Fauconnet a remarquablement décrit la démarche hésitante de la recherche sociale et juridique du responsable pénal. Dès que les réactions émotionnelles ont abouti à l’incrimination d’un acte, « la responsabilité est créée, sans qu’il y ait encore de responsable. Elle plane sur tous. Elle préexiste, flottante, et elle se fixe ensuite sur tels ou tels sujets ». La réflexion juridique doit alors intervenir pour discipliner cet ajustement de la répression à sa proie, pour rendre la sanction aussi juste que possible.
D’où la consécration, dans notre droit pénal, du principe selon lequel lequel « nul n’est responsable pénalement que de son propre fait » (art. 121-1 CP).
Lorsque plusieurs personnes participent à une infraction, il faut individualiser la responsabilité. Cette distinction fondamentale repose sur deux notions :
- L’auteur ou le coauteur, qui réalise les éléments constitutifs de l’infraction.
- Le complice, qui facilite ou provoque l’infraction sans accomplir directement les éléments constitutifs.
Distinction originelle entre complicité et coaction
- L’auteur ou le coauteur réalise la totalité des éléments constitutifs de l’infraction ou tente de les réaliser (art. 121-4 CP). Cela inclut une participation directe et active à l’acte principal.
- Le complice participe de manière secondaire par aide, assistance ou instigation, sans accomplir personnellement les éléments constitutifs de l’infraction. Contrairement à l’auteur, il n’agit pas sur le fondement de l’acte principal.
- Le receleur, à la différence du complice, intervient après la commission de l’infraction, en dissimulant ou en profitant des biens ou des effets de celle-ci. Il est auteur d’une infraction distincte, comme le recel de malfaiteur.
- La complicité est subordonnée à l’existence d’une infraction principale punissable. Elle ne peut être envisagée qu’après avoir démontré le caractère délictueux de l’action principale.
Évolutions et complexification des distinctions
- Les incriminations autonomes, telles que le mandat criminel introduit par la loi du 9 mars 2004, brouillent la distinction entre complice et auteur, en associant des actes de provocation à une participation équivalente à celle de l’auteur.
- La jurisprudence a contribué à atténuer les frontières entre les deux notions : elle a parfois assimilé les coauteurs aux complices (Crim., 15 juin 1960) ou attribué la qualification de coaction à des actes traditionnellement liés à la complicité (Crim., 24 août 1827).
- Les cas spéciaux de complicité, comme ceux introduits par la loi du 5 mars 2007 (enregistrement d’infractions, diffusion des images enregistrées), tendent à rapprocher la complicité d’une infraction autonome
- Les distinctions entre coaction et complicité sont de plus en plus floues, sous l’effet des évolutions législatives et jurisprudentielles. La multiplication des incriminations autonomes et les ajustements nécessaires à une répression efficace rendent la frontière entre ces deux notions moins évidente.
- Ces évolutions posent la question de la pertinence actuelle de cette distinction traditionnelle, alors même que la répression moderne tend à privilégier des réponses pragmatiques face à des infractions collectives et complexes.
PLAN:
I – La distinction originelle entre complicité et coaction
A) Complicité et coaction des responsabilités pénales distinctes quant à leur nature
Idée 1 : des responsabilités pénales distinctes quant à leur fondement
Idée 2 : des responsabilités pénales distinctes quant a leurs conséquences
B) Complicité et coaction, des éléments constitutifs distincts quant à leur contenu
Idée 1 : Quand à leur élément matériel
Idée 2 : quant à l’élément moral
II – Le rapprochement contemporain entre complicité et coaction
A) Un rapprochement initié par le législateur
Idée 1 : le rapprochement des éléments matériels
Idée 2 : le rapprochement des modalités de la répression
B) Un rapprochement initié par la jurisprudence
Idée 1 : L’amoindrissement du caractère accessoire de la complicité
Idée 2 : Le rapprochement des éléments moraux
I – La distinction originelle entre complicité et coaction
C) Complicité et coaction des responsabilités pénales distinctes quant à leur nature
Idée 1 : des responsabilités pénales distinctes quant à leur fondement
- Complicité et coaction sont deux modes distincts de participation à l’infraction.
- La coaction repose sur une responsabilité pénale autonome, où chaque coauteur réalise la totalité des éléments constitutifs de l’infraction. À l’inverse, la complicité est une responsabilité accessoire, subordonnée à l’existence d’une infraction principale punissable.
- La coaction implique une autonomie de responsabilité.
- Chaque coauteur agit directement pour accomplir l’infraction, sa responsabilité pénale peut être engagée indépendamment de celle des autres participants. Exemple : les coauteurs commettent ensemble tous les actes constitutifs de l’infraction définis par la loi.
- La complicité dépend de l’infraction principale.
- La complicité consiste à faciliter ou provoquer l’infraction commise par un autre. Elle emprunte sa criminalité à l’action principale et ne peut être poursuivie si cette dernière est absente. Exemples :
- La complicité de suicide est impossible car le suicide n’est pas incriminé.
- Arrêt Lacour (Crim., 25 oct. 1962) : la provocation à une infraction non réalisée n’est pas punissable.
Idée 2 : des responsabilités pénales distinctes quant a leurs conséquences
- Indépendance de la répression pour les coauteurs
- La responsabilité pénale des coauteurs est autonome, ce qui signifie que chaque coauteur encourt les peines prévues pour l’infraction commise sans dépendre des autres participants. Par exemple :
- Un coauteur peut voir sa peine alourdie en raison de circonstances aggravantes personnelles (comme une récidive), qui ne s’étendent pas aux autres coauteurs.
- Inversement, il n’est pas affecté par des circonstances aggravantes applicables à d’autres participants.
- Accessoire de la répression pour les complices
- Contrairement à la coaction, la responsabilité pénale du complice reste dépendante de l’infraction principale et des circonstances qui la qualifient :
- Sous le Code de 1810, le complice était puni des mêmes peines que l’auteur principal, y compris les peines aggravées par des circonstances personnelles.
- Depuis le Code actuel, l’article 121-6 CP prévoit que le complice est puni « comme auteur », mais la jurisprudence (Crim., 7 sept. 2005) a confirmé que les circonstances aggravantes liées à l’auteur principal s’étendent au complice. Exemple : le complice d’un parricide encourt les peines prévues pour cette infraction aggravée, même sans lien personnel avec la victime.
- Conséquence pour la complicité
- Cette dépendance renforcée de la complicité par rapport à l’infraction principale illustre son caractère accessoire. Elle distingue ainsi la complicité de la coaction, où chaque participant assume une responsabilité pénale autonome et indépendante.
D) Complicité et coaction, des éléments constitutifs distincts quant à leur contenu
Idée 1 : Quand à leur élément matériel
- Élément matériel chez le coauteur
- Pour engager la responsabilité pénale d’un coauteur, il est nécessaire de prouver qu’il a lui-même accompli le comportement prohibé par la loi pour l’infraction en question.
- Exemple : Un individu n’est coauteur d’un vol (art. 311-1 CP) que s’il a lui-même soustrait la chose d’autrui.
- Le coauteur doit réaliser l’ensemble des éléments matériels décrits par la loi pour être pénalement responsable, que ce soit pour des infractions de commission (agir) ou d’omission (s’abstenir d’un acte requis).
- Élément matériel chez le complice
- Contrairement au coauteur, le complice ne réalise pas les éléments constitutifs de l’infraction définis par la loi mais participe à sa commission par des actes accessoires décrits par l’article 121-7 CP :
- Aide ou assistance : Cela inclut des actions comme la fourniture de moyens (exemple : outils pour un vol) ou tout soutien apporté à l’auteur ou au coauteur pendant l’infraction.
- Instigation : Le complice instigateur incite l’auteur à agir par des provocations ou instructions. La provocation n’est punissable que si elle s’accompagne de circonstances spécifiques, comme un don, une promesse, une menace, un abus de pouvoir (art. 121-7, al. 2 CP).
- Différences clés
- Tandis que le coauteur agit directement pour commettre l’infraction, le complice contribue indirectement, en facilitant ou en provoquant l’acte principal sans l’accomplir lui-même. Ces distinctions reflètent des rôles différents dans la réalisation de l’infraction et justifient des traitements juridiques distincts.
Idée 2 : quant à l’élément moral
- Élément moral chez le coauteur
- La responsabilité pénale du coauteur suppose la démonstration d’un dol général : la volonté de commettre l’acte en ayant conscience de violer la loi pénale.
- Pour certaines infractions intentionnelles, un dol spécial est requis en plus du dol général.
- Exemple : Le coauteur d’un homicide volontaire doit avoir eu l’intention de tuer ; le coauteur d’un vol doit avoir eu l’intention de se comporter en propriétaire de la chose soustraite.
- Élément moral chez le complice
- La complicité est un mode intentionnel de participation à l’infraction.
- Selon l’article 121-7 du Code pénal :
- Le complice doit avoir agi sciemment, en ayant conscience de son aide ou instigation, ainsi que du fait infractionnel commis par l’auteur principal.
- L’intention du complice ne doit pas nécessairement viser le résultat de l’infraction principale.
- Exemple : Le complice d’un homicide volontaire peut être pénalement responsable sans intention de tuer, dès lors qu’il s’est librement et consciemment associé à l’acte principal.
- Différence entre complice et coauteur
- L’intention du complice est une condition subjective d’imputation de l’infraction d’autrui.
- L’intention du coauteur constitue l’élément psychologique de l’infraction elle-même.
Ces distinctions montrent que complicité et coaction engagent des éléments moraux distincts, reflétant des rôles et responsabilités divergents dans la commission d’une infraction.
II – Le rapprochement contemporain entre complicité et coaction
La distinction entre complicité et coaction tend à s’estomper sous l’effet des évolutions législatives récentes, qui brouillent les frontières entre ces deux modes de participation à l’infraction.
A) Un rapprochement initié par le législateur
Idée 1 : le rapprochement des éléments matériels
- Le rapprochement des éléments matériels requis
- La prolifération des infractions autonomes de provocation a brouillé la distinction entre complices par instigation et auteurs d’infractions autonomes.
- Exemples :
- Mandat criminel (art. 221-5-1 CP) créé par la loi du 9 mars 2004.
- Provocation à des infractions sexuelles contre des mineurs (art. 227-28-3 CP) instaurée par la loi du 4 avril 2006.
- Recrutement à des fins terroristes (loi du 21 décembre 2012).
- Complicité spéciale et infraction autonome : La loi du 5 mars 2007, avec l’introduction de l’article 222-33-3 CP, a établi un cas de complicité spécial lié à l’enregistrement d’infractions (ex. : "happy slapping").
- Le complice qui enregistre une infraction devient auteur d’une infraction autonome s’il diffuse les images enregistrées (art. 222-33-3 al. 2 CP).
- Cette dynamique crée une confusion entre les rôles de complice et d’auteur, brouillant les distinctions classiques.
Idée 2 : le rapprochement des modalités de la répression
- Assimilation répressive des participants :
- Les circonstances aggravantes de réunion et de bande organisée, fondées sur la pluralité des participants à une infraction, s’appliquent indistinctement aux coauteurs et aux complices.
- Sous l’ancien Code pénal, la circonstance de réunion nécessitait la présence de plusieurs auteurs. La jurisprudence avait contourné cette exigence en qualifiant de coauteurs des complices (ex. : Crim. 24 août 1827).
- Le nouveau Code pénal a supprimé cette exigence, alignant la répression des coauteurs et des complices sous ces circonstances aggravantes.
- Indivisibilité des infractions :
- Les règles de prescription de l’action publique, qu’il s’agisse de durée, de point de départ ou d’actes interruptifs/suspensifs, sont identiques pour les complices et les coauteurs, en raison de l’indivisibilité de l’infraction principale avec ses modalités de participation.
- Cette indivisibilité impose également la jonction des procédures, renforçant la confusion entre ces deux statuts.
B) Un rapprochement initié par la jurisprudence
Idée 1 : L’amoindrissement du caractère accessoire de la complicité
- Affaiblissement de l’exigence d’une infraction principale punissable :
- Traditionnellement, la complicité n’était réprimée qu’en présence d’une infraction principale punissable, ce qui la distinguait clairement de la coaction, autonome par nature.
- La jurisprudence a cependant réduit cette exigence en acceptant que la complicité soit réprimée même si l’auteur principal :
- Est déclaré pénalement irresponsable (trouble mental, minorité).
- Bénéficie d’une amnistie personnelle.
- N’est pas poursuivi pour des raisons de fait.
- Dans ces cas, il suffit que l’infraction principale soit abstraitement punissable.
- Autonomisation partielle de la complicité :
- La jurisprudence a franchi une étape supplémentaire en distinguant « fait principal punissable » et « infraction principale punissable ».
- Exemple :
- Crim. 8 janvier 2003 : La relaxe de l’auteur principal pour absence d’intention criminelle n’exclut pas la condamnation du complice, dès lors que le fait principal matériel (exportation de stupéfiants) est établi.
- Crim. 15 décembre 2004 : Condamnation d’un complice par provocation dans une affaire fiscale, malgré la relaxe de l’auteur principal pour absence d’intention.
- Cette évolution reflète une autonomisation croissante de la complicité, remettant en question son caractère traditionnellement accessoire.
Idée 2 : Le rapprochement des éléments moraux
- Complicité et infractions non intentionnelles : une évolution jurisprudentielle
- Traditionnellement, la doctrine exclut la complicité pour les infractions non intentionnelles, car la complicité est par nature intentionnelle. Celui qui aide ou assiste l’auteur d’une infraction d’imprudence est considéré comme coauteur, ayant lui-même commis l’imprudence.
- Cependant, la jurisprudence distingue selon la nature de l’imprudence :
- Simple imprudence : seule la coaction est possible, la complicité reste exclue.
- Faute d’imprudence délibérée : la complicité devient possible.
- Exemple : Crim. 6 juin 2000 – Un passager ordonnant à un chauffeur de brûler un feu rouge est reconnu complice par provocation.
- Conséquences sur l’élément moral de la complicité
- Dans ces hypothèses, le complice doit avoir agi avec une intention consciente, tendue vers l’imprudence de l’auteur principal.
- Cette exigence entraîne une convergence entre l’élément moral du complice et celui de l’auteur indirect d’une infraction non intentionnelle :
- Le complice, en facilitant ou provoquant l’imprudence, contribue à créer une situation génératrice de risques, tout comme l’auteur indirect, dont la répression repose sur la commission d’une faute délibérée ou caractérisée.
- Cela conduit à brouiller les frontières entre complicité et coaction.
Conclusion : Impact sur la distinction entre complice et coauteur
- Cette convergence affaiblit la pertinence de la distinction traditionnelle entre complice et coauteur, notamment dans les infractions non intentionnelles.
- L’évolution jurisprudentielle illustre une tendance à privilégier la collectivité de l’infraction sur les modalités de participation spécifiques (complicité ou coaction).