Introduction
Le droit administratif s’est construit en autonomie par rapport au droit civil, notamment en matière de responsabilité administrative (RA).
Contrairement au droit civil, qui distingue entre responsabilité pour faute et responsabilité sans faute, le droit administratif a développé un régime spécifique où la responsabilité sans faute est admise dès la fin du XIXe siècle.
La responsabilité pour faute est considérée comme le droit commun de la responsabilité, tandis que la responsabilité sans faute repose sur deux fondements distincts :
- Le risque.
- La rupture de l’égalité devant les charges publiques (exemple : un acte régulier de l’administration cause un dommage).
Enfin, des régimes spéciaux existent dans certaines matières, comme la responsabilité en matière médicale ou environnementale.
SECTION 1 : LA RESPONSABILITÉ POUR FAUTE
La responsabilité pour faute est le principe général en droit administratif. Elle repose sur l'idée que la réparation d’un dommage doit être conditionnée par une faute de l’administration.
Cependant, la notion de faute en droit administratif diffère de celle du droit civil. Elle est appréhendée à travers l’illégalité d’un acte, l’action irrégulière de l’administration, et le partage de compétence entre JA et JJ en matière de faute de service et faute personnelle.
I. L’IDENTIFICATION DE LA FAUTE
A. L’acte illégal
- Toute illégalité est considérée comme fautive → CE, 26 janvier 1973, Driancourt.
- Toute faute n’implique pas nécessairement une illégalité → Il existe d’autres types de fautes administratives.
- Clarification par la jurisprudence → CE, 30 janvier 2013, Imbert : une décision légale ne peut en principe pas être fautive.
B. L’action irrégulière de l’administration
Les fautes administratives peuvent résulter de :
- Erreurs ou maladresses.
- Négligence ou insuffisance.
- Imprudence ou inaction (exemple : absence d’entretien d’une route).
- Carences (exemple : absence de prévention des risques).
Les fautes résultant d’une inaction de l’administration se multiplient.
Exemples concrets :
- Catastrophe naturelle de 2010 (montée des eaux sur le littoral atlantique) → Faute de l’État.
- "L’Affaire du siècle" → Carence de l’État dans la lutte contre le réchauffement climatique.
II. LE PARTAGE DE COMPÉTENCE EN MATIÈRE DE FAUTE DE SERVICE ET FAUTE PERSONNELLE
A. Le principe de la distinction
Le partage entre faute de service (JA compétent) et faute personnelle (JJ compétent) a été posé par TC, 30 juillet 1873, Pelletier.
Critères pour distinguer les fautes :
- Faute de service → Erreur impersonnelle, liée au fonctionnement de l’administration.
- Faute personnelle → Comportement individuel d’un agent, marqué par une gravité ou une intention de nuire.
Exemples jurisprudentiels :
- CE, 11 février 2015, Ministre de la justice c/ Craighero → Une faute personnelle est caractérisée par sa gravité et son intention de nuire.
- TC, 2 juin 1908, Girodet c/ Morizot → Un instituteur qui tient des propos insultants et blasphématoirescommet une faute personnelle.
- CE, Ass., 12 avril 2002, Papon → Maurice Papon, préfet sous Vichy, a commis une faute de service (exécution des ordres) et une faute personnelle (excès de zèle).
B. L’aménagement de la distinction : l’engagement de la responsabilité de l’administration
Le juge administratif a progressivement aménagé la distinction pour éviter aux victimes de se retrouver sans indemnisation.
1. Cumul de fautes
CE, 3 février 1911, Anguet → Lorsqu’il y a une faute de service et une faute personnelle, la victime peut poursuivre l’administration pour le tout.
Exemple : Un agent de la Poste ferme un bureau avant l’heure (faute de service) et expulse violemment un usager(faute personnelle). L’administration peut être condamnée pour l’ensemble des fautes.
2. Cumul de responsabilités
CE, 26 juillet 1918, Époux Lemonnier → Lorsqu’un agent commet une faute qui est à la fois personnelle et de service, la responsabilité de l’administration peut être engagée pour la totalité du dommage.
Exemple : Un maire organise un jeu de tir flottant, un spectateur est blessé.
- Faute personnelle → Mauvaise organisation par le maire.
- Faute de service → Carence de la municipalité dans la sécurisation de l’événement.
3. La faute personnelle non dépourvue de tout lien avec le service
Le juge administratif a développé l’idée que même une faute personnelle peut engager la responsabilité de l’administration, si elle n’est pas totalement détachable du service.
Exemples jurisprudentiels :
- CE, 21 avril 1937, Quesnel → Une receveuse des postes vole du courrier.
- Faute personnelle, mais liée au service → JA compétent.
- CE, Ass., 18 novembre 1949, Demoiselle Mimeur → Un agent conduit un véhicule de fonction et cause un accident → Faute personnelle liée au service → JA compétent.
- CE, 18 novembre 1988, Époux Raszewski → Un gendarme commet des crimes tout en participant à l’enquête.
- Faute personnelle liée au service → JA compétent.
4. Droit d’option de la victime
La victime peut choisir entre :
- Saisir le JJ pour faute personnelle.
- Saisir le JA pour faute personnelle non dépourvue de tout lien avec le service.
Exemples récents :
- TC, 19 mai 2014, Berthet c/ Filippi → Un agent municipal est harcelé par son maire.
- Droit d’option pour la victime : JJ (faute personnelle) ou JA (faute personnelle liée au service).
- TA Paris, 16 février 2023 → Un sous-directeur au ministère de la culture fait boire un diurétique à des candidates pour les voir uriner.
- Faute personnelle (JJ) mais aussi faute liée au service (JA).
Articles et arrêts clés
Principaux arrêts
- TC, 30 juillet 1873, Pelletier → Distinction entre faute de service (JA) et faute personnelle (JJ).
- CE, 26 janvier 1973, Driancourt → Toute illégalité est une faute.
- CE, 3 février 1911, Anguet → Cumul de fautes (service et personnelle) → Responsabilité de l’administration pour le tout.
- CE, 26 juillet 1918, Époux Lemonnier → Une même faute peut être faute personnelle et faute de service → Responsabilité de l’administration.
- CE, 21 avril 1937, Quesnel → Faute personnelle liée au service.
- CE, Ass., 18 novembre 1949, Demoiselle Mimeur → Un véhicule de service engage la responsabilité de l’État.
- TC, 19 mai 2014, Berthet c/ Filippi → Droit d’option entre JA et JJ.