Problématique
Quels sont les différents modes juridiques et économiques à la disposition des personnes publiques pour gérer un service public, et comment choisir entre maîtrise publique directe, contractualisation avec des tiers ou montages mixtes dans le respect de l’intérêt général ?
I. Les fondements du service public et les grandes catégories de gestion
A. Le service public : définition et principes
• Le service public désigne toute activité d’intérêt général assurée ou assumée par une personne publique.
• Il obéit à trois principes fondamentaux (jurisprudence Blanco, Terrier, Narcy, CE) :
• Continuité
• Égalité
• Adaptabilité
• Il peut être administratif (SPA) ou industriel et commercial (SPIC), ce qui influencera les règles applicables.
B. La question du mode de gestion : une compétence propre de la personne publique
• L’administration choisit librement le mode de gestion (CE, Commune d’Aix-en-Provence, 2007), mais dans le respect :
• du principe de libre administration,
• du droit de la commande publique,
• de ses responsabilités vis-à-vis des usagers.
• Deux grandes familles :
• Gestion en régie (directe ou autonome)
• Gestion déléguée (via contrats : marchés publics, DSP, concessions…)
II. Gestion directe et gestion déléguée : définitions, logiques, outils juridiques
A. La gestion directe : la puissance publique agit seule
• La collectivité gère elle-même le service, avec ses agents, ses moyens et son budget.
• Formes :
• Régie simple : service rattaché à la collectivité (ex : régie municipale des cantines).
• Régie autonome ou personnalisée : dotée de la personnalité morale et de l’autonomie financière, mais sous contrôle.
• Avantages :
• Maîtrise totale.
• Proximité avec l’usager.
• Garantie forte du respect des principes fondamentaux.
• Limites :
• Rigidité de gestion.
• Coût pour la collectivité (investissements, personnel).
• Moins de spécialisation ou d’innovation.
B. La gestion déléguée : un tiers exécute pour le compte de la personne publique
• Il s’agit de confier l’exploitation du service à un opérateur tiers, public ou privé.
• Trois outils principaux :
1. La délégation de service public (DSP) – article L1411-1 CGCT
• Le délégataire est rémunéré substantiellement par les résultats de l’exploitation.
• Exemples : affermage, concession, régie intéressée.
• Marché à risque, très utilisé dans l’eau, les transports, les déchets.
2. Le marché public de service – code de la commande publique
• Le prix est payé directement par la collectivité.
• L’opérateur ne prend pas de risque d’exploitation.
• Exemples : nettoyage, informatique, restauration scolaire.
3. La concession de service (depuis ordonnance de 2016)
• Reprise des logiques de la DSP dans un cadre européen harmonisé.
• Le risque d’exploitation est transféré au concessionnaire, qui est rémunéré sur les recettes du service.
• Exemples : autoroutes, parkings, services de mobilité.
• Avantages :
• Expertise technique, spécialisation.
• Investissements pris en charge par le délégataire.
• Souplesse contractuelle.
• Limites :
• Perte de contrôle direct.
• Risques juridiques (contentieux, mauvaise exécution).
• Tensions entre logique marchande et intérêt général.
C. Le cadre juridique de la contractualisation
• Toutes les formes de gestion déléguée doivent respecter les principes de la commande publique :
• Liberté d’accès.
• Égalité de traitement.
• Transparence.
• Le choix du mode de gestion n’est pas neutre juridiquement : il détermine le régime applicable (droit administratif ou droit privé, responsabilité, contrôle…).
III. Vers des formes hybrides et une gouvernance renouvelée du service public
A. Les montages mixtes : entre maîtrise publique et partenariat
• Sociétés d’économie mixte (SEM) :
• Personnalité morale de droit privé.
• Capital public (≥ 50 %) + participation privée.
• Exemples : logement social, énergie, tourisme.
• Sociétés publiques locales (SPL) :
• 100 % capital public, mais fonctionnement privé.
• Moins soumises à la commande publique (in house).
• Répondent à des enjeux de réactivité et de contrôle politique.
• Montages en groupement ou coopération intercommunale :
• Ex : syndicats mixtes, communautés d’agglomération, métropoles.
• Mutualisation d’un service à l’échelle d’un territoire.
B. Le choix du mode de gestion : un acte politique, stratégique et démocratique
• Les personnes publiques doivent fonder leur choix sur :
• L’efficacité économique.
• La capacité d’investissement.
• Le niveau de contrôle souhaité.
• L’attente des usagers et la qualité du service.
• Les valeurs politiques portées (ex : remunicipalisation de l’eau à Paris pour motif éthique).
• Tendance à la reprise en régie dans certains secteurs sensibles :
• Eau potable (Grenoble, Paris, Nice…).
• Gestion des déchets.
• Restauration scolaire.
• Objectif : reprendre la maîtrise, intégrer des clauses environnementales et sociales, mieux contrôler les coûts.
C. Nouveaux enjeux contemporains : innovation, éthique, participation
• Transition écologique : incite à réintégrer certaines compétences pour mieux maîtriser les politiques environnementales (mobilité, énergie…).
• Participation citoyenne : appels à une gestion plus démocratique des services publics (régies citoyennes, comités d’usagers).
• Évaluation des politiques publiques : importance croissante du suivi, de la performance, de la redevabilité.
• La gestion d’un service public n’est plus une question purement technique, mais un enjeu éthique, stratégique et territorial.
Conclusion
• Il n’existe pas un mode de gestion « meilleur » qu’un autre. Le bon mode est celui qui garantit le mieux l’intérêt général dans un contexte donné.
• Les personnes publiques disposent d’une palette juridique diversifiée leur permettant de s’adapter aux enjeux contemporains : qualité du service, maîtrise budgétaire, transition écologique, attentes citoyennes.
• Le défi est d’assurer une gestion efficace, transparente, responsable, en préservant les valeurs fondamentales du service public dans un monde en mutation.