Amorce
Introduction
François Rabelais, un homme multiple, à la fois religieux, médecin et écrivain est un érudit et est l'incarnation de sa période, la renaissance. Dans son œuvre, Gargantua, il traite de nombreux sujets : l'éducation, la satire de la religion ou encore l'art de bien gouverner, le tout de manière burlesque et comique mais qui nécessite une seconde lecture, une réflexion sur les enjeux de son époque. Il a écrit cette œuvre sous le surnom d'Alcofribas Nasier et a été censuré par la Sorbonne pour obscénités. Cette œuvre s'inscrit dans le parcours rire et savoir.
Contextualisation + prob.
Dans cet extrait, on y retrouve gargantua, un géant, qui, après l'échec d'enseignement suivant la tradition scolastique au début du chapitre XV, se fera éduquer par Ponocrates, un excellent pédagogue humaniste, qui a déjà fait ses preuves sur le jeune page Eudémon. On assiste donc à la journée type de Gargantua pour évaluer ses acquis et ses compétences. Il s'agira de nous poser la question suivante :
Comment la description des activités matinales du jeune géant permet elle à Rabelais de formuler sa satire de l'enseignement scolastique ?
On observe deux mouvements qui structurent cet extrait : premièrement le temps du lever de la ligne 1 à 12 puis le temps de l'étude de la ligne 13 à la fin.
Analyse linéaire
I. Le temps du lever de la ligne 1 à 12
- Réveil tardif:Le réveil est tardif, entre huit et neuf heures, sans considération pour un rythme biologique naturel basé sur les saisons, qu'il fasse jour ou non.
Manipulation des psaumes : Les maîtres sophistes tronquent un verset du psaume : « Il est vain de se lever avant le jour », en omettant la suite : « Le Seigneur comble ceux qu’il aime pendant qu’ils dorment », pour justifier la paresse de l’enfant et des professeurs.
Référence à Galien : Ils invoquent le médecin antique Galien et la notion d’« esprits animaux » pour poursuivre la justification de l'inaction, en prétendant que l'énergie circule simplement en agitant les jambes.
Paresse des professeurs : Les professeurs sont eux-mêmes décrits de manière péjorative comme « vieux » et utilisent un argument d’autorité (les psaumes) pour légitimer leur propre paresse.
- Manque d’hygiène : L’enfant porte une « grande et longue robe de grosse laine doublée de renard », un vêtement lourd et chaud, inadapté aux saisons, qui favorise la transpiration. Accumulation des adj. alourdit la phrase l.5-6
Toilette minimale : Contrairement aux bains des thermes antiques ou médiévaux, l'hygiène se limite à un linge mouillé et à l’usage de parfums pour masquer les mauvaises odeurs, car l'eau est jugée dangereuse.
Argument religieux : La toilette est vue comme une « perte de temps », en accord avec le discours religieux qui valorise l'âme sur le corps. Exemple : le jeu de mots « il se peignait avec le peigne d’Almain », un docteur du XVème siècle, évoque l’usage des mains pour se coiffer.
Ironie de Rabelais : Il critique l’idée que l’hygiène est une perte de temps en suggérant que se lever plus tôt aurait résolu le problème, utilisant l'ironie pour dénoncer ce manque d'hygiène.
- irrespect des règles sociales : La liberté totale mène à l'irrespect des règles de savoir-vivre, illustré par une énumération verbale : « fientait, pissait, vomissait, rotait, pétait, bâillait, crachait, toussait, hoquetait, éternuait, laissait couler sa morve en archidiacre ». Le terme « fiente » souligne une bestialité.
Satire du clergé : La référence à l'« archidiacre » insère une critique du clergé, renforçant le comique par l'usage de mots à connotation scatologique.
Petit-déjeuner excessif : L’énumération et l’emploi hyperbolique des termes « beaux » et « belles » pour décrire un repas démesuré, prétendument pour fortifier le corps, introduit une satire sur la gloutonnerie, en contraste avec les conseils alimentaires de l'époque.
Nourritures terrestres vs spirituelles : Le repas gargantuesque remplace les nourritures spirituelles que l'éducation devrait fournir, mettant en évidence une éducation axée sur les désirs matériels plutôt que sur l’élévation de l’esprit.
Bilan : la routine de Gargantua est évoqué sur un ton très satirique fondé sur l'éxagération et le comique du bas corporel. Par sa paresse son manque d'hygiène et sa gloutonnerie le héros est présenté comme un être animalisé et incarne l'échec de l'éducation scolastique
II. Le temps de l'étude de la ligne 13 à la fin.
- image de la religion : Exagération et gigantisme : Les descriptions hyperboliques, comme le « gros bréviaire empantouflé » pesant plus de onze quintaux, ou les chapelets aux grains « aussi gros que le moule d’un bonnet », illustrent le gigantisme propre à Gargantua. Ces exagérations soulignent l'absurdité et la démesure de son environnement, marquant une distance par rapport à une réalité plus modérée et raisonnée.
Critique de la religion excessive : La multiplication des messes (« vingt-six ou trente ») et des prières mécaniques montre une pratique religieuse excessive. La récitation de longues kyrielles de mots et d’un nombre exagéré de chapelets dépasse largement ce qui serait nécessaire, suggérant une dévotion devenue purement formelle et dépourvue de sincérité ou de foi véritable.
Instruction passive : Gargantua ne participe pas activement à son éducation religieuse. Il se contente de recevoir passivement les textes religieux, apportés par d’autres (« on lui apportait son livre de messe ») et récités par un « diseur d’heures ». Cette passivité reflète une critique de l’éducation scolastique, où l’élève est écrasé par le poids des savoirs sans en être acteur.
Poids de l’enseignement : Le bréviaire, par sa lourdeur, symbolise un enseignement oppressant qui ne permet pas l’élévation intellectuelle ou spirituelle. Il écrase l’individu sous une accumulation de savoirs inutiles ou mal digérés, empêchant tout épanouissement personnel et critique.
Satire du clergé :Le portrait du « diseur d’heures », emmitouflé comme une « huppe » et dissimulant son ivrognerie sous l’usage hypocrite de « sirop de vigne », critique le clergé. Le ridicule du personnage et l’ironie dans l’expression « très bien antidotée » mettent en lumière l’hypocrisie et le manque d’intégrité morale du clergé, masquant son vice sous un vernis de respectabilité.
Quantité vs qualité : La surcharge de rituels religieux mécaniques (messes et prières répétitives) nuit à la qualité de la dévotion. Au lieu de favoriser la réflexion et l’élévation spirituelle, cette pratique excessive endort l'esprit et le prive de tout esprit critique. Rabelais souligne ainsi que l’accumulation de pratiques vides de sens empêche le développement personnel et la compréhension réelle des valeurs religieuses.
- apprentissage : Contraste entre religion et étude : La religion prend une place prédominante, tandis que l’étude est réduite à « une méchante demi-heure ». L’adjectif « méchante » indique le peu de valeur accordé à l’apprentissage, renforçant le contraste entre la dévotion religieuse et le désintérêt pour le savoir.
Passivité de l’élève : L’attitude de Gargantua, « les yeux posés sur son livre », reflète une absence d’engagement actif dans l’étude. Il n'y a aucune interaction avec le maître, soulignant une éducation où l’élève est passif et l’apprentissage dépourvu de dynamisme.
Manque d’intérêt pour le savoir : La référence à Térence montre que Gargantua ne s’intéresse pas au savoir intellectuel. Cette absence d’intérêt met en lumière une critique de l’éducation axée davantage sur la satisfaction des besoins physiques que sur l'éveil intellectuel.
Métaphore satirique : La comparaison de l’élévation de l’âme à la trivialité de la cuisine ramène l’être humain à un niveau animal, critiquant une éducation qui ne nourrit pas l'esprit et réduit les aspirations humaines à des préoccupations matérielles.
Bilan : Un enseignement qui vide la religion de son sens, qui écrase l'individu et qui ne mène pas à la fois véritable
Conclusion + ouverture
A retenir :
Critique de l’éducation scolastique :
- Cet extrait s'inscrit dans la critique de la mauvaise éducation scolastique, notamment celle dispensée par la Sorbonne, que Rabelais remet en question après la censure de son livre Pantagruel. L’auteur dénonce une pédagogie figée, mécanisée et déconnectée des besoins réels de l’élève.
L’humanisme de Rabelais :
- Derrière le rire et la satire, Rabelais exprime sa vision humaniste. Il critique la hiérarchisation excessive de la religion et défend un équilibre entre le corps et l’esprit, un principe issu de l’idéal antique : « mens sana in corpore sano » (un esprit sain dans un corps sain). Les grands principes de l'idéal humaniste sont présentés à travers les exagérations, le gigantisme, le comique, qui ravale l'homme à l'état animal, qui le prive de tout esprit critique. Ce savoir humaniste était déjà défendu dans Pantagruel à travers une lettre écrite par Gargantua à son fils, dans le chapitre 8. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». le savoir n'est rien sans l'esprit critique.
Idéal humaniste :
- L’idéal humaniste prôné par Rabelais met en avant l’importance d’une éducation équilibrée, où l’esprit instruit, capable de raisonnement et de réflexion personnelle, ne se soumet pas uniquement à l’influence religieuse. Ce programme de développement global sera incarné par le personnage de Ponocrates, qui défendra une éducation rationnelle et harmonieuse.
Harmonie corps-esprit :
- L’idée fondamentale est la mise en parallèle du corps, en harmonie avec l’ordre naturel de l’univers, et de l’esprit, qui doit être cultivé à travers la connaissance et l’exercice de la raison, loin de l’embrigadement religieux.