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Post-Bac
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Histoire des institutions

Introduction générale :

L’objet du cours est d’étudier l’évolution des institutions administratives, politiques et judiciaires, de la chute de l’Empire romain d’Occident (476) jusqu’à avant la Révolution française. Ce parcours met en lumière les étapes de l’émergence de l’État moderne, en explorant les notions de pouvoir, de souveraineté et les bases des textes juridiques modernes.

  • Une institution (du latin instituere, « ce qui demeure ») se caractérise par sa durée et sa stabilité. Au Moyen Âge, elle désigne soit l’acte de création ou d’instruction, soit le cadre juridique de l’action des gouvernements. Ce cours se concentre sur les institutions administratives, politiques et judiciaires, excluant les institutions sociales.
  • L’État repose sur trois éléments essentiels : un territoire, stabilisé en France dès le IXᵉ siècle après le partage de l’Empire carolingien (843) ; une population, rattachée juridiquement à l’État ; et une autorité publique, exerçant un pouvoir légitime et souverain, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Les institutions étatiques s’organisent autour des fonctions régaliennes.
  • La nation précède l’État moderne. Elle apparaît au XIIIᵉ siècle avec l’unification du royaume sous le roi. L’État moderne émerge au XVIᵉ siècle grâce à la conception de la souveraineté, mais le lien entre État et nation se consolide seulement au XIXᵉ siècle, lorsque l’État devient la personnification de la nation.


Partie 1 : Les origines des institutions publiques françaises (Vème-Xème siècle).

L’époque franque se comprend à travers trois traditions : romaine, chrétienne et germanique. La Gaule, province romaine depuis le IIème siècle avant J.C., voit se mêler l’héritage de l’Empire romain, le christianisme et les influences des peuples germaniques, notamment les Francs, qui s’établissent sur ses vestiges à partir du Vème siècle.


Chapitre 1 : Les mérovingiens : la naissance d’un modèle juridique original.

La période franque débute avec la chute de l’Empire romain d’Occident en 476, lorsque le dernier empereur romain est déposé. Les royaumes romano-barbares se forment alors, et les Francs s’installent en Gaule, établissant leur royaume à partir du Vème siècle.


Section 1 : La construction du pouvoir royal.

I) L’établissement du royaume des Francs et la conquête militaire.

Les Francs, contrairement à d'autres barbares, arrivent en Gaule comme conquérants. Clovis, leur chef, bat Syagrius à Soissons en 486, mettant fin à la domination romaine. Il poursuit ses conquêtes, notamment contre les Wisigoths, et établit des alliances stratégiques, notamment par son mariage avec Clotilde. Après sa victoire à Tolbiac, il se convertit au christianisme et agrandit son royaume, qui s’étend du Rhin aux Pyrénées, consolidant ainsi un pouvoir royal légitime.


II) La construction d’un pouvoir royal légitime.

Clovis a renforcé son pouvoir royal en établissant une collaboration inédite avec l’Église de Gaule, ce qui a permis de légitimer son autorité auprès des élites gallo-romaines. Cette alliance a facilité l’unification du royaume.


A) La collaboration entre le roi et les Églises de Gaule.

L’Église, unique institution organisée après la chute de l’Empire romain, devient un soutien crucial pour Clovis. En épousant Clotilde, une princesse catholique, et en se convertissant au christianisme, Clovis gagne la légitimité religieuse. Son baptême à Reims, avec 3 000 de ses guerriers, renforce son autorité. Ce geste a aussi une portée politique : en 508, il est reconnu par l’empereur d’Orient Anastase, qui lui remet les insignes du consulat, un signe de légitimité romaine. Clovis devient ainsi un roi catholique, tout en maintenant des liens avec la romanité.

Le concile d’Orléans de 511 marque l’apogée de cette collaboration, avec la soumission de l’Église de Gaule sous le contrôle royal, renforçant ainsi l'autorité de Clovis et réduisant l’indépendance de l’Église.


B) Le contenu du pouvoir du roi franc.

Le roi franc est un chef charismatique, guerrier et chrétien. Il combine des traditions germanique et romaine, prenant les titres de « roi auguste » et « princeps ». Son pouvoir repose sur deux prérogatives principales : le bannum et le mundium.


1) Le bannum : un pouvoir de commandement.

Le bannum, ou pouvoir de commandement, permet au roi d’imposer des ordres et des interdictions. Ce pouvoir, d’origine militaire germanique, donne au roi le droit de convoquer l'armée, de lever des impôts et de sanctionner ceux qui enfreignent ses décisions. Le roi peut également prononcer des peines sévères contre ceux qui défient son autorité, allant jusqu'à autoriser l'exécution de ceux qu'il considère comme « forban », c’est-à-dire hors de sa protection. Le bannum ouvre aussi la voie à la législation royale, avec les capitulaires, des actes législatifs à portée publique.


2) Le mundium : un pouvoir de protection.

Le mundium, hérité du pouvoir patriarcal germanique, confère au roi un pouvoir de protection sur ses sujets, comparable à celui d’un chef de famille. Il garantit la paix et la justice, accordant la protection à ceux qui se soumettent à son autorité, notamment les veuves et orphelins. Le roi peut imposer une amende, le wergeld, en cas de rupture de la paix. Une personne qui refuse de payer cette amende peut être mise hors la loi et exécutée. Les francs ne distinguent pas la sphère publique de la sphère privée, considérant le royaume comme une extension du patrimoine familial, ce qui complique la transmission du pouvoir.


3) Le problème de la transmission du pouvoir.

a) Le principe du partage.

Clovis considérait ses conquêtes territoriales comme un agrandissement de son patrimoine personnel plutôt que de l’expansion d’un État. Le royaume (regnum) était vu comme une propriété privée qui devait être partagée entre les héritiers masculins, qu'ils soient légitimes ou non, selon la lex salica. Cette loi excluait les femmes de la succession, et les descendants mâles, y compris les collatéraux, héritaient du royaume. À la mort de Clovis en 511, son royaume fut divisé entre ses quatre fils :

  • Thierry : nord-est avec Reims pour capitale,
  • Clodomir : vallée de la Loire avec Orléans pour capitale,
  • Childebert : île de France avec Paris pour capitale,
  • Clotaire : nord du royaume avec Soissons pour capitale.


b) Les tempéraments.

Le partage du royaume ne compromettait pas l'unité du pouvoir. Le premier tempérament à cette division fut la fondation d'une dynastie, celle des Mérovingiens, dont l'origine mythique est attribuée à Mérovée, un personnage légendaire. Clovis, à travers les clercs, confère à sa lignée une origine divine. Cela renforce l’idée que seul ses descendants directs peuvent légitimement se partager le royaume. Un second tempérament est le système des parts de royaumes, qui ne remet pas en question l’unité du royaume des francs, chaque héritier portant le titre de « roi des francs » mais sans gouverner un royaume autonome. Les luttes entre héritiers, comme celles sous Clotaire Ier, Clotaire II, ou Dagobert Ier, peuvent fragiliser le pouvoir et favoriser l'ascension des maires du palais, responsables de l’administration royale, notamment pendant la période des rois fainéants (673-751).


Conclusion :

À la fin du VIème siècle, le royaume des francs était divisé en trois parts : l'Austrasie (vallée du Rhin), la Neustrie (entre la Somme et la Loire), et la Burgondie (Paris, Orléans, et Alpes). Malgré cette division, les Mérovingiens parvinrent à établir une organisation administrative et judiciaire commune à l’ensemble du royaume.


Section 2 : L’organisation administrative et judiciaire.

I) L’organisation administrative.

L’organisation administrative des Mérovingiens se distingue par la coexistence d’une administration centrale, ou administration palatine, et une administration locale confiée à un agent unique, le comte.


A) L’administration palatine.

Le terme "administration palatine" fait référence à l’institution du palais, héritée de la fin de l’Empire romain. Le palais impérial romain rassemblait l’ensemble du personnel autour de l'empereur, comprenant des conseillers et domestiques. Les rois francs ont conservé cette institution mais l'ont assouplie, adaptant le modèle à la tradition germanique en y introduisant l'itinérance du palais et l’hérédité des hautes charges. L’administration palatine se compose de deux cercles principaux :

  • Le cercle des familiers du roi, incluant la famille royale et la garde personnelle du roi (la truste royale), composée de guerriers liés par serment de fidélité au roi.
  • Le cercle des officiers du palais, responsables du bon fonctionnement du palais, assurant des fonctions à la fois privées et publiques.

Les principaux officiers du palais sont :

  • Le référendaire, à la tête de la chancellerie, rédigeant et conservant les actes royaux.
  • Le cubiculaire ou chambrier, servant le roi dans sa chambre et gardant le trésor royal.
  • Le monétaire, supervisant la frappe des monnaies royales.
  • Le maréchal ou connétable, dirigeant les écuries royales et l’armée.

Les officiers du palais sont principalement des laïques instruits, souvent issus de familles aristocratiques qui envoyaient leurs enfants à la cour pour y être éduqués et former une réserve de futurs fonctionnaires. Par ailleurs, des conseillers ecclésiastiques sont également présents à la cour, assurant des fonctions religieuses et administratives.

Le maire du palais est un personnage clé, nommé et révoqué par le roi, qui organise la vie matérielle du palais et exerce un pouvoir de direction et de discipline sur ses membres. Ce rôle devient progressivement héréditaire et se fixe dans des grandes familles comme celle des Pépinides, fondatrice de la dynastie carolingienne. Charles Martel, maire du palais, exerce une autorité réelle sur le royaume, et son fils, Pépin le Bref, consolide cette puissance.

L’administration palatine est présente dans toutes les parts du royaume des Francs, garantissant une certaine uniformité administrative à travers le territoire.


B) L’administration locale.

Après la chute de l'Empire romain, la cité reste le centre de la vie locale, regroupant l'administration, l'économie, la culture, et la religion, avec l’évêque résidant dans la cité. Le royaume franc est divisé en pagi (comtés), dirigés par des comtes.


1) Le statut du comte.

Le terme "comte" provient du latin comes, signifiant "compagnon", désignant un proche du roi. Il est un fonctionnaire choisi parmi les fonctionnaires du palais, devant prêter serment de fidélité. Le comte reçoit une rémunération sous forme de terres fiscales et d'une part des amendes de son tribunal. Il est nommé pour une durée indéterminée, et peut être révoqué à tout moment.


2) Les attribution du comte.

Le comte exerce des pouvoirs civils, militaires et judiciaires au nom du roi. Il préside le tribunal itinérant, collecte les impôts et droits de péage, et organise le recrutement militaire. Le roi, en déléguant ces pouvoirs, cherche à canaliser l’aristocratie, mais la concentration de pouvoirs dans les mains du comte peut entraîner des abus. Les rois tentent de renforcer leur contrôle en créant des duchés, mais cela échoue souvent, soit par l’incapacité des ducs à s'imposer, soit par leur montée en puissance au détriment du roi.


3) Le rôle de l’évêque dans le comté. 

L’évêque joue un rôle religieux et administratif. En plus de gérer son église, il collabore avec le comte pour organiser la cité, et peut parfois le remplacer. L’évêque est également impliqué dans des travaux publics (fortifications, soins aux pauvres) et prend le rôle de conciliateur ou d’arbitre dans les conflits. Il a un droit de contrôle sur les finances municipales et un rôle actif dans la défense de la cité contre les abus des fonctionnaires.


II) L’organisation judiciaire.

À l’époque mérovingienne, la justice se divise en deux principales juridictions : le tribunal de droit commun, le mallus, et la juridiction royale, le tribunal du palais, créé pour limiter la vengeance privée, un mode traditionnel de résolution des conflits.


A) Le tribunal de droit commun : le mallus.

La vengeance privée (faida) était courante dans la tradition germanique, où la justice était rudimentaire. Si la vengeance n’était pas exercée, les parties pouvaient se tourner vers le tribunal du mallus, qui reste influencé par ces pratiques, bien que le recours à la justice royale devienne plus fréquent au fur et à mesure de l’affirmation de l’autorité du roi.


1) L’organisation et le fonctionnement du mallus.

Le mallus est le tribunal de droit commun, compétent pour les affaires civiles et pénales. Il est présidé par le comte, représentant du roi, et réunit des juges non professionnels appelés rachimbourgs choisis parmi les hommes libres du comté, qui doivent participer à ses sessions sous peine d’amende. Le comte ne juge pas, mais préside et veille à l’application de la justice. En cas de déni de justice, le plaideur peut s’adresser directement au roi. Il n’y a pas de hiérarchie judiciaire ni de voie d’appel.


2) Les particularités de la procédure.

a) Une procédure accusatoire.

La procédure est accusatoire, ce qui signifie que les parties (accusation et défense) ont des rôles distincts et que le juge reste un arbitre. Le démarche commence par une citation, et si le défendeur ne se présente pas, il risque une amende, puis la confiscation de ses biens. Si le défendeur conteste, c’est à lui de prouver son innocence. La charge de la preuve pèse sur le défendeur, contrairement au droit romain où c’est le demandeur qui porte cette charge.

Le mallus n'utilise pas les preuves rationnelles du droit romain comme le témoignage ou la présomption, mais privilégie des preuves irrationnelles fondées sur des épreuves physiques, ou « jugements de Dieu ». Ces épreuves sont considérées comme révélatrices de la vérité divine, démontrant l’innocence ou la culpabilité du défendeur à travers des épreuves physiques.


b) Le serment purgatoire.

Le serment purgatoire permet à l’accusé de se disculper en prenant Dieu à témoin. L’accusé prête ce serment en présence de co-jureurs (proches comme parents ou voisins), qui ne valident pas les faits mais garantissent sa moralité. Si ce serment est contesté, on recourt au duel judiciaire, où les parties (ou leurs champions) s’affrontent, la victoire revenant à celui qui triomphe. Il s’agit d’une ordalie, une épreuve physique. Il existe des ordalies bilatérales (opposition directe) et des ordalies unilatérales, comme l’ordalie du chaudron où l’accusé devait saisir un objet dans un chaudron d’eau bouillante. Si la cicatrice était bonne, l’accusé était innocent, sinon coupable.

Les ordalies étaient peu fréquentes chez les Mérovingiens, mais se développeront au XIIIe siècle.

Après la mort de Dagobert Ier, la rivalité des aristocrates et l’ascension des maires du palais marquent l’histoire du royaume. Ses deux fils régnent sans pouvoir réel, et la période des rois fainéants (673-751) voit l’ascension de Pépin le Bref, qui dépose Childéric III et amorce la transition vers la dynastie carolingienne.


B) Le tribunal du palais.

Le tribunal du palais est présidé par le roi, qui détermine seul les sessions. Il est compétent pour juger toutes les affaires liées au roi, à sa famille et à sa cour. Cependant, il ne constitue pas une juridiction d’appel des tribunaux de droit commun, car il n’existe pas de hiérarchie judiciaire.

Chapitre 2 : La royauté et l’empire carolingien (VIIIème-Xème siècle).

La dynastie carolingienne régna de 751 à 987, jusqu’à l’avènement des Capétiens. En 714, Charles Martel, maire du palais d'Austrasie, prend le contrôle du royaume des Francs, sans se déclarer roi. Ce n’est que son fils Pépin le Bref qui prendra ce titre. Ce changement marque une avancée décisive pour la royauté et la nation franque.


Section 1 : Les mutations politiques et institutionnelles.

I) Les fondements du pouvoir royal.

La légitimité du pouvoir de Pépin se pose, notamment vis-à-vis des Mérovingiens. Un changement brutal de dynastie aurait pu paraître illégitime, mais l’Eglise soutiendra Pépin. Le pouvoir royal repose sur deux éléments essentiels : l’élection et le sacre.


A) L’élection.

L’élection des rois francques est une tradition ancienne. Pour être roi, Pépin doit d’abord être élu par l’assemblée du royaume. Son rapprochement avec l’Église, notamment grâce à la famille des Pépinides, lui permet de gagner le soutien du clergé. Après la victoire de Poitier en 732, la famille Pépinide est respectée au sein de l’Église. L’Église aura un rôle décisif : le pape Zacharie soutient Pépin en affirmant qu’il vaut mieux qu’un roi soit celui qui détient le pouvoir, plutôt que celui qui ne l’a pas. Pépin fait alors enfermer le dernier roi mérovingien et est élu roi en 751.


B) Une référence à la royauté biblique.

Le sacre du roi ajoute une dimension divine à la royauté, en le plaçant au-dessus des autres laïques. Ce rite, bien que déjà présent dans l'Ancien Testament, est inédit à Rome ou à Byzance, où le principe héréditaire prévalait. Les Francs, dès Clovis, ont introduit le baptême comme un acte symbolique, mais ce dernier n’attribue pas de fondement religieux au pouvoir royal, contrairement au sacre.


1) L’introduction du sacre.

En 751, Pépin le Bref est sacré roi par le pape Boniface, et en 754, par le pape Étienne II à Saint-Denis, avec ses deux fils, Charles (futur Charlemagne) et Carloman.


2) L’apport du sacre à la royauté carolingienne.

Le sacre fait de Pépin le Bref un élu de Dieu, conférant une légitimité divine à son pouvoir. Le roi devient inviolable et son pouvoir ne peut plus être remis en question. Le sacre établit également la royauté héréditaire, le pape affirmant en 754 que la royauté doit rester dans la famille de Pépin. Le roi devient ainsi un chef temporel, tandis que le pape, chef spirituel, conserve une autorité universelle. Cette distinction des pouvoirs temporel et spirituel marquera des siècles de tensions entre l’Église et la royauté.

En 768, après la mort de Pépin, son fils Charlemagne lui succède, poursuivant l’héritage carolingien.


II) La restauration de l’empire.

Il convient de distinguer l'empire du royaume : l'empire a une vocation universelle, tandis que le royaume est limité par ses frontières. En 768, Charles Ier et son frère Carloman héritent du royaume, que leur père, Pépin le Bref, avait partagé entre ses deux fils. Les deux sont sacrés en 754, en même temps que leur père. En 771, à la mort de Carloman, Charles Ier prend seul le pouvoir et adopte le nom de Charlemagne. Pour consolider son pouvoir, il se lance dans une politique de conquêtes territoriales : il vainc les Lombards en 774 et devient roi des Lombards, conquiert le nord de l'Italie, soumet la Bavière et les Frisons en 785, et annexe la Saxe en 799. Charlemagne obtient, le 25 décembre 800, la couronne impériale du pape Léon III, ce qui marque la fondation d’un empire à vocation universelle.


A) Les enjeux politiques du couronnement impérial.

Le sceau du couronnement de Charlemagne mentionne "la restauration de l'Empire romain". Ce couronnement, le 25 décembre 800, intervient dans un contexte politique favorable, marqué par deux événements :

  • La situation du pape, contesté à Rome par une partie des nobles et jeté dans un monastère avant de s'échapper et solliciter Charlemagne.
  • La situation à Byzance, où l'impératrice Irène, après un coup d'État en 797, renverse son fils Constantin VI, mais un trône féminin est perçu comme vide.

Le couronnement a une dimension politique et religieuse, composé de trois rites :

  1. La remise de la couronne impériale par le pape Léon III.
  2. L'acclamation du peuple.
  3. La prosternation devant l'empereur, un rituel issu de l'Empire romain et repris à Byzance.

L'ordre de la cérémonie est significatif. Contrairement à l'usage oriental, où l'ordre commence par l'acclamation, le pape remet d'abord la couronne, ce qui symbolise que le pape est la source de tout pouvoir temporel. Selon Éginhard, une source importante de l'époque, Charlemagne aurait renoncé au couronnement s'il avait su l'ordre de la cérémonie.


B) Le ministère du roi et la naissance d’une théocratie impériale.

La théocratie désigne un régime où la légitimité du pouvoir découle de Dieu, entraînant une confusion entre pouvoir temporel et spirituel. Le couronnement de Charlemagne marque une transformation dans la conception du pouvoir : celui-ci devient un "ministère", une fonction confiée par Dieu pour défendre le peuple chrétien et maintenir la paix. Cette question soulève un débat : l'empereur doit-il répondre devant le pape ou directement devant Dieu ?

Dès lors, une lutte s'engage entre le pape et l'empereur pour incarner ce double pouvoir. Charlemagne, qui maîtrise ces deux pouvoirs, se présente comme le seul chef de l’Europe chrétienne. La théocratie s’articule autour de sa personne, et il est considéré comme l’universalisme politique de l’Europe, le phare vénérable de la chrétienté.


Section 2 : Les ambiguïtés de l’universalisme impérial.

L'universalisme impérial repose sur l'idée d'une unité, notamment territoriale. Bien que les Mérovingiens aient amorcé ce processus d'unification, les Carolingiens vont le poursuivre, en améliorant l'organisation administrative et judiciaire. Cependant, l'empire carolingien, sous l'effet du partage patrimonial de la royauté, voit son unité interne fragilisée.


I) La maîtrise administrative et judiciaire du territoire de l’empire.

L'Empire carolingien englobe l'ancien royaume des Francs ainsi que les territoires nouvellement conquis. Cela passe par une gestion entre le gouvernement central et l'administration locale, ainsi qu'une réorganisation judiciaire.


A) L’articulation entre gouvernement central et administration locale.

1) Le gouvernement central.

L'institution du palais perd la fonction de maire du palais, mais trois fonctionnaires jouent un rôle crucial devant l'empereur :

  • Le Sénéchal, un intendant général.
  • Le comte du palais, responsable de la hiérarchie judiciaire.
  • Le chancelier, chargé de la rédaction des actes législatifs, soulignant l'importance de l'écrit dans l'administration et le pouvoir législatif de l'empereur.

Le Sénéchal et le comte du palais héritent des fonctions du maire du palais. En parallèle, un état-major ecclésiastique, dirigé par l'archichapelain, conseille l'empereur et joue un rôle clé dans le régime théocratique.


2) L’administration locale.

La gestion de l'Empire repose sur les comtes, qui sont désormais considérés comme des ministres de l'empereur dans leurs circonscriptions. Charlemagne cherche à soumettre leur autorité et à assurer leur soumission, ce qui se manifeste dans la réorganisation de la justice.


B) La réorganisation de la justice.

Le système judiciaire subit une réforme majeure avec la création des missi dominici, des envoyés du maître, pour contrôler l'action des comtes.


1) La réforme du tribunal du mallus.

Charlemagne professionnelise la justice et restreint les compétences judiciaires des comtes. Le mallus devient un tribunal itinérant, les hommes libres devant assister à trois sessions annuelles obligatoires pour les procès majeurs. Charlemagne instaure des échevins, juges permanents et inamovibles, nommés à vie par l'empereur. Cela limite l'influence des comtes sur la composition des tribunaux. Cependant, le fait que les échevins soient souvent des vassaux des comtes limite l'efficacité de ce contrôle.


2) Les missi domini (envoyés du maître).

Pour renforcer le contrôle des comtes, Charlemagne met en place des missi dominici, envoyés en inspection dans des territoires correspondant à 5 à 10 comtés. Ces envoyés, un ecclésiastique et un laïque, ont un large pouvoir :

  • Ils peuvent ordonner des enquêtes générales.
  • Ils exercent la haute justice et peuvent casser des décisions judiciaires.
  • Ils ont le pouvoir d'évocation, c'est-à-dire de juger des affaires directement, à la place du tribunal local.

Bien que cette institution ait joué un rôle essentiel dans la centralisation du pouvoir, elle disparaîtra à la fin du XIXe siècle.


II) La fragilité de l’unité impériale.

L'unité de l'Empire carolingien est mise en péril par deux facteurs principaux :

  1. Le partage de l'Empire à la mort de Charlemagne : L'empire est divisé entre ses héritiers, ce qui fragilise son unité.
  2. Le développement des liens vassaliques : La multiplication des vassaux complique la gestion de l'Empire et renforce l'indépendance des seigneurs locaux, affaiblissant le pouvoir central.

A) Succession et partage de l’empire.

1) La succession de Charlemagne.

À la mort de Charlemagne, l’unité de l'Empire carolingien est mise en péril par la question de la succession. Charlemagne avait trois fils, et en 806, il prévoit de diviser l'Empire entre eux de manière égale. Cette décision se heurte à deux conceptions de la succession. D’une part, la vision d'une dignité impériale indivisible, dans laquelle l’Empire est perçu comme un tout unifié, et d’autre part, la tradition germanique du partage égalitaire, où les terres sont divisées entre les héritiers légitimes sans tenir compte de l’ancienneté. Charlemagne choisit la seconde option en 806, avec un partage égal des terres entre ses fils. Toutefois, seul Louis le Pieux, son fils cadet, survivra pour lui succéder après sa mort en 814, ce qui modifie l’équilibre du pouvoir prévu par Charlemagne.


2) La mise en ordre de l’empire.

Louis le Pieux, successeur de Charlemagne, renforce l’idée d'une succession impériale ordonnée et d’une hiérarchie stricte. En 817, il émet une ordonnance de succession qui établit que, bien que ses trois fils partagent des territoires, seul Lothaire, son fils aîné, sera couronné empereur. Les autres fils, Louis le Germanique et Pépin, obtiendront des royaumes, mais resteront sous la tutelle de Lothaire. Cette ordonnance prévoit de maintenir l’unité impériale tout en divisant le territoire. Cependant, la situation se complique avec l’arrivée du quatrième fils de Louis, Charles, qui n’est pas inclus dans la succession initiale, ce qui provoque une révolte de ses frères. La division entre les fils est donc contestée, et ce modèle de succession est profondément perturbé.


3) L’éclatement de l’empire carolingien.

Malgré les efforts pour maintenir l'unité de l’Empire, des tensions internes éclatent. Après la révision de la succession, Lothaire, bien qu’il conserve le titre d’empereur, se trouve en conflit avec ses frères, Louis et Charles. La guerre entre les frères mène à la signature du serment de Strasbourg en 842, où Louis le Germanique et Charles le Chauve unissent leurs forces contre Lothaire. Cette guerre culminera avec le traité de Verdun en 843, qui divise l’Empire en trois parties distinctes :

  • La Francie occidentale, attribuée à Charles le Chauve, qui fait face à l’instabilité des invasions vikings ;
  • La Francie orientale, donnée à Louis le Germanique, marquant les premières frontières de l’Allemagne ;
  • La Lotharingie, qui revient à Lothaire, s’étendant de la mer du Nord à l’Italie, mais dont l’unité sera de plus en plus fragile.

Le traité de Verdun, bien que mettant fin à la guerre civile, engendre une division définitive de l'Empire. Le pouvoir royal devient encore plus fragile, en particulier pour Charles le Chauve, qui doit accepter une forme de gouvernement contractuel avec les grands du royaume pour maintenir son autorité.


B) L’utilisation politique de la vassalité.

Le concept de vassalité, dans son sens médiéval, trouve ses racines dans la commendatio mérovingienne, où un homme libre se place sous la protection d’un seigneur en échange de services militaires et d’allégeance. Cela évolue au fil du temps pour devenir un système de relations féodales plus complexes sous les Carolingiens.

Charles Martel, pour lever des armées, a mis en place des dotations foncières (beneficia), offrant des terres aux cavaliers pour assurer leur service militaire. Ces terres deviennent progressivement une forme de rémunération pour les services rendus, et ces cavaliers sont considérés comme des vassaux royaux. Cependant, une question surgit : comment maintenir le contrôle sur ces vassaux ? Le roi cherche à centraliser la vassalité et exige que tous les vassaux de ses vassaux prêtent fidélité à lui directement, afin d’assurer une loyauté envers la couronne.

Charlemagne, par exemple, impose un serment de fidélité à tous ses sujets en 802, et plus tard, Charles le Chauve rend cette vassalité obligatoire pour tous les hommes libres de son royaume. Les seigneurs locaux sont désormais responsables de leurs vassaux, mais doivent reconnaître le pouvoir supérieur du roi.

Au fur et à mesure que la vassalité se développe, elle se transforme en un système héréditaire où les terres et le pouvoir se transmettent de génération en génération. Cela renforce l’autonomie des seigneurs locaux, au détriment de l’autorité centrale. Au fil du temps, les réseaux vassaliques privés prennent de plus en plus d’importance, ce qui fragilise l’unité de l’Empire. Dès le XIXe siècle, le lien personnel entre le vassal et son seigneur perdure, mais la vassalité devient moins un outil d’unité impériale et plus une structure locale de pouvoir, contribuant à la fragmentation de l’Empire carolingien.


C) Les conséquences politiques de la désagrégation de l’empire.

La désagrégation de l'Empire carolingien a conduit à l'affaiblissement du pouvoir royal. L'instabilité et les querelles successorales entre les héritiers de Charlemagne ont permis aux comtes de renforcer leur pouvoir en usurpant des prérogatives d'autorité publique. Dans un premier temps, le roi conservait théoriquement la possibilité de révoquer les titulaires des charges comtales, mais une mesure introduite par Charles le Chauve a eu des effets durables.

Le capitulaire de Quierzy-sur-Oise, promulgué en 877 par Charles le Chauve, marque un tournant dans la gestion du royaume. Ce texte fondamental traite de la succession des terres et des droits au sein de la monarchie carolingienne, stipulant que les terres seraient transmises aux héritiers mâles pour maintenir le pouvoir de la dynastie. En cas de décès d'un comte, son fils pouvait désormais lui succéder. Cela a instauré, de manière irréversible, l'hérédité des fonctions comtales et contribué à la consolidation du pouvoir local au détriment de l'autorité royale.

Le développement de la féodalité a été une conséquence directe de cette politique. Charles le Chauve, en nommant des ducs pour gouverner de vastes régions, a permis la création de structures de pouvoir locales indépendantes, qui se sont progressivement émancipées de l'autorité royale. Cela a donné naissance à une série de principautés locales, souvent dirigées par des familles nobles, et a participé à la décentralisation du pouvoir au sein de l'Empire carolingien.


D) Le dernier siècle carolingien.

Le dernier siècle de la dynastie carolingienne, de 888 à 987, marque une époque de crise profonde pour l'institution royale. À la mort de Charles le Gros en 888, les grands du royaume ont rejeté son héritier, Charles le Simple, et élu un autre roi, Eudes, membre de la famille des Robertiens. Cette alternance entre les Carolingiens et les Robertiens révèle la fragilité de la monarchie et la montée en puissance des grands féodaux. Au fil des décennies, ces grands ont constitué des ensembles territoriaux indépendants qui échappaient de plus en plus au contrôle du roi.

La montée en puissance des grands du royaume se manifeste par la création de principautés et l'ascension de figures comme Hugues le Grand, qui cumule des titres et exerce une influence considérable. Hugues le Grand devient un acteur clé dans la politique du royaume, se rendant indispensable pour l'équilibre du pouvoir. Cependant, la crise se poursuit avec la lutte pour la succession du trône, particulièrement après la mort d'Eudes en 898 et celle de Robert de Neustrie en 923.

Les luttes internes entre les Robertiens et les Carolingiens se poursuivent, mais elles aboutissent finalement à la montée sur le trône de Hugues Capet. À la mort de Charles le Simple en 923, Louis IV d'Outremer, héritier carolingien, reprend le trône, mais les grandes familles continuent de jouer un rôle majeur dans la gestion du royaume. La crise se résorbe partiellement avec l'élection de Hugues Capet comme roi des Francs en 987, marquant la fin de la dynastie carolingienne et le début de la dynastie capétienne.

La montée de Hugues Capet est significative : il devient roi grâce au soutien des grands du royaume et fonde une nouvelle dynastie qui durera plusieurs siècles. Son accession au trône, en tant que dernier héritier des Robertiens, illustre l'essor de la monarchie capétienne et l'affirmation du pouvoir royal contre la fragmentation féodale qui avait marqué la fin du règne carolingien.

Partie 2 : La construction de l’unité étatique française (Xème-XVIème siècle).

Chapitre 1 : La royauté capétienne des Xème-XIIème siècles.

La période de la royauté capétienne se divise en deux phases principales :

  1. Première période (987-1108) : Elle débute avec l’avènement d’Hugues Capet, marquée par une royauté affaiblie. Le pouvoir royal est limité à un domaine restreint, le roi étant souvent vu comme impuissant à régner, selon Richer de Reims. Le domaine royal, qui s’étend de Paris à Orléans, est bien plus petit que celui d'autres seigneurs. La royauté est principalement exercée en tant que seigneurie sur ce domaine réduit.
  2. Deuxième période (1108 et après) : Avec Louis VI le Gros, la royauté connaît un redressement. Le roi capétien devient un suzerain, augmentant son pouvoir et amorçant la transition vers la souveraineté. Cette période est marquée par des évolutions économiques et culturelles, ainsi qu’un renforcement du pouvoir royal par la conquête territoriale et politique.


Section 1 : L’âge de la seigneurie.

L'accession d'Hugues Capet au trône marque une époque de grande instabilité politique, où le pouvoir royal est très affaibli. Les grands seigneurs, notamment les ducs et les comtes, sont les véritables détenteurs du pouvoir sur leurs territoires. Le royaume est fragmenté, et les anciennes structures administratives s'effondrent. Ce morcellement du pouvoir donne naissance à des seigneuries banales et justicières, une structure qui se développe au fil du XIe siècle.


I) La seigneurie banale et justicière.

La seigneurie banale et justicière trouve ses origines dans deux phénomènes :

  • L'usurpation des prérogatives publiques : Les anciens gardiens de forteresses publiques, qui exerçaient des fonctions militaires et judiciaires au nom du comte ou d’un prince, commencent à usurper ces prérogatives et à les exercer de manière autonome. Ce processus transforme le gardien de forteresse en un châtelain indépendant, qui peut transmettre son pouvoir à ses descendants.
  • La transformation d'une seigneurie foncière : Un seigneur foncier, qui possédait un domaine et percevait des redevances de ses paysans, va progressivement étendre son pouvoir en assumant des fonctions judiciaires, militaires et fiscales. Cette transformation donne naissance à la seigneurie banale, où le seigneur impose des taxes et exerce un pouvoir quasi absolu.

Les châteaux et forteresses deviennent les centres de cette nouvelle forme de domination. Le seigneur chatelain y exerce des fonctions militaires, judiciaires et fiscales, en imposant des taxes (comme la taille), en rendant justice (notamment en matière criminelle) et en obligeant ses sujets à effectuer des corvées ou des services militaires. Il est le juge suprême de sa seigneurie, exerçant une justice de sang qui lui permet de juger et punir ses sujets.


II) La puissance du seigneur.

Les seigneurs exercent un large éventail de pouvoirs sur leurs sujets non-nobles, y compris :

  • Des prérogatives militaires : Le seigneur exige de ses paysans un service militaire, qui était auparavant dû au roi. Ce service inclut des tâches défensives, telles que la garde du château.
  • Des prérogatives judiciaires : Le seigneur devient le juge suprême sur son territoire. Il rend la justice, perçoit des amendes et confisque les biens des coupables. La justice seigneuriale est souvent perçue comme arbitraire et profite largement au seigneur.
  • Des prérogatives fiscales : Le seigneur prélève des taxes sur ses sujets, notamment la taille, en échange de la sécurité qu'il leur offre. Il impose aussi des redevances sur l'utilisation de certaines infrastructures (comme des moulins ou des fours).

Cependant, ces pouvoirs se limitent aux non-nobles. Les chevaliers, eux, échappent à l'autorité seigneuriale, leur dépendance ne devant reposer que sur un lien de vassalité.


Section 2 : L’ordre féodal.

L'ordre féodal se définit par des relations hiérarchiques basées sur des liens de vassalité et des fiefs. Le système féodal repose sur deux concepts principaux :

  • La vassalité : Ce lien personnel unit un vassal à son seigneur. Le vassal s'engage à servir son seigneur en échange de protection et de terres.
  • Le fief : Il représente un lien réel, un bien (souvent une terre) que le seigneur donne à son vassal en échange de services.


I) Le contrat vassalique.

A) La formation de l’acte de foi et d’hommage.

Le contrat vassalique, qui est l'acte par lequel le vassal s'engage envers son seigneur, se formalise au travers de deux rites solennels : l'hommage et le serment de fidélité.

  • L'hommage : Ce rite symbolise la soumission complète du vassal au seigneur. Il se compose de plusieurs gestes solennels, dont l'agenouillement du vassal et la remise de ses mains jointes à celles du seigneur. Cela représente un acte de soumission complète de la personne du vassal.
  • Le serment de fidélité : Ce serment, prononcé devant des reliques sacrées, engage le vassal sur le plan religieux. Il prête fidélité à son seigneur, et la violation de ce serment peut entraîner des sanctions graves, comme l'excommunication.

Ce contrat féodal est essentiel à la structure de la société médiévale, car il fonde la relation entre seigneur et vassal, et par extension, la relation de pouvoir dans le monde féodal.


B) Les obligations vassaliques.

Les obligations vassaliques sont issues du contrat vassalique, qui crée des engagements à la fois pour le vassal et le seigneur. Ces obligations sont essentiellement le fruit de l'hommage et du serment de fidélité, qui lient les deux parties. Toutefois, les obligations du vassal sont bien plus lourdes et étendues que celles du seigneur, et elles évoluent au fur et à mesure du développement du système féodal.


1) Les obligations du vassal.

Les obligations du vassal sont détaillées dans des textes historiques, comme la lettre de Fulbert de Chartres au duc d'Aquitaine, rédigée vers 1020. Cette lettre fait état des devoirs du vassal envers son seigneur et est considérée comme un texte de référence en la matière. Le vassal doit respecter un ensemble d’obligations négatives, c'est-à-dire qu'il doit s'abstenir de certaines actions qui pourraient nuire à son seigneur. Ces obligations peuvent être classées en trois grandes catégories :

  • Respect des possessions et biens : Le vassal ne doit pas porter atteinte aux possessions mobilières et immobilières de son seigneur. Cela inclut ses terres, ses châteaux, et ses trésors.
  • Respect de l'intégrité physique : Le vassal doit respecter l'intégrité physique de son seigneur, ne lui causant aucun dommage physique ou psychologique.
  • Respect du pouvoir et des prérogatives du seigneur : Le vassal doit éviter toute action qui pourrait nuire à l'autorité du seigneur, que ce soit sur le plan juridique, militaire ou politique.

De plus, Fulbert de Chartres souligne qu’un vassal ne doit pas rendre plus difficile les actions qui bénéficieraient à son seigneur ou rendre impossibles celles qui seraient faisables. Cela illustre l’idée que le vassal doit être un soutien et ne doit en aucun cas constituer un obstacle aux actions de son seigneur.

Ces obligations montrent que la relation entre le vassal et son seigneur repose sur une non-agression réciproque. Le vassal s'engage à ne pas porter préjudice à son seigneur, et cette situation doit permettre une paix relative entre les parties, sans que le pouvoir royal n’intervienne directement. Cette situation repose sur la confiance et la loyauté personnelles, et elle ne concerne pas directement les institutions royales.


2) Les obligations du seigneur.

En comparaison des obligations du vassal, celles du seigneur sont relativement moins contraignantes. Au départ, le seigneur avait pour obligation de fournir au vassal une certaine sécurité matérielle pour lui permettre de remplir ses propres obligations. Cela inclut l’hébergement, la nourriture et les vêtements. Par la suite, les seigneurs commencent à concéder des terres en fief à leurs vassaux, afin de leur fournir des ressources pour accomplir leurs devoirs.

Les obligations du seigneur incluent principalement :

  • La protection du vassal : Le seigneur doit garantir la sécurité de son vassal, en le protégeant contre les menaces extérieures ou d'autres seigneurs.
  • L’abstention de tout acte dommageable : Le seigneur doit se comporter de manière non-agressive envers son vassal, lui éviter tout préjudice.
  • La justice : Le seigneur doit rendre justice à son vassal lorsqu’il en fait la demande, ce qui se traduit par la tenue de Cours féodales. Ces Cours, composées de vassaux, rendent la justice entre les membres de la seigneurie. Ce type de justice est appelée justice par les pairs, où les juges sont tous des nobles, ce qui reflète l'organisation sociale de l'époque.

Les obligations du seigneur se sont progressivement orientées vers une relation de pouvoir plus directe, notamment à travers l’institution du fief. L'évolution du fief comme lien réel entre seigneur et vassal marque une transformation importante dans l’architecture des obligations féodales.


II) La concession de fief.

Au départ, la concession de fief n’était pas systématiquement liée au contrat vassalique, et elle se faisait indépendamment du lien personnel. Ce n'est que progressivement que la concession de fief devient une contrepartie du lien personnel entre seigneur et vassal, renforçant le lien réel et matériel entre les deux parties.


A) L’investiture du fief.

L’investiture du fief est une cérémonie essentielle marquant l'établissement du lien réel entre le vassal et son seigneur. Elle se déroule après le serment d’hommage et la prestation de fidélité, durant laquelle le seigneur remet au vassal un objet symbolique représentant la terre accordée en fief. Cette cérémonie scelle l'accord entre le vassal et son seigneur.


1) Les fiefs de reprise.

Ces fiefs sont une évolution du système, apparus au XIe siècle. Dans ce cas, le vassal, propriétaire d’une terre, se place sous la protection d'un seigneur, qui lui restitue la terre sous forme de fief. Cela permet au vassal de bénéficier de la protection d'un seigneur plus puissant tout en restant propriétaire de la terre.


2) Les fiefs d’attribution.

Ce sont les fiefs originaux, où le seigneur accorde des terres à son vassal en échange de services nobles. Ces fiefs sont généralement des terres concédées à titre de réciprocité pour les services militaires du vassal.


B) Les obligations positives du vassal.

Ce sont les fiefs originaux, où le seigneur accorde des terres à son vassal en échange de services nobles. Ces fiefs sont généralement des terres concédées à titre de réciprocité pour les services militaires du vassal.


C) Hérédité et aliénabilité.

1) Hérédité du fief.

Au début, les fiefs étaient accordés à titre viager, ce qui signifiait qu’ils revenaient au seigneur à la mort du vassal. Cependant, à partir du XIe siècle, la concession héréditaire du fief devient plus courante, permettant à l’héritier du vassal de reprendre le fief à la mort de ce dernier, à condition qu'il prête à son tour hommage au seigneur. Ce système favorise la stabilité du lien féodal sur plusieurs générations.


2) Aliénabilité du fief.

En revanche, l’aliénabilité du fief concerne la possibilité pour un vassal de transmettre ou de vendre son fief. Les droits du seigneur sur l’héritier du vassal s'amenuisent avec le temps, mais il peut encore imposer un droit de relief pour la succession du fief, en demandant une indemnité à l’héritier du vassal. Cette évolution des fiefs renforce l’aspect matériel du système féodal, qui devient plus complexe au fil du temps.


III) L’organisation hiérarchique des vassalités multiples.

Au début de la période carolingienne et jusqu’à la fin du XIe siècle, le principe dominant de la vassalité était celui de l’indépendance des vassaux vis-à-vis des seigneurs de leurs vassaux. Cette maxime était formulée ainsi : « Le vassal de mon vassal n’est pas mon vassal ». En d’autres termes, le contrat vassalique n'engageait que les parties directement concernées, et ne se transposait pas aux autres niveaux de la hiérarchie féodale. Cela signifiait qu'un seigneur ne pouvait exercer un pouvoir de commandement sur les vassaux de ses vassaux. Le lien de fidélité et de service était ainsi strictement personnel et ne s’étendait pas au-delà de la relation directe entre seigneur et vassal.

Cependant, très rapidement, la pratique de la concession de fief prit le pas sur l’aspect purement personnel de la relation vassalique. En conséquence, certains vassaux commencèrent à cumuler plusieurs fiefs et à prêter hommage à plusieurs seigneurs. Cette évolution entraîna des conflits de loyauté : à quel seigneur un vassal devait-il prêter fidélité lorsqu’il était le vassal de plusieurs seigneurs à la fois ? Ce phénomène de vassalité multiple fut à l’origine de nombreux efforts pour organiser cette pluralité d’engagements.

Au XIIe siècle, le comte de Champagne, par exemple, prêta hommage à une dizaine de seigneurs, parmi lesquels figuraient le roi de France, le duc de Bourgogne, et l’archevêque de Reims. Un tel cumul de vassalités permettait au vassal de tirer parti de sa situation, en choisissant à quel seigneur il allait servir, et en fin de compte en estimant qu’il n’était le vassal de personne.

Pour tenter de remédier à ce problème, plusieurs solutions juridiques furent proposées. Dès le début du Xe siècle, une clause de « réserve de fidélité » apparut dans les contrats de vassalité. Par cette clause, un vassal qui souhaitait prêter hommage à un second seigneur devait s’engager à maintenir sa fidélité envers le premier seigneur.

Ainsi, au début du XIIe siècle, le comte de Flandre, déjà vassal du roi de France, souhaitait devenir vassal du roi d'Angleterre. En conséquence, il s’engagea auprès de ce dernier « sauvant » la fidélité qu’il devait d’abord au roi de France.

Les juristes mirent également en place une distinction entre hommage lige et hommage plane. L’hommage lige impliquait un service de fidélité prioritaire envers le seigneur, tandis que l’hommage plane concernait un service secondaire. Cependant, ce système créa un autre problème : certains vassaux prêtaient plusieurs hommages liges à des seigneurs différents, phénomène appelé la multiplication des ligesses. Pour organiser cette situation, les juristes établirent que la priorité du service féodal serait déterminée par deux critères : soit par l’ancienneté de l’engagement, soit par l’importance du fief. Le vassal promettait alors fidélité au seigneur qui lui avait concédé le fief le plus important.


Section 3 : L’enracinement de la royauté capétienne.

Lorsque Hugues Capet accéda au trône en 987, son pouvoir était relativement modeste. En effet, son domaine royal se limitait à une petite zone géographique, principalement entre Orléans et Paris. À ce moment-là, le roi n'était pas plus puissant que d'autres seigneurs de France. L'importance de cette situation réside dans le fait que, sur son domaine, le roi agissait en tant que seigneur féodal, gouvernant directement ses terres. Cependant, les rois capétiens cherchaient à dépasser cette condition de « roi féodal » et à se constituer une autorité plus centrale et centralisatrice, détournant le droit féodal à leur profit.

Il est essentiel de distinguer entre le royaume et le domaine royal. Le royaume désigne le territoire que le roi gouverne indirectement, en obtenant l'accord des grands du royaume. Ce processus de médiation du pouvoir était essentiel dans l’exercice de l’autorité royale au début de la dynastie capétienne. Cependant, dès le XIIe siècle, les rois capétiens mirent en place des mécanismes pour renforcer leur pouvoir.


I) La construction politique capétienne.

L’objectif de cette construction politique était de solidifier la place de la famille capétienne à la tête du royaume. Pour cela, trois principes fondamentaux furent mis en avant : l'affirmation du principe héréditaire, la sacralisation du pouvoir royal par le sacre, et l’instauration d’un rôle unique pour le roi au sein du royaume.


A) L’affirmation du principe héréditaire.

Avant l'ascension des Capétiens, le système électif affaiblissait considérablement la royauté. L'élection royale donnait une grande importance aux grands du royaume, et la succession n’était pas toujours garantie. En 987, Hugues Capet réussit à imposer le principe héréditaire. Après son sacre, il obtint le soutien des grands du royaume pour faire élire et sacrer son fils Robert, marquant ainsi l’établissement d’une dynastie héréditaire. Cela entra en pratique avec la règle de l'aînesse et la règle de la primogéniture mâle, qui déterminaient la succession.


B) Le sacre.

Le sacre du roi capétien devint un rite central pour légitimer le pouvoir royal. Le sacre, effectué par l’archevêque de Reims, revêtait un caractère religieux et symbolique. Il incluait plusieurs rites, tels que l’élection formelle du roi, l’onction avec de l'huile sainte, et la remise des insignes royaux (sceptre, glaive, anneau). Ces rites servaient à souligner la sacralité de la fonction royale et à renforcer l’autorité du roi, le présentant comme l’élu de Dieu, garant de l'ordre et de la justice.


C) Le ministère royal.

Le sacre fondait le ministère royal, une fonction qui s’étendait à plusieurs domaines du gouvernement. Le roi avait pour mission de garantir la sécurité du royaume, de maintenir l'ordre et la paix, et de rendre la justice. Ce rôle impliquait la protection du clergé et des sujets, notamment grâce à la paix de Dieu et la trêve de Dieu, qui interdisaient la violence contre certains groupes vulnérables et limitaient les guerres privées entre seigneurs.


II) La supériorité féodale du roi capétien.

Les rois capétiens, bien que profondément enracinés dans le système féodal, ont progressivement cherché à en limiter les contraintes. En tant que seigneur de son domaine royal, le roi exerçait une autorité directe sur ses terres et ses hommes. Cependant, le pouvoir royal restait limité par l’influence des grands féodaux, qui exerçaient souvent leur propre autorité sur certaines zones. Ce n’est qu’à partir du règne de Louis VI que les rois capétiens parvinrent à imposer leur domination sur l'ensemble du domaine royal, marquant ainsi un tournant dans l’histoire de la monarchie française.


A) Le roi : suzerain suprême.

Le roi, au sein du système féodal, devient progressivement le suzerain suprême, c'est-à-dire le seigneur au sommet de la hiérarchie féodale. Cette idée se développe sous les règnes d'Hugues Capet, Louis VI et Louis VII, notamment grâce à la théorie de Suger, qui affirme que tous les grands du royaume, y compris les vassaux directs du roi, lui doivent hommage. Cette théorie repose sur l'idée de la "mouvance des fiefs", où chaque fief est un démembrement du royaume, plaçant ainsi le roi au sommet de la pyramide féodale.


B) Le refus de l’hommage et ses suites.

our renforcer son autorité, le roi refuse de prêter hommage à un autre seigneur, même si le fief lui revient. Un adage se développe : "le roi ne doit hommage à personne". Ce principe est renforcé par des mécanismes comme le système de compensation ou de substitution, qui permet au roi d’éviter d’être vassal de seigneurs inférieurs, notamment dans des cas comme l'hommage prêté par Philippe Auguste au nom de sa femme. À partir du XIIIe siècle, inspiré par la féodalité anglaise, le roi capétien renverse la règle féodale et impose son autorité directement sur l’ensemble du royaume.

Chapitre 2 : La royauté souveraine.

Au XIIIe siècle, le terme Francia désigne l'ensemble du royaume, et le roi de France devient perçu comme le souverain de tout le territoire, plutôt que comme un seigneur sur des individus. Le concept de Couronne devient central, distinguant le pouvoir royal de la personne du roi. L’idée d’un pouvoir royal indépendant, incarnant l’État, se développe au fur et à mesure de l’affirmation de la souveraineté royale.


Section 1 : L’essor de la souveraineté royale.

Jusqu’au XIIIe siècle, la souveraineté royale s’inscrit encore dans le cadre féodal. Cependant, au fil du temps, le roi se détache de la féodalité pour s’affirmer comme souverain, un pouvoir centralisé sur le territoire. Cela se reflète dans les coutumes et les écrits des légistes, comme dans le Coutumes de Beauvaisis, où le roi est affirmé comme souverain "par-dessus tout", possédant le droit de rendre la justice et d’établir des lois pour le bien commun.


I) La dimension interne de la souveraineté.

Le pouvoir royal devient centralisé, permettant au roi d’affirmer une autorité sur tous ses sujets, nobles ou non nobles. Dès la fin du XIIIe siècle, la souveraineté royale s’affirme en dehors du cadre féodal. Le roi devient le seul souverain, avec une autorité sur tout le royaume.


II) La dimension externe de la souveraineté.

Face à l’empire romain germanique et à la papauté, qui revendiquent une suprématie universelle, la France se positionne comme un royaume indépendant. Les juristes de Philippe Auguste utilisent des maximes pour affirmer l’indépendance du roi face à ces puissances extérieures, comme le passage des décrétales du pape Innocent III, qui soutient que le roi de France n’a pas de supérieur temporel. Jean de Blanot affirme que le roi de France est "empereur en son royaume", soulignant l’indépendance et la souveraineté absolue du roi face aux autres puissances.

Ainsi, la souveraineté royale se renforce à la fois sur le plan interne, en absorbant la structure féodale, et sur le plan externe, en s’opposant à toute forme de domination étrangère.


A) L’affirmation de la souveraineté royale face au Saint-Empire romain germanique (SERG).

Au Moyen Âge, deux formes politiques majeures coexistaient : celle du royaume et celle de l'empire. Le royaume désigne une structure politique propre à un peuple spécifique, tandis que l'empire a une vocation universaliste, visant à régir divers peuples, en s'inspirant du modèle de l'Empire romain. À partir du milieu du Xe siècle, le modèle impérial s'est développé dans les trois royaumes de Germanie, d'Italie et de Provence (Bourgogne), formant ainsi le Saint-Empire romain germanique. Face à cette entité, la France se distingue comme le royaume par excellence. Le roi capétien défend son indépendance face à cet empire.

Au XIIIe siècle, les juristes de l'empereur affirmèrent que l'empereur du Saint-Empire romain germanique était le "dominor mundi", le maître du monde, un titre héritier de l'Empire romain. Cette affirmation incita le roi de France à défendre son indépendance, notamment par l'invention du concept de souveraineté. Philippe Auguste, en particulier, revendique cette souveraineté, en se qualifiant "d'Auguste", un titre qui visait à se mesurer à l'empereur et à revendiquer les prérogatives impériales.

Les juristes français, pour renforcer cette revendication, s'appuient également sur un acte normatif du pape Innocent III, qui, dans une de ses décrétales, affirmait que le roi de France n'avait de supérieur temporel. Jean de Blanot, par exemple, soulignait que "le roi de France est le seul maître en son royaume". Ce principe, affirmé après la mort de Frédéric Barberousse, s'opposera également à la papauté.


B) L’affirmation de la souveraineté royale face à la papauté.

1) La confrontation de deux théories.

Les relations entre la papauté et le roi de France sont marquées par une confrontation entre deux théories :

  • La théorie de la théocratie pontificale : Selon cette doctrine, le pape détient un pouvoir suprême, institué par Dieu, et a autorité sur les rois et princes temporels. Cette théorie repose sur l'image des "deux glaives" : l'un spirituel, remis au pape pour gouverner l'Église, et l'autre temporel, qu'il détient pour guider les princes dans leur usage du pouvoir terrestre.
  • La théorie de la souveraineté royale : En réponse à cette conception, le roi de France affirme sa souveraineté sur son royaume et reconnaît la supériorité papale uniquement en matière spirituelle, tout en rejetant l'idée de toute subordination temporelle.


2) Le conflit entre Boniface VIII et Philippe IV le Bel.

Ce conflit se déploie en deux étapes majeures :

  • Première étape (1295-1296) : Le conflit débute en 1295 lorsque Philippe IV Le Bel cherche à lever une décime sur le clergé sans l'approbation du pape Boniface VIII. Ce dernier, rappelant la nécessité de l'autorisation papale, soutient la supériorité du pape sur le roi de France. En réponse, les légistes du roi défendent l'idée de la séparation des pouvoirs spirituel et temporel et affirment que le clergé français est soumis au roi dans les affaires temporelles. Bien que Boniface VIII admette la possibilité pour le roi de lever des impôts en cas de nécessité, il insiste sur l'autorisation papale.
  • Seconde étape (1301-1303) : Le conflit prend une tournure plus violente et politique. En 1301, l'évêque de Pamiers, Bernard Saisset, est accusé d'avoir comploté contre Philippe IV. Il fait appel au pape, qui, par une bulle, réaffirme sa supériorité. Philippe IV riposte en convoquant une assemblée des États généraux en 1302, où il est décidé que le roi de France n'a de supérieur en matière temporelle et qu'il détient son royaume directement de Dieu. Ce principe d'indépendance royale est réaffirmé, notamment contre la théorie des "deux glaives".
  • Dégénérescence du conflit : En septembre 1303, Guillaume Nogaret, un conseiller de Philippe IV, organise une expédition contre le pape à Anagni. L'attaque contre Boniface VIII est violente, mais le pape meurt un mois plus tard. Son successeur, Clément V, annule les décisions de Boniface VIII, rétablissant une certaine autonomie de la royauté française.

Ce conflit consacre l'indépendance de la royauté face à la papauté, préparant le terrain pour le gallicanisme, une doctrine qui soutient les libertés de l'Église de France vis-à-vis du pape.


Section 2 : Les lois fondamentales du royaume.

L'expression "loi fondamentale" apparaît en 1575 pour désigner les règles constitutionnelles du royaume de France, parfois appelées "Constitution de l'ancienne France". Ces lois ne sont pas écrites, mais coutumières, formées par la répétition de pratiques historiques. Turgot a pu dire à Louis XVI : "Sire, votre royaume n'a point de Constitution", soulignant la nature non codifiée des lois fondamentales. Ces lois se caractérisent par deux aspects :

  • Elles sont constitutionnelles, régissant l'organisation de l'État de manière intangible et limitant l'autorité royale.
  • Elles sont limitatives de l'autorité royale, en ce que le roi ne peut ni modifier ni transgresser ces lois. Elles s'imposent au souverain, et le Parlement de Paris en devient le gardien. Il existe ainsi une hiérarchie des lois où les lois fondamentales du royaume prévalent sur celles du roi.

Les lois fondamentales du royaume se divisent en deux domaines principaux : la dévolution de la couronne et l'inaliénabilité du domaine de la couronne.


I) La dévolution de la couronne de France.

La loi de succession à la couronne de France a été fixée par l'arrêt du Parlement de Paris du 28 juin 1593, également connu sous le nom d'arrêt de la loi salique. Cette règle, qui remonte progressivement à partir du Xe siècle, a été formée par des précédents historiques. Le principe d'hérédité, qui exige que le successeur d'un roi soit un héritier direct de ce dernier, s'est imposé à partir du règne de Philippe Auguste. Ce principe a été complété par la règle de la primogéniture, qui privilégie l'aîné des héritiers pour accéder à la couronne.

Les règles de succession ont été affinées au fil du temps, notamment lorsque le principe de la représentation successoral a été introduit, permettant aux descendants du roi de se substituer dans les droits d'un parent décédé, comme cela a été le cas pour Louis XV, arrière-petit-fils de Louis XIV.

Ainsi, la succession à la couronne de France repose sur un ensemble de lois coutumières fondées sur la répétition des pratiques et sur un consensus politique, marquant la stabilité et l'intangibilité des lois fondamentales du royaume.


A) Le principe de masculinité.

Le principe de masculinité est une règle coutumière qui a émergé au XIVe siècle, après une crise de succession en France, marquée par l'exclusion des femmes de la succession à la couronne. Cette règle s’est affirmée par la répétition des précédents et les décisions prises par les assemblées royales, tout en s’inscrivant dans un objectif politique : garantir la stabilité et la pérennité de la dynastie capétienne.


1) Le précédent de 1316.

Le précédent de 1316 est lié à la mort de Louis X le Hutin, qui laisse une fille comme héritière. Cependant, l'assemblée des barons, soutenue par des arguments juridiques et politiques, décide d'écarter Jeanne de Navarre, la fille du défunt, de la succession. Elle justifie cette décision par l’argument de la masculinité : seul un homme, Philippe V le Long, peut succéder au trône, et ce dernier devient roi en 1317. Cette décision renforce le principe selon lequel la couronne ne peut pas passer aux filles du roi.


2) Le précédent de 1328.

Le précédent de 1328 marque une nouvelle étape dans l’affirmation du principe de masculinité. À la mort de Charles IV le Bel, la question de la succession se pose à nouveau. L’assemblée de 1328 décide de confirmer l'exclusion des femmes en matière de succession à la couronne de France et de préférer les descendants masculins dans la ligne collatérale. Ce précédent mène à la guerre de Cent Ans, car il écarte Édouard III d’Angleterre, prétendant au trône, en raison de la règle de primogéniture et de l’application stricte du principe de masculinité.


B) L’indisponibilité de la couronne de France.

L'indisponibilité de la couronne de France signifie que la succession au trône ne peut pas être modifiée à volonté par le roi régnant. Il s'agit d'une règle de droit fondée sur la coutume, qui empêche le roi de disposer librement de la couronne pendant son règne.


1) Le traité de Troyes.

Le traité de Troyes, signé entre Charles VI et Henri V d'Angleterre, déclare Henri V héritier de la couronne de France, écartant ainsi le Dauphin Charles, l’héritier légitime. Ce traité est une violation des règles coutumières de succession. Cependant, il est contesté par une doctrine affirmant que la couronne de France est indisponible et ne peut être changée par la volonté d’un roi. Cette idée sera renforcée par les événements politiques et la guerre menée pour rétablir Charles VII sur le trône.


2) Les justifications du principe d’indisponibilité de la couronne.

Avant même le traité de Troyes, des théories juridiques ont été développées pour soutenir l’idée que la couronne de France ne pouvait être attribuée à qui que ce soit en dehors des règles de succession coutumières. Jean de Terrevermeille, dans son traité de 1419, affirme que la succession royale n’est pas une question de droit privé, mais relève d’un statut public et supérieur. Ce statut particulier rend la couronne indisponible, c’est-à-dire que le roi ne peut ni abdiquer ni renoncer à sa succession.


C) L’instantanéité de la fonction royale.

L'instantanéité de la fonction royale désigne le moment où un roi devient effectivement roi, ce qui peut être sujet à deux conceptions différentes :

1) Le sacre comme acte constitutif

Certains considèrent que le sacre est nécessaire pour qu’un roi devienne officiellement roi. Selon cette conception, le sacre a un caractère constitutif et il est la seule cérémonie qui permet à l’héritier de devenir roi.

2)Le sacre comme acte confirmatif

D’autres soutiennent que le sacre n’est qu’une formalité confirmative et que le roi devient effectivement roi dès la mort de son prédécesseur. Cette idée est soutenue par la maxime « Le roi est mort, vive le roi », qui signifie que la couronne passe immédiatement au successeur sans nécessiter un sacre préalable. À partir de François Ier, cette conception devient dominante, bien que la régence pendant la minorité d’un roi mineur pose des questions sur l’exercice du pouvoir.


D) Le principe de la catholicité.

Le principe de catholicité impose que le roi de France soit catholique. Bien qu’il ne soit formellement inscrit qu’à la fin du XVIe siècle, il est implicite depuis le baptême de Clovis, d’autant plus que la question de la religion du roi s’est posée avec l’émergence de la Réforme protestante. En Allemagne, Luther a établi que les sujets devaient suivre la religion de leur prince, un principe que certains ont voulu appliquer en France au cours des guerres de religion (1562-1598).

En 1589, après l’assassinat du roi Henri III, le principe de catholicité devient un enjeu politique majeur. Henri de Navarre, prétendant au trône, était protestant et excommunié par le pape. Les ligueurs catholiques, après avoir tué Henri III, prirent position pour imposer un roi catholique. L’Édit d’union de 1588, ratifié par les États généraux, proclame que le roi doit être catholique, un principe devenu loi fondamentale.

L'Arrêt Lemaistre de 1593 du Parlement de Paris rappelle l’importance du principe de catholicité, précisant que la couronne ne peut échapper aux règles de succession. Henri de Navarre, afin de devenir roi légitime, abjure le protestantisme en 1593 et est sacré Henri IV en 1594.


II) Inaliénabilité et imprescriptibilité du domaine de la couronne.

Le domaine de la couronne représente l’ensemble des biens utilisés par le roi pour l'exercice du pouvoir. Il comprend des biens immobiliers (châteaux, terres) et des droits fiscaux (impôts, péages). Le domaine royal s’est progressivement élargi pour correspondre aux frontières du royaume à la fin du règne d'Henri IV. Cependant, contrairement au domaine privé, le domaine de la couronne est inaliénable et imprescriptible, ce qui signifie qu'il ne peut être vendu, cédé ou acquis par prescription.


A) Nature et statut du domaine de la couronne.

Il est crucial de distinguer le royaume (territoire) du domaine (biens et droits). Le domaine de la couronne est constitué de biens corporels (terres, forêts) et incorporels (droits fiscaux, prérogatives régaliennes). Ce domaine est destiné à soutenir l'exercice de la souveraineté du roi et est soumis à des règles strictes. Le roi n’en est que le gestionnaire et ne peut en disposer librement. Il est également protégé contre les actions tant du roi que des particuliers.


B) L’édit de Moulins.

L'Édit de Moulins, rédigé par Michel de l'Hospital sous Charles IX et enregistré en 1566, consolide le principe de l'inaliénabilité du domaine royal.


1) Les origines du principe.

Le principe d’inaliénabilité du domaine royal trouve ses racines dès le XIVe siècle, en réponse à la pratique des apanages. Initialement, les apanages étaient des dotations modestes données aux puinés de la famille royale pour leur assurer des revenus. Cependant, au XIIIe siècle, ces apanages ont pris de l’ampleur, notamment sous Louis XIII, ce qui a posé un risque de formation de nouvelles dynasties. À partir de la fin du XIIIe siècle, la règle de transmission en ligne directe masculine a été introduite, et en 1477, avec la mort de Charles le Téméraire, le domaine de la Bourgogne est revenu au domaine royal faute d’héritier mâle. Au XIVe siècle, la notion d’inaliénabilité se renforce, et en 1329, Pierre de Cugnières pose le principe d’inaliénabilité du domaine. Ce principe est inscrit dans le serment du sacre et confirmé dans l’ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539.


2) Le contenu de l’édit de Moulins.

L’Édit de Moulins distingue le domaine fixe et le domaine casuel :

  • Le domaine fixe : Composé des biens reçus par le roi lors de son avènement. Ce domaine est inaliénable et imprescriptible. Il comprend également les biens personnels du roi avant son couronnement, qui deviennent, dès son accession au trône, des biens du domaine royal.
  • Le domaine casuel : Ce domaine est constitué des biens acquis durant le règne du roi par succession, achat ou conquête. Le roi peut en disposer comme il l’entend, mais ces biens deviennent fixes à sa mort. Le principe d’inaliénabilité s’applique également en droit international, interdisant toute cession de territoire sans le consentement de la nation.

L’édit introduit aussi le principe d’imprescriptibilité, interdisant l’acquisition de ces biens par prescription.


C) Les testaments au principe d’inaliénabilité du domaine. 

Ces principes forment une constitution coutumière, qui limite le pouvoir du roi et assure la stabilité de l'État monarchique. Elle garantit l’unité du royaume et protège la couronne contre toute tentative d’aliénation illégale.


1) L’apanage.

Bien que l’édit confirme la pratique des apanages, ces derniers sont désormais limités en importance, et les princes ne conservent plus que des privilèges honorifiques et des revenus.


2) L’engagement.

L’engagement est une mise en gage temporaire de biens du domaine royal, dans des circonstances de guerre ou de nécessité. Il doit être temporaire, rachetable et effectué sous forme de lettres patentes enregistrées par le Parlement.


3) Les biens de faible importance.

L’édit permet la cession de biens non rentables, souvent définis comme des biens de faible importance, pour alléger la gestion du domaine royal.

Partie 3 : L’état monarchique (XVIème-XVIIIème siècle).

Chapitre 1 : La souveraineté absolue de droit divin.

Section 1 : La souveraineté selon Jean Bodin.

I) État et souveraineté.

Jean Bodin (1529-1596) a marqué l’histoire de la pensée politique en introduisant la notion moderne de souveraineté dans son ouvrage Les Six Livres de la République (1576). Contrairement à ses prédécesseurs médiévaux, Bodin ne cherche pas les fondements des prérogatives royales dans le droit romain, mais dans l’autorité suprême de l'État. La souveraineté est pour lui ce qui unit les membres de l’État, ce qui lui confère son existence. Sans souveraineté, l’État n'existe pas. Elle est la condition nécessaire à l’existence de l’État, et cette souveraineté ne dépend pas du mode de gouvernement (monarchie, aristocratie ou démocratie), ce qui fait de l’État une entité unique. Bodin théorise ainsi la puissance étatique et propose la première théorie générale de l'État moderne.


II) Les caractères de la souveraineté.

A) Une puissance de commandement.

La souveraineté est la puissance publique suprême qui s’impose à toutes les autres. Elle est indépendante du régime politique (monarchie, aristocratie, démocratie). Dans une monarchie, le souverain incarne l’institution de l’État et dispose d’un ensemble de prérogatives, telles que :

  • Instituer et destituer des magistrats.
  • Promulguer et abroger des lois.
  • Déclarer la guerre et conclure la paix.
  • Jurer en dernier ressort.
  • Disposer de la vie et de la mort des sujets.
  • Réglementer les monnaies et les impôts.

Ces prérogatives, attachées à la souveraineté, font du roi un prince législateur plutôt qu’un simple justicier. La capacité de donner et d’abroger la loi est la prérogative fondamentale de la souveraineté. La loi, selon Bodin, est un commandement unilatéral, incontestable, qui émane du souverain.


B) Une puissance absolue.

La souveraineté est un pouvoir sans limite. Elle est indépendante et inconditionnelle, ce qui signifie que le souverain n’est pas lié par ses propres actes ou par ceux de ses prédécesseurs. Bien qu’il puisse choisir de respecter les actes précédents, il n’y est pas juridiquement contraint. De plus, le souverain est libre de modifier ou abroger les lois, à l’exception des lois fondamentales du royaume et des lois divines et naturelles. En monarchie, cette liberté est symbolisée par l’expression « tel est notre plaisir », signifiant que la volonté du souverain crée une force obligatoire. Toutefois, toute tentative d’aliénation ou de limitation de sa souveraineté serait nulle.


C) Une puissance perpétuelle.

La souveraineté est continue et ne disparaît pas avec la mort du roi. Bodin reprend la doctrine médiévale des deux corps du roi : le corps physique (mortel) et le corps mystique (immortel et symbolisant la continuité de l’État). Cette continuité ne dépend pas de la dynastie, mais de l’État lui-même. Dès la mort d’un roi, son successeur est immédiatement souverain, assurant ainsi la stabilité de l’État, quelle que soit la forme du gouvernement.


D) Une puissance indivisible.

La souveraineté, selon Bodin, est indivisible. Il ne peut exister d’autres institutions qui limitent ou empêchent l'exercice de cette souveraineté. Un pouvoir souverain doit être unique et absolu. La notion de souveraineté indivisible rejette l’idée d’un gouvernement mixte où différentes institutions auraient des pouvoirs d’empêchement. Ainsi, Bodin s'oppose aux monarchomaques, qui défendaient un gouvernement partagé entre différentes instances. La souveraineté ne peut être divisée, tout comme le point en géométrie ne peut être fractionné.


Section 2 : La théorie du droit divin.

La théorie du droit divin s'impose comme une réponse aux contestations religieuses et politiques du XVIe siècle, notamment les guerres de religion entre catholiques et protestants en France. Cette théorie devient un fondement essentiel de la monarchie absolue, en affirmant que le pouvoir royal est directement accordé par Dieu, ce qui le rend incontestable et inaliénable.


I) Les protestations politico-religieuses.

A) La réforme protestante.

La Réforme protestante, initiée par Martin Luther au début du XVIe siècle, remet en cause l'autorité de l’Église catholique et introduit des tensions politiques. Bien que Luther prône l'obéissance civile, il critique l'imposition forcée de la religion par les autorités royales. Au départ, la Réforme ne représente pas une menace directe pour le pouvoir royal, car Luther ne prône pas la rébellion contre les souverains, mais seulement la réformation de l'Église. Cependant, en France, les rois catholiques commencent à persécuter les protestants, qu'ils considèrent comme des hérétiques. Cette répression violente, symbolisée par l’Édit de Compiègne (1557) et les massacres de la Saint-Barthélemy (1572), donne naissance à une contestation politique et religieuse croissante. Les protestants, citant des passages bibliques tels que « il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes », remettent en cause la légitimité du pouvoir royal qu'ils perçoivent comme tyrannique.


B) Les monarchomaques protestants.

La répression des protestants engendre la naissance des monarchomaques protestants, des théoriciens politiques qui contestent la légitimité de l'autorité royale en raison de sa relation avec l’Église catholique. Parmi ces théoriciens, Junius Brutus (un pseudonyme pour Hubert Languet et Philippe de Plessis-Mornay) propose une théorie du pouvoir basée sur deux contrats : l'un entre Dieu et le peuple, et l'autre entre le roi et ses sujets. Si le roi ne respecte pas la volonté divine, il perd le soutien de Dieu et les sujets peuvent se libérer de leur devoir d’obéissance. Cette théorie justifie la désobéissance passive, voire l’insurrection, contre un roi considéré comme infidèle aux principes divins.


C) Les monarchomaques catholiques.

Les monarchomaques catholiques, en réaction à la tolérance religieuse de certains rois comme Henri III, accusent ces derniers de compromission avec l'hérésie protestante. Ils s’appuient sur la doctrine de l'Église, selon laquelle le pape est le gardien de la foi chrétienne et a le pouvoir de juger et de démettre un roi si celui-ci est considéré comme un tyran. Jean Boucher et Guillaume Rose, deux auteurs catholiques influents, soutiennent que si le roi persiste dans ses erreurs, l’Église a le droit de délier le peuple de son obéissance et de permettre la résistance ou même l'exécution du monarque.


II) Le contenu de la théorie du droit divin.

La théorie du droit divin se développe en réaction à ces critiques et cherche à renforcer la légitimité et l'indépendance de la monarchie royale. Elle repose sur l’idée que le pouvoir du roi vient directement de Dieu, sans intermédiaire, et qu’aucune autorité terrestre ne peut remettre en cause ce pouvoir. Cette conception devient centrale à partir du XVIIe siècle, notamment avec des penseurs comme Bossuet, qui cherche à concilier les exigences politiques et religieuses du royaume.

La notion de « droit divin » stipule que le roi n’est pas seulement un représentant de Dieu sur Terre, mais qu’il est choisi par Dieu pour exercer son pouvoir sur le royaume. Ainsi, tout contestation de l’autorité royale devient une atteinte à l'ordre divin. Selon Bossuet, auteur principal de cette théorie, le roi est le ministre de Dieu, et son pouvoir ne peut être remis en cause par personne, y compris par l’Église. Ce pouvoir est absolu et inaliénable. Il est transmis directement de Dieu au roi, sans l'intermédiaire de l’Église ou des institutions humaines, ce qui met fin à toute possibilité de déposition ou de résistance légale.

La notion de « droit divin » stipule que le roi n’est pas seulement un représentant de Dieu sur Terre, mais qu’il est choisi par Dieu pour exercer son pouvoir sur le royaume. Ainsi, tout contestation de l’autorité royale devient une atteinte à l'ordre divin. Selon Bossuet, auteur principal de cette théorie, le roi est le ministre de Dieu, et son pouvoir ne peut être remis en cause par personne, y compris par l’Église. Ce pouvoir est absolu et inaliénable. Il est transmis directement de Dieu au roi, sans l'intermédiaire de l’Église ou des institutions humaines, ce qui met fin à toute possibilité de déposition ou de résistance légale.

La théorie du droit divin s’oppose frontalement à toute tentative de contrôle papal sur les affaires politiques et la monarchie. Le roi n’a de compte à rendre qu'à Dieu. C’est un principe fondamental de la monarchie absolue, symbolisé par la phrase de Louis XIV : « L’État, c’est moi ». Cette indépendance est confirmée par la déclaration de 1682, inspirée par Bossuet, qui fait du droit divin le fondement essentiel de la puissance royale et enjoint le clergé français de s’y soumettre. Cette doctrine écarte ainsi la possibilité d’un régicide, car si le roi est désigné par Dieu, sa déposition ou son assassinat serait considéré comme un péché.

Face aux conflits religieux, les théoriciens du droit divin insistent sur la nécessité d’une paix civile et sur la primauté de l’État sur les divergences confessionnelles. L’objectif de la monarchie devient le « salut de l’État », une mission politique qui transcende les préoccupations religieuses individuelles. Contrairement à l’époque médiévale, où le roi était perçu comme responsable du salut des âmes, au XVIe siècle, le roi devient responsable du bien-être temporel de l'État. Ainsi, le roi doit garantir la paix et l'ordre, non pas en tant que chef spirituel, mais en tant qu’autorité terrestre.

Bossuet, théologien et prédicateur français, joue un rôle clé dans l’élaboration de la théorie du droit divin. Dans son ouvrage Politique tirée des propres paroles de l’Écriture sainte (1709), il justifie l’autorité absolue du monarque en se basant sur des principes bibliques. Il affirme que le pouvoir royal est un don divin et que le roi est le ministre de Dieu. Pour lui, le roi ne gouverne pas en son nom propre, mais au nom de Dieu, ce qui confère à son pouvoir une autorité indiscutable. Ce principe sera repris et incarné par Louis XIV, qui symbolise le sommet de la monarchie absolue.


Section 3 : Le gouvernement royal.

I) La nature du pouvoir royal aux XVIIème-XVIIIème siècle.

Sous l’Ancien Régime, le pouvoir royal était absolu, sans séparation des pouvoirs comme on peut la concevoir aujourd'hui. Le roi détient l'intégralité des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, avec la possibilité de faire et de casser la loi. Jean Bodin, au XVIe siècle, est l’un des premiers à théoriser cette conception du pouvoir absolu, affirmant que le souverain doit être un législateur capable d’imposer ses décisions sans entraves. Le roi est considéré comme un prince législateur, dont le pouvoir législatif prime sur les autres, ce qui confère à la monarchie un pouvoir quasi illimité.

Dans le contexte de la monarchie absolue, le roi dispose de plusieurs instruments législatifs, chacun ayant une portée et une fonction particulière :

  • L’ordonnance : Il s'agit d’une loi de portée générale et permanente qui s'applique à tout le royaume. L’ordonnance est un instrument normatif par lequel le roi intervient de manière solennelle sur des sujets importants du royaume, comme l'organisation de la justice, la perception des impôts, ou la réglementation des relations matrimoniales.
  • L’édit : Contrairement à l'ordonnance, l’édit est souvent limité par son objet, ses bénéficiaires ou son territoire. Il s'agit d'une mesure générale qui porte sur une matière déterminée.
  • La déclaration : Il s'agit d'une loi qui interprète, complète ou restreint une loi antérieure. Les déclarations sont souvent utilisées pour préciser l’application des lois existantes.

Le processus législatif est essentiellement entre les mains du roi, bien qu’il soit soutenu par son entourage, notamment ses ministres et conseillers. Le texte législatif est préparé par les ministres, puis il est revêtu du sceau royal avant d'être envoyé au Parlement pour enregistrement. Ce dernier, bien qu’il puisse émettre des objections, est généralement contraint d’enregistrer les lois émises par le roi.

Le roi détient trois grands pouvoirs :

  1. Le pouvoir de faire et de casser la loi : Ce pouvoir lui permet de créer des lois et d'abroger celles existantes.
  2. Le pouvoir d’appliquer la loi : Le roi s'assure que les lois sont exécutées à travers ses administrateurs et ses ministres.
  3. Le pouvoir de justice : L'Ancien Régime fonde la justice sur le principe que toute justice émane du roi, et tous les jugements sont rendus en son nom. Ainsi, le roi est le seul souverain en matière judiciaire.


B) Les limites du pouvoir absolu.

Bien que le roi possède un pouvoir absolu, il existe néanmoins des limites constitutionnelles à son pouvoir, qui ne doivent pas être confondues avec les dérives du despotisme. L’absolutisme ne signifie pas un pouvoir sans règle ; il s’agit d’un pouvoir fort, mais encadré par des principes fondamentaux.

  1. Les lois fondamentales du royaume : Ces lois, selon Jean Bodin, sont des règles immuables qui fixent les prérogatives du roi. Elles sont considérées comme intangibles et inaccessibles à toute modification par le roi lui-même.
  2. Les privilèges : Le roi doit respecter certaines institutions et pratiques ancestrales, telles que le droit des nobles et des clergés, qui limitent son autorité dans certaines sphères.
  3. Les principes du droit naturel et des lois divines : En tant que ministre de Dieu, le roi doit respecter les lois naturelles et divines, qui imposent des limites morales à son pouvoir, notamment en matière de justice et de traitement des sujets.


II) Les organes centraux de conseil et de gouvernement.

Bien que le roi détienne la plénitude du pouvoir, il n'exerce pas cette autorité seul. Il dépend de conseils et d'organes pour gérer le royaume, et c’est là que les ministres jouent un rôle essentiel.


A) Les ministres du roi.

Les ministres jouent un rôle central dans l’administration du royaume. Bien que les actes soient toujours pris au nom du roi, ce dernier délègue de plus en plus de tâches aux ministres. L'Ancien Régime connaît six ministres principaux, et parfois un même ministre cumule plusieurs fonctions.


1) Le chancelier.

Véritable garant de la justice royale, le chancelier est responsable de l’apposition du sceau royal, rendant les actes officiels. Il supervise également les tribunaux et dirige la censure des ouvrages imprimés. Sa fonction est inamovible, et il joue un rôle central dans le conseil du roi. Pendant une grande partie de l'Ancien Régime, il incarne la stabilité de la monarchie.


2) Les secrétaires d’état.

Ces ministres sont responsables de différents secteurs du gouvernement. Leur nombre varie selon les règnes, mais on distingue souvent quatre secrétaires d'État : celui des affaires étrangères, de la guerre, de la marine et de la maison du roi. Ces secrétaires sont des hommes de confiance du roi, souvent révocables à volonté.


3) Du surintendant des finances au contrôleur général.

Ce ministre détient une influence majeure en raison de son contrôle sur les finances et la fiscalité de l'État. À partir de 1665, Louis XIV crée la fonction de contrôleur général des finances et nomme Colbert à ce poste. Le contrôleur général prépare le budget de l'État et est responsable de l'exécution des dépenses publiques.


4) Le principal ministre.

Bien que la fonction de principal ministre ne soit pas officiellement définie, elle désigne le ministre à la tête du gouvernement royal. Ce rôle, souvent occupé par des figures comme Richelieu ou Mazarin, permet au ministre de coordonner l’ensemble des actions des autres ministres et de jouer un rôle central dans la direction de la politique royale.


B) Le conseil du roi.

1) Les origines médiévales du conseil du roi.

Dans les premiers temps féodaux, le roi, comme les autres seigneurs, était entouré de sa cour féodale. Cette cour, dont la composition variait en fonction des besoins et des circonstances, était convoquée par le roi principalement pour traiter des questions judiciaires. À partir du XIIème siècle, alors que les questions politiques et administratives deviennent plus complexes, la cour du roi évolue pour inclure des professionnels, marquant ainsi la naissance d’une structure de gouvernement monarchique.

Au début du XIIIème siècle, cette évolution se concrétise par la création de deux institutions : d’une part, un parlement chargé des affaires judiciaires, et d’autre part, une chambre des comptes, responsable des questions financières. En parallèle, la cour du roi continue de jouer un rôle consultatif, donnant ainsi naissance au Conseil du Roi, qui se distingue par sa fonction de conseil auprès du souverain.


2) La composition du conseil du roi.

Le Conseil du Roi est composé de personnes choisies par le souverain. Cette sélection repose sur un principe féodal : l’assistance au conseil est une obligation pour les vassaux du roi, mais elle ne constitue pas un droit automatique. Par conséquent, seuls ceux invités par le roi peuvent participer à ses délibérations.

La composition du conseil a évolué au fil du temps. Alors qu’au départ, l’influence des nobles féodaux prédominait, à partir de la fin du Moyen-Âge, ce rôle diminue, tandis que celui des légistes, formés dans les universités et spécialistes du droit, se renforce.


3) Les compétences du conseil du roi.

Le Conseil du Roi intervient principalement dans la préparation des décisions importantes avant que le roi ne prenne des mesures exécutives. En tant que souverain, le roi consulte son conseil sur des affaires politiques majeures (internes et externes), administratives, financières et judiciaires. Le conseil est ainsi impliqué dans la gestion de l’administration centrale, des finances du royaume et exerce aussi un contrôle judiciaire, notamment à travers la "justice retenue" du roi, principe selon lequel le roi est la source de toute justice.


4) L’évolution du conseil du roi dans le sens de la spécialisation.

À partir du XVIème siècle, le Conseil du Roi se spécialise davantage, bien que restant une institution de gouvernement central. Cette évolution se caractérise par la formation de diverses sections :

  • Le Conseil des Affaires, institué sous François Ier, décide des grandes questions politiques, diplomatiques, de paix et de guerre.
  • Le Conseil Ordinaire ou Conseil d’État, présidé par les chanceliers, s’occupe des affaires administratives, fiscales et des contentieux.
  • Le Conseil des Finances, apparu au XVIème siècle, est rattaché plus tard au Conseil Ordinaire, formant ainsi le Conseil d’État et des Finances.

En parallèle, le Conseil du Roi exerce des fonctions contentieuses à travers deux formations :

  • Le Grand Conseil, créé sous Charles VII, devient une cour souveraine traitant des affaires judiciaires majeures.
  • Le Conseil des Parties, ou Conseil Privé, joue un rôle dans la cassation des arrêts rendus par le Parlement.


Chapitre 2 : L’organisation administrative et judiciaire.

Section 1 : L’administration royale.

I) Les officiers royaux.

À partir du XIIIème siècle, le roi se dote d’un personnel technique et formé, issu de diverses couches sociales comme les clercs, les bourgeois et les nobles, pour gérer ses affaires administratives et judiciaires. La formation en droit est l’un des critères qui distingue les officiers royaux, une fonction qui devient de plus en plus vue comme une carrière stable.


A) L’inamovibilité des officiers.

L'inamovibilité des officiers découle de l’évolution de la stabilité de leurs fonctions. À partir du XIVème siècle, bien que le roi conserve le pouvoir de nommer ou révoquer ses officiers, la stabilité devient une règle tacite. Cette inamovibilité est officialisée par une ordonnance de Louis XI en 1467, garantissant aux officiers un droit viager sur leur charge. Les titulaires d’office sont protégés de la révocation arbitraire, ce qui leur confère une certaine indépendance vis-à-vis du pouvoir royal.


B) La patrimonialité des offices.

La patrimonialité des offices signifie que ces charges deviennent un bien personnel, transmissible et vendable. Cette évolution commence au XIVème siècle, avec une pratique de vénalité privée des offices, qui est ensuite institutionnalisée au XVIème siècle pour permettre au roi de tirer des profits financiers de la vente des charges.

Les officiers peuvent vendre leur charge ou la transmettre à leurs héritiers, mais ils doivent pour cela s’acquitter de taxes spécifiques. La "paulette", instaurée par Charles Paulet, permet l’hérédité des offices sous condition du paiement d’une taxe annuelle, créant ainsi un système de revenus réguliers pour la couronne.

Le roi conserve toutefois un droit de confirmation et de surveillance sur les officiers. Il peut également refuser de confier une charge à un candidat qui ne remplit pas les critères de moralité ou de compétence.


II) Les commissaires royaux.

Les commissaires royaux sont des agents extraordinaires et temporaires, choisis par le roi pour des missions spécifiques.


A) Les lettres de commission.

Les commissaires sont désignés par des lettres de commission, qui sont des documents officiels délivrés par la chancellerie royale. Ces lettres définissent précisément la mission du commissaire, qui est une délégation de pouvoirs publics, et peuvent être modifiées ou révoquées à la discrétion du roi. La commission est temporaire et prend fin soit à l’achèvement de la mission, soit par révocation. La charge est personnelle et s’éteint à la mort du commissaire ou du roi, bien que depuis le XVIIème siècle, la commission puisse être renouvelée par un nouveau roi.


B) L’extension de l’administration par commissaires.

Les commissaires se distinguent en deux types de missions :

  • Commissions ordinaires : Elles sont attribuées pour des fonctions permanentes, comme les gouverneurs ou intendants de province, qui sont des officiers avec une mission stable.
  • Commissions extraordinaires : Ces commissions sont pour des missions ponctuelles et exceptionnelles, comme la délégation du pouvoir législatif ou judiciaire. Par exemple, en matière judiciaire, des jugements peuvent être réalisés par commissaire, comme ce fut le cas dans l’affaire Fouquet.
Post-Bac
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Histoire des institutions

Introduction générale :

L’objet du cours est d’étudier l’évolution des institutions administratives, politiques et judiciaires, de la chute de l’Empire romain d’Occident (476) jusqu’à avant la Révolution française. Ce parcours met en lumière les étapes de l’émergence de l’État moderne, en explorant les notions de pouvoir, de souveraineté et les bases des textes juridiques modernes.

  • Une institution (du latin instituere, « ce qui demeure ») se caractérise par sa durée et sa stabilité. Au Moyen Âge, elle désigne soit l’acte de création ou d’instruction, soit le cadre juridique de l’action des gouvernements. Ce cours se concentre sur les institutions administratives, politiques et judiciaires, excluant les institutions sociales.
  • L’État repose sur trois éléments essentiels : un territoire, stabilisé en France dès le IXᵉ siècle après le partage de l’Empire carolingien (843) ; une population, rattachée juridiquement à l’État ; et une autorité publique, exerçant un pouvoir légitime et souverain, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Les institutions étatiques s’organisent autour des fonctions régaliennes.
  • La nation précède l’État moderne. Elle apparaît au XIIIᵉ siècle avec l’unification du royaume sous le roi. L’État moderne émerge au XVIᵉ siècle grâce à la conception de la souveraineté, mais le lien entre État et nation se consolide seulement au XIXᵉ siècle, lorsque l’État devient la personnification de la nation.


Partie 1 : Les origines des institutions publiques françaises (Vème-Xème siècle).

L’époque franque se comprend à travers trois traditions : romaine, chrétienne et germanique. La Gaule, province romaine depuis le IIème siècle avant J.C., voit se mêler l’héritage de l’Empire romain, le christianisme et les influences des peuples germaniques, notamment les Francs, qui s’établissent sur ses vestiges à partir du Vème siècle.


Chapitre 1 : Les mérovingiens : la naissance d’un modèle juridique original.

La période franque débute avec la chute de l’Empire romain d’Occident en 476, lorsque le dernier empereur romain est déposé. Les royaumes romano-barbares se forment alors, et les Francs s’installent en Gaule, établissant leur royaume à partir du Vème siècle.


Section 1 : La construction du pouvoir royal.

I) L’établissement du royaume des Francs et la conquête militaire.

Les Francs, contrairement à d'autres barbares, arrivent en Gaule comme conquérants. Clovis, leur chef, bat Syagrius à Soissons en 486, mettant fin à la domination romaine. Il poursuit ses conquêtes, notamment contre les Wisigoths, et établit des alliances stratégiques, notamment par son mariage avec Clotilde. Après sa victoire à Tolbiac, il se convertit au christianisme et agrandit son royaume, qui s’étend du Rhin aux Pyrénées, consolidant ainsi un pouvoir royal légitime.


II) La construction d’un pouvoir royal légitime.

Clovis a renforcé son pouvoir royal en établissant une collaboration inédite avec l’Église de Gaule, ce qui a permis de légitimer son autorité auprès des élites gallo-romaines. Cette alliance a facilité l’unification du royaume.


A) La collaboration entre le roi et les Églises de Gaule.

L’Église, unique institution organisée après la chute de l’Empire romain, devient un soutien crucial pour Clovis. En épousant Clotilde, une princesse catholique, et en se convertissant au christianisme, Clovis gagne la légitimité religieuse. Son baptême à Reims, avec 3 000 de ses guerriers, renforce son autorité. Ce geste a aussi une portée politique : en 508, il est reconnu par l’empereur d’Orient Anastase, qui lui remet les insignes du consulat, un signe de légitimité romaine. Clovis devient ainsi un roi catholique, tout en maintenant des liens avec la romanité.

Le concile d’Orléans de 511 marque l’apogée de cette collaboration, avec la soumission de l’Église de Gaule sous le contrôle royal, renforçant ainsi l'autorité de Clovis et réduisant l’indépendance de l’Église.


B) Le contenu du pouvoir du roi franc.

Le roi franc est un chef charismatique, guerrier et chrétien. Il combine des traditions germanique et romaine, prenant les titres de « roi auguste » et « princeps ». Son pouvoir repose sur deux prérogatives principales : le bannum et le mundium.


1) Le bannum : un pouvoir de commandement.

Le bannum, ou pouvoir de commandement, permet au roi d’imposer des ordres et des interdictions. Ce pouvoir, d’origine militaire germanique, donne au roi le droit de convoquer l'armée, de lever des impôts et de sanctionner ceux qui enfreignent ses décisions. Le roi peut également prononcer des peines sévères contre ceux qui défient son autorité, allant jusqu'à autoriser l'exécution de ceux qu'il considère comme « forban », c’est-à-dire hors de sa protection. Le bannum ouvre aussi la voie à la législation royale, avec les capitulaires, des actes législatifs à portée publique.


2) Le mundium : un pouvoir de protection.

Le mundium, hérité du pouvoir patriarcal germanique, confère au roi un pouvoir de protection sur ses sujets, comparable à celui d’un chef de famille. Il garantit la paix et la justice, accordant la protection à ceux qui se soumettent à son autorité, notamment les veuves et orphelins. Le roi peut imposer une amende, le wergeld, en cas de rupture de la paix. Une personne qui refuse de payer cette amende peut être mise hors la loi et exécutée. Les francs ne distinguent pas la sphère publique de la sphère privée, considérant le royaume comme une extension du patrimoine familial, ce qui complique la transmission du pouvoir.


3) Le problème de la transmission du pouvoir.

a) Le principe du partage.

Clovis considérait ses conquêtes territoriales comme un agrandissement de son patrimoine personnel plutôt que de l’expansion d’un État. Le royaume (regnum) était vu comme une propriété privée qui devait être partagée entre les héritiers masculins, qu'ils soient légitimes ou non, selon la lex salica. Cette loi excluait les femmes de la succession, et les descendants mâles, y compris les collatéraux, héritaient du royaume. À la mort de Clovis en 511, son royaume fut divisé entre ses quatre fils :

  • Thierry : nord-est avec Reims pour capitale,
  • Clodomir : vallée de la Loire avec Orléans pour capitale,
  • Childebert : île de France avec Paris pour capitale,
  • Clotaire : nord du royaume avec Soissons pour capitale.


b) Les tempéraments.

Le partage du royaume ne compromettait pas l'unité du pouvoir. Le premier tempérament à cette division fut la fondation d'une dynastie, celle des Mérovingiens, dont l'origine mythique est attribuée à Mérovée, un personnage légendaire. Clovis, à travers les clercs, confère à sa lignée une origine divine. Cela renforce l’idée que seul ses descendants directs peuvent légitimement se partager le royaume. Un second tempérament est le système des parts de royaumes, qui ne remet pas en question l’unité du royaume des francs, chaque héritier portant le titre de « roi des francs » mais sans gouverner un royaume autonome. Les luttes entre héritiers, comme celles sous Clotaire Ier, Clotaire II, ou Dagobert Ier, peuvent fragiliser le pouvoir et favoriser l'ascension des maires du palais, responsables de l’administration royale, notamment pendant la période des rois fainéants (673-751).


Conclusion :

À la fin du VIème siècle, le royaume des francs était divisé en trois parts : l'Austrasie (vallée du Rhin), la Neustrie (entre la Somme et la Loire), et la Burgondie (Paris, Orléans, et Alpes). Malgré cette division, les Mérovingiens parvinrent à établir une organisation administrative et judiciaire commune à l’ensemble du royaume.


Section 2 : L’organisation administrative et judiciaire.

I) L’organisation administrative.

L’organisation administrative des Mérovingiens se distingue par la coexistence d’une administration centrale, ou administration palatine, et une administration locale confiée à un agent unique, le comte.


A) L’administration palatine.

Le terme "administration palatine" fait référence à l’institution du palais, héritée de la fin de l’Empire romain. Le palais impérial romain rassemblait l’ensemble du personnel autour de l'empereur, comprenant des conseillers et domestiques. Les rois francs ont conservé cette institution mais l'ont assouplie, adaptant le modèle à la tradition germanique en y introduisant l'itinérance du palais et l’hérédité des hautes charges. L’administration palatine se compose de deux cercles principaux :

  • Le cercle des familiers du roi, incluant la famille royale et la garde personnelle du roi (la truste royale), composée de guerriers liés par serment de fidélité au roi.
  • Le cercle des officiers du palais, responsables du bon fonctionnement du palais, assurant des fonctions à la fois privées et publiques.

Les principaux officiers du palais sont :

  • Le référendaire, à la tête de la chancellerie, rédigeant et conservant les actes royaux.
  • Le cubiculaire ou chambrier, servant le roi dans sa chambre et gardant le trésor royal.
  • Le monétaire, supervisant la frappe des monnaies royales.
  • Le maréchal ou connétable, dirigeant les écuries royales et l’armée.

Les officiers du palais sont principalement des laïques instruits, souvent issus de familles aristocratiques qui envoyaient leurs enfants à la cour pour y être éduqués et former une réserve de futurs fonctionnaires. Par ailleurs, des conseillers ecclésiastiques sont également présents à la cour, assurant des fonctions religieuses et administratives.

Le maire du palais est un personnage clé, nommé et révoqué par le roi, qui organise la vie matérielle du palais et exerce un pouvoir de direction et de discipline sur ses membres. Ce rôle devient progressivement héréditaire et se fixe dans des grandes familles comme celle des Pépinides, fondatrice de la dynastie carolingienne. Charles Martel, maire du palais, exerce une autorité réelle sur le royaume, et son fils, Pépin le Bref, consolide cette puissance.

L’administration palatine est présente dans toutes les parts du royaume des Francs, garantissant une certaine uniformité administrative à travers le territoire.


B) L’administration locale.

Après la chute de l'Empire romain, la cité reste le centre de la vie locale, regroupant l'administration, l'économie, la culture, et la religion, avec l’évêque résidant dans la cité. Le royaume franc est divisé en pagi (comtés), dirigés par des comtes.


1) Le statut du comte.

Le terme "comte" provient du latin comes, signifiant "compagnon", désignant un proche du roi. Il est un fonctionnaire choisi parmi les fonctionnaires du palais, devant prêter serment de fidélité. Le comte reçoit une rémunération sous forme de terres fiscales et d'une part des amendes de son tribunal. Il est nommé pour une durée indéterminée, et peut être révoqué à tout moment.


2) Les attribution du comte.

Le comte exerce des pouvoirs civils, militaires et judiciaires au nom du roi. Il préside le tribunal itinérant, collecte les impôts et droits de péage, et organise le recrutement militaire. Le roi, en déléguant ces pouvoirs, cherche à canaliser l’aristocratie, mais la concentration de pouvoirs dans les mains du comte peut entraîner des abus. Les rois tentent de renforcer leur contrôle en créant des duchés, mais cela échoue souvent, soit par l’incapacité des ducs à s'imposer, soit par leur montée en puissance au détriment du roi.


3) Le rôle de l’évêque dans le comté. 

L’évêque joue un rôle religieux et administratif. En plus de gérer son église, il collabore avec le comte pour organiser la cité, et peut parfois le remplacer. L’évêque est également impliqué dans des travaux publics (fortifications, soins aux pauvres) et prend le rôle de conciliateur ou d’arbitre dans les conflits. Il a un droit de contrôle sur les finances municipales et un rôle actif dans la défense de la cité contre les abus des fonctionnaires.


II) L’organisation judiciaire.

À l’époque mérovingienne, la justice se divise en deux principales juridictions : le tribunal de droit commun, le mallus, et la juridiction royale, le tribunal du palais, créé pour limiter la vengeance privée, un mode traditionnel de résolution des conflits.


A) Le tribunal de droit commun : le mallus.

La vengeance privée (faida) était courante dans la tradition germanique, où la justice était rudimentaire. Si la vengeance n’était pas exercée, les parties pouvaient se tourner vers le tribunal du mallus, qui reste influencé par ces pratiques, bien que le recours à la justice royale devienne plus fréquent au fur et à mesure de l’affirmation de l’autorité du roi.


1) L’organisation et le fonctionnement du mallus.

Le mallus est le tribunal de droit commun, compétent pour les affaires civiles et pénales. Il est présidé par le comte, représentant du roi, et réunit des juges non professionnels appelés rachimbourgs choisis parmi les hommes libres du comté, qui doivent participer à ses sessions sous peine d’amende. Le comte ne juge pas, mais préside et veille à l’application de la justice. En cas de déni de justice, le plaideur peut s’adresser directement au roi. Il n’y a pas de hiérarchie judiciaire ni de voie d’appel.


2) Les particularités de la procédure.

a) Une procédure accusatoire.

La procédure est accusatoire, ce qui signifie que les parties (accusation et défense) ont des rôles distincts et que le juge reste un arbitre. Le démarche commence par une citation, et si le défendeur ne se présente pas, il risque une amende, puis la confiscation de ses biens. Si le défendeur conteste, c’est à lui de prouver son innocence. La charge de la preuve pèse sur le défendeur, contrairement au droit romain où c’est le demandeur qui porte cette charge.

Le mallus n'utilise pas les preuves rationnelles du droit romain comme le témoignage ou la présomption, mais privilégie des preuves irrationnelles fondées sur des épreuves physiques, ou « jugements de Dieu ». Ces épreuves sont considérées comme révélatrices de la vérité divine, démontrant l’innocence ou la culpabilité du défendeur à travers des épreuves physiques.


b) Le serment purgatoire.

Le serment purgatoire permet à l’accusé de se disculper en prenant Dieu à témoin. L’accusé prête ce serment en présence de co-jureurs (proches comme parents ou voisins), qui ne valident pas les faits mais garantissent sa moralité. Si ce serment est contesté, on recourt au duel judiciaire, où les parties (ou leurs champions) s’affrontent, la victoire revenant à celui qui triomphe. Il s’agit d’une ordalie, une épreuve physique. Il existe des ordalies bilatérales (opposition directe) et des ordalies unilatérales, comme l’ordalie du chaudron où l’accusé devait saisir un objet dans un chaudron d’eau bouillante. Si la cicatrice était bonne, l’accusé était innocent, sinon coupable.

Les ordalies étaient peu fréquentes chez les Mérovingiens, mais se développeront au XIIIe siècle.

Après la mort de Dagobert Ier, la rivalité des aristocrates et l’ascension des maires du palais marquent l’histoire du royaume. Ses deux fils régnent sans pouvoir réel, et la période des rois fainéants (673-751) voit l’ascension de Pépin le Bref, qui dépose Childéric III et amorce la transition vers la dynastie carolingienne.


B) Le tribunal du palais.

Le tribunal du palais est présidé par le roi, qui détermine seul les sessions. Il est compétent pour juger toutes les affaires liées au roi, à sa famille et à sa cour. Cependant, il ne constitue pas une juridiction d’appel des tribunaux de droit commun, car il n’existe pas de hiérarchie judiciaire.

Chapitre 2 : La royauté et l’empire carolingien (VIIIème-Xème siècle).

La dynastie carolingienne régna de 751 à 987, jusqu’à l’avènement des Capétiens. En 714, Charles Martel, maire du palais d'Austrasie, prend le contrôle du royaume des Francs, sans se déclarer roi. Ce n’est que son fils Pépin le Bref qui prendra ce titre. Ce changement marque une avancée décisive pour la royauté et la nation franque.


Section 1 : Les mutations politiques et institutionnelles.

I) Les fondements du pouvoir royal.

La légitimité du pouvoir de Pépin se pose, notamment vis-à-vis des Mérovingiens. Un changement brutal de dynastie aurait pu paraître illégitime, mais l’Eglise soutiendra Pépin. Le pouvoir royal repose sur deux éléments essentiels : l’élection et le sacre.


A) L’élection.

L’élection des rois francques est une tradition ancienne. Pour être roi, Pépin doit d’abord être élu par l’assemblée du royaume. Son rapprochement avec l’Église, notamment grâce à la famille des Pépinides, lui permet de gagner le soutien du clergé. Après la victoire de Poitier en 732, la famille Pépinide est respectée au sein de l’Église. L’Église aura un rôle décisif : le pape Zacharie soutient Pépin en affirmant qu’il vaut mieux qu’un roi soit celui qui détient le pouvoir, plutôt que celui qui ne l’a pas. Pépin fait alors enfermer le dernier roi mérovingien et est élu roi en 751.


B) Une référence à la royauté biblique.

Le sacre du roi ajoute une dimension divine à la royauté, en le plaçant au-dessus des autres laïques. Ce rite, bien que déjà présent dans l'Ancien Testament, est inédit à Rome ou à Byzance, où le principe héréditaire prévalait. Les Francs, dès Clovis, ont introduit le baptême comme un acte symbolique, mais ce dernier n’attribue pas de fondement religieux au pouvoir royal, contrairement au sacre.


1) L’introduction du sacre.

En 751, Pépin le Bref est sacré roi par le pape Boniface, et en 754, par le pape Étienne II à Saint-Denis, avec ses deux fils, Charles (futur Charlemagne) et Carloman.


2) L’apport du sacre à la royauté carolingienne.

Le sacre fait de Pépin le Bref un élu de Dieu, conférant une légitimité divine à son pouvoir. Le roi devient inviolable et son pouvoir ne peut plus être remis en question. Le sacre établit également la royauté héréditaire, le pape affirmant en 754 que la royauté doit rester dans la famille de Pépin. Le roi devient ainsi un chef temporel, tandis que le pape, chef spirituel, conserve une autorité universelle. Cette distinction des pouvoirs temporel et spirituel marquera des siècles de tensions entre l’Église et la royauté.

En 768, après la mort de Pépin, son fils Charlemagne lui succède, poursuivant l’héritage carolingien.


II) La restauration de l’empire.

Il convient de distinguer l'empire du royaume : l'empire a une vocation universelle, tandis que le royaume est limité par ses frontières. En 768, Charles Ier et son frère Carloman héritent du royaume, que leur père, Pépin le Bref, avait partagé entre ses deux fils. Les deux sont sacrés en 754, en même temps que leur père. En 771, à la mort de Carloman, Charles Ier prend seul le pouvoir et adopte le nom de Charlemagne. Pour consolider son pouvoir, il se lance dans une politique de conquêtes territoriales : il vainc les Lombards en 774 et devient roi des Lombards, conquiert le nord de l'Italie, soumet la Bavière et les Frisons en 785, et annexe la Saxe en 799. Charlemagne obtient, le 25 décembre 800, la couronne impériale du pape Léon III, ce qui marque la fondation d’un empire à vocation universelle.


A) Les enjeux politiques du couronnement impérial.

Le sceau du couronnement de Charlemagne mentionne "la restauration de l'Empire romain". Ce couronnement, le 25 décembre 800, intervient dans un contexte politique favorable, marqué par deux événements :

  • La situation du pape, contesté à Rome par une partie des nobles et jeté dans un monastère avant de s'échapper et solliciter Charlemagne.
  • La situation à Byzance, où l'impératrice Irène, après un coup d'État en 797, renverse son fils Constantin VI, mais un trône féminin est perçu comme vide.

Le couronnement a une dimension politique et religieuse, composé de trois rites :

  1. La remise de la couronne impériale par le pape Léon III.
  2. L'acclamation du peuple.
  3. La prosternation devant l'empereur, un rituel issu de l'Empire romain et repris à Byzance.

L'ordre de la cérémonie est significatif. Contrairement à l'usage oriental, où l'ordre commence par l'acclamation, le pape remet d'abord la couronne, ce qui symbolise que le pape est la source de tout pouvoir temporel. Selon Éginhard, une source importante de l'époque, Charlemagne aurait renoncé au couronnement s'il avait su l'ordre de la cérémonie.


B) Le ministère du roi et la naissance d’une théocratie impériale.

La théocratie désigne un régime où la légitimité du pouvoir découle de Dieu, entraînant une confusion entre pouvoir temporel et spirituel. Le couronnement de Charlemagne marque une transformation dans la conception du pouvoir : celui-ci devient un "ministère", une fonction confiée par Dieu pour défendre le peuple chrétien et maintenir la paix. Cette question soulève un débat : l'empereur doit-il répondre devant le pape ou directement devant Dieu ?

Dès lors, une lutte s'engage entre le pape et l'empereur pour incarner ce double pouvoir. Charlemagne, qui maîtrise ces deux pouvoirs, se présente comme le seul chef de l’Europe chrétienne. La théocratie s’articule autour de sa personne, et il est considéré comme l’universalisme politique de l’Europe, le phare vénérable de la chrétienté.


Section 2 : Les ambiguïtés de l’universalisme impérial.

L'universalisme impérial repose sur l'idée d'une unité, notamment territoriale. Bien que les Mérovingiens aient amorcé ce processus d'unification, les Carolingiens vont le poursuivre, en améliorant l'organisation administrative et judiciaire. Cependant, l'empire carolingien, sous l'effet du partage patrimonial de la royauté, voit son unité interne fragilisée.


I) La maîtrise administrative et judiciaire du territoire de l’empire.

L'Empire carolingien englobe l'ancien royaume des Francs ainsi que les territoires nouvellement conquis. Cela passe par une gestion entre le gouvernement central et l'administration locale, ainsi qu'une réorganisation judiciaire.


A) L’articulation entre gouvernement central et administration locale.

1) Le gouvernement central.

L'institution du palais perd la fonction de maire du palais, mais trois fonctionnaires jouent un rôle crucial devant l'empereur :

  • Le Sénéchal, un intendant général.
  • Le comte du palais, responsable de la hiérarchie judiciaire.
  • Le chancelier, chargé de la rédaction des actes législatifs, soulignant l'importance de l'écrit dans l'administration et le pouvoir législatif de l'empereur.

Le Sénéchal et le comte du palais héritent des fonctions du maire du palais. En parallèle, un état-major ecclésiastique, dirigé par l'archichapelain, conseille l'empereur et joue un rôle clé dans le régime théocratique.


2) L’administration locale.

La gestion de l'Empire repose sur les comtes, qui sont désormais considérés comme des ministres de l'empereur dans leurs circonscriptions. Charlemagne cherche à soumettre leur autorité et à assurer leur soumission, ce qui se manifeste dans la réorganisation de la justice.


B) La réorganisation de la justice.

Le système judiciaire subit une réforme majeure avec la création des missi dominici, des envoyés du maître, pour contrôler l'action des comtes.


1) La réforme du tribunal du mallus.

Charlemagne professionnelise la justice et restreint les compétences judiciaires des comtes. Le mallus devient un tribunal itinérant, les hommes libres devant assister à trois sessions annuelles obligatoires pour les procès majeurs. Charlemagne instaure des échevins, juges permanents et inamovibles, nommés à vie par l'empereur. Cela limite l'influence des comtes sur la composition des tribunaux. Cependant, le fait que les échevins soient souvent des vassaux des comtes limite l'efficacité de ce contrôle.


2) Les missi domini (envoyés du maître).

Pour renforcer le contrôle des comtes, Charlemagne met en place des missi dominici, envoyés en inspection dans des territoires correspondant à 5 à 10 comtés. Ces envoyés, un ecclésiastique et un laïque, ont un large pouvoir :

  • Ils peuvent ordonner des enquêtes générales.
  • Ils exercent la haute justice et peuvent casser des décisions judiciaires.
  • Ils ont le pouvoir d'évocation, c'est-à-dire de juger des affaires directement, à la place du tribunal local.

Bien que cette institution ait joué un rôle essentiel dans la centralisation du pouvoir, elle disparaîtra à la fin du XIXe siècle.


II) La fragilité de l’unité impériale.

L'unité de l'Empire carolingien est mise en péril par deux facteurs principaux :

  1. Le partage de l'Empire à la mort de Charlemagne : L'empire est divisé entre ses héritiers, ce qui fragilise son unité.
  2. Le développement des liens vassaliques : La multiplication des vassaux complique la gestion de l'Empire et renforce l'indépendance des seigneurs locaux, affaiblissant le pouvoir central.

A) Succession et partage de l’empire.

1) La succession de Charlemagne.

À la mort de Charlemagne, l’unité de l'Empire carolingien est mise en péril par la question de la succession. Charlemagne avait trois fils, et en 806, il prévoit de diviser l'Empire entre eux de manière égale. Cette décision se heurte à deux conceptions de la succession. D’une part, la vision d'une dignité impériale indivisible, dans laquelle l’Empire est perçu comme un tout unifié, et d’autre part, la tradition germanique du partage égalitaire, où les terres sont divisées entre les héritiers légitimes sans tenir compte de l’ancienneté. Charlemagne choisit la seconde option en 806, avec un partage égal des terres entre ses fils. Toutefois, seul Louis le Pieux, son fils cadet, survivra pour lui succéder après sa mort en 814, ce qui modifie l’équilibre du pouvoir prévu par Charlemagne.


2) La mise en ordre de l’empire.

Louis le Pieux, successeur de Charlemagne, renforce l’idée d'une succession impériale ordonnée et d’une hiérarchie stricte. En 817, il émet une ordonnance de succession qui établit que, bien que ses trois fils partagent des territoires, seul Lothaire, son fils aîné, sera couronné empereur. Les autres fils, Louis le Germanique et Pépin, obtiendront des royaumes, mais resteront sous la tutelle de Lothaire. Cette ordonnance prévoit de maintenir l’unité impériale tout en divisant le territoire. Cependant, la situation se complique avec l’arrivée du quatrième fils de Louis, Charles, qui n’est pas inclus dans la succession initiale, ce qui provoque une révolte de ses frères. La division entre les fils est donc contestée, et ce modèle de succession est profondément perturbé.


3) L’éclatement de l’empire carolingien.

Malgré les efforts pour maintenir l'unité de l’Empire, des tensions internes éclatent. Après la révision de la succession, Lothaire, bien qu’il conserve le titre d’empereur, se trouve en conflit avec ses frères, Louis et Charles. La guerre entre les frères mène à la signature du serment de Strasbourg en 842, où Louis le Germanique et Charles le Chauve unissent leurs forces contre Lothaire. Cette guerre culminera avec le traité de Verdun en 843, qui divise l’Empire en trois parties distinctes :

  • La Francie occidentale, attribuée à Charles le Chauve, qui fait face à l’instabilité des invasions vikings ;
  • La Francie orientale, donnée à Louis le Germanique, marquant les premières frontières de l’Allemagne ;
  • La Lotharingie, qui revient à Lothaire, s’étendant de la mer du Nord à l’Italie, mais dont l’unité sera de plus en plus fragile.

Le traité de Verdun, bien que mettant fin à la guerre civile, engendre une division définitive de l'Empire. Le pouvoir royal devient encore plus fragile, en particulier pour Charles le Chauve, qui doit accepter une forme de gouvernement contractuel avec les grands du royaume pour maintenir son autorité.


B) L’utilisation politique de la vassalité.

Le concept de vassalité, dans son sens médiéval, trouve ses racines dans la commendatio mérovingienne, où un homme libre se place sous la protection d’un seigneur en échange de services militaires et d’allégeance. Cela évolue au fil du temps pour devenir un système de relations féodales plus complexes sous les Carolingiens.

Charles Martel, pour lever des armées, a mis en place des dotations foncières (beneficia), offrant des terres aux cavaliers pour assurer leur service militaire. Ces terres deviennent progressivement une forme de rémunération pour les services rendus, et ces cavaliers sont considérés comme des vassaux royaux. Cependant, une question surgit : comment maintenir le contrôle sur ces vassaux ? Le roi cherche à centraliser la vassalité et exige que tous les vassaux de ses vassaux prêtent fidélité à lui directement, afin d’assurer une loyauté envers la couronne.

Charlemagne, par exemple, impose un serment de fidélité à tous ses sujets en 802, et plus tard, Charles le Chauve rend cette vassalité obligatoire pour tous les hommes libres de son royaume. Les seigneurs locaux sont désormais responsables de leurs vassaux, mais doivent reconnaître le pouvoir supérieur du roi.

Au fur et à mesure que la vassalité se développe, elle se transforme en un système héréditaire où les terres et le pouvoir se transmettent de génération en génération. Cela renforce l’autonomie des seigneurs locaux, au détriment de l’autorité centrale. Au fil du temps, les réseaux vassaliques privés prennent de plus en plus d’importance, ce qui fragilise l’unité de l’Empire. Dès le XIXe siècle, le lien personnel entre le vassal et son seigneur perdure, mais la vassalité devient moins un outil d’unité impériale et plus une structure locale de pouvoir, contribuant à la fragmentation de l’Empire carolingien.


C) Les conséquences politiques de la désagrégation de l’empire.

La désagrégation de l'Empire carolingien a conduit à l'affaiblissement du pouvoir royal. L'instabilité et les querelles successorales entre les héritiers de Charlemagne ont permis aux comtes de renforcer leur pouvoir en usurpant des prérogatives d'autorité publique. Dans un premier temps, le roi conservait théoriquement la possibilité de révoquer les titulaires des charges comtales, mais une mesure introduite par Charles le Chauve a eu des effets durables.

Le capitulaire de Quierzy-sur-Oise, promulgué en 877 par Charles le Chauve, marque un tournant dans la gestion du royaume. Ce texte fondamental traite de la succession des terres et des droits au sein de la monarchie carolingienne, stipulant que les terres seraient transmises aux héritiers mâles pour maintenir le pouvoir de la dynastie. En cas de décès d'un comte, son fils pouvait désormais lui succéder. Cela a instauré, de manière irréversible, l'hérédité des fonctions comtales et contribué à la consolidation du pouvoir local au détriment de l'autorité royale.

Le développement de la féodalité a été une conséquence directe de cette politique. Charles le Chauve, en nommant des ducs pour gouverner de vastes régions, a permis la création de structures de pouvoir locales indépendantes, qui se sont progressivement émancipées de l'autorité royale. Cela a donné naissance à une série de principautés locales, souvent dirigées par des familles nobles, et a participé à la décentralisation du pouvoir au sein de l'Empire carolingien.


D) Le dernier siècle carolingien.

Le dernier siècle de la dynastie carolingienne, de 888 à 987, marque une époque de crise profonde pour l'institution royale. À la mort de Charles le Gros en 888, les grands du royaume ont rejeté son héritier, Charles le Simple, et élu un autre roi, Eudes, membre de la famille des Robertiens. Cette alternance entre les Carolingiens et les Robertiens révèle la fragilité de la monarchie et la montée en puissance des grands féodaux. Au fil des décennies, ces grands ont constitué des ensembles territoriaux indépendants qui échappaient de plus en plus au contrôle du roi.

La montée en puissance des grands du royaume se manifeste par la création de principautés et l'ascension de figures comme Hugues le Grand, qui cumule des titres et exerce une influence considérable. Hugues le Grand devient un acteur clé dans la politique du royaume, se rendant indispensable pour l'équilibre du pouvoir. Cependant, la crise se poursuit avec la lutte pour la succession du trône, particulièrement après la mort d'Eudes en 898 et celle de Robert de Neustrie en 923.

Les luttes internes entre les Robertiens et les Carolingiens se poursuivent, mais elles aboutissent finalement à la montée sur le trône de Hugues Capet. À la mort de Charles le Simple en 923, Louis IV d'Outremer, héritier carolingien, reprend le trône, mais les grandes familles continuent de jouer un rôle majeur dans la gestion du royaume. La crise se résorbe partiellement avec l'élection de Hugues Capet comme roi des Francs en 987, marquant la fin de la dynastie carolingienne et le début de la dynastie capétienne.

La montée de Hugues Capet est significative : il devient roi grâce au soutien des grands du royaume et fonde une nouvelle dynastie qui durera plusieurs siècles. Son accession au trône, en tant que dernier héritier des Robertiens, illustre l'essor de la monarchie capétienne et l'affirmation du pouvoir royal contre la fragmentation féodale qui avait marqué la fin du règne carolingien.

Partie 2 : La construction de l’unité étatique française (Xème-XVIème siècle).

Chapitre 1 : La royauté capétienne des Xème-XIIème siècles.

La période de la royauté capétienne se divise en deux phases principales :

  1. Première période (987-1108) : Elle débute avec l’avènement d’Hugues Capet, marquée par une royauté affaiblie. Le pouvoir royal est limité à un domaine restreint, le roi étant souvent vu comme impuissant à régner, selon Richer de Reims. Le domaine royal, qui s’étend de Paris à Orléans, est bien plus petit que celui d'autres seigneurs. La royauté est principalement exercée en tant que seigneurie sur ce domaine réduit.
  2. Deuxième période (1108 et après) : Avec Louis VI le Gros, la royauté connaît un redressement. Le roi capétien devient un suzerain, augmentant son pouvoir et amorçant la transition vers la souveraineté. Cette période est marquée par des évolutions économiques et culturelles, ainsi qu’un renforcement du pouvoir royal par la conquête territoriale et politique.


Section 1 : L’âge de la seigneurie.

L'accession d'Hugues Capet au trône marque une époque de grande instabilité politique, où le pouvoir royal est très affaibli. Les grands seigneurs, notamment les ducs et les comtes, sont les véritables détenteurs du pouvoir sur leurs territoires. Le royaume est fragmenté, et les anciennes structures administratives s'effondrent. Ce morcellement du pouvoir donne naissance à des seigneuries banales et justicières, une structure qui se développe au fil du XIe siècle.


I) La seigneurie banale et justicière.

La seigneurie banale et justicière trouve ses origines dans deux phénomènes :

  • L'usurpation des prérogatives publiques : Les anciens gardiens de forteresses publiques, qui exerçaient des fonctions militaires et judiciaires au nom du comte ou d’un prince, commencent à usurper ces prérogatives et à les exercer de manière autonome. Ce processus transforme le gardien de forteresse en un châtelain indépendant, qui peut transmettre son pouvoir à ses descendants.
  • La transformation d'une seigneurie foncière : Un seigneur foncier, qui possédait un domaine et percevait des redevances de ses paysans, va progressivement étendre son pouvoir en assumant des fonctions judiciaires, militaires et fiscales. Cette transformation donne naissance à la seigneurie banale, où le seigneur impose des taxes et exerce un pouvoir quasi absolu.

Les châteaux et forteresses deviennent les centres de cette nouvelle forme de domination. Le seigneur chatelain y exerce des fonctions militaires, judiciaires et fiscales, en imposant des taxes (comme la taille), en rendant justice (notamment en matière criminelle) et en obligeant ses sujets à effectuer des corvées ou des services militaires. Il est le juge suprême de sa seigneurie, exerçant une justice de sang qui lui permet de juger et punir ses sujets.


II) La puissance du seigneur.

Les seigneurs exercent un large éventail de pouvoirs sur leurs sujets non-nobles, y compris :

  • Des prérogatives militaires : Le seigneur exige de ses paysans un service militaire, qui était auparavant dû au roi. Ce service inclut des tâches défensives, telles que la garde du château.
  • Des prérogatives judiciaires : Le seigneur devient le juge suprême sur son territoire. Il rend la justice, perçoit des amendes et confisque les biens des coupables. La justice seigneuriale est souvent perçue comme arbitraire et profite largement au seigneur.
  • Des prérogatives fiscales : Le seigneur prélève des taxes sur ses sujets, notamment la taille, en échange de la sécurité qu'il leur offre. Il impose aussi des redevances sur l'utilisation de certaines infrastructures (comme des moulins ou des fours).

Cependant, ces pouvoirs se limitent aux non-nobles. Les chevaliers, eux, échappent à l'autorité seigneuriale, leur dépendance ne devant reposer que sur un lien de vassalité.


Section 2 : L’ordre féodal.

L'ordre féodal se définit par des relations hiérarchiques basées sur des liens de vassalité et des fiefs. Le système féodal repose sur deux concepts principaux :

  • La vassalité : Ce lien personnel unit un vassal à son seigneur. Le vassal s'engage à servir son seigneur en échange de protection et de terres.
  • Le fief : Il représente un lien réel, un bien (souvent une terre) que le seigneur donne à son vassal en échange de services.


I) Le contrat vassalique.

A) La formation de l’acte de foi et d’hommage.

Le contrat vassalique, qui est l'acte par lequel le vassal s'engage envers son seigneur, se formalise au travers de deux rites solennels : l'hommage et le serment de fidélité.

  • L'hommage : Ce rite symbolise la soumission complète du vassal au seigneur. Il se compose de plusieurs gestes solennels, dont l'agenouillement du vassal et la remise de ses mains jointes à celles du seigneur. Cela représente un acte de soumission complète de la personne du vassal.
  • Le serment de fidélité : Ce serment, prononcé devant des reliques sacrées, engage le vassal sur le plan religieux. Il prête fidélité à son seigneur, et la violation de ce serment peut entraîner des sanctions graves, comme l'excommunication.

Ce contrat féodal est essentiel à la structure de la société médiévale, car il fonde la relation entre seigneur et vassal, et par extension, la relation de pouvoir dans le monde féodal.


B) Les obligations vassaliques.

Les obligations vassaliques sont issues du contrat vassalique, qui crée des engagements à la fois pour le vassal et le seigneur. Ces obligations sont essentiellement le fruit de l'hommage et du serment de fidélité, qui lient les deux parties. Toutefois, les obligations du vassal sont bien plus lourdes et étendues que celles du seigneur, et elles évoluent au fur et à mesure du développement du système féodal.


1) Les obligations du vassal.

Les obligations du vassal sont détaillées dans des textes historiques, comme la lettre de Fulbert de Chartres au duc d'Aquitaine, rédigée vers 1020. Cette lettre fait état des devoirs du vassal envers son seigneur et est considérée comme un texte de référence en la matière. Le vassal doit respecter un ensemble d’obligations négatives, c'est-à-dire qu'il doit s'abstenir de certaines actions qui pourraient nuire à son seigneur. Ces obligations peuvent être classées en trois grandes catégories :

  • Respect des possessions et biens : Le vassal ne doit pas porter atteinte aux possessions mobilières et immobilières de son seigneur. Cela inclut ses terres, ses châteaux, et ses trésors.
  • Respect de l'intégrité physique : Le vassal doit respecter l'intégrité physique de son seigneur, ne lui causant aucun dommage physique ou psychologique.
  • Respect du pouvoir et des prérogatives du seigneur : Le vassal doit éviter toute action qui pourrait nuire à l'autorité du seigneur, que ce soit sur le plan juridique, militaire ou politique.

De plus, Fulbert de Chartres souligne qu’un vassal ne doit pas rendre plus difficile les actions qui bénéficieraient à son seigneur ou rendre impossibles celles qui seraient faisables. Cela illustre l’idée que le vassal doit être un soutien et ne doit en aucun cas constituer un obstacle aux actions de son seigneur.

Ces obligations montrent que la relation entre le vassal et son seigneur repose sur une non-agression réciproque. Le vassal s'engage à ne pas porter préjudice à son seigneur, et cette situation doit permettre une paix relative entre les parties, sans que le pouvoir royal n’intervienne directement. Cette situation repose sur la confiance et la loyauté personnelles, et elle ne concerne pas directement les institutions royales.


2) Les obligations du seigneur.

En comparaison des obligations du vassal, celles du seigneur sont relativement moins contraignantes. Au départ, le seigneur avait pour obligation de fournir au vassal une certaine sécurité matérielle pour lui permettre de remplir ses propres obligations. Cela inclut l’hébergement, la nourriture et les vêtements. Par la suite, les seigneurs commencent à concéder des terres en fief à leurs vassaux, afin de leur fournir des ressources pour accomplir leurs devoirs.

Les obligations du seigneur incluent principalement :

  • La protection du vassal : Le seigneur doit garantir la sécurité de son vassal, en le protégeant contre les menaces extérieures ou d'autres seigneurs.
  • L’abstention de tout acte dommageable : Le seigneur doit se comporter de manière non-agressive envers son vassal, lui éviter tout préjudice.
  • La justice : Le seigneur doit rendre justice à son vassal lorsqu’il en fait la demande, ce qui se traduit par la tenue de Cours féodales. Ces Cours, composées de vassaux, rendent la justice entre les membres de la seigneurie. Ce type de justice est appelée justice par les pairs, où les juges sont tous des nobles, ce qui reflète l'organisation sociale de l'époque.

Les obligations du seigneur se sont progressivement orientées vers une relation de pouvoir plus directe, notamment à travers l’institution du fief. L'évolution du fief comme lien réel entre seigneur et vassal marque une transformation importante dans l’architecture des obligations féodales.


II) La concession de fief.

Au départ, la concession de fief n’était pas systématiquement liée au contrat vassalique, et elle se faisait indépendamment du lien personnel. Ce n'est que progressivement que la concession de fief devient une contrepartie du lien personnel entre seigneur et vassal, renforçant le lien réel et matériel entre les deux parties.


A) L’investiture du fief.

L’investiture du fief est une cérémonie essentielle marquant l'établissement du lien réel entre le vassal et son seigneur. Elle se déroule après le serment d’hommage et la prestation de fidélité, durant laquelle le seigneur remet au vassal un objet symbolique représentant la terre accordée en fief. Cette cérémonie scelle l'accord entre le vassal et son seigneur.


1) Les fiefs de reprise.

Ces fiefs sont une évolution du système, apparus au XIe siècle. Dans ce cas, le vassal, propriétaire d’une terre, se place sous la protection d'un seigneur, qui lui restitue la terre sous forme de fief. Cela permet au vassal de bénéficier de la protection d'un seigneur plus puissant tout en restant propriétaire de la terre.


2) Les fiefs d’attribution.

Ce sont les fiefs originaux, où le seigneur accorde des terres à son vassal en échange de services nobles. Ces fiefs sont généralement des terres concédées à titre de réciprocité pour les services militaires du vassal.


B) Les obligations positives du vassal.

Ce sont les fiefs originaux, où le seigneur accorde des terres à son vassal en échange de services nobles. Ces fiefs sont généralement des terres concédées à titre de réciprocité pour les services militaires du vassal.


C) Hérédité et aliénabilité.

1) Hérédité du fief.

Au début, les fiefs étaient accordés à titre viager, ce qui signifiait qu’ils revenaient au seigneur à la mort du vassal. Cependant, à partir du XIe siècle, la concession héréditaire du fief devient plus courante, permettant à l’héritier du vassal de reprendre le fief à la mort de ce dernier, à condition qu'il prête à son tour hommage au seigneur. Ce système favorise la stabilité du lien féodal sur plusieurs générations.


2) Aliénabilité du fief.

En revanche, l’aliénabilité du fief concerne la possibilité pour un vassal de transmettre ou de vendre son fief. Les droits du seigneur sur l’héritier du vassal s'amenuisent avec le temps, mais il peut encore imposer un droit de relief pour la succession du fief, en demandant une indemnité à l’héritier du vassal. Cette évolution des fiefs renforce l’aspect matériel du système féodal, qui devient plus complexe au fil du temps.


III) L’organisation hiérarchique des vassalités multiples.

Au début de la période carolingienne et jusqu’à la fin du XIe siècle, le principe dominant de la vassalité était celui de l’indépendance des vassaux vis-à-vis des seigneurs de leurs vassaux. Cette maxime était formulée ainsi : « Le vassal de mon vassal n’est pas mon vassal ». En d’autres termes, le contrat vassalique n'engageait que les parties directement concernées, et ne se transposait pas aux autres niveaux de la hiérarchie féodale. Cela signifiait qu'un seigneur ne pouvait exercer un pouvoir de commandement sur les vassaux de ses vassaux. Le lien de fidélité et de service était ainsi strictement personnel et ne s’étendait pas au-delà de la relation directe entre seigneur et vassal.

Cependant, très rapidement, la pratique de la concession de fief prit le pas sur l’aspect purement personnel de la relation vassalique. En conséquence, certains vassaux commencèrent à cumuler plusieurs fiefs et à prêter hommage à plusieurs seigneurs. Cette évolution entraîna des conflits de loyauté : à quel seigneur un vassal devait-il prêter fidélité lorsqu’il était le vassal de plusieurs seigneurs à la fois ? Ce phénomène de vassalité multiple fut à l’origine de nombreux efforts pour organiser cette pluralité d’engagements.

Au XIIe siècle, le comte de Champagne, par exemple, prêta hommage à une dizaine de seigneurs, parmi lesquels figuraient le roi de France, le duc de Bourgogne, et l’archevêque de Reims. Un tel cumul de vassalités permettait au vassal de tirer parti de sa situation, en choisissant à quel seigneur il allait servir, et en fin de compte en estimant qu’il n’était le vassal de personne.

Pour tenter de remédier à ce problème, plusieurs solutions juridiques furent proposées. Dès le début du Xe siècle, une clause de « réserve de fidélité » apparut dans les contrats de vassalité. Par cette clause, un vassal qui souhaitait prêter hommage à un second seigneur devait s’engager à maintenir sa fidélité envers le premier seigneur.

Ainsi, au début du XIIe siècle, le comte de Flandre, déjà vassal du roi de France, souhaitait devenir vassal du roi d'Angleterre. En conséquence, il s’engagea auprès de ce dernier « sauvant » la fidélité qu’il devait d’abord au roi de France.

Les juristes mirent également en place une distinction entre hommage lige et hommage plane. L’hommage lige impliquait un service de fidélité prioritaire envers le seigneur, tandis que l’hommage plane concernait un service secondaire. Cependant, ce système créa un autre problème : certains vassaux prêtaient plusieurs hommages liges à des seigneurs différents, phénomène appelé la multiplication des ligesses. Pour organiser cette situation, les juristes établirent que la priorité du service féodal serait déterminée par deux critères : soit par l’ancienneté de l’engagement, soit par l’importance du fief. Le vassal promettait alors fidélité au seigneur qui lui avait concédé le fief le plus important.


Section 3 : L’enracinement de la royauté capétienne.

Lorsque Hugues Capet accéda au trône en 987, son pouvoir était relativement modeste. En effet, son domaine royal se limitait à une petite zone géographique, principalement entre Orléans et Paris. À ce moment-là, le roi n'était pas plus puissant que d'autres seigneurs de France. L'importance de cette situation réside dans le fait que, sur son domaine, le roi agissait en tant que seigneur féodal, gouvernant directement ses terres. Cependant, les rois capétiens cherchaient à dépasser cette condition de « roi féodal » et à se constituer une autorité plus centrale et centralisatrice, détournant le droit féodal à leur profit.

Il est essentiel de distinguer entre le royaume et le domaine royal. Le royaume désigne le territoire que le roi gouverne indirectement, en obtenant l'accord des grands du royaume. Ce processus de médiation du pouvoir était essentiel dans l’exercice de l’autorité royale au début de la dynastie capétienne. Cependant, dès le XIIe siècle, les rois capétiens mirent en place des mécanismes pour renforcer leur pouvoir.


I) La construction politique capétienne.

L’objectif de cette construction politique était de solidifier la place de la famille capétienne à la tête du royaume. Pour cela, trois principes fondamentaux furent mis en avant : l'affirmation du principe héréditaire, la sacralisation du pouvoir royal par le sacre, et l’instauration d’un rôle unique pour le roi au sein du royaume.


A) L’affirmation du principe héréditaire.

Avant l'ascension des Capétiens, le système électif affaiblissait considérablement la royauté. L'élection royale donnait une grande importance aux grands du royaume, et la succession n’était pas toujours garantie. En 987, Hugues Capet réussit à imposer le principe héréditaire. Après son sacre, il obtint le soutien des grands du royaume pour faire élire et sacrer son fils Robert, marquant ainsi l’établissement d’une dynastie héréditaire. Cela entra en pratique avec la règle de l'aînesse et la règle de la primogéniture mâle, qui déterminaient la succession.


B) Le sacre.

Le sacre du roi capétien devint un rite central pour légitimer le pouvoir royal. Le sacre, effectué par l’archevêque de Reims, revêtait un caractère religieux et symbolique. Il incluait plusieurs rites, tels que l’élection formelle du roi, l’onction avec de l'huile sainte, et la remise des insignes royaux (sceptre, glaive, anneau). Ces rites servaient à souligner la sacralité de la fonction royale et à renforcer l’autorité du roi, le présentant comme l’élu de Dieu, garant de l'ordre et de la justice.


C) Le ministère royal.

Le sacre fondait le ministère royal, une fonction qui s’étendait à plusieurs domaines du gouvernement. Le roi avait pour mission de garantir la sécurité du royaume, de maintenir l'ordre et la paix, et de rendre la justice. Ce rôle impliquait la protection du clergé et des sujets, notamment grâce à la paix de Dieu et la trêve de Dieu, qui interdisaient la violence contre certains groupes vulnérables et limitaient les guerres privées entre seigneurs.


II) La supériorité féodale du roi capétien.

Les rois capétiens, bien que profondément enracinés dans le système féodal, ont progressivement cherché à en limiter les contraintes. En tant que seigneur de son domaine royal, le roi exerçait une autorité directe sur ses terres et ses hommes. Cependant, le pouvoir royal restait limité par l’influence des grands féodaux, qui exerçaient souvent leur propre autorité sur certaines zones. Ce n’est qu’à partir du règne de Louis VI que les rois capétiens parvinrent à imposer leur domination sur l'ensemble du domaine royal, marquant ainsi un tournant dans l’histoire de la monarchie française.


A) Le roi : suzerain suprême.

Le roi, au sein du système féodal, devient progressivement le suzerain suprême, c'est-à-dire le seigneur au sommet de la hiérarchie féodale. Cette idée se développe sous les règnes d'Hugues Capet, Louis VI et Louis VII, notamment grâce à la théorie de Suger, qui affirme que tous les grands du royaume, y compris les vassaux directs du roi, lui doivent hommage. Cette théorie repose sur l'idée de la "mouvance des fiefs", où chaque fief est un démembrement du royaume, plaçant ainsi le roi au sommet de la pyramide féodale.


B) Le refus de l’hommage et ses suites.

our renforcer son autorité, le roi refuse de prêter hommage à un autre seigneur, même si le fief lui revient. Un adage se développe : "le roi ne doit hommage à personne". Ce principe est renforcé par des mécanismes comme le système de compensation ou de substitution, qui permet au roi d’éviter d’être vassal de seigneurs inférieurs, notamment dans des cas comme l'hommage prêté par Philippe Auguste au nom de sa femme. À partir du XIIIe siècle, inspiré par la féodalité anglaise, le roi capétien renverse la règle féodale et impose son autorité directement sur l’ensemble du royaume.

Chapitre 2 : La royauté souveraine.

Au XIIIe siècle, le terme Francia désigne l'ensemble du royaume, et le roi de France devient perçu comme le souverain de tout le territoire, plutôt que comme un seigneur sur des individus. Le concept de Couronne devient central, distinguant le pouvoir royal de la personne du roi. L’idée d’un pouvoir royal indépendant, incarnant l’État, se développe au fur et à mesure de l’affirmation de la souveraineté royale.


Section 1 : L’essor de la souveraineté royale.

Jusqu’au XIIIe siècle, la souveraineté royale s’inscrit encore dans le cadre féodal. Cependant, au fil du temps, le roi se détache de la féodalité pour s’affirmer comme souverain, un pouvoir centralisé sur le territoire. Cela se reflète dans les coutumes et les écrits des légistes, comme dans le Coutumes de Beauvaisis, où le roi est affirmé comme souverain "par-dessus tout", possédant le droit de rendre la justice et d’établir des lois pour le bien commun.


I) La dimension interne de la souveraineté.

Le pouvoir royal devient centralisé, permettant au roi d’affirmer une autorité sur tous ses sujets, nobles ou non nobles. Dès la fin du XIIIe siècle, la souveraineté royale s’affirme en dehors du cadre féodal. Le roi devient le seul souverain, avec une autorité sur tout le royaume.


II) La dimension externe de la souveraineté.

Face à l’empire romain germanique et à la papauté, qui revendiquent une suprématie universelle, la France se positionne comme un royaume indépendant. Les juristes de Philippe Auguste utilisent des maximes pour affirmer l’indépendance du roi face à ces puissances extérieures, comme le passage des décrétales du pape Innocent III, qui soutient que le roi de France n’a pas de supérieur temporel. Jean de Blanot affirme que le roi de France est "empereur en son royaume", soulignant l’indépendance et la souveraineté absolue du roi face aux autres puissances.

Ainsi, la souveraineté royale se renforce à la fois sur le plan interne, en absorbant la structure féodale, et sur le plan externe, en s’opposant à toute forme de domination étrangère.


A) L’affirmation de la souveraineté royale face au Saint-Empire romain germanique (SERG).

Au Moyen Âge, deux formes politiques majeures coexistaient : celle du royaume et celle de l'empire. Le royaume désigne une structure politique propre à un peuple spécifique, tandis que l'empire a une vocation universaliste, visant à régir divers peuples, en s'inspirant du modèle de l'Empire romain. À partir du milieu du Xe siècle, le modèle impérial s'est développé dans les trois royaumes de Germanie, d'Italie et de Provence (Bourgogne), formant ainsi le Saint-Empire romain germanique. Face à cette entité, la France se distingue comme le royaume par excellence. Le roi capétien défend son indépendance face à cet empire.

Au XIIIe siècle, les juristes de l'empereur affirmèrent que l'empereur du Saint-Empire romain germanique était le "dominor mundi", le maître du monde, un titre héritier de l'Empire romain. Cette affirmation incita le roi de France à défendre son indépendance, notamment par l'invention du concept de souveraineté. Philippe Auguste, en particulier, revendique cette souveraineté, en se qualifiant "d'Auguste", un titre qui visait à se mesurer à l'empereur et à revendiquer les prérogatives impériales.

Les juristes français, pour renforcer cette revendication, s'appuient également sur un acte normatif du pape Innocent III, qui, dans une de ses décrétales, affirmait que le roi de France n'avait de supérieur temporel. Jean de Blanot, par exemple, soulignait que "le roi de France est le seul maître en son royaume". Ce principe, affirmé après la mort de Frédéric Barberousse, s'opposera également à la papauté.


B) L’affirmation de la souveraineté royale face à la papauté.

1) La confrontation de deux théories.

Les relations entre la papauté et le roi de France sont marquées par une confrontation entre deux théories :

  • La théorie de la théocratie pontificale : Selon cette doctrine, le pape détient un pouvoir suprême, institué par Dieu, et a autorité sur les rois et princes temporels. Cette théorie repose sur l'image des "deux glaives" : l'un spirituel, remis au pape pour gouverner l'Église, et l'autre temporel, qu'il détient pour guider les princes dans leur usage du pouvoir terrestre.
  • La théorie de la souveraineté royale : En réponse à cette conception, le roi de France affirme sa souveraineté sur son royaume et reconnaît la supériorité papale uniquement en matière spirituelle, tout en rejetant l'idée de toute subordination temporelle.


2) Le conflit entre Boniface VIII et Philippe IV le Bel.

Ce conflit se déploie en deux étapes majeures :

  • Première étape (1295-1296) : Le conflit débute en 1295 lorsque Philippe IV Le Bel cherche à lever une décime sur le clergé sans l'approbation du pape Boniface VIII. Ce dernier, rappelant la nécessité de l'autorisation papale, soutient la supériorité du pape sur le roi de France. En réponse, les légistes du roi défendent l'idée de la séparation des pouvoirs spirituel et temporel et affirment que le clergé français est soumis au roi dans les affaires temporelles. Bien que Boniface VIII admette la possibilité pour le roi de lever des impôts en cas de nécessité, il insiste sur l'autorisation papale.
  • Seconde étape (1301-1303) : Le conflit prend une tournure plus violente et politique. En 1301, l'évêque de Pamiers, Bernard Saisset, est accusé d'avoir comploté contre Philippe IV. Il fait appel au pape, qui, par une bulle, réaffirme sa supériorité. Philippe IV riposte en convoquant une assemblée des États généraux en 1302, où il est décidé que le roi de France n'a de supérieur en matière temporelle et qu'il détient son royaume directement de Dieu. Ce principe d'indépendance royale est réaffirmé, notamment contre la théorie des "deux glaives".
  • Dégénérescence du conflit : En septembre 1303, Guillaume Nogaret, un conseiller de Philippe IV, organise une expédition contre le pape à Anagni. L'attaque contre Boniface VIII est violente, mais le pape meurt un mois plus tard. Son successeur, Clément V, annule les décisions de Boniface VIII, rétablissant une certaine autonomie de la royauté française.

Ce conflit consacre l'indépendance de la royauté face à la papauté, préparant le terrain pour le gallicanisme, une doctrine qui soutient les libertés de l'Église de France vis-à-vis du pape.


Section 2 : Les lois fondamentales du royaume.

L'expression "loi fondamentale" apparaît en 1575 pour désigner les règles constitutionnelles du royaume de France, parfois appelées "Constitution de l'ancienne France". Ces lois ne sont pas écrites, mais coutumières, formées par la répétition de pratiques historiques. Turgot a pu dire à Louis XVI : "Sire, votre royaume n'a point de Constitution", soulignant la nature non codifiée des lois fondamentales. Ces lois se caractérisent par deux aspects :

  • Elles sont constitutionnelles, régissant l'organisation de l'État de manière intangible et limitant l'autorité royale.
  • Elles sont limitatives de l'autorité royale, en ce que le roi ne peut ni modifier ni transgresser ces lois. Elles s'imposent au souverain, et le Parlement de Paris en devient le gardien. Il existe ainsi une hiérarchie des lois où les lois fondamentales du royaume prévalent sur celles du roi.

Les lois fondamentales du royaume se divisent en deux domaines principaux : la dévolution de la couronne et l'inaliénabilité du domaine de la couronne.


I) La dévolution de la couronne de France.

La loi de succession à la couronne de France a été fixée par l'arrêt du Parlement de Paris du 28 juin 1593, également connu sous le nom d'arrêt de la loi salique. Cette règle, qui remonte progressivement à partir du Xe siècle, a été formée par des précédents historiques. Le principe d'hérédité, qui exige que le successeur d'un roi soit un héritier direct de ce dernier, s'est imposé à partir du règne de Philippe Auguste. Ce principe a été complété par la règle de la primogéniture, qui privilégie l'aîné des héritiers pour accéder à la couronne.

Les règles de succession ont été affinées au fil du temps, notamment lorsque le principe de la représentation successoral a été introduit, permettant aux descendants du roi de se substituer dans les droits d'un parent décédé, comme cela a été le cas pour Louis XV, arrière-petit-fils de Louis XIV.

Ainsi, la succession à la couronne de France repose sur un ensemble de lois coutumières fondées sur la répétition des pratiques et sur un consensus politique, marquant la stabilité et l'intangibilité des lois fondamentales du royaume.


A) Le principe de masculinité.

Le principe de masculinité est une règle coutumière qui a émergé au XIVe siècle, après une crise de succession en France, marquée par l'exclusion des femmes de la succession à la couronne. Cette règle s’est affirmée par la répétition des précédents et les décisions prises par les assemblées royales, tout en s’inscrivant dans un objectif politique : garantir la stabilité et la pérennité de la dynastie capétienne.


1) Le précédent de 1316.

Le précédent de 1316 est lié à la mort de Louis X le Hutin, qui laisse une fille comme héritière. Cependant, l'assemblée des barons, soutenue par des arguments juridiques et politiques, décide d'écarter Jeanne de Navarre, la fille du défunt, de la succession. Elle justifie cette décision par l’argument de la masculinité : seul un homme, Philippe V le Long, peut succéder au trône, et ce dernier devient roi en 1317. Cette décision renforce le principe selon lequel la couronne ne peut pas passer aux filles du roi.


2) Le précédent de 1328.

Le précédent de 1328 marque une nouvelle étape dans l’affirmation du principe de masculinité. À la mort de Charles IV le Bel, la question de la succession se pose à nouveau. L’assemblée de 1328 décide de confirmer l'exclusion des femmes en matière de succession à la couronne de France et de préférer les descendants masculins dans la ligne collatérale. Ce précédent mène à la guerre de Cent Ans, car il écarte Édouard III d’Angleterre, prétendant au trône, en raison de la règle de primogéniture et de l’application stricte du principe de masculinité.


B) L’indisponibilité de la couronne de France.

L'indisponibilité de la couronne de France signifie que la succession au trône ne peut pas être modifiée à volonté par le roi régnant. Il s'agit d'une règle de droit fondée sur la coutume, qui empêche le roi de disposer librement de la couronne pendant son règne.


1) Le traité de Troyes.

Le traité de Troyes, signé entre Charles VI et Henri V d'Angleterre, déclare Henri V héritier de la couronne de France, écartant ainsi le Dauphin Charles, l’héritier légitime. Ce traité est une violation des règles coutumières de succession. Cependant, il est contesté par une doctrine affirmant que la couronne de France est indisponible et ne peut être changée par la volonté d’un roi. Cette idée sera renforcée par les événements politiques et la guerre menée pour rétablir Charles VII sur le trône.


2) Les justifications du principe d’indisponibilité de la couronne.

Avant même le traité de Troyes, des théories juridiques ont été développées pour soutenir l’idée que la couronne de France ne pouvait être attribuée à qui que ce soit en dehors des règles de succession coutumières. Jean de Terrevermeille, dans son traité de 1419, affirme que la succession royale n’est pas une question de droit privé, mais relève d’un statut public et supérieur. Ce statut particulier rend la couronne indisponible, c’est-à-dire que le roi ne peut ni abdiquer ni renoncer à sa succession.


C) L’instantanéité de la fonction royale.

L'instantanéité de la fonction royale désigne le moment où un roi devient effectivement roi, ce qui peut être sujet à deux conceptions différentes :

1) Le sacre comme acte constitutif

Certains considèrent que le sacre est nécessaire pour qu’un roi devienne officiellement roi. Selon cette conception, le sacre a un caractère constitutif et il est la seule cérémonie qui permet à l’héritier de devenir roi.

2)Le sacre comme acte confirmatif

D’autres soutiennent que le sacre n’est qu’une formalité confirmative et que le roi devient effectivement roi dès la mort de son prédécesseur. Cette idée est soutenue par la maxime « Le roi est mort, vive le roi », qui signifie que la couronne passe immédiatement au successeur sans nécessiter un sacre préalable. À partir de François Ier, cette conception devient dominante, bien que la régence pendant la minorité d’un roi mineur pose des questions sur l’exercice du pouvoir.


D) Le principe de la catholicité.

Le principe de catholicité impose que le roi de France soit catholique. Bien qu’il ne soit formellement inscrit qu’à la fin du XVIe siècle, il est implicite depuis le baptême de Clovis, d’autant plus que la question de la religion du roi s’est posée avec l’émergence de la Réforme protestante. En Allemagne, Luther a établi que les sujets devaient suivre la religion de leur prince, un principe que certains ont voulu appliquer en France au cours des guerres de religion (1562-1598).

En 1589, après l’assassinat du roi Henri III, le principe de catholicité devient un enjeu politique majeur. Henri de Navarre, prétendant au trône, était protestant et excommunié par le pape. Les ligueurs catholiques, après avoir tué Henri III, prirent position pour imposer un roi catholique. L’Édit d’union de 1588, ratifié par les États généraux, proclame que le roi doit être catholique, un principe devenu loi fondamentale.

L'Arrêt Lemaistre de 1593 du Parlement de Paris rappelle l’importance du principe de catholicité, précisant que la couronne ne peut échapper aux règles de succession. Henri de Navarre, afin de devenir roi légitime, abjure le protestantisme en 1593 et est sacré Henri IV en 1594.


II) Inaliénabilité et imprescriptibilité du domaine de la couronne.

Le domaine de la couronne représente l’ensemble des biens utilisés par le roi pour l'exercice du pouvoir. Il comprend des biens immobiliers (châteaux, terres) et des droits fiscaux (impôts, péages). Le domaine royal s’est progressivement élargi pour correspondre aux frontières du royaume à la fin du règne d'Henri IV. Cependant, contrairement au domaine privé, le domaine de la couronne est inaliénable et imprescriptible, ce qui signifie qu'il ne peut être vendu, cédé ou acquis par prescription.


A) Nature et statut du domaine de la couronne.

Il est crucial de distinguer le royaume (territoire) du domaine (biens et droits). Le domaine de la couronne est constitué de biens corporels (terres, forêts) et incorporels (droits fiscaux, prérogatives régaliennes). Ce domaine est destiné à soutenir l'exercice de la souveraineté du roi et est soumis à des règles strictes. Le roi n’en est que le gestionnaire et ne peut en disposer librement. Il est également protégé contre les actions tant du roi que des particuliers.


B) L’édit de Moulins.

L'Édit de Moulins, rédigé par Michel de l'Hospital sous Charles IX et enregistré en 1566, consolide le principe de l'inaliénabilité du domaine royal.


1) Les origines du principe.

Le principe d’inaliénabilité du domaine royal trouve ses racines dès le XIVe siècle, en réponse à la pratique des apanages. Initialement, les apanages étaient des dotations modestes données aux puinés de la famille royale pour leur assurer des revenus. Cependant, au XIIIe siècle, ces apanages ont pris de l’ampleur, notamment sous Louis XIII, ce qui a posé un risque de formation de nouvelles dynasties. À partir de la fin du XIIIe siècle, la règle de transmission en ligne directe masculine a été introduite, et en 1477, avec la mort de Charles le Téméraire, le domaine de la Bourgogne est revenu au domaine royal faute d’héritier mâle. Au XIVe siècle, la notion d’inaliénabilité se renforce, et en 1329, Pierre de Cugnières pose le principe d’inaliénabilité du domaine. Ce principe est inscrit dans le serment du sacre et confirmé dans l’ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539.


2) Le contenu de l’édit de Moulins.

L’Édit de Moulins distingue le domaine fixe et le domaine casuel :

  • Le domaine fixe : Composé des biens reçus par le roi lors de son avènement. Ce domaine est inaliénable et imprescriptible. Il comprend également les biens personnels du roi avant son couronnement, qui deviennent, dès son accession au trône, des biens du domaine royal.
  • Le domaine casuel : Ce domaine est constitué des biens acquis durant le règne du roi par succession, achat ou conquête. Le roi peut en disposer comme il l’entend, mais ces biens deviennent fixes à sa mort. Le principe d’inaliénabilité s’applique également en droit international, interdisant toute cession de territoire sans le consentement de la nation.

L’édit introduit aussi le principe d’imprescriptibilité, interdisant l’acquisition de ces biens par prescription.


C) Les testaments au principe d’inaliénabilité du domaine. 

Ces principes forment une constitution coutumière, qui limite le pouvoir du roi et assure la stabilité de l'État monarchique. Elle garantit l’unité du royaume et protège la couronne contre toute tentative d’aliénation illégale.


1) L’apanage.

Bien que l’édit confirme la pratique des apanages, ces derniers sont désormais limités en importance, et les princes ne conservent plus que des privilèges honorifiques et des revenus.


2) L’engagement.

L’engagement est une mise en gage temporaire de biens du domaine royal, dans des circonstances de guerre ou de nécessité. Il doit être temporaire, rachetable et effectué sous forme de lettres patentes enregistrées par le Parlement.


3) Les biens de faible importance.

L’édit permet la cession de biens non rentables, souvent définis comme des biens de faible importance, pour alléger la gestion du domaine royal.

Partie 3 : L’état monarchique (XVIème-XVIIIème siècle).

Chapitre 1 : La souveraineté absolue de droit divin.

Section 1 : La souveraineté selon Jean Bodin.

I) État et souveraineté.

Jean Bodin (1529-1596) a marqué l’histoire de la pensée politique en introduisant la notion moderne de souveraineté dans son ouvrage Les Six Livres de la République (1576). Contrairement à ses prédécesseurs médiévaux, Bodin ne cherche pas les fondements des prérogatives royales dans le droit romain, mais dans l’autorité suprême de l'État. La souveraineté est pour lui ce qui unit les membres de l’État, ce qui lui confère son existence. Sans souveraineté, l’État n'existe pas. Elle est la condition nécessaire à l’existence de l’État, et cette souveraineté ne dépend pas du mode de gouvernement (monarchie, aristocratie ou démocratie), ce qui fait de l’État une entité unique. Bodin théorise ainsi la puissance étatique et propose la première théorie générale de l'État moderne.


II) Les caractères de la souveraineté.

A) Une puissance de commandement.

La souveraineté est la puissance publique suprême qui s’impose à toutes les autres. Elle est indépendante du régime politique (monarchie, aristocratie, démocratie). Dans une monarchie, le souverain incarne l’institution de l’État et dispose d’un ensemble de prérogatives, telles que :

  • Instituer et destituer des magistrats.
  • Promulguer et abroger des lois.
  • Déclarer la guerre et conclure la paix.
  • Jurer en dernier ressort.
  • Disposer de la vie et de la mort des sujets.
  • Réglementer les monnaies et les impôts.

Ces prérogatives, attachées à la souveraineté, font du roi un prince législateur plutôt qu’un simple justicier. La capacité de donner et d’abroger la loi est la prérogative fondamentale de la souveraineté. La loi, selon Bodin, est un commandement unilatéral, incontestable, qui émane du souverain.


B) Une puissance absolue.

La souveraineté est un pouvoir sans limite. Elle est indépendante et inconditionnelle, ce qui signifie que le souverain n’est pas lié par ses propres actes ou par ceux de ses prédécesseurs. Bien qu’il puisse choisir de respecter les actes précédents, il n’y est pas juridiquement contraint. De plus, le souverain est libre de modifier ou abroger les lois, à l’exception des lois fondamentales du royaume et des lois divines et naturelles. En monarchie, cette liberté est symbolisée par l’expression « tel est notre plaisir », signifiant que la volonté du souverain crée une force obligatoire. Toutefois, toute tentative d’aliénation ou de limitation de sa souveraineté serait nulle.


C) Une puissance perpétuelle.

La souveraineté est continue et ne disparaît pas avec la mort du roi. Bodin reprend la doctrine médiévale des deux corps du roi : le corps physique (mortel) et le corps mystique (immortel et symbolisant la continuité de l’État). Cette continuité ne dépend pas de la dynastie, mais de l’État lui-même. Dès la mort d’un roi, son successeur est immédiatement souverain, assurant ainsi la stabilité de l’État, quelle que soit la forme du gouvernement.


D) Une puissance indivisible.

La souveraineté, selon Bodin, est indivisible. Il ne peut exister d’autres institutions qui limitent ou empêchent l'exercice de cette souveraineté. Un pouvoir souverain doit être unique et absolu. La notion de souveraineté indivisible rejette l’idée d’un gouvernement mixte où différentes institutions auraient des pouvoirs d’empêchement. Ainsi, Bodin s'oppose aux monarchomaques, qui défendaient un gouvernement partagé entre différentes instances. La souveraineté ne peut être divisée, tout comme le point en géométrie ne peut être fractionné.


Section 2 : La théorie du droit divin.

La théorie du droit divin s'impose comme une réponse aux contestations religieuses et politiques du XVIe siècle, notamment les guerres de religion entre catholiques et protestants en France. Cette théorie devient un fondement essentiel de la monarchie absolue, en affirmant que le pouvoir royal est directement accordé par Dieu, ce qui le rend incontestable et inaliénable.


I) Les protestations politico-religieuses.

A) La réforme protestante.

La Réforme protestante, initiée par Martin Luther au début du XVIe siècle, remet en cause l'autorité de l’Église catholique et introduit des tensions politiques. Bien que Luther prône l'obéissance civile, il critique l'imposition forcée de la religion par les autorités royales. Au départ, la Réforme ne représente pas une menace directe pour le pouvoir royal, car Luther ne prône pas la rébellion contre les souverains, mais seulement la réformation de l'Église. Cependant, en France, les rois catholiques commencent à persécuter les protestants, qu'ils considèrent comme des hérétiques. Cette répression violente, symbolisée par l’Édit de Compiègne (1557) et les massacres de la Saint-Barthélemy (1572), donne naissance à une contestation politique et religieuse croissante. Les protestants, citant des passages bibliques tels que « il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes », remettent en cause la légitimité du pouvoir royal qu'ils perçoivent comme tyrannique.


B) Les monarchomaques protestants.

La répression des protestants engendre la naissance des monarchomaques protestants, des théoriciens politiques qui contestent la légitimité de l'autorité royale en raison de sa relation avec l’Église catholique. Parmi ces théoriciens, Junius Brutus (un pseudonyme pour Hubert Languet et Philippe de Plessis-Mornay) propose une théorie du pouvoir basée sur deux contrats : l'un entre Dieu et le peuple, et l'autre entre le roi et ses sujets. Si le roi ne respecte pas la volonté divine, il perd le soutien de Dieu et les sujets peuvent se libérer de leur devoir d’obéissance. Cette théorie justifie la désobéissance passive, voire l’insurrection, contre un roi considéré comme infidèle aux principes divins.


C) Les monarchomaques catholiques.

Les monarchomaques catholiques, en réaction à la tolérance religieuse de certains rois comme Henri III, accusent ces derniers de compromission avec l'hérésie protestante. Ils s’appuient sur la doctrine de l'Église, selon laquelle le pape est le gardien de la foi chrétienne et a le pouvoir de juger et de démettre un roi si celui-ci est considéré comme un tyran. Jean Boucher et Guillaume Rose, deux auteurs catholiques influents, soutiennent que si le roi persiste dans ses erreurs, l’Église a le droit de délier le peuple de son obéissance et de permettre la résistance ou même l'exécution du monarque.


II) Le contenu de la théorie du droit divin.

La théorie du droit divin se développe en réaction à ces critiques et cherche à renforcer la légitimité et l'indépendance de la monarchie royale. Elle repose sur l’idée que le pouvoir du roi vient directement de Dieu, sans intermédiaire, et qu’aucune autorité terrestre ne peut remettre en cause ce pouvoir. Cette conception devient centrale à partir du XVIIe siècle, notamment avec des penseurs comme Bossuet, qui cherche à concilier les exigences politiques et religieuses du royaume.

La notion de « droit divin » stipule que le roi n’est pas seulement un représentant de Dieu sur Terre, mais qu’il est choisi par Dieu pour exercer son pouvoir sur le royaume. Ainsi, tout contestation de l’autorité royale devient une atteinte à l'ordre divin. Selon Bossuet, auteur principal de cette théorie, le roi est le ministre de Dieu, et son pouvoir ne peut être remis en cause par personne, y compris par l’Église. Ce pouvoir est absolu et inaliénable. Il est transmis directement de Dieu au roi, sans l'intermédiaire de l’Église ou des institutions humaines, ce qui met fin à toute possibilité de déposition ou de résistance légale.

La notion de « droit divin » stipule que le roi n’est pas seulement un représentant de Dieu sur Terre, mais qu’il est choisi par Dieu pour exercer son pouvoir sur le royaume. Ainsi, tout contestation de l’autorité royale devient une atteinte à l'ordre divin. Selon Bossuet, auteur principal de cette théorie, le roi est le ministre de Dieu, et son pouvoir ne peut être remis en cause par personne, y compris par l’Église. Ce pouvoir est absolu et inaliénable. Il est transmis directement de Dieu au roi, sans l'intermédiaire de l’Église ou des institutions humaines, ce qui met fin à toute possibilité de déposition ou de résistance légale.

La théorie du droit divin s’oppose frontalement à toute tentative de contrôle papal sur les affaires politiques et la monarchie. Le roi n’a de compte à rendre qu'à Dieu. C’est un principe fondamental de la monarchie absolue, symbolisé par la phrase de Louis XIV : « L’État, c’est moi ». Cette indépendance est confirmée par la déclaration de 1682, inspirée par Bossuet, qui fait du droit divin le fondement essentiel de la puissance royale et enjoint le clergé français de s’y soumettre. Cette doctrine écarte ainsi la possibilité d’un régicide, car si le roi est désigné par Dieu, sa déposition ou son assassinat serait considéré comme un péché.

Face aux conflits religieux, les théoriciens du droit divin insistent sur la nécessité d’une paix civile et sur la primauté de l’État sur les divergences confessionnelles. L’objectif de la monarchie devient le « salut de l’État », une mission politique qui transcende les préoccupations religieuses individuelles. Contrairement à l’époque médiévale, où le roi était perçu comme responsable du salut des âmes, au XVIe siècle, le roi devient responsable du bien-être temporel de l'État. Ainsi, le roi doit garantir la paix et l'ordre, non pas en tant que chef spirituel, mais en tant qu’autorité terrestre.

Bossuet, théologien et prédicateur français, joue un rôle clé dans l’élaboration de la théorie du droit divin. Dans son ouvrage Politique tirée des propres paroles de l’Écriture sainte (1709), il justifie l’autorité absolue du monarque en se basant sur des principes bibliques. Il affirme que le pouvoir royal est un don divin et que le roi est le ministre de Dieu. Pour lui, le roi ne gouverne pas en son nom propre, mais au nom de Dieu, ce qui confère à son pouvoir une autorité indiscutable. Ce principe sera repris et incarné par Louis XIV, qui symbolise le sommet de la monarchie absolue.


Section 3 : Le gouvernement royal.

I) La nature du pouvoir royal aux XVIIème-XVIIIème siècle.

Sous l’Ancien Régime, le pouvoir royal était absolu, sans séparation des pouvoirs comme on peut la concevoir aujourd'hui. Le roi détient l'intégralité des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, avec la possibilité de faire et de casser la loi. Jean Bodin, au XVIe siècle, est l’un des premiers à théoriser cette conception du pouvoir absolu, affirmant que le souverain doit être un législateur capable d’imposer ses décisions sans entraves. Le roi est considéré comme un prince législateur, dont le pouvoir législatif prime sur les autres, ce qui confère à la monarchie un pouvoir quasi illimité.

Dans le contexte de la monarchie absolue, le roi dispose de plusieurs instruments législatifs, chacun ayant une portée et une fonction particulière :

  • L’ordonnance : Il s'agit d’une loi de portée générale et permanente qui s'applique à tout le royaume. L’ordonnance est un instrument normatif par lequel le roi intervient de manière solennelle sur des sujets importants du royaume, comme l'organisation de la justice, la perception des impôts, ou la réglementation des relations matrimoniales.
  • L’édit : Contrairement à l'ordonnance, l’édit est souvent limité par son objet, ses bénéficiaires ou son territoire. Il s'agit d'une mesure générale qui porte sur une matière déterminée.
  • La déclaration : Il s'agit d'une loi qui interprète, complète ou restreint une loi antérieure. Les déclarations sont souvent utilisées pour préciser l’application des lois existantes.

Le processus législatif est essentiellement entre les mains du roi, bien qu’il soit soutenu par son entourage, notamment ses ministres et conseillers. Le texte législatif est préparé par les ministres, puis il est revêtu du sceau royal avant d'être envoyé au Parlement pour enregistrement. Ce dernier, bien qu’il puisse émettre des objections, est généralement contraint d’enregistrer les lois émises par le roi.

Le roi détient trois grands pouvoirs :

  1. Le pouvoir de faire et de casser la loi : Ce pouvoir lui permet de créer des lois et d'abroger celles existantes.
  2. Le pouvoir d’appliquer la loi : Le roi s'assure que les lois sont exécutées à travers ses administrateurs et ses ministres.
  3. Le pouvoir de justice : L'Ancien Régime fonde la justice sur le principe que toute justice émane du roi, et tous les jugements sont rendus en son nom. Ainsi, le roi est le seul souverain en matière judiciaire.


B) Les limites du pouvoir absolu.

Bien que le roi possède un pouvoir absolu, il existe néanmoins des limites constitutionnelles à son pouvoir, qui ne doivent pas être confondues avec les dérives du despotisme. L’absolutisme ne signifie pas un pouvoir sans règle ; il s’agit d’un pouvoir fort, mais encadré par des principes fondamentaux.

  1. Les lois fondamentales du royaume : Ces lois, selon Jean Bodin, sont des règles immuables qui fixent les prérogatives du roi. Elles sont considérées comme intangibles et inaccessibles à toute modification par le roi lui-même.
  2. Les privilèges : Le roi doit respecter certaines institutions et pratiques ancestrales, telles que le droit des nobles et des clergés, qui limitent son autorité dans certaines sphères.
  3. Les principes du droit naturel et des lois divines : En tant que ministre de Dieu, le roi doit respecter les lois naturelles et divines, qui imposent des limites morales à son pouvoir, notamment en matière de justice et de traitement des sujets.


II) Les organes centraux de conseil et de gouvernement.

Bien que le roi détienne la plénitude du pouvoir, il n'exerce pas cette autorité seul. Il dépend de conseils et d'organes pour gérer le royaume, et c’est là que les ministres jouent un rôle essentiel.


A) Les ministres du roi.

Les ministres jouent un rôle central dans l’administration du royaume. Bien que les actes soient toujours pris au nom du roi, ce dernier délègue de plus en plus de tâches aux ministres. L'Ancien Régime connaît six ministres principaux, et parfois un même ministre cumule plusieurs fonctions.


1) Le chancelier.

Véritable garant de la justice royale, le chancelier est responsable de l’apposition du sceau royal, rendant les actes officiels. Il supervise également les tribunaux et dirige la censure des ouvrages imprimés. Sa fonction est inamovible, et il joue un rôle central dans le conseil du roi. Pendant une grande partie de l'Ancien Régime, il incarne la stabilité de la monarchie.


2) Les secrétaires d’état.

Ces ministres sont responsables de différents secteurs du gouvernement. Leur nombre varie selon les règnes, mais on distingue souvent quatre secrétaires d'État : celui des affaires étrangères, de la guerre, de la marine et de la maison du roi. Ces secrétaires sont des hommes de confiance du roi, souvent révocables à volonté.


3) Du surintendant des finances au contrôleur général.

Ce ministre détient une influence majeure en raison de son contrôle sur les finances et la fiscalité de l'État. À partir de 1665, Louis XIV crée la fonction de contrôleur général des finances et nomme Colbert à ce poste. Le contrôleur général prépare le budget de l'État et est responsable de l'exécution des dépenses publiques.


4) Le principal ministre.

Bien que la fonction de principal ministre ne soit pas officiellement définie, elle désigne le ministre à la tête du gouvernement royal. Ce rôle, souvent occupé par des figures comme Richelieu ou Mazarin, permet au ministre de coordonner l’ensemble des actions des autres ministres et de jouer un rôle central dans la direction de la politique royale.


B) Le conseil du roi.

1) Les origines médiévales du conseil du roi.

Dans les premiers temps féodaux, le roi, comme les autres seigneurs, était entouré de sa cour féodale. Cette cour, dont la composition variait en fonction des besoins et des circonstances, était convoquée par le roi principalement pour traiter des questions judiciaires. À partir du XIIème siècle, alors que les questions politiques et administratives deviennent plus complexes, la cour du roi évolue pour inclure des professionnels, marquant ainsi la naissance d’une structure de gouvernement monarchique.

Au début du XIIIème siècle, cette évolution se concrétise par la création de deux institutions : d’une part, un parlement chargé des affaires judiciaires, et d’autre part, une chambre des comptes, responsable des questions financières. En parallèle, la cour du roi continue de jouer un rôle consultatif, donnant ainsi naissance au Conseil du Roi, qui se distingue par sa fonction de conseil auprès du souverain.


2) La composition du conseil du roi.

Le Conseil du Roi est composé de personnes choisies par le souverain. Cette sélection repose sur un principe féodal : l’assistance au conseil est une obligation pour les vassaux du roi, mais elle ne constitue pas un droit automatique. Par conséquent, seuls ceux invités par le roi peuvent participer à ses délibérations.

La composition du conseil a évolué au fil du temps. Alors qu’au départ, l’influence des nobles féodaux prédominait, à partir de la fin du Moyen-Âge, ce rôle diminue, tandis que celui des légistes, formés dans les universités et spécialistes du droit, se renforce.


3) Les compétences du conseil du roi.

Le Conseil du Roi intervient principalement dans la préparation des décisions importantes avant que le roi ne prenne des mesures exécutives. En tant que souverain, le roi consulte son conseil sur des affaires politiques majeures (internes et externes), administratives, financières et judiciaires. Le conseil est ainsi impliqué dans la gestion de l’administration centrale, des finances du royaume et exerce aussi un contrôle judiciaire, notamment à travers la "justice retenue" du roi, principe selon lequel le roi est la source de toute justice.


4) L’évolution du conseil du roi dans le sens de la spécialisation.

À partir du XVIème siècle, le Conseil du Roi se spécialise davantage, bien que restant une institution de gouvernement central. Cette évolution se caractérise par la formation de diverses sections :

  • Le Conseil des Affaires, institué sous François Ier, décide des grandes questions politiques, diplomatiques, de paix et de guerre.
  • Le Conseil Ordinaire ou Conseil d’État, présidé par les chanceliers, s’occupe des affaires administratives, fiscales et des contentieux.
  • Le Conseil des Finances, apparu au XVIème siècle, est rattaché plus tard au Conseil Ordinaire, formant ainsi le Conseil d’État et des Finances.

En parallèle, le Conseil du Roi exerce des fonctions contentieuses à travers deux formations :

  • Le Grand Conseil, créé sous Charles VII, devient une cour souveraine traitant des affaires judiciaires majeures.
  • Le Conseil des Parties, ou Conseil Privé, joue un rôle dans la cassation des arrêts rendus par le Parlement.


Chapitre 2 : L’organisation administrative et judiciaire.

Section 1 : L’administration royale.

I) Les officiers royaux.

À partir du XIIIème siècle, le roi se dote d’un personnel technique et formé, issu de diverses couches sociales comme les clercs, les bourgeois et les nobles, pour gérer ses affaires administratives et judiciaires. La formation en droit est l’un des critères qui distingue les officiers royaux, une fonction qui devient de plus en plus vue comme une carrière stable.


A) L’inamovibilité des officiers.

L'inamovibilité des officiers découle de l’évolution de la stabilité de leurs fonctions. À partir du XIVème siècle, bien que le roi conserve le pouvoir de nommer ou révoquer ses officiers, la stabilité devient une règle tacite. Cette inamovibilité est officialisée par une ordonnance de Louis XI en 1467, garantissant aux officiers un droit viager sur leur charge. Les titulaires d’office sont protégés de la révocation arbitraire, ce qui leur confère une certaine indépendance vis-à-vis du pouvoir royal.


B) La patrimonialité des offices.

La patrimonialité des offices signifie que ces charges deviennent un bien personnel, transmissible et vendable. Cette évolution commence au XIVème siècle, avec une pratique de vénalité privée des offices, qui est ensuite institutionnalisée au XVIème siècle pour permettre au roi de tirer des profits financiers de la vente des charges.

Les officiers peuvent vendre leur charge ou la transmettre à leurs héritiers, mais ils doivent pour cela s’acquitter de taxes spécifiques. La "paulette", instaurée par Charles Paulet, permet l’hérédité des offices sous condition du paiement d’une taxe annuelle, créant ainsi un système de revenus réguliers pour la couronne.

Le roi conserve toutefois un droit de confirmation et de surveillance sur les officiers. Il peut également refuser de confier une charge à un candidat qui ne remplit pas les critères de moralité ou de compétence.


II) Les commissaires royaux.

Les commissaires royaux sont des agents extraordinaires et temporaires, choisis par le roi pour des missions spécifiques.


A) Les lettres de commission.

Les commissaires sont désignés par des lettres de commission, qui sont des documents officiels délivrés par la chancellerie royale. Ces lettres définissent précisément la mission du commissaire, qui est une délégation de pouvoirs publics, et peuvent être modifiées ou révoquées à la discrétion du roi. La commission est temporaire et prend fin soit à l’achèvement de la mission, soit par révocation. La charge est personnelle et s’éteint à la mort du commissaire ou du roi, bien que depuis le XVIIème siècle, la commission puisse être renouvelée par un nouveau roi.


B) L’extension de l’administration par commissaires.

Les commissaires se distinguent en deux types de missions :

  • Commissions ordinaires : Elles sont attribuées pour des fonctions permanentes, comme les gouverneurs ou intendants de province, qui sont des officiers avec une mission stable.
  • Commissions extraordinaires : Ces commissions sont pour des missions ponctuelles et exceptionnelles, comme la délégation du pouvoir législatif ou judiciaire. Par exemple, en matière judiciaire, des jugements peuvent être réalisés par commissaire, comme ce fut le cas dans l’affaire Fouquet.
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