I/ La distinction entre modification du contrat de travail et changement des conditions de travail
A/ Le salaire :
- La Cour de cassation considère le salaire comme un élément central du contrat de travail, ce qui signifie que l'employeur ne peut pas modifier la rémunération sans l'accord explicite du salarié.
- Exceptions :
- Une clause de rémunération variable peut être insérée dans le contrat, permettant ainsi à l'employeur de faire varier une partie du salaire en fonction de critères objectifs.
- L'employeur peut également modifier la partie de la rémunération issue d'accords collectifs (exemple : prime ou complément salarial prévu par une convention collective), car ces éléments sont considérés comme des suppléments extérieurs au contrat individuel de travail.
B/ Le travail :
- La qualification professionnelle et les responsabilités du salarié sont des éléments contractuels. Par conséquent, un salarié ne peut pas être contraint à accepter un emploi de qualification différente (exemple : un ingénieur ne peut pas être forcé à accepter un poste de développeur) sans son accord.
- Réduction des responsabilités : même si le salaire reste inchangé, une réduction significative des responsabilités constitue une modification du contrat de travail.
- Nuances :
- Les modifications de tâches qui restent dans le cadre des tâches habituelles ou connexes à celles réalisées par le salarié ne sont pas considérées comme une modification du contrat, mais relèvent du pouvoir de direction de l'employeur. Exemples : une ouvrière agricole passant de la cueillette de citrons à l’engainage de bananes, ou une femme de ménage affectée au nettoyage des parties communes plutôt que des appartements.
- Si les tâches sont franchement différentes, cela peut constituer une modification du contrat de travail (exemple : un veilleur de nuit ne peut être forcé de dresser les couverts pour le petit-déjeuner).
C/ Le lieu de travail :
- Règle générale : le changement de lieu de travail reste sous le pouvoir de l'employeur tant que cela se fait à l'intérieur du même secteur géographique. Cependant, une mutation en dehors de ce secteur est considérée comme une modification du contrat de travail, nécessitant l'accord du salarié.
- Critères d'appréciation du secteur géographique par le juge :
- La distance entre les deux lieux de travail ;
- Les moyens de transport disponibles pour se rendre à chacun des sites.
- Atténuations :
- Une affectation temporaire en dehors du secteur géographique peut être admise si elle est justifiée par des circonstances exceptionnelles et que le salarié en est informé dans un délai raisonnable, avec une durée prévisible.
- Le champ normal de mobilité peut varier selon les fonctions du salarié, même sans clause de mobilité dans le contrat (exemple : un chef de chantier, cadre, peut exceptionnellement être déplacé hors de sa région de travail habituelle).
D/ Temps de travail
1) Répartition du temps de travail
En principe, l'employeur dispose du pouvoir de répartir le temps de travail sur la journée ou sur la semaine, et ce pouvoir inclut la possibilité de moduler les horaires. Toutefois, il existe plusieurs nuances importantes où l'accord préalable du salarié est requis :
- Passage d’un horaire fixe à un horaire variable : tout changement du mode d'organisation des horaires nécessite l'accord du salarié.
- Passage d’un horaire de jour à un horaire de nuit (même partiel) : cela entraîne des modifications profondes dans la vie du salarié, d'où la nécessité de son accord.
- Passage d’un horaire continu à un horaire discontinu : toute interruption dans la journée ou tout changement structurel sur ce point demande également l'accord du salarié.
- Modification du repos dominical : toute modification des horaires de travail entraînant une privation du repos dominical, même partielle, est une modification du contrat de travail.
Lorsque la répartition du temps de travail entraîne des conséquences significatives pour le salarié, elle est considérée comme une modification du contrat. Cela inclut les cas où il y a une « atteinte excessive au droit du salarié au respect de sa vie personnelle et familiale » ou à son droit au repos.
- Salariés à temps partiel : tout changement d'horaire susceptible de les empêcher de chercher une activité complémentaire est aussi considéré comme une modification du contrat.
2) Durée du travail
En principe, la durée du travail constitue un élément contractuel du contrat de travail.
- Heures supplémentaires : l'employeur peut demander aux salariés d'effectuer des heures supplémentaires, dans une certaine limite, sans leur accord préalable. Les salariés ne peuvent pas refuser les heures supplémentaires tant que celles-ci respectent la réglementation en vigueur.
- Limites : si le recours aux heures supplémentaires devient systématique et qu'il dépasse un certain nombre, cela peut être considéré comme une tentative de modification du contrat. Dans ce cas, les salariés peuvent refuser cette demande de modification.
- Réduction de la durée du travail : toute diminution de la durée du travail, lorsqu’elle entraîne une baisse de salaire, est considérée comme une modification du contrat de travail. Ce principe s’applique même si la réduction est minime.
- Exception : la baisse du temps de travail dans le cadre de la mise en activité partielle (activité partielle indemnisée) ne constitue pas une modification du contrat, car elle est encadrée par des mesures spécifiques et indemnisée.
Ces règles montrent l’importance de distinguer entre les pouvoirs de gestion de l’employeur et les modifications nécessitant l’accord du salarié, notamment lorsqu’elles affectent la durée et la répartition du temps de travail.
II/ Le refus du changement de la prestation de travail
A/ Le refus de la modification du contrat
1) L’expression du refus
Lorsqu'un employeur propose une modification du contrat de travail, le salarié doit exprimer clairement son accordou refuser cette modification.
- Exception : Lorsque la modification du contrat est proposée pour un motif économique, une procédure spécifique est prévue. L'employeur doit envoyer une lettre recommandée avec accusé de réception à chaque salarié concerné. Cette lettre doit mentionner explicitement que le salarié peut refuser la modification, avec un délai d’un mois pour le faire. Si le salarié ne manifeste pas son refus dans ce délai, son silence vaut acceptation tacite de la modification du contrat.
2) La rupture du contrat
a) Le droit commun de la modification
Lorsque l'employeur propose une modification pour un motif non lié à la personne du salarié (comme une réorganisation ou des difficultés économiques), le refus du salarié peut entraîner un licenciement pour motif économique. Toutefois, le licenciement doit être justifié par une cause économique réelle et sérieuse ; sinon, il peut être contesté comme étant sans cause réelle et sérieuse.
- Si plusieurs salariés refusent la modification de leur contrat pour une même raison économique (par exemple, des difficultés économiques), l'employeur doit suivre les procédures de licenciement économique collectif. Si plus de 10 salariés refusent la modification, cela peut entraîner la mise en place d’un plan de sauvegarde de l’emploi.
b) Le droit dérogatoire de la modification
Dans certains cas, une modification issue d'un accord collectif peut affecter un élément du contrat de travail (par exemple, une baisse du salaire liée à une réduction de la durée de travail). Une telle modification doit être acceptée expressément par chaque salarié.
- Si les salariés refusent les changements découlant de cet accord collectif, leur licenciement reposera sur un motif spécifique, considéré comme une cause réelle et sérieuse, mais ce n’est pas un licenciement économique.
B/ Le refus d’un changement des conditions de travail
1) Principe : licenciement pour faute
L'employeur peut, dans le cadre de son pouvoir de direction, imposer un changement des conditions de travail sans qu'il s'agisse d'une modification du contrat de travail (par exemple, modifier les horaires dans une même plage de travail). Le refus du salarié est alors considéré comme une faute qui peut être grave ou constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement.
- Exemple : Une salariée avec 19 ans d’ancienneté, à qui on demande de travailler le samedi matin pour la première fois, pourrait refuser cette nouvelle condition de travail. Cependant, en tenant compte de sa situation personnelle et de son ancienneté, le juge pourrait ne pas retenir la faute grave en cas de licenciement.
2) Exceptions
L’exercice du pouvoir de direction de l’employeur n’est pas absolu et doit respecter certaines limites. La bonne foi et l'intérêt de l’entreprise doivent guider les décisions de l'employeur, selon la jurisprudence de la Cour de cassation. Si ces principes ne sont pas respectés, le changement des conditions de travail peut être contesté.
- Cela inclut le respect de la vie personnelle et familiale du salarié, ou encore sa santé et son droit au repos. Par exemple, une mutation qui entraînerait un temps de trajet excessif pour un salarié souffrant d'une maladie chronique pourrait être jugée inacceptable par les tribunaux en raison de son caractère préjudiciable.
Ainsi, bien que l'employeur puisse modifier certaines conditions de travail sans l'accord du salarié, il doit veiller à ne pas outrepasser ses droits ni porter une atteinte excessive aux droits fondamentaux du salarié.