Problématique
La réforme de l’État en région est l’un des grands chantiers de transformation de l’action publique en France. Elle répond à une exigence d’efficacité, de lisibilité et de proximité de l’État dans les territoires.
Elle repose sur un mouvement profond et historique, à la croisée de deux logiques complémentaires :
• La déconcentration, qui est une réorganisation interne de l’État sur le territoire,
• La réforme territoriale, qui modifie les structures politiques et administratives régionales.
Pour un cadre culturel de l’État, comprendre cette réforme, c’est savoir se situer dans les bons circuits de décision, agir efficacement, et piloter ses projets dans un paysage administratif renouvelé.
I. Une histoire administrative de long terme : la déconcentration et ses trois actes
A. Naissance de l’État régional et premiers jalons
• 1852 (Second Empire) : création du préfet de région, rapidement supprimé après 1870.
• 1960 : création des circonscriptions d’action régionale.
• Décret du 14 mars 1964 : recréation du préfet de région, représentant de l’État au niveau régional, chargé de coordonner les préfets de département.
• Décentralisation de 1982 (lois Defferre) : distinction claire entre déconcentration (État) et décentralisation (collectivités).
Le préfet de région devient alors le relais de la stratégie gouvernementale dans un territoire en dialogue avec les élus locaux.
B. Les trois « actes » de la déconcentration
Acte I – 1992 (décret Joxe, 1er juillet 1992)
• La déconcentration devient la règle de répartition des compétences dans l’État.
• Les préfets de région et de département se voient confier des pouvoirs réels de décision.
Acte II – 2004 (circulaire Raffarin)
• « L’État doit être fort sur ses missions essentielles. »
• Montée en puissance du préfet de région comme chef de file, début des mutualisations (logistique, RH…).
Acte III – 2010 (RéATE – décret n°2009-1484 du 3 décembre 2009)
• Création de grandes directions régionales interministérielles : DREAL, DRJSCS, DRFIP…
• DRAC maintenues comme directions spécialisées.
• Création des SGARE : bras droit administratif du préfet de région.
C’est un tournant vers une administration territoriale rationalisée et pilotée régionalement.
II. La réforme de 2015 : réduction du nombre de régions et renforcement du pilotage régional de l’État
A. Fusion des régions : une nouvelle carte
• Loi du 16 janvier 2015 : redécoupage régional →
→ Passage de 22 à 13 régions métropolitaines (au 1er janvier 2016).
→ Exemples :
• Alsace, Lorraine et Champagne-Ardenne deviennent Grand Est,
• Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées deviennent Occitanie…
Objectifs :
• Renforcer le poids stratégique et économique des régions,
• Clarifier l’organisation administrative,
• Simplifier les relations État/collectivités.
B. Loi NOTRe (7 août 2015) : Nouvelle organisation territoriale de la République
• Renforce les compétences régionales :
• Développement économique (SRDEII),
• Aménagement du territoire (SRADDET),
• Transports interurbains et scolaires,
• Lycées,
• Formation professionnelle et apprentissage.
• Clarifie le rôle des départements :
• Action sociale, collèges, routes,
• Mais recul sur les politiques stratégiques et culturelles.
La région devient l’échelon du pilotage stratégique, le département un échelon de proximité.
C. Décret du 7 mai 2015 : réforme de l’État déconcentré
• Renforcement du rôle du préfet de région :
• Coordination de tous les services régionaux,
• Autorité sur les préfets de département,
• Contrôle de la répartition des moyens.
• Création de Secrétariats généraux communs pour les directions régionales.
• Intégration de toutes les politiques de l’État dans un pilotage territorial unique, sous l’autorité du préfet de région.
III. Conséquences pratiques pour l’action culturelle et la posture du cadre A
A. Des circuits décisionnels à plusieurs niveaux
• La DRAC devient la direction régionale spécialisée pour la culture :
• Élaboration et mise en œuvre des politiques culturelles,
• Subventions, protection patrimoniale, éducation artistique,
• Interface entre le ministère et les acteurs locaux.
• L’unité départementale DRAC reste le niveau de proximité, mais sous coordination régionale.
• Le SGARE coordonne les crédits croisés (CPER, appels à projets), en lien avec la DRAC.
Pour un chef de service en établissement, il faut :
• Connaître les bons interlocuteurs,
• Formuler des projets adaptés aux priorités régionales,
• Anticiper les exigences de cofinancement, de territorialisation, d’évaluation.
B. Articuler les projets culturels avec les politiques territoriales
• Fin des logiques verticales → montée des logiques transversales :
• Culture et ruralité,
• Culture et jeunesse,
• Culture et cohésion des territoires,
• Culture et transition écologique.
Le cadre A culturel devient un acteur stratégique de l’action publique territoriale :
• Il dialogue avec la DRAC, la région, la collectivité gestionnaire, le SGARE.
• Il participe à des projets transversaux co-financés.
C. Une posture de pilotage et de coordination
• Le cadre n’est plus un simple gestionnaire local :
• Il est porte-parole de l’établissement auprès de la région,
• Il maîtrise les calendriers politiques (CPER, appels à projets…),
• Il agit avec vision, méthode, cohérence.
Cela suppose une solide culture administrative, une capacité d’analyse des territoires, une aptitude à convaincre.
Conclusion
La réforme de l’État en région est l’un des chantiers les plus structurants de la modernisation administrative française.
Elle transforme la gouvernance territoriale de l’État :
• en renforçant le rôle du préfet de région,
• en rationalisant les services déconcentrés,
• en articulant les politiques de l’État avec les priorités régionales.
Pour un ingénieur des services culturels et du patrimoine, cela implique de savoir lire le paysage institutionnel, positionner ses projets, agir dans un système coordonné, et porter une vision de la culture comme levier de cohésion et d’attractivité territoriale.