure la Constitution et la jurisprudence permettent-elles de concilier les exigences de continuité de l’État avec celles de responsabilité et d’égalité devant la justice pour les ministres en exercice ?


I. Une responsabilité pénale soumise à des conditions de mise en mouvement de l’action publique dérogatoires au droit commun

A. Une commission des requêtes : équilibre entre égalité devant la justice et réalisme administratif

Point de cours

La procédure pénale des ministres est encadrée par la commission des requêtes de la Cour de Justice de la République (CJR), chargée de décider de l’opportunité des poursuites. Composée de 3 magistrats du siège de la Cour de cassation, 2 conseillers d’État et 2 conseillers maîtres à la Cour des comptes, cette commission vise à garantir un équilibre entre indépendance judiciaire et expertise administrative.

  1. Présence de magistrats du siège : indépendance et expertise
  • La commission des requêtes inclut 3 magistrats du siège de la Cour de cassation, un choix qui garantit l’indépendance par rapport à l’exécutif, en particulier face au ministre de la Justice, hiérarchiquement supérieur aux magistrats du parquet. Leur présence renforce l’impartialité et l’autorité de la commission, notamment parce qu'ils ne sont pas soumis au principe de subordination hiérarchique.
  • Les magistrats du siège de la Cour de cassation apportent non seulement une compétence technique reconnue mais symbolisent aussi la solennité et la gravité de la décision de renvoyer un ministre devant une juridiction. En effet, leur sélection assure une expertise juridique optimale, justifiée par l’importance politique et juridique de la responsabilité ministérielle.
  1. Conseillers d’État et conseillers maîtres à la Cour des comptes : réalisme administratif et rejet du corporatisme
  • La présence de 2 conseillers d’État et 2 conseillers à la Cour des comptes garantit un équilibre entre expertise administrative et indépendance. Ces membres, bien qu’appartenant à l’ordre administratif, apportent leur compétence en matière de gestion publique et de conseil au gouvernement.
  • Cette composition permet d’éviter tout corporatisme judiciaire, en intégrant des membres d’institutions offrant une perspective complémentaire. Les conseillers de la Cour des comptes, par exemple, sont spécialisés dans les finances publiques, ce qui peut être essentiel dans des affaires impliquant des dépenses ou des décisions budgétaires ministérielles.

Colloque pertinent

En 2021, un colloque sur l’indépendance et la responsabilité des magistrats a souligné l’importance de maintenir ce pluralisme au sein de la commission des requêtes pour éviter le corporatisme et renforcer la confiance publique.


B. La commission des requêtes : filtre pour les saisines de la commission d’instruction

Point de cours

La commission des requêtes, après réception des plaintes, saisit éventuellement le procureur général près de la Cour de cassation, qui décide alors de la saisine de la commission d’instruction. La loi organique sur la CJR prévoit cette procédure stricte pour éviter toute poursuite non fondée.

  1. Saisine du procureur général : éviter l’engagement de poursuites à des fins politiques
  • La commission des requêtes peut saisir le procureur général de la Cour de cassation uniquement sur la base d’une plainte déposée par un justiciable, ce qui est dérogatoire au droit commun où le ministère public peut agir d’office. Ce formalisme strict vise à éviter les poursuites abusives ou politiques.
  • La Cour de cassation a rappelé dans un arrêt de l’Assemblée plénière du 21 juin 1999 que la constitution de partie civile est impossible devant la commission des requêtes, limitant les actions abusives. Cette exigence de recevabilité des plaintes est une garantie pour empêcher des saisines infondées.
  1. Procédure alternative : saisine directe du procureur avec avis conforme de la commission des requêtes
  • En cas de nécessité, la loi organique de la CJR autorise le procureur général près de la Cour de cassation à saisir lui-même la CJR. Cette saisine, cependant, doit être validée par un avis conforme de la commission des requêtes, introduit pour éviter tout abus de pouvoir ou volonté de couvrir une éventuelle impunité.
  • Ce système, imaginé par Georges Vedel, constitue une alternative pour contourner les limites de la première procédure en cas de plainte irrecevable mais justifiée. Il permet ainsi d’éviter des situations d’impunité en assurant que des poursuites puissent être engagées même sans plainte formelle du public.

II. Une instruction et un jugement spécifiques pour des enjeux politiques

A. Une instruction adaptée aux enjeux politiques

  1. Une commission d’instruction composée de magistrats du siège
  • L’instruction est assurée par trois magistrats du siège de la Cour de cassation, offrant une garantie d’indépendance face aux pressions politiques. L’instruction est obligatoire pour tous les crimes et délits, quelle que soit la gravité des faits reprochés, et la commission peut requalifier les faits, garantissant un examen objectif et rigoureux.
  • Cette commission possède des pouvoirs d’enquête étendus : elle peut mener des interrogatoires, procéder à des perquisitions (même dans les ministères, arrêt de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation du 17 février 2013) et désigner des experts. En revanche, elle ne peut déléguer ces actes aux officiers de police judiciaire, conservant ainsi une stricte maîtrise de la procédure.
  1. Une procédure avec des limitations en appel et des précisions de compétence
  • La question de l’appel a été tranchée par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation le 21 décembre 2021 : les décisions de la commission d’instruction ne sont pas susceptibles d’appel, seulement de pourvoi en cassation, assurant ainsi la célérité de la procédure.
  • La Cour de cassation a précisé dans un arrêt du 26 avril 2022 que certains actes de l’instruction, comme les confrontations et interrogatoires, doivent être effectués de manière collégiale, alors que d’autres, comme la désignation d’experts, peuvent être délégués à un juge unique. Cette structuration vise à garantir un équilibre entre efficacité et respect des droits des parties.

B. Un jugement par la Cour de Justice de la République (CJR)

  1. Une formation de jugement mixte : magistrats et parlementaires
  • La CJR est composée de 15 juges, dont 3 magistrats de la Cour de cassation, 6 députés et 6 sénateurs. Cette composition permet de représenter l’autorité judiciaire ainsi que les instances législatives, bien que ce mélange de juges professionnels et politiques soulève des questions d’impartialité.
  • Les magistrats de la Cour de cassation, choisis hors hiérarchie, assurent la présidence de la formation. La condamnation nécessite une majorité absolue de 8 voix sur 15, garantissant une décision consensuelle. Cette organisation, toutefois, risque de compromettre l’impartialité de la juridiction, certains parlementaires ayant des affiliations politiques pouvant influencer leur jugement.
  1. Critiques de l’impartialité et de l’efficacité de la CJR
  • La CJR est critiquée pour la rareté de ses condamnations et sa clémence. Par exemple, Charles Pasqua a reçu un an de prison avec sursis pour abus de biens sociaux, et Jean-Jacques Urvoas a été condamné à un mois de prison avec sursis pour divulgation d’informations confidentielles. Ces décisions, souvent perçues comme indulgentes, mettent en question l’efficacité dissuasive de la CJR.
  • Historiquement, la doctrine s’est prononcée en faveur de la suppression de la CJR, argumentant qu’il s’agit d’un privilège injustifié. Le comité Jospin de 2013 et un projet de loi de 2019 ont recommandé de transférer les compétences de la CJR à la Cour d’appel de Paris pour juger les ministres, mais ces propositions n’ont pas abouti. En 2022, le président Macron a renouvelé cette proposition dans son programme, témoignant d’un consensus croissant sur la nécessité de réformer ou supprimer la CJR.

Conclusion La responsabilité pénale des ministres, bien que soumise à des procédures spécifiques et dérogatoires, révèle un système en tension entre la nécessité de protéger l’action gouvernementale et l’exigence d’égalité devant la loi. La commission des requêtes et la commission d’instruction de la CJR offrent un filtre institutionnel, mais les critiques concernant l’efficacité et l’impartialité de la CJR persistent. Malgré les propositions de réforme, notamment celle du comité Jospin et le projet de loi de 2019 pour intégrer les ministres dans le droit commun pour les actes rattachables, aucun changement significatif n’a été réalisé. Le maintien de la CJR, dans sa configuration actuelle, reste ainsi un sujet de débat, en attente d’une éventuelle réforme constitutionnelle qui pourrait transformer le cadre de la responsabilité pénale des ministres et renforcer la confiance des citoyens dans l’équité et l’efficacité de la justice.


La responsabilité des ministres


Accroche

John Rawls a écrit : « La politique sans la justice n’est que violence. La justice dans la politique n'est que paralysie ». Cette citation éclaire les tensions inhérentes à la responsabilité pénale des ministres, car ceux-ci doivent être tenus responsables de leurs actes pour garantir la justice, mais aussi pouvoir agir librement dans l’exercice de leurs fonctions pour assurer la continuité de l’État.

Définition

Le terme « ministre » vient du latin minister, qui signifie « serviteur ». Ainsi, le ministre est, dans un régime représentatif, le « serviteur » de l’État, investi de responsabilités envers les citoyens et les institutions. La notion de responsabilité renvoie, quant à elle, au devoir de « répondre de », d’être « accountable » devant la loi et la société. Si la responsabilité principale des ministres est politique, elle connaît également une déclinaison pénale pour les actes commis dans le cadre de leurs fonctions.

Contexte historique

Dans les régimes parlementaires, la responsabilité des ministres est traditionnellement politique et collégiale, comme le prévoit l’article 20 alinéa 3 de la Constitution de 1958, qui les rend « responsables devant le Parlement ». Cette responsabilité est encadrée par les articles 49 et suivants de la Constitution, et s’inscrit dans une logique de « responsabilité rationalisée » pour éviter les crises politiques récurrentes des régimes précédents. Cependant, les ministres peuvent aussi être poursuivis pénalement pour des infractions commises dans l’exercice de leurs fonctions ou dans leur vie personnelle, impliquant une distinction entre actes détachables et actes rattachables à leurs fonctions.

Temps 1 : La responsabilité pénale pour les actes détachables des fonctions ministérielles

Les actes détachables de leurs fonctions sont ceux commis par un ministre dans le cadre de sa vie privée, sans lien avec ses attributions ministérielles. Pour ces actes, la Constitution ne prévoit aucun traitement particulier : les ministres sont alors des justiciables ordinaires, soumis aux juridictions de droit commun. Ils peuvent être poursuivis devant le tribunal correctionnel ou la cour d’assises en fonction de la gravité des faits. Cette responsabilité suit le droit commun et ne concerne donc pas spécifiquement le droit public.

En droit constitutionnel, une pratique a émergé, appelée jurisprudence Bérégovoy-Balladur : elle stipule qu’un ministre mis en examen doit démissionner pour préserver l’intégrité de l’institution. Toutefois, cette coutume a été contestée, notamment avec la nomination de Rachida Dati en tant que ministre de la Justice, malgré des controverses. Cela révèle une première tension : comment concilier l'exigence de transparence et d'intégrité de l'État avec la présomption d'innocence des ministres et la continuité de leurs fonctions ?

Temps 2 : La responsabilité pénale pour les actes rattachables aux fonctions ministérielles

Les actes rattachables aux fonctions sont ceux accomplis par un ministre dans l’exercice de ses attributions ministérielles. Avant 1993, les ministres, tout comme le Président de la République, étaient uniquement justiciables devant la Haute Cour de justice. Cette compétence exclusive a été confirmée par la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt du 14 mars 1963, mais elle a montré ses limites, notamment lors de l’affaire du sang contaminé, qui a suscité de vives critiques sur l’impunité des membres du gouvernement.

Face à cette critique, la Constitution a été révisée le 27 juillet 1993 pour créer la Cour de Justice de la République (CJR). Le titre X de la Constitution est désormais consacré à la responsabilité pénale des membres du gouvernement (articles 68-1 à 68-3). La CJR est compétente pour juger les crimes et délits commis par les ministres dans l’exercice de leurs fonctions, mais uniquement pour ces infractions ; elle n’a pas compétence pour les contraventions ni pour statuer sur l’action civile, laquelle relève des juridictions ordinaires.

La CJR représente une tentative d’adapter la responsabilité pénale des ministres aux exigences de la justice tout en tenant compte de leur statut particulier. Elle est composée de parlementaires et de magistrats, mais elle suscite des critiques pour sa complexité et la rareté des condamnations prononcées. En effet, malgré la multiplication des plaintes, notamment depuis la crise du Covid-19 avec plus de 20 000 plaintes déposées, les condamnations de ministres par la CJR demeurent rares et souvent limitées à des peines de prison avec sursis, alimentant le débat sur l’efficacité réelle de ce dispositif.

Problématisation (sans question)

La responsabilité pénale des ministres, pour les actes rattachables ou détachables de leurs fonctions, pose une double exigence : garantir la continuité de l’État et l’efficacité de l’action gouvernementale, tout en assurant une justice équitable et une responsabilité réelle des ministres devant la loi. La création de la CJR et les révisions constitutionnelles successives illustrent un compromis entre ces deux objectifs, mais soulèvent aussi des questions sur l’égalité devant la justice et sur la capacité réelle de l’État à juger ses propres dirigeants.

Problématique

Dans quelle mesure la Constitution et la jurisprudence permettent-elles de concilier les exigences de continuité de l’État avec celles de responsabilité et d’égalité devant la justice pour les ministres en exercice ?


I. Une responsabilité pénale soumise à des conditions de mise en mouvement de l’action publique dérogatoires au droit commun

A. Une commission des requêtes : équilibre entre égalité devant la justice et réalisme administratif

Point de cours

La procédure pénale des ministres est encadrée par la commission des requêtes de la Cour de Justice de la République (CJR), chargée de décider de l’opportunité des poursuites. Composée de 3 magistrats du siège de la Cour de cassation, 2 conseillers d’État et 2 conseillers maîtres à la Cour des comptes, cette commission vise à garantir un équilibre entre indépendance judiciaire et expertise administrative.

  1. Présence de magistrats du siège : indépendance et expertise
  • La commission des requêtes inclut 3 magistrats du siège de la Cour de cassation, un choix qui garantit l’indépendance par rapport à l’exécutif, en particulier face au ministre de la Justice, hiérarchiquement supérieur aux magistrats du parquet. Leur présence renforce l’impartialité et l’autorité de la commission, notamment parce qu'ils ne sont pas soumis au principe de subordination hiérarchique.
  • Les magistrats du siège de la Cour de cassation apportent non seulement une compétence technique reconnue mais symbolisent aussi la solennité et la gravité de la décision de renvoyer un ministre devant une juridiction. En effet, leur sélection assure une expertise juridique optimale, justifiée par l’importance politique et juridique de la responsabilité ministérielle.
  1. Conseillers d’État et conseillers maîtres à la Cour des comptes : réalisme administratif et rejet du corporatisme
  • La présence de 2 conseillers d’État et 2 conseillers à la Cour des comptes garantit un équilibre entre expertise administrative et indépendance. Ces membres, bien qu’appartenant à l’ordre administratif, apportent leur compétence en matière de gestion publique et de conseil au gouvernement.
  • Cette composition permet d’éviter tout corporatisme judiciaire, en intégrant des membres d’institutions offrant une perspective complémentaire. Les conseillers de la Cour des comptes, par exemple, sont spécialisés dans les finances publiques, ce qui peut être essentiel dans des affaires impliquant des dépenses ou des décisions budgétaires ministérielles.

Colloque pertinent

En 2021, un colloque sur l’indépendance et la responsabilité des magistrats a souligné l’importance de maintenir ce pluralisme au sein de la commission des requêtes pour éviter le corporatisme et renforcer la confiance publique.


B. La commission des requêtes : filtre pour les saisines de la commission d’instruction

Point de cours

La commission des requêtes, après réception des plaintes, saisit éventuellement le procureur général près de la Cour de cassation, qui décide alors de la saisine de la commission d’instruction. La loi organique sur la CJR prévoit cette procédure stricte pour éviter toute poursuite non fondée.

  1. Saisine du procureur général : éviter l’engagement de poursuites à des fins politiques
  • La commission des requêtes peut saisir le procureur général de la Cour de cassation uniquement sur la base d’une plainte déposée par un justiciable, ce qui est dérogatoire au droit commun où le ministère public peut agir d’office. Ce formalisme strict vise à éviter les poursuites abusives ou politiques.
  • La Cour de cassation a rappelé dans un arrêt de l’Assemblée plénière du 21 juin 1999 que la constitution de partie civile est impossible devant la commission des requêtes, limitant les actions abusives. Cette exigence de recevabilité des plaintes est une garantie pour empêcher des saisines infondées.
  1. Procédure alternative : saisine directe du procureur avec avis conforme de la commission des requêtes
  • En cas de nécessité, la loi organique de la CJR autorise le procureur général près de la Cour de cassation à saisir lui-même la CJR. Cette saisine, cependant, doit être validée par un avis conforme de la commission des requêtes, introduit pour éviter tout abus de pouvoir ou volonté de couvrir une éventuelle impunité.
  • Ce système, imaginé par Georges Vedel, constitue une alternative pour contourner les limites de la première procédure en cas de plainte irrecevable mais justifiée. Il permet ainsi d’éviter des situations d’impunité en assurant que des poursuites puissent être engagées même sans plainte formelle du public.

II. Une instruction et un jugement spécifiques pour des enjeux politiques

A. Une instruction adaptée aux enjeux politiques

  1. Une commission d’instruction composée de magistrats du siège
  • L’instruction est assurée par trois magistrats du siège de la Cour de cassation, offrant une garantie d’indépendance face aux pressions politiques. L’instruction est obligatoire pour tous les crimes et délits, quelle que soit la gravité des faits reprochés, et la commission peut requalifier les faits, garantissant un examen objectif et rigoureux.
  • Cette commission possède des pouvoirs d’enquête étendus : elle peut mener des interrogatoires, procéder à des perquisitions (même dans les ministères, arrêt de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation du 17 février 2013) et désigner des experts. En revanche, elle ne peut déléguer ces actes aux officiers de police judiciaire, conservant ainsi une stricte maîtrise de la procédure.
  1. Une procédure avec des limitations en appel et des précisions de compétence
  • La question de l’appel a été tranchée par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation le 21 décembre 2021 : les décisions de la commission d’instruction ne sont pas susceptibles d’appel, seulement de pourvoi en cassation, assurant ainsi la célérité de la procédure.
  • La Cour de cassation a précisé dans un arrêt du 26 avril 2022 que certains actes de l’instruction, comme les confrontations et interrogatoires, doivent être effectués de manière collégiale, alors que d’autres, comme la désignation d’experts, peuvent être délégués à un juge unique. Cette structuration vise à garantir un équilibre entre efficacité et respect des droits des parties.

B. Un jugement par la Cour de Justice de la République (CJR)

  1. Une formation de jugement mixte : magistrats et parlementaires
  • La CJR est composée de 15 juges, dont 3 magistrats de la Cour de cassation, 6 députés et 6 sénateurs. Cette composition permet de représenter l’autorité judiciaire ainsi que les instances législatives, bien que ce mélange de juges professionnels et politiques soulève des questions d’impartialité.
  • Les magistrats de la Cour de cassation, choisis hors hiérarchie, assurent la présidence de la formation. La condamnation nécessite une majorité absolue de 8 voix sur 15, garantissant une décision consensuelle. Cette organisation, toutefois, risque de compromettre l’impartialité de la juridiction, certains parlementaires ayant des affiliations politiques pouvant influencer leur jugement.
  1. Critiques de l’impartialité et de l’efficacité de la CJR
  • La CJR est critiquée pour la rareté de ses condamnations et sa clémence. Par exemple, Charles Pasqua a reçu un an de prison avec sursis pour abus de biens sociaux, et Jean-Jacques Urvoas a été condamné à un mois de prison avec sursis pour divulgation d’informations confidentielles. Ces décisions, souvent perçues comme indulgentes, mettent en question l’efficacité dissuasive de la CJR.
  • Historiquement, la doctrine s’est prononcée en faveur de la suppression de la CJR, argumentant qu’il s’agit d’un privilège injustifié. Le comité Jospin de 2013 et un projet de loi de 2019 ont recommandé de transférer les compétences de la CJR à la Cour d’appel de Paris pour juger les ministres, mais ces propositions n’ont pas abouti. En 2022, le président Macron a renouvelé cette proposition dans son programme, témoignant d’un consensus croissant sur la nécessité de réformer ou supprimer la CJR.

Conclusion La responsabilité pénale des ministres, bien que soumise à des procédures spécifiques et dérogatoires, révèle un système en tension entre la nécessité de protéger l’action gouvernementale et l’exigence d’égalité devant la loi. La commission des requêtes et la commission d’instruction de la CJR offrent un filtre institutionnel, mais les critiques concernant l’efficacité et l’impartialité de la CJR persistent. Malgré les propositions de réforme, notamment celle du comité Jospin et le projet de loi de 2019 pour intégrer les ministres dans le droit commun pour les actes rattachables, aucun changement significatif n’a été réalisé. Le maintien de la CJR, dans sa configuration actuelle, reste ainsi un sujet de débat, en attente d’une éventuelle réforme constitutionnelle qui pourrait transformer le cadre de la responsabilité pénale des ministres et renforcer la confiance des citoyens dans l’équité et l’efficacité de la justice.

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