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Histoire Eco

Introduction // De l’utilité d’étudier de l’histoire de la pensée économique à partir

du XVIe siècle

❶ Pourquoi faire de la pensée économique ?

Étudier l’histoire de la pensée économique (HPE) implique de débuter par un questionnement sur l’intérêt

d’étudier l’histoire d’une science.

La question de l’utilité de ce détour mérite en effet d’être posée : a priori qui se soucie de l’auteur

des courbes d’offre et de demande par exemple ou du modèle d’offre et de demande agrégée ? Seuls

pourraient compter les outils conceptuels qui permettent de comprendre le réel contemporain.

Mais Joseph A. Schumpeter (1883-1950) dans son Histoire de l’analyse économique (1954) liste trois

avantages :

 le premier est pédagogique : les concepts sont plus faciles à comprendre lorsqu’ils sont resitués

dans leur contexte d’émergence (la demande effective dans les années 1930 ou le monétarisme dans

les années de forte inflation) ;

 le second est celui de l’inspiration pour les économistes : les concepts et analyses anciens

nourrissent la réflexion contemporaine. Comme toute science, la production du savoir en science

économique relève d’un processus cumulatif dont on ne peut saisir les contours que par l’étude

de l’historicité des concepts. Par exemple, Philippe Aghion s’inspire de l’analyse de la croissance

d’Adam Smith (1723-1790) et de la destruction créatrice de Joseph A. Schumpeter. De même, Robert

Gordon ou Lawrence Summers sur la stagnation séculaire s’inspirent des analyses d’Alvin Hansen

(1187-1975) qui datent de 1939 et des concepts de Knut Wicksell (1851-1926) ;

 le troisième est épistémologique. Quand on fait de l’HPE, on fait l’étude de la façon dont la

construction des savoirs avance.

Sur ce dernier point, J. A. Schumpeter et Mark Blaug (Economic Theory in Retrospect, 1962) à sa suite,

identifient une double dynamique de la pensée économique.

 Une dynamique interne tout d’abord.

 Certains travaux ouvrent de nouveaux programmes de recherche : par exemple, Keynes ouvre

le champ de la macroéconomie appliquée et incite d’autres auteurs comme Roy F. Harrod (1900-1978)

et Evsey Domar (1914-1997) à explorer des domaines non étudiés par Keynes comme celui de la

croissance économique (le moyen terme).

 Les insuffisances des diverses analyses suscitent des travaux destinés à les combler : ainsi,

l’hypothèse des anticipations rationnelles tente de surmonter l’éventuelle contradiction entre la rationalité

des agents économiques et le fait que leurs anticipations ne le soient pas. Les travaux de Paul Romer

surmontent la contradiction entre la loi des rendements décroissants et l’existence de la croissance

économique.

 Enfin, les controverses entre économistes au sein du champ scientifique obligent ces derniers

à préciser leur argumentation. La critique de la Nouvelle Economie Classique (NEC) par exemple sur

l’absence de fondement microéconomique de l’analyse keynésienne conduit la Nouvelle Economie

Keynésienne (NEK) à travailler sur les raisons de la rigidité des prix.

 Mais l’avancée de la connaissance a également une dynamique externe lorsque les travaux sont

bousculés par des phénomènes économiques nouveaux qui mettent leurs cadres conceptuels en

difficulté. Ainsi la crise des années 1930 ne peut pas être expliquée avec les outils de la théorie néo-

classique, la stagflation des années 1970 ne peut être expliquée par l’analyse keynésienne, la faiblesse

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de la croissance malgré les NTIC dans les années 2000 est également énigmatique, etc. Ces éléments

fonctionnent comme des anomalies au sens de Thomas Kuhn (1922-1996) qui les définit comme des

énigmes non ou partiellement résolues mettant en défaut les conditions d'application du paradigme en

place (La Structure des révolutions scientifiques, 1962). Ces anomalies impliquent de modifier les outils

de l’analyse économique.

 Notre problématique :

Comment s’est construit et a évolué le discours scientifique en économie ? Comment l’économie définit-

elle ses objets d’étude et sa méthodologie ? Existe-t-il des grandes questions économiques qui

traversent la pensée économique ? Quels sont les liens entre les grands courants de pensée ? Assiste-

t-on à des moments de révolution de la pensée économique ?

 Notre fil directeur :

Nous aborderons successivement la pensée mercantiliste, l’école physiocratique, la rupture classique,

la révolution marginaliste et ses prolongements, puis les travaux de John Maynard Keynes.

Nous présenterons ensuite les développements de la microéconomie et de la macroéconomie de la

Seconde Guerre mondiale à nos jours.

❷ Pourquoi commencer notre analyse au XVIe siècle ?

Les premiers écrits relatifs à l’économie remontent à l’Antiquité avec les réflexions de Platon (427-347

av. J-C) et d’Aristote (384-322 av. J.C.). Pour Aristote, l’économique correspond à l’art du maître qui

dirige sa maison ou sa famille, c’est-à-dire qui organise l’activité de production à partir de ce qu’il

possède (terres, bétail et esclaves) dans le but de satisfaire la consommation familiale.

Le terme « économique » est formé à partir des termes de loi (nomos) et de maison (oikos). La

réflexion d’Aristote porte notamment sur les rapports entre l’ « économique » et l’art d’acquérir des

richesses qu’il nomme la chrématistique. Dans cette perspective, il distingue une chrématistique

naturelle qui relève de l’économie et une chrématistique proprement dite ou commerciale qui n’en relève

pas. Alors que la première consiste à acquérir les biens nécessaires à la vie de la famille et non produits

par celle-ci, la seconde est condamnable puisque l’échange est uniquement motivé par le gain de

l’échange.

La pensée scolastique1 qui se développe entre le IXe siècle et la fin du XIIIe siècle reprend le

principe de cette séparation entre l’échange nécessaire et l’échange pour le gain mais assouplit la

condamnation du second. Saint Thomas d’Aquin (1225-1274) dans Somme théologique (1226-1273)

considère en effet que le commerce peut être honnête si le gain obtenu est utilisé à des fins moralement

bonnes. En revanche, le prêt à intérêt (nommé usure2), fermement condamné par l’Église catholique,

demeure immoral. Ces principes sur l’économie constituent encore aujourd’hui la doctrine économique

de l’Église, notamment l’idée de « moraliser » le fonctionnement de l’économie.

Ces premiers écrits sur l’économie ne sont pas considérés comme le début de la science

économique dans la mesure où les pensées aristotélicienne et scolastique relèvent de discours

normatifs et non positifs.

Platon et Aristote cherchent à trouver les principales règles économiques qui garantiraient le règne

de la justice dans la cité. Saint Thomas d’Aquin réfléchit à ce qui serait conforme à la morale religieuse.

La formation du prix l’intéresse moins que son caractère juste ou injuste. Dans sa Somme théologique,

il développe l’idée que le juste prix dépend de l’utilité du bien mais aussi de la peine de l’artisan et des

dépenses engagées par celui-ci.

Progressivement ces réflexions seront fragilisées par le raisonnement hypothétique porté par les

philosophes franciscains3 qui introduisent en économie l’idée de la causalité et des principes

1 La pensée scolastique tente de concilier la philosophie grecque et la théologie chrétienne.

2 L’usure est, chez Saint Thomas d’Aquin, synonyme d’intérêt. Il ne doit pas être entendu au sens moderne de taux d’intérêt

excessif.

3 Fondé sur la pensée et les actions de François d'Assise, ce mouvement monarchique est connu pour les idéaux de pauvreté

et de fraternité qu'il véhicule. Si les franciscains sont principalement vus à travers l'ordre principal des frères mineurs ou celui

des capucins, des ordres féminins et un ordre laïque appartiennent également à ce courant. L'ordre des frères mineurs

apparaît en 1209. Son développement est très rapide et le mouvement devient l'un des courants monarchiques les plus

influents au Moyen Âge. Si l'ordre des frères mineurs a progressivement perdu la place dominante qu'il occupait au Moyen

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mécaniques (le concept d’équilibre par exemple). Au XVIIIe siècle, l’économie passe progressivement

d’un discours moral à une science. Notre étude débute aux prémices de la science économique.

1. L’émergence de la pensée économique avant la science économique

À partir de la seconde moitié du XVe siècle, l’Europe connaît une dynamique économique inédite, à la

fois marchande (avec notamment le développement des foires) et financière dans un contexte intellectuel

également nouveau qui est celui de la Renaissance. La constitution progressive des États nationaux met

fin au féodalisme, les découvertes de nouveaux territoires permettent l’exploitation de nouvelles

richesses (notamment des métaux précieux) ; plus largement, le contexte culturel favorise la liberté

intellectuelle dans les domaines scientifiques et philosophiques. L’extension de ce capitalisme

commercial marque la fin de la pensée scolastique à tout le moins sur le plan économique : ce

n’est plus dans le cadre familial qu’il est légitime de penser les activités de création de richesses

mais dans celui de la nation. Au XVIIIe siècle, l’économie passe progressivement d’un discours moral

à une science.

1.1. Le mercantilisme et la puissance des États

1.1.1. Le « système mercantile », une définition

Le mercantilisme n’est pas la doctrine d’une véritable école économique, conçue par un chef de

file et précisée ensuite par des disciples. C’est un terme (polémique) inventé après coup par A. Smith

qui parle de « système mercantile » pour dénigrer un ensemble de doctrines et de pratiques politiques

et économiques qui s’étendent sur trois siècles entre le milieu du XVIe siècle et le début du XVIIIe

siècle.

Ces réflexions diffèrent des réflexions morales et religieuses des scolastiques. Les auteurs ne sont

plus des théologiens mais des hommes de l’art : des hommes d’état comme Jean-Baptiste Colbert

(1619-1683) ou Jacques Necker (1732-1804) qui sont ministres des finances, des magistrats comme

Jean Bodin (1530-1596), des marchands comme Thomas Mun (1571-1641) qui est l’un des directeurs

de la Compagnie des Indes Orientales, et des financiers comme John Law (1671-1729) et Richard

Cantillon (1680-1734). La réflexion économique se détache donc de la morale et de la religion

mais reste attachée au politique car le but ultime de leurs écrits (pamphlets, mémoire, rapports)

est de conseiller le prince.

Ce sont ainsi des auteurs mercantilistes qui sont à l’origine de l’expression « économie politique

». Celle-ci est proposée pour la première fois par Louis Turquet de Mayenne (1550-1618) à la fin du

XVIe siècle puis reprise et popularisée par Antoine de Montchrestien en 1615 dans son Traité de

l’économie politique. Contre la pensée aristotélicienne et scolastique, Montchrestien montre que la

réflexion économique est, d’une part, devenue un problème public et qu’elle doit s’affranchir de la sphère

domestique et, d’autre part, qu’elle implique une rupture vis-à-vis de la morale divine (on peut à ce titre

parler d’une sécularisation de la pensée économique). Le mercantilisme se caractérise ainsi par un

changement d’attitude vis-à-vis de l’économie qui a dorénavant pour vocation de conseiller le pouvoir

politique afin qu’il stimule la hausse des richesses et augmente sa puissance et par là-même celle de la

nation tout entière ; c’est en ce sens que l’économie devient politique. Plus précisément, la doctrine

mercantiliste est conduite à considérer l’économie sous deux angles complémentaires : en premier lieu

l’enrichissement des marchands (mercanti signifie marchand en italien) et de la nation ; en second lieu,

la puissance de l’État.

1.1.2. Les idées mercantilistes

Âge, le mouvement franciscain reste vivace à travers les époques, notamment grâce à la fondation de nouveaux ordres, et

continue d'influencer profondément la société. Par exemple, l'abbé Pierre et le père Joseph, dont les actions ont profondément

marqué la société française moderne, furent tous deux capucins.

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Il est possible de regrouper les divers courants mercantilistes autour de quelques idées qui caractérisent

chacun d’entre eux :

 Le populationnisme : les auteurs de ce courant considèrent qu’une population nombreuse est un

facteur de puissance et de richesse. J. Bodin est l’auteur de la formule célèbre « Il n’est de richesse

ni de force que d’hommes ». Une population nombreuse garantit une main d’œuvre abondante et peu

onéreuse. La diminution de la population espagnole avec l’expulsion des juifs et l’émigration vers le

nouveau monde est mise en lien avec l’affaiblissement de la puissance espagnole.

 Le nationalisme économique : Dans l’optique mercantiliste, le commerce extérieur est un jeu à

somme nulle : « nul ne gagne qu’un autre ne perde » selon la formule de Montchrestien. C’est pour

cette raison que les auteurs mercantilistes sont attachés à l’objectif d’équilibre de la balance commerciale

voire à une situation d’excédent commercial durable. Dans cette approche, l’accent est mis sur la

circulation des richesses plus que sur leur production. Le modèle de l’économie domestique perdure

chez les mercantilistes : une nation doit équilibrer ses recettes et ses dépenses comme une famille.

Même si les mercantilistes parviennent à distinguer les biens produits et le moyen de paiement de ces

biens, ils considèrent cependant que seule une hausse des devises permet l’enrichissement de la nation

au dépens des autres. C’est pourquoi les mercantilistes anglais préconisent de développer une industrie

de réexportation capable d’importer des matières premières avant de les revendre sous la forme de

produit fini avec profit. Ce nationalisme économique, très critiqué par A. Smith, va déboucher sur des

conflits politiques armés (Pays-Bas/Angleterre ou France/Angleterre).

 L’importance du rôle économique de l’État : La doctrine mercantiliste considère que l’économie

politique a vocation à s’adresser au souverain pour lui permettre d’enrichir la nation. Il s’agit d’une

des premières doctrines qui prône un interventionnisme étatique. L’État doit favoriser le commerce

extérieur avec une réglementation favorable aux exportations de produits manufacturés notamment et

défavorable aux importations mis à part les produits primaires (qui seront transformés puis réexportés).

Le contrôle des changes est également souvent préconisé.

Ce type de politique se développe en France sous l’influence de Richelieu (sous Louis XIII) et

surtout de J.-B. Colbert (sous Louis XIV). Celui-ci crée, par exemple, les chambres de commerce et

les compagnies nationales chargées de développer le commerce avec le monde. Enfin, pour les

mercantilistes, l’État doit aussi favoriser le développement de l’industrie nationale : « la seule véritable

richesse provient du travail industriel des sujets du monarque » (Colbert) ; notamment pour les

productions qui sont les plus rentables mais aussi les plus coûteuses si on les développe à grande

échelle. Sous l’influence de Colbert par exemple, l’État sous le règne de Louis XIV favorise l’installation

de plus de 400 manufactures après avoir conduit des enquêtes sur les besoins du pays (la première du

genre). La manufacture de Beauvais créée en 1664 par Colbert est un bon exemple d’interventionnisme

industriel dont le but est de contrer les manufactures de tapisseries dans les Flandres.

Il en va de même en Angleterre où, en 1651, le Parlement vote une loi, les Actes de navigation,

qui donne le monopole du transport des marchandises aux navires britanniques en provenance des

colonies. C’est en ce sens que l’on parle aujourd’hui de politiques mercantilistes lorsque l’on désigne les

politiques économiques qui cherchent à protéger l’économie nationale de la concurrence étrangère.

 La primauté de la richesse monétaire : Les mercantilistes associent la puissance de l’État avec la

quantité de métaux précieux (or et argent). À cet égard, le commerce international est un moyen pour

attirer les métaux précieux sur le territoire dès lors qu’à l’aide d’une politique commerciale efficace, on

parvient à limiter les importations (donc les sorties d’or) et à stimuler au contraire les exportations (et

donc les entrées d’or).

Dans sa version radicale, le mercantilisme qui se développe dans la péninsule ibérique et qui prend

le nom de bullionisme (bullion signifie « lingot » en anglais) à partir du XVIe siècle, considère que la

richesse nationale dépend seulement de l’accumulation de métaux précieux par le Royaume. Cette

confusion entre richesse monétaire et richesse réelle a légitimé le pillage du nouveau monde pour

rapporter l’or et l’argent en Europe mais surtout a conduit à une hausse des prix qui a finalement ruiné

l’agriculture et l’industrie espagnoles pendant que les autres pays européens développent leur production

et leurs exportations vers l’Espagne. Cette fascination pour le métal s’explique sans doute par le fait que

durant la première moitié du XVIe siècle, c’est l’Espagne de Charles Quint qui est la première puissance

européenne et qui possède les mines d’Amérique.

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La vision des mercantilistes est néanmoins plus complexe : le bullionisme est rejeté par de nombreux

mercantilistes et certains d’entre eux, comme J. Bodin ou William Petty (1623-1687), pressentent les

liens entre quantité de monnaie et prix. Les premières pierres de la théorie quantitative de la monnaie

sont ainsi posées par des mercantilistes4

.

1.2. Les physiocrates et le circuit économique

La conception physiocratique est issue des œuvres de François Quesnay (1694-1774) publiées par

Pierre Samuel Dupont de Nemours (1739-1817) qui impose le terme de physiocratie en réunissant

deux mots grecs (physis, la nature, et kratos, la puissance)5

. « Physiocratie » signifie littéralement

« gouvernement de la nature ».

Pour beaucoup d’historiens de la pensée économique, la physiocratie est la première école de

pensée économique car elle réunit pour la première fois trois éléments : un programme, un leader

intellectuel (F. Quesnay) et des disciples (le marquis Victor Riquetti de Mirabeau 1715-1789, Jean-

Claude Marie Vincent, marquis de Gournay 1712-1759, Pierre-Paul Lemercier de La Rivière de Saint-

Médard 1719-1792) qui se réunissent tous les mardis soir chez F. Quesnay.

Les physiocrates s’appellent eux-mêmes des économistes et ambitionnent de faire œuvre

scientifique en révélant les lois de l’ordre naturel économique6 auxquelles toutes les classes, y compris

la Noblesse, doivent se soumettre. Ils ambitionnent ainsi comme les mercantilistes avant eux, de

conseiller les pouvoirs publics. Ainsi, Anne Robert Jacques Turgot (1727-1781), sous Louis XVI,

appliquera, non sans difficultés, les principes physiocratiques.

L’apport de l’école physiocratique est double :

 Le premier est tout d’abord lié à la représentation de l’économie sous la forme d’un circuit (idée

développée initialement par Pierre Le Pesant de Boisguilbert, 1646-1714) mais aussi à l’importance

que Quesnay donne à l’agriculture (en rupture avec la priorité donnée par l’État à l’industrie et au

commerce).

Dans Le tableau économique (1758), Quesnay considère que l’agriculture est la seule activité à

même de dégager un produit net, c’est-à-dire à produire plus que les ressources qu’elle utilise grâce

à ce qu’il appelle le « don gratuit de la nature » (l’énergie du soleil par exemple). Les autres activités ne

consistent qu’à transformer les produits agricoles.

Le circuit économique qu’il construit (nommé « Zigzag ») étudie la circulation des richesses entre

trois classes7. La classe productive se livre à l’agriculture et est la seule à fournir un produit net. La

classe des propriétaires est composée du clergé et de la Noblesse. Elle met ses terres à disposition

des agriculteurs, du matériel pour produire (charrues, bœufs, chevaux) et des semences et biens de

consommation avancés aux agriculteurs. C’est ce qu’il nomme l’avance foncière8). Enfin, la classe

stérile comprend tous les citoyens occupés à des activités autres que l’agriculture : ce sont les artisans

et les commerçants qui transforment les produits agricoles sans leur ajouter de la valeur. Le revenu créé

par la classe productive est versé aux propriétaires fonciers qui achètent des marchandises aux

agriculteurs et à la classe stérile et reconstituent l’avance foncière. La classe stérile vend sa production

aux deux autres classes et achètent des produits aux agriculteurs.

Ce tableau peut être considéré comme un premier modèle macroéconomique. Il présente une

portée heuristique importante et sera d’ailleurs repris ultérieurement dans les analyses de Karl Marx

(1818-1883) ou encore dans la matrice de Wassily Leontief (1906-1999, prix Nobel en 1973).

4 Néanmoins, ce qui en fait des mercantilistes tout de même, c’est le fait qu’ils considèrent que l’inflation est favorable à la

croissance économique (c’est précisément sur ce point que Keynes leur rend hommage dans sa Théorie générale).

5 Le néologisme « Physiocratie » est mentionné pour la première fois par l'abbé Nicolas Baudeau, dans les Éphémérides du

citoyen en avril 1767 ; il apparaît ensuite en novembre de la même année comme titre du recueil d'écrits de Quesnay publié

par Dupont de Nemours.

6 F. Quesnay est un médecin. Il étudie l’économie comme un organisme vivant.

7 Quesnay utilise pour la première fois ce vocable subversif de « classe ».

8 Ce terme d’avance sera ensuite repris par les classiques et par Marx. C’est une modalité de prise en compte du temps dans

l’analyse économique. Il faut avancer des moyens de production au début du processus de production, pour ne les récupérer

(en temps normal avec un revenu) qu’après la fin du processus de production.

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 Le second apport des physiocrates consiste à montrer les avantages de la liberté du commerce et

les méfaits des règlements de l’Ancien Régime qui empêchent les hommes et les marchandises

de circuler. Pour F. Quesnay par exemple, la misère des campagnes est directement liée à l’interdiction

d’exporter les grains dans les périodes d’abondance (pour en garantir un bon prix) et de pouvoir en

acheter plus loin en période de mauvaises récoltes.

Dans son livre Le détail de la France (1697), Pierre de Boisguilbert considère également que

l’instauration de la liberté de commerce du grain favoriserait l’enrichissement de la nation en permettant

d’étendre les marchés au niveau national comme international. De même, dans Éloge à Vincent de

Gournay (1759), A. R. Turgot expose la préconisation suivante : « laissez faire les hommes, laissez

passer les marchandises » selon la formule célèbre du marquis de Gournay reprise par Turgot. Selon

ce dernier, il existe en France un réseau serré de réglementations hérité de la période mercantiliste

qui bénéficie à des corporations mais bride la progression des richesses dans l’économie

nationale. Turgot montre ainsi qu’il existe des « statuts sans nombre dictés par l'esprit de monopole,

dont tout l'objet est de décourager l'industrie, de concentrer le commerce dans le plus petit nombre de

mains possibles par la multiplication des formalités et des frais, par l'assujettissement à des

apprentissages et des compagnonnages de dix ans, pour des métiers qu'on peut savoir en dix jours, par

l'exclusion de ceux qui ne sont pas fils de maîtres, de ceux qui sont nés hors de certaines limites, par la

défense d'employer les femmes à la fabrication des étoffes, etc. ».

Ainsi, par leurs écrits, les physiocrates ont ainsi contribué à la diffusion des idées libérales.

L’économie est pensée comme un système autonome dont il ne faut pas entraver la mécanique

autorégulatrice. Cette conception conduit à séparer pour la première fois l’ordre économique et l’ordre

politique.

Mais les physiocrates traitent peu de la question de la valeur et se trompent en assimilant la richesse

aux seules productions agricoles.


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❶ Pourquoi faire de la pensée économique ?

Étudier l’histoire de la pensée économique (HPE) implique de débuter par un questionnement sur l’intérêt

d’étudier l’histoire d’une science.

La question de l’utilité de ce détour mérite en effet d’être posée : a priori qui se soucie de l’auteur

des courbes d’offre et de demande par exemple ou du modèle d’offre et de demande agrégée ? Seuls

pourraient compter les outils conceptuels qui permettent de comprendre le réel contemporain.

Mais Joseph A. Schumpeter (1883-1950) dans son Histoire de l’analyse économique (1954) liste trois

avantages :

 le premier est pédagogique : les concepts sont plus faciles à comprendre lorsqu’ils sont resitués

dans leur contexte d’émergence (la demande effective dans les années 1930 ou le monétarisme dans

les années de forte inflation) ;

 le second est celui de l’inspiration pour les économistes : les concepts et analyses anciens

nourrissent la réflexion contemporaine. Comme toute science, la production du savoir en science

économique relève d’un processus cumulatif dont on ne peut saisir les contours que par l’étude

de l’historicité des concepts. Par exemple, Philippe Aghion s’inspire de l’analyse de la croissance

d’Adam Smith (1723-1790) et de la destruction créatrice de Joseph A. Schumpeter. De même, Robert

Gordon ou Lawrence Summers sur la stagnation séculaire s’inspirent des analyses d’Alvin Hansen

(1187-1975) qui datent de 1939 et des concepts de Knut Wicksell (1851-1926) ;

 le troisième est épistémologique. Quand on fait de l’HPE, on fait l’étude de la façon dont la

construction des savoirs avance.

Sur ce dernier point, J. A. Schumpeter et Mark Blaug (Economic Theory in Retrospect, 1962) à sa suite,

identifient une double dynamique de la pensée économique.

 Une dynamique interne tout d’abord.

 Certains travaux ouvrent de nouveaux programmes de recherche : par exemple, Keynes ouvre

le champ de la macroéconomie appliquée et incite d’autres auteurs comme Roy F. Harrod (1900-1978)

et Evsey Domar (1914-1997) à explorer des domaines non étudiés par Keynes comme celui de la

croissance économique (le moyen terme).

 Les insuffisances des diverses analyses suscitent des travaux destinés à les combler : ainsi,

l’hypothèse des anticipations rationnelles tente de surmonter l’éventuelle contradiction entre la rationalité

des agents économiques et le fait que leurs anticipations ne le soient pas. Les travaux de Paul Romer

surmontent la contradiction entre la loi des rendements décroissants et l’existence de la croissance

économique.

 Enfin, les controverses entre économistes au sein du champ scientifique obligent ces derniers

à préciser leur argumentation. La critique de la Nouvelle Economie Classique (NEC) par exemple sur

l’absence de fondement microéconomique de l’analyse keynésienne conduit la Nouvelle Economie

Keynésienne (NEK) à travailler sur les raisons de la rigidité des prix.

 Mais l’avancée de la connaissance a également une dynamique externe lorsque les travaux sont

bousculés par des phénomènes économiques nouveaux qui mettent leurs cadres conceptuels en

difficulté. Ainsi la crise des années 1930 ne peut pas être expliquée avec les outils de la théorie néo-

classique, la stagflation des années 1970 ne peut être expliquée par l’analyse keynésienne, la faiblesse

Licence Économie et Gestion – L1 S1 EG 2024-2025

2/6 Université de Polynésie française (UPF) S. Slimani

de la croissance malgré les NTIC dans les années 2000 est également énigmatique, etc. Ces éléments

fonctionnent comme des anomalies au sens de Thomas Kuhn (1922-1996) qui les définit comme des

énigmes non ou partiellement résolues mettant en défaut les conditions d'application du paradigme en

place (La Structure des révolutions scientifiques, 1962). Ces anomalies impliquent de modifier les outils

de l’analyse économique.

 Notre problématique :

Comment s’est construit et a évolué le discours scientifique en économie ? Comment l’économie définit-

elle ses objets d’étude et sa méthodologie ? Existe-t-il des grandes questions économiques qui

traversent la pensée économique ? Quels sont les liens entre les grands courants de pensée ? Assiste-

t-on à des moments de révolution de la pensée économique ?

 Notre fil directeur :

Nous aborderons successivement la pensée mercantiliste, l’école physiocratique, la rupture classique,

la révolution marginaliste et ses prolongements, puis les travaux de John Maynard Keynes.

Nous présenterons ensuite les développements de la microéconomie et de la macroéconomie de la

Seconde Guerre mondiale à nos jours.

❷ Pourquoi commencer notre analyse au XVIe siècle ?

Les premiers écrits relatifs à l’économie remontent à l’Antiquité avec les réflexions de Platon (427-347

av. J-C) et d’Aristote (384-322 av. J.C.). Pour Aristote, l’économique correspond à l’art du maître qui

dirige sa maison ou sa famille, c’est-à-dire qui organise l’activité de production à partir de ce qu’il

possède (terres, bétail et esclaves) dans le but de satisfaire la consommation familiale.

Le terme « économique » est formé à partir des termes de loi (nomos) et de maison (oikos). La

réflexion d’Aristote porte notamment sur les rapports entre l’ « économique » et l’art d’acquérir des

richesses qu’il nomme la chrématistique. Dans cette perspective, il distingue une chrématistique

naturelle qui relève de l’économie et une chrématistique proprement dite ou commerciale qui n’en relève

pas. Alors que la première consiste à acquérir les biens nécessaires à la vie de la famille et non produits

par celle-ci, la seconde est condamnable puisque l’échange est uniquement motivé par le gain de

l’échange.

La pensée scolastique1 qui se développe entre le IXe siècle et la fin du XIIIe siècle reprend le

principe de cette séparation entre l’échange nécessaire et l’échange pour le gain mais assouplit la

condamnation du second. Saint Thomas d’Aquin (1225-1274) dans Somme théologique (1226-1273)

considère en effet que le commerce peut être honnête si le gain obtenu est utilisé à des fins moralement

bonnes. En revanche, le prêt à intérêt (nommé usure2), fermement condamné par l’Église catholique,

demeure immoral. Ces principes sur l’économie constituent encore aujourd’hui la doctrine économique

de l’Église, notamment l’idée de « moraliser » le fonctionnement de l’économie.

Ces premiers écrits sur l’économie ne sont pas considérés comme le début de la science

économique dans la mesure où les pensées aristotélicienne et scolastique relèvent de discours

normatifs et non positifs.

Platon et Aristote cherchent à trouver les principales règles économiques qui garantiraient le règne

de la justice dans la cité. Saint Thomas d’Aquin réfléchit à ce qui serait conforme à la morale religieuse.

La formation du prix l’intéresse moins que son caractère juste ou injuste. Dans sa Somme théologique,

il développe l’idée que le juste prix dépend de l’utilité du bien mais aussi de la peine de l’artisan et des

dépenses engagées par celui-ci.

Progressivement ces réflexions seront fragilisées par le raisonnement hypothétique porté par les

philosophes franciscains3 qui introduisent en économie l’idée de la causalité et des principes

1 La pensée scolastique tente de concilier la philosophie grecque et la théologie chrétienne.

2 L’usure est, chez Saint Thomas d’Aquin, synonyme d’intérêt. Il ne doit pas être entendu au sens moderne de taux d’intérêt

excessif.

3 Fondé sur la pensée et les actions de François d'Assise, ce mouvement monarchique est connu pour les idéaux de pauvreté

et de fraternité qu'il véhicule. Si les franciscains sont principalement vus à travers l'ordre principal des frères mineurs ou celui

des capucins, des ordres féminins et un ordre laïque appartiennent également à ce courant. L'ordre des frères mineurs

apparaît en 1209. Son développement est très rapide et le mouvement devient l'un des courants monarchiques les plus

influents au Moyen Âge. Si l'ordre des frères mineurs a progressivement perdu la place dominante qu'il occupait au Moyen

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mécaniques (le concept d’équilibre par exemple). Au XVIIIe siècle, l’économie passe progressivement

d’un discours moral à une science. Notre étude débute aux prémices de la science économique.

1. L’émergence de la pensée économique avant la science économique

À partir de la seconde moitié du XVe siècle, l’Europe connaît une dynamique économique inédite, à la

fois marchande (avec notamment le développement des foires) et financière dans un contexte intellectuel

également nouveau qui est celui de la Renaissance. La constitution progressive des États nationaux met

fin au féodalisme, les découvertes de nouveaux territoires permettent l’exploitation de nouvelles

richesses (notamment des métaux précieux) ; plus largement, le contexte culturel favorise la liberté

intellectuelle dans les domaines scientifiques et philosophiques. L’extension de ce capitalisme

commercial marque la fin de la pensée scolastique à tout le moins sur le plan économique : ce

n’est plus dans le cadre familial qu’il est légitime de penser les activités de création de richesses

mais dans celui de la nation. Au XVIIIe siècle, l’économie passe progressivement d’un discours moral

à une science.

1.1. Le mercantilisme et la puissance des États

1.1.1. Le « système mercantile », une définition

Le mercantilisme n’est pas la doctrine d’une véritable école économique, conçue par un chef de

file et précisée ensuite par des disciples. C’est un terme (polémique) inventé après coup par A. Smith

qui parle de « système mercantile » pour dénigrer un ensemble de doctrines et de pratiques politiques

et économiques qui s’étendent sur trois siècles entre le milieu du XVIe siècle et le début du XVIIIe

siècle.

Ces réflexions diffèrent des réflexions morales et religieuses des scolastiques. Les auteurs ne sont

plus des théologiens mais des hommes de l’art : des hommes d’état comme Jean-Baptiste Colbert

(1619-1683) ou Jacques Necker (1732-1804) qui sont ministres des finances, des magistrats comme

Jean Bodin (1530-1596), des marchands comme Thomas Mun (1571-1641) qui est l’un des directeurs

de la Compagnie des Indes Orientales, et des financiers comme John Law (1671-1729) et Richard

Cantillon (1680-1734). La réflexion économique se détache donc de la morale et de la religion

mais reste attachée au politique car le but ultime de leurs écrits (pamphlets, mémoire, rapports)

est de conseiller le prince.

Ce sont ainsi des auteurs mercantilistes qui sont à l’origine de l’expression « économie politique

». Celle-ci est proposée pour la première fois par Louis Turquet de Mayenne (1550-1618) à la fin du

XVIe siècle puis reprise et popularisée par Antoine de Montchrestien en 1615 dans son Traité de

l’économie politique. Contre la pensée aristotélicienne et scolastique, Montchrestien montre que la

réflexion économique est, d’une part, devenue un problème public et qu’elle doit s’affranchir de la sphère

domestique et, d’autre part, qu’elle implique une rupture vis-à-vis de la morale divine (on peut à ce titre

parler d’une sécularisation de la pensée économique). Le mercantilisme se caractérise ainsi par un

changement d’attitude vis-à-vis de l’économie qui a dorénavant pour vocation de conseiller le pouvoir

politique afin qu’il stimule la hausse des richesses et augmente sa puissance et par là-même celle de la

nation tout entière ; c’est en ce sens que l’économie devient politique. Plus précisément, la doctrine

mercantiliste est conduite à considérer l’économie sous deux angles complémentaires : en premier lieu

l’enrichissement des marchands (mercanti signifie marchand en italien) et de la nation ; en second lieu,

la puissance de l’État.

1.1.2. Les idées mercantilistes

Âge, le mouvement franciscain reste vivace à travers les époques, notamment grâce à la fondation de nouveaux ordres, et

continue d'influencer profondément la société. Par exemple, l'abbé Pierre et le père Joseph, dont les actions ont profondément

marqué la société française moderne, furent tous deux capucins.

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Il est possible de regrouper les divers courants mercantilistes autour de quelques idées qui caractérisent

chacun d’entre eux :

 Le populationnisme : les auteurs de ce courant considèrent qu’une population nombreuse est un

facteur de puissance et de richesse. J. Bodin est l’auteur de la formule célèbre « Il n’est de richesse

ni de force que d’hommes ». Une population nombreuse garantit une main d’œuvre abondante et peu

onéreuse. La diminution de la population espagnole avec l’expulsion des juifs et l’émigration vers le

nouveau monde est mise en lien avec l’affaiblissement de la puissance espagnole.

 Le nationalisme économique : Dans l’optique mercantiliste, le commerce extérieur est un jeu à

somme nulle : « nul ne gagne qu’un autre ne perde » selon la formule de Montchrestien. C’est pour

cette raison que les auteurs mercantilistes sont attachés à l’objectif d’équilibre de la balance commerciale

voire à une situation d’excédent commercial durable. Dans cette approche, l’accent est mis sur la

circulation des richesses plus que sur leur production. Le modèle de l’économie domestique perdure

chez les mercantilistes : une nation doit équilibrer ses recettes et ses dépenses comme une famille.

Même si les mercantilistes parviennent à distinguer les biens produits et le moyen de paiement de ces

biens, ils considèrent cependant que seule une hausse des devises permet l’enrichissement de la nation

au dépens des autres. C’est pourquoi les mercantilistes anglais préconisent de développer une industrie

de réexportation capable d’importer des matières premières avant de les revendre sous la forme de

produit fini avec profit. Ce nationalisme économique, très critiqué par A. Smith, va déboucher sur des

conflits politiques armés (Pays-Bas/Angleterre ou France/Angleterre).

 L’importance du rôle économique de l’État : La doctrine mercantiliste considère que l’économie

politique a vocation à s’adresser au souverain pour lui permettre d’enrichir la nation. Il s’agit d’une

des premières doctrines qui prône un interventionnisme étatique. L’État doit favoriser le commerce

extérieur avec une réglementation favorable aux exportations de produits manufacturés notamment et

défavorable aux importations mis à part les produits primaires (qui seront transformés puis réexportés).

Le contrôle des changes est également souvent préconisé.

Ce type de politique se développe en France sous l’influence de Richelieu (sous Louis XIII) et

surtout de J.-B. Colbert (sous Louis XIV). Celui-ci crée, par exemple, les chambres de commerce et

les compagnies nationales chargées de développer le commerce avec le monde. Enfin, pour les

mercantilistes, l’État doit aussi favoriser le développement de l’industrie nationale : « la seule véritable

richesse provient du travail industriel des sujets du monarque » (Colbert) ; notamment pour les

productions qui sont les plus rentables mais aussi les plus coûteuses si on les développe à grande

échelle. Sous l’influence de Colbert par exemple, l’État sous le règne de Louis XIV favorise l’installation

de plus de 400 manufactures après avoir conduit des enquêtes sur les besoins du pays (la première du

genre). La manufacture de Beauvais créée en 1664 par Colbert est un bon exemple d’interventionnisme

industriel dont le but est de contrer les manufactures de tapisseries dans les Flandres.

Il en va de même en Angleterre où, en 1651, le Parlement vote une loi, les Actes de navigation,

qui donne le monopole du transport des marchandises aux navires britanniques en provenance des

colonies. C’est en ce sens que l’on parle aujourd’hui de politiques mercantilistes lorsque l’on désigne les

politiques économiques qui cherchent à protéger l’économie nationale de la concurrence étrangère.

 La primauté de la richesse monétaire : Les mercantilistes associent la puissance de l’État avec la

quantité de métaux précieux (or et argent). À cet égard, le commerce international est un moyen pour

attirer les métaux précieux sur le territoire dès lors qu’à l’aide d’une politique commerciale efficace, on

parvient à limiter les importations (donc les sorties d’or) et à stimuler au contraire les exportations (et

donc les entrées d’or).

Dans sa version radicale, le mercantilisme qui se développe dans la péninsule ibérique et qui prend

le nom de bullionisme (bullion signifie « lingot » en anglais) à partir du XVIe siècle, considère que la

richesse nationale dépend seulement de l’accumulation de métaux précieux par le Royaume. Cette

confusion entre richesse monétaire et richesse réelle a légitimé le pillage du nouveau monde pour

rapporter l’or et l’argent en Europe mais surtout a conduit à une hausse des prix qui a finalement ruiné

l’agriculture et l’industrie espagnoles pendant que les autres pays européens développent leur production

et leurs exportations vers l’Espagne. Cette fascination pour le métal s’explique sans doute par le fait que

durant la première moitié du XVIe siècle, c’est l’Espagne de Charles Quint qui est la première puissance

européenne et qui possède les mines d’Amérique.

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La vision des mercantilistes est néanmoins plus complexe : le bullionisme est rejeté par de nombreux

mercantilistes et certains d’entre eux, comme J. Bodin ou William Petty (1623-1687), pressentent les

liens entre quantité de monnaie et prix. Les premières pierres de la théorie quantitative de la monnaie

sont ainsi posées par des mercantilistes4

.

1.2. Les physiocrates et le circuit économique

La conception physiocratique est issue des œuvres de François Quesnay (1694-1774) publiées par

Pierre Samuel Dupont de Nemours (1739-1817) qui impose le terme de physiocratie en réunissant

deux mots grecs (physis, la nature, et kratos, la puissance)5

. « Physiocratie » signifie littéralement

« gouvernement de la nature ».

Pour beaucoup d’historiens de la pensée économique, la physiocratie est la première école de

pensée économique car elle réunit pour la première fois trois éléments : un programme, un leader

intellectuel (F. Quesnay) et des disciples (le marquis Victor Riquetti de Mirabeau 1715-1789, Jean-

Claude Marie Vincent, marquis de Gournay 1712-1759, Pierre-Paul Lemercier de La Rivière de Saint-

Médard 1719-1792) qui se réunissent tous les mardis soir chez F. Quesnay.

Les physiocrates s’appellent eux-mêmes des économistes et ambitionnent de faire œuvre

scientifique en révélant les lois de l’ordre naturel économique6 auxquelles toutes les classes, y compris

la Noblesse, doivent se soumettre. Ils ambitionnent ainsi comme les mercantilistes avant eux, de

conseiller les pouvoirs publics. Ainsi, Anne Robert Jacques Turgot (1727-1781), sous Louis XVI,

appliquera, non sans difficultés, les principes physiocratiques.

L’apport de l’école physiocratique est double :

 Le premier est tout d’abord lié à la représentation de l’économie sous la forme d’un circuit (idée

développée initialement par Pierre Le Pesant de Boisguilbert, 1646-1714) mais aussi à l’importance

que Quesnay donne à l’agriculture (en rupture avec la priorité donnée par l’État à l’industrie et au

commerce).

Dans Le tableau économique (1758), Quesnay considère que l’agriculture est la seule activité à

même de dégager un produit net, c’est-à-dire à produire plus que les ressources qu’elle utilise grâce

à ce qu’il appelle le « don gratuit de la nature » (l’énergie du soleil par exemple). Les autres activités ne

consistent qu’à transformer les produits agricoles.

Le circuit économique qu’il construit (nommé « Zigzag ») étudie la circulation des richesses entre

trois classes7. La classe productive se livre à l’agriculture et est la seule à fournir un produit net. La

classe des propriétaires est composée du clergé et de la Noblesse. Elle met ses terres à disposition

des agriculteurs, du matériel pour produire (charrues, bœufs, chevaux) et des semences et biens de

consommation avancés aux agriculteurs. C’est ce qu’il nomme l’avance foncière8). Enfin, la classe

stérile comprend tous les citoyens occupés à des activités autres que l’agriculture : ce sont les artisans

et les commerçants qui transforment les produits agricoles sans leur ajouter de la valeur. Le revenu créé

par la classe productive est versé aux propriétaires fonciers qui achètent des marchandises aux

agriculteurs et à la classe stérile et reconstituent l’avance foncière. La classe stérile vend sa production

aux deux autres classes et achètent des produits aux agriculteurs.

Ce tableau peut être considéré comme un premier modèle macroéconomique. Il présente une

portée heuristique importante et sera d’ailleurs repris ultérieurement dans les analyses de Karl Marx

(1818-1883) ou encore dans la matrice de Wassily Leontief (1906-1999, prix Nobel en 1973).

4 Néanmoins, ce qui en fait des mercantilistes tout de même, c’est le fait qu’ils considèrent que l’inflation est favorable à la

croissance économique (c’est précisément sur ce point que Keynes leur rend hommage dans sa Théorie générale).

5 Le néologisme « Physiocratie » est mentionné pour la première fois par l'abbé Nicolas Baudeau, dans les Éphémérides du

citoyen en avril 1767 ; il apparaît ensuite en novembre de la même année comme titre du recueil d'écrits de Quesnay publié

par Dupont de Nemours.

6 F. Quesnay est un médecin. Il étudie l’économie comme un organisme vivant.

7 Quesnay utilise pour la première fois ce vocable subversif de « classe ».

8 Ce terme d’avance sera ensuite repris par les classiques et par Marx. C’est une modalité de prise en compte du temps dans

l’analyse économique. Il faut avancer des moyens de production au début du processus de production, pour ne les récupérer

(en temps normal avec un revenu) qu’après la fin du processus de production.

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 Le second apport des physiocrates consiste à montrer les avantages de la liberté du commerce et

les méfaits des règlements de l’Ancien Régime qui empêchent les hommes et les marchandises

de circuler. Pour F. Quesnay par exemple, la misère des campagnes est directement liée à l’interdiction

d’exporter les grains dans les périodes d’abondance (pour en garantir un bon prix) et de pouvoir en

acheter plus loin en période de mauvaises récoltes.

Dans son livre Le détail de la France (1697), Pierre de Boisguilbert considère également que

l’instauration de la liberté de commerce du grain favoriserait l’enrichissement de la nation en permettant

d’étendre les marchés au niveau national comme international. De même, dans Éloge à Vincent de

Gournay (1759), A. R. Turgot expose la préconisation suivante : « laissez faire les hommes, laissez

passer les marchandises » selon la formule célèbre du marquis de Gournay reprise par Turgot. Selon

ce dernier, il existe en France un réseau serré de réglementations hérité de la période mercantiliste

qui bénéficie à des corporations mais bride la progression des richesses dans l’économie

nationale. Turgot montre ainsi qu’il existe des « statuts sans nombre dictés par l'esprit de monopole,

dont tout l'objet est de décourager l'industrie, de concentrer le commerce dans le plus petit nombre de

mains possibles par la multiplication des formalités et des frais, par l'assujettissement à des

apprentissages et des compagnonnages de dix ans, pour des métiers qu'on peut savoir en dix jours, par

l'exclusion de ceux qui ne sont pas fils de maîtres, de ceux qui sont nés hors de certaines limites, par la

défense d'employer les femmes à la fabrication des étoffes, etc. ».

Ainsi, par leurs écrits, les physiocrates ont ainsi contribué à la diffusion des idées libérales.

L’économie est pensée comme un système autonome dont il ne faut pas entraver la mécanique

autorégulatrice. Cette conception conduit à séparer pour la première fois l’ordre économique et l’ordre

politique.

Mais les physiocrates traitent peu de la question de la valeur et se trompent en assimilant la richesse

aux seules productions agricoles.

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