I. Biographie rapide de Blaise Cendrars
- Naissance : Frédéric-Louis Sauser, 1887 (acte irrégulier)
- Nom d’auteur : « Blaise » (braise, amour) + « Cendrars » (cendres + ars -> Jeu d’étymologie du pseudonyme, qui illustre l’esthétique du feu et de l’art chez Cendrars)
- Milieux scolaires : mauvais élève, écoles non terminées, université (psychiatrie) abandonnée
- Grand voyageur : Russie (1905), États-Unis (1913), puis Paris (Salon, Delaunay, Modigliani…)
- Engagement : Légion étrangère (1914), guerre, perte du bras droit – apprentissage de l’écriture de la main gauche
- Mort et postérité : 1961 ; inhumation provisoire, puis crémation posthume de ses os
II. Caractéristiques de son écriture
- Modernité & expérimentation
- Rythmes irréguliers, jeux d’allitérations et de répétitions
- Mixte prose/vers (Prose du Transsibérien)
- Accords texte/image (livre-accordéon 1913)
- Oralité & musicalité
- Destinés à la lecture à haute voix
- Influence du jazz, du rap (rythme libre)
- Mythe & légende
- Création de sa propre « Légende de Novgorod »
- Souvenirs romancés (Babylone, légendes)
- Thèmes récurrents
- Voyage & errance (train, métro, avion, gratte-ciel)
- Modernité urbaine & déshumanisation
- Solitude & altérité
- Paradoxe foi/laïcité (tutoiement de Dieu, absence de réponse)
III. Pâques à New York (1912)
A. Contexte historique et biographique
- Séjour à New York : Cendrars suit son épouse Féla, peintre juive, découvrant une métropole émergente (premiers gratte-ciel, métro souterrain de 1904).
- Renouveau après l’échec scolaire : première vraie œuvre publiée (1913), manifeste de son “être” Cendrars, rupture avec le Bildungsroman classique.
B. Structure et forme
- Vers libres : absence de strophes régulières, alternance de longues phrases enjambées et de brefs vers isolés (v. 205).
- Monologue unilatéral : “Je” s’adresse au “Tu” (Dieu), sans réplique divine, renforçant la solitude du locuteur.
- Éléments de mise en page : pas de ponctuation normative, repentirs typographiques qui imitent la frénésie urbaine.
C. Thèmes et motifs principaux
- Modernité dévorante
- « Les gratte-ciel / semblent des croix dressées à l’échelle des hommes » (v. 120–121) : inversion du sacré et du profane.
- Bruits du métro « tonnent sous terre » (v. 187), symbole d’un monde qui va trop vite pour la prière.
- Solitude et altérité
- Tutoiement insolent : « Tu n’entends plus les cloches » (v. 155–156) ; Dieu muet face aux appels.
- Sentiment d’archaïsme du “Je” : il refuse pourtant de laisser tomber la prière.
- Solidarité universelle
- Implorations pour les Juifs (v. 81–82), pour les migrants, les miséreux de la ville (v. 73–74).
- Rebelote du paradoxe : il prie pour ceux qui, selon la tradition, ont « tué » le Christ, et ressent de la compassion.
- Recherche d’un sacré laïcisé
- Le Christ — image artistique (icônes russes) — devient matière poétique plutôt qu’objet de culte.
- Le temps de Pâques sert de prétexte à une méditation sur la résurrection… de la poésie.
D. Figures de style marquantes
- Allitérations et assonances pour créer une musicalité (ex. “tonnent… tonneaux… tonitruants”).
- Anaphore : répétition de « Je demande… » pour rythmer les invocations.
- Oxymores : « ville déserte », « hyperhumaine et déshumanisée », « aube blanche de mort ».
IV. La Prose du Transsibérien & de la Petite Jeanne de France (1913)
A. Genèse et forme typographique
- Présenté sous forme de livre-accordéon (2 m de haut déplié), art postal moderne, coédition avec Sonia Delaunay.
- Prose car texte continu, mais structuré en fragments de vers, évoque la piste et la vitesse du train.
B. Architecture du texte
- Deux temps spatio-temporels
- “En ce temps-là” (Moscou 1905) vs “En ce temps-ci” (Paris 1912–13).
- Effet miroir : l’enfance perçue comme un pays lointain.
- Itinéraire et mémoire
- 9000 km de Omsk à Kharbin, métaphore du temps qui file, du retour impossible.
- Souvenirs enjolivés (Babylone, légendes) vs détails prosaïques (bouton de veste perdu, “made in Germany”).
C. Thèmes et motifs
- Le voyage comme quête et comme fuite
- Le train = symbole du progrès, mais aussi de l’inéluctable « aller de l’avant ».
- Métaphore filée du “train intérieur” : Cendrars s’identifie à la locomotive, souffle, cadence.
- Chaud et froid
- Contraste entre l’ardeur de l’adolescence (“ardent à dix-six ans”) et la rigueur du wagons.
- Monde moderne à la fois fascinant (exaltation) et mortifère (déchirement).
- Mythes et désenchantement
- Richesse légendaire (peuples imaginaires, guerres lointaines), saturation du merveilleux.
- Paradoxe du trésor défendu : camelote industrielle, faux-semblant du “trésor fait pour être volé”.
D. Langage poétique et innovations
- Rythme syncopé : phrases longues alternées de ruptures brutales, simulent le bruit des rails.
- Métaphores filées : train ↔ souffle, vers ↔ rails, légende ↔ récit ininterrompu.
- Jeu linguistique : emprunts à l’anglais (“made in Germany”), allusions historiques (guerre russo-japonaise).
V. Place de ces textes dans l’œuvre de Cendrars
- Premiers manifestes modernistes
- Balayent la tradition métrique et narrative, posent la poésie comme art de l’image et du rythme.
- Réflexion sur la condition humaine
- Fragilité de l’individu face à la machine (Pâques…) et aux réseaux (Transsibérien).
- Renouvellement du lyrisme
- Inscription de la subjectivité dans un monde en mutation, poème = acte de rébellion et de création.
- Influence majeure
- Ouvre la voie aux avant-gardes (Lettrisme, Surréalisme, poésie sonore) et inspire les expérimentations visuelles.
VI. Liens précis avec les quatre œuvres
- Manon Lescaut (Abbé Prévost)
- Errance amoureuse : comme Des Grieux auprès de Manon, Cendrars suit Féla à NY (PNY) et parcourt la Russie (PDTS) par amour.
- Récit-cadre & mise en abyme : structure du chevalier racontant sa jeunesse au marquis ↔ narrateur “je” évoquant son passé dans PDTS.
- Prostitution & migration : Manon envoyée en Louisiane, Cendrars évoque les migrants/prostituées dans PNY.
- Trois Contes (Gustave Flaubert)
- Légende & fantastique : “Saint-Julien l’Hospitalier” invente un monde mythique, tout comme Cendrars crée sa “Légende de Novgorod” et ses souvenirs babyloniens.
- Rupture de l’idéal : Hérodias ou La Légende de Saint-Julien illustrent la désillusion morale, pareil au déchantement de la modernité chez Cendrars.
- Texaco (Patrick Chamoiseau)
- Voix plurielles & polyphonie : récits entrecroisés dans Texaco rappellent l’accumulation de voix, musiques et rythmes chez Cendrars (orality).
- Identité et créolisation : quête d’une identité en mouvement dans un contexte colonial/métropole, à la manière de Cendrars toujours en déplacement et métissé culturellement.
- Un monde sans rivage (Hélène Gaudy)
- Exploration et utopie : Gaudy imagine un voyage sans fin, sans frontière — analogie à la traversée sans limites du Transsibérien.
- Écriture mémoire & archives : collecte de récits pour reconstituer un passé, tout comme Cendrars assemble légende et témoignages dans ses poèmes.
À retenir pour le Bac
- Date-clé : 1912 (Pâques à New York) et 1913 (Prose du Transsibérien)
- Formes : vers libres, prose-poème, livre-accordéon
- Thèmes : modernité, voyage, solitude, altérité, légende
- Comparaisons : insistez sur l’errance amoureuse (Prévost), la légende (Flaubert), la polyphonie identitaire (Chamoiseau) et l’utopie sans frontière (Gaudy).