Introduction : L’évolution de la faute en droit administratif
En droit administratif, la gravité de la faute permet de différencier faute simple et faute lourde.
- Faute lourde : Faute caractérisée par une gravité importante, nécessitant une preuve renforcée.
- Faute simple : Faute ordinaire, plus facilement reconnue et plus fréquemment admise aujourd’hui.
L’histoire de la faute lourde est celle de son déclin progressif. Autrefois exigée dans de nombreux domaines, elle a peu à peu été remplacée par la faute simple.
I. LE DÉCLIN DE LA FAUTE LOURDE
A. Une transition vers la faute simple
Historiquement, la faute lourde a été un mécanisme intermédiaire entre l'irresponsabilité de l'État et l’acceptation de la responsabilité administrative.
Jurisprudence marquante :
- CE, Ass., 10 avril 1992, Époux V. → Abandon de la faute lourde pour la responsabilité médicale.
- CE, Sect., 21 mars 2011, Krupa → Abandon de la faute lourde pour les services fiscaux.
B. Secteurs où la faute simple s’est imposée
- Santé et secours
- CE, Ass., 10 avril 1992, Époux V. → Responsabilité médicale pour faute simple.
- CE, Sect., 20 juin 1997, Consorts Theux → Urgences médicales.
- CE, 29 avril 1998, Commune de Hannapes → Lutte contre les incendies.
- CE, Sect., 13 mars 1998, Améon → Secours en mer.
- Service public pénitentiaire
- CE, 3 octobre 1958, Rakotoarinovy → Initialement, faute lourde.
- CE, 23 mai 2003, Chabba → Passage à la faute simple pour les suicides en prison.
- CE, 9 juillet 2007, Delorme → Suicide d’un détenu mineur.
- CE, 17 décembre 2008, Zaouiya → Incendie provoqué par un codétenu.
- CE, 6 décembre 2013, Thévenot → Conditions indignes de détention = faute simple.
- Cour EDH, 26 octobre 2000, Kudla c/ Pologne → Traitements inhumains en détention.
- Services fiscaux
- CE, Sect., 27 juillet 1990, Bourgeois → Distinction entre erreurs simples et complexes.
- CE, Sect., 21 mars 2011, Krupa → Faute simple suffit, suppression de la faute lourde.
II. LA FAUTE LOURDE SUBSISTE DANS CERTAINS DOMAINES
A. Les activités de police
- Maintien de l’ordre public
- CE, 10 février 1905, Tomaso Grecco → Faute lourde requise pour les opérations de police.
- CE, 23 mai 1958, Consorts Amoudruz → Distinction entre bureau (faute simple) et terrain (faute lourde).
- CE, 28 novembre 2003, Commune de Moissy-Cramayel → Faute simple pour les nuisances sonores.
- CE, 31 mai 2024, n° 468316 → Maintien de l’ordre (Gilets Jaunes) → Faute lourde.
- Terrorisme et renseignement
- CE, 18 juillet 2018, Chennouf → Faute lourde pour les actions de lutte contre le terrorisme.
- CE, 26 avril 2017, Aubry-Dumont → Faute simple pour défaut de contrôle de départ de mineurs en Syrie.
- Police sanitaire
- CE, 16 novembre 2020, Karatepe → Faute simple pour les prothèses mammaires défectueuses.
B. Les activités de contrôle et de régulation
- Contrôle administratif
- CE, Ass., 30 novembre 2001, Ministre de l’économie c/ Kechichian → Faute lourde pour les préfets exerçant un contrôle de légalité.
- CE, Sect., 6 octobre 2000, Commune de Saint-Florent → Faute lourde requise pour l’action des préfets.
- CE, 22 novembre 2019, Bujon → Attaque de requins à La Réunion → Faute lourde pour l’État.
- Insuffisances du contrôle du travail
- CE, 18 décembre 2020, Ministre du Travail → Faute simple pour l’inspection du travail.
C. Le service public de la justice
- Responsabilité des juridictions administratives
- CE, Ass., 29 décembre 1978, Darmont → Faute lourde pour le dysfonctionnement du service public de la justice administrative.
- Cour EDH, 26 octobre 2000, Kudla c/ Pologne → Droit à un recours effectif en cas de délai de jugement excessif.
- CE, Ass., 12 avril 2002, Magiera → Faute simple pour les retards excessifs de jugement.
- Violation du droit de l’UE
- CJCE, 30 septembre 2003, Köbler c/ Autriche → Responsabilité de l’État si un juge viole manifestement le droit de l’UE.
- CE, 18 juin 2008, Gestas → Transposition en France → Faute lourde pour violation du droit de l’UE.
III. LA PREUVE DE LA FAUTE
A. Principe général : Charge de la preuve sur la victime
- CE, 29 mai 1970, Clément → C’est à la victime d’apporter la preuve de la faute.
B. Mécanismes d’assouplissement
1. La faute présumée
Cas où la faute est présumée, sans que la victime ait à la prouver :
- Responsabilité médicale
- CE, 10 novembre 1961, Eveillard → Défaut de surveillance des patients.
- CE, 9 janvier 1980, Martins → Erreurs lors d’actes médicaux bénins.
- Travaux publics
- CE, 1921, Commune de Monségur → Faute présumée en cas de défaut d’entretien normal d’un ouvrage public.
- Cas concrets : nid de poule, saillie dangereuse, chute de plafond...
2. La quasi-présomption de faute
Cas où la victime doit fournir un commencement de preuve :
- Discriminations
- CE, Ass., 30 octobre 2009, Perreux → Charge de la preuve allégée pour les victimes de discrimination.
- Harcèlement moral ou sexuel
- CE, 11 juillet 2011, Montaut → Commencement de preuve admis pour les victimes.
- Conditions indignes de détention
- Cour EDH, 30 janvier 2001, JMB c. France → Facilitation de la preuve pour les détenus.
- Cass. crim., 8 juillet 2020, n° 20-81.739 → Application du principe en droit français.
- Article 803-8 du Code de procédure pénale (Loi du 8 avril 2021) → Codification du principe.