I/ Les procès au sortir de la guerre
- Début des poursuites :
- Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, des procès contre les criminels nazis ont lieu en parallèle du procès de Nuremberg.
- Des procès durant le conflit même (ex. procès de Krasnodar en juillet 1943) préfigurent ces actions judiciaires.
- Procès "successeurs" et de camps :
- Aux États-Unis, sous leur seule égide, douze procès dits « successeurs » à Nuremberg visent divers responsables (WVHA, Einsatzgruppen, haute hiérarchie militaire, professions juridiques, médicales et même industrielles comme Krupp ou IG Farben).
- Des procès spécifiques concernant le personnel des camps de concentration se déroulent à Dachau, Buchenwald, Mauthausen, ainsi qu’en Belsen, et en Pologne (procès de Rudolf Höss à Varsovie, procès d’Auschwitz à Cracovie).
- Influence de la Guerre froide et limites des poursuites :
- Le recrutement de spécialistes allemands par les USA (opération Paperclip) et l’URSS (opération Osoaviakhim) limite la volonté de punir certains criminels, ces compétences étant recherchées dans le domaine scientifique et du renseignement (ex. Reinhard Gehlen).
- En parallèle, des criminels trouvent refuge à l’étranger (Amérique du Sud, Moyen-Orient), et en France, l’épuration s’essouffle avec la priorité donnée à la décolonisation et à la coopération franco-allemande (ex. libération de Carl Oberg et Helmut Knochen).
2. Le tournant des années 1960 : la Shoah, crime contre l’humanité
- Affaires emblématiques :
- Le procès d’Adolf Eichmann à Jérusalem en 1961, qualifié par David Ben-Gourion de « Nuremberg du peuple juif », met en lumière la spécificité de la Shoah grâce aux témoignages de nombreux rescapés.
- Le procès d’Auschwitz en Allemagne (1963-1965), conduit par le procureur Fritz Bauer, marque une prise de conscience dans la RFA quant à sa responsabilité.
- Institutionnalisation de la poursuite des crimes nazis :
- La création en 1958, en RFA, de la Zentrale Stelle (Office central des administrations judiciaires pour l’enquête sur les crimes nazis) illustre le tournant vers une justice ciblée sur ces crimes.
- Une série de procès se succède (Belzec, Sobibor, Treblinka, Majdanek) même si les condamnations restent limitées, révélant parfois une justice entravée par la présence d’anciens agents nazis et des limites juridiques (notamment en matière de preuve de la présence sur les lieux).
- La dimension mémorielle et le témoignage :
- Le rôle du témoin devient central, illustré par l’intensification des récits de survivants qui contribuent à inscrire la Shoah dans l’histoire.
3. L’opinion publique comme acteur
- Pressions et mobilisations :
- L’affaire Touvier en France, avec la grâce présidentielle accordée en 1971 malgré des condamnations pour crimes contre l’humanité, suscite l’indignation et la mobilisation des associations de résistants et des victimes.
- Des figures comme Serge et Beate Klarsfeld lancent des procédures, jouant un rôle clé dans des extraditions notables (ex. Klaus Barbie en 1983).
- Influence des médias et de la culture :
- L’émergence des « chasseurs de nazis » (tel Simon Wiesenthal) et la diffusion d’œuvres cinématographiques et télévisuelles (série Holocaust en 1978) stimulent une prise de conscience collective.
- Aux États-Unis, cette prise de conscience conduit Jimmy Carter à créer un musée fédéral dédié à la Shoah et à renforcer la lutte contre la présence de criminels nazis sur le sol américain (via l’Office of Special Investigation).
4. Solder le passé : les derniers procès
- Procès majeurs en France :
- Quatre procès emblématiques – ceux de Klaus Barbie (1987), Paul Touvier (1994), Maurice Papon (1997-1998) et Aloïs Brunner (par contumace en 2001) – confrontent la nation à son passé de collaboration et soulèvent des enjeux mémoriels et politiques forts.
- L’affaire René Bousquet et les non-lieux dans l’affaire Touvier montrent la difficulté d’affronter l’implication de l’État dans la collaboration.
- Reconnaissance de la responsabilité de l’État :
- Le procès de Maurice Papon est symbolique : il reconnaît, en partie grâce à la pression politique et à la mobilisation des témoins, la responsabilité de l’État français dans l’exécution de la « solution finale ».
- Cas internationaux et renouveau des poursuites :
- En Italie, la découverte de l’« armoire de la honte » en 1994 réveille l’intérêt pour des crimes longtemps ensevelis.
- En Allemagne, un changement de jurisprudence à partir de 2011 permet de relancer les poursuites contre les derniers criminels nazis encore en vie, donnant lieu à des condamnations récentes (ex. Oskar Gröning en 2015 et un garde de Stutthof en 2020).
Tal Bruttmann, « Juger les crimes nazis après Nuremberg », EHNE, juin 2021.