Chapitre 1 : Le droit de l’Orient ancien
L’Orient a donné à l’humanité ses premières grandes civilisations. L’Orient ancien est les terres qui bordent la Méditerranée à l’Est de celle-ci. Elle regroupe deux foyers de peuplement importants : d’une part, les civilisations d’Égypte et celles de Mésopotamie (de
mésos
, « entre, au milieu » /
potamós
, « fleuves ») (terre d’agriculture). C’est la fertilité de ces terres qui a concrètement permis la sédentarisation. L’écriture va dès lors apparaître vers 3200 avant notre ère (
AVANT NOTRE ÈRE PLUTÔT QU’AVANT JC
). Elle est indispensable à une administration efficace et notamment aux activités d’échange. Ainsi, l’apparition de l’écriture fait entrer l’Homme dans l’Histoire. Elle laisse une trace, un témoignage direct des pratiques de l’époque et ce sont sur ces sources que nous nous appuierons pour comprendre quel était le système juridique de l’époque.
À cette époque, la civilisation est perçue par les Hommes comme un don de Dieu et il semble naturel que la religion régisse les règles sociétales. Aussi, dès lors, dans cette conception, ce sont les Dieux qui fondent le droit. Le premier berceau de la civilisation se trouve en Mésopotamie. Le droit mésopotamien est celui qui nous livre le plus ancien témoignage d’une législation. La Mésopotamie offre ainsi des textes de grande richesse, mais ce n’est pas la seule civilisation à avoir marqué son temps. L’Égypte est un pays où le droit s’enracine, en lien également avec les divinités, quoi que de façon différente. C’est un droit empreint de religion, de morale et d’empirisme. Dieu se révèle être un véritable législateur qui livre sa loi aux Hommes.
Section 1 : LE DROIT MÉSOPOTAMIEN : LA NAISSANCE DU DROIT CUNÉIFORME
La Mésopotamie est la plaine située entre le Tigre, à l’Est, et l’Euphrate, à l’Ouest. D’ailleurs, le nom de Mésopotamie signifie « le pays entre les fleuves ». Sur ce territoire, des villes vont se former très rapidement, créant ainsi de véritables centres de principauté. La plus célèbre est celle de Babylone. On désigne le droit mésopotamien sous le nom de droit cunéiforme, bien que le droit cunéiforme dépasse en réalité le cadre de la Mésopotamie. Il s’étend en effet jusqu’en Asie mineure et aux côtés orientales de la Méditerranée. Les droits cunéiformes sont rédigés en écriture cunéiforme : elle combine plusieurs éléments en forme de coins et de clous. Elle est le plus souvent gravée sur des tablettes d’argile.
On a plusieurs peuples sur ce territoire : deux notamment, celui de Sumer et Akkad. Les Sumériens arrivent au Sud de la Mésopotamie et ces anciens nomades vont s’installer dans ces terres de façon définitive vers 3000-2700 avant notre ère. On trouve également des Sémites nomades qui vont s’établir dans le pays d’Akkad. Plusieurs dynasties vont ainsi se succéder pour laisser place à l’Empire akkadien, qui a son tour sera disséminé par les envahisseurs.
1. Le droit babylonien
Babylone a fourni une documentation juridique considérable, et ce, sur une longue durée. On dispose ainsi de plusieurs textes législatifs qui nous permettent de comprendre comment a été pensé le droit à cette époque. On a retrouvé beaucoup d’actes de la pratique (les tablettes d’argile transcrivant des contrats de prêt, de vente, de mariage...) ; en revanche, aucun texte doctrinal. Le droit babylonien est un
droit empirique
: un droit qui s’appuie sur l’expérience, la pratique et non sur la théorie. C’est un droit sans doctrine.
La loi écrite n’est que subsidiaire (elle passe après la coutume, elle est secondaire). La source principale à cette époque est la coutume orale. Quand 2 justiciables s’opposent et que
l’un conteste la coutume locale, alors la loi sera appliquée. La loi peut être rassemblée dans des codes, mais le terme de code n’a pas le même sens qu’on lui donne aujourd’hui : ce terme est abusif car les textes rassemblés sont très différents les uns des autres. Il s’agit plutôt d’un recueil de lois. Le plus souvent, ces lois correspondent au jugement qui a été rendu par le Roi. De ce fait, dans leur forme, ces lois présentent des solutions concrètes à un cas d’espèce et on a donc des sujets très variés en fonction des cas qui se sont présentés. On dit alors que ces lois sont sous forme
casuistique
, c’est-à-dire qu’elles consistent à résoudre des problèmes pratiques.
En outre, le droit babylonien est imprégné de religion.
A. Le droit préhammurabien (à partir du XXIème siècle avant notre ère)
Le Code d’Urukagina est un ancien texte de loi du nom du roi Urukagina qui date de 2350 avant notre ère. Il n’a jamais été retrouvé.
Le plus ancien témoignage mésopotamien remonte à 2100 avant notre ère : il s’agit du code d’Ur-Nammu, qui fut roi d’Ur vers 2110 avant notre ère. Nous en possédons seulement quelques fragments car non retrouvé, mais cela nous permet d’affirmer qu’il est d’origine divine. En effet, le droit est associé au dieu sumérien de la lune, appelé Nanna. Ce dieu est important puisqu’il représente l’astre principal qui éclaire la nuit. En plus de ça, Nanna est le père du dieu qui symbolise le Soleil, Shamash.
Dans la culture mésopotamienne, ce sont les dieux qui ont installé les rois au pouvoir. En effet, dans cette conception, le pouvoir royal est d’origine divine. Dans cette conception, le roi reçoit la loi des dieux et ce serait de ce fait les réels dispensateurs du droit. Les rois ne font que traduire la volonté divine. Ils veulent le faire de façon simple, clair et pratique pour que les lois soient accessibles à tous.
Dans le code d’Ur-Nammu, il y a du droit pénal, du droit de la famille, mais encore des domaines réservés au droit de la propriété, ou encore, au droit des successions. Il s’agit d’un droit qui est varié et qui s’adapte aux besoins de la société. Les sanctions sont elles aussi variées : dans le droit pénal, elles vont de l’amende à la peine de mort. Le terme d’amende à l’époque est une
composition pécuniaire
, qui est un moyen de transaction permettant de fixer un montant qui va éteindre l’infraction. C’est le roi qui veille à l’application de cette législation.
Après le code d’Ur-Nammu, il y a le code Lipit-Ishtar, dont il reste quelques fragments. Ce code est un recueil législatif qui a été rédigé durant le règne de Lipit-Ishtar, vers 1934-1924 avant notre ère. C’est le roi de la cité d’Isin, qui dominait alors une grande partie du Sud de la Mésopotamie. Ce texte est rédigé en sumérien et c’est ainsi le deuxième plus ancien recueil mésopotamien dont nous possédons, après le code d’Ur-Nammu. Il dispose de législations et comporte un prologue et d’un épilogue à la gloire du roi. Dans le prologue, on constate le rôle nécessaire de la religion. Il explique comment le roi fut choisi par les grands dieux sumériens pour régner et faire ainsi triompher la justice et l’harmonie sociale.
L’épilogue commence par une louange pour la justice du roi et s’achève par des malédictions proférées contre tous ceux qui altéreraient l’oeuvre du roi. Concernant les lois insérées dans ce recueil, ce sont davantage des décisions de justice rendues par le roi qui ont été mises par écrit et compilées afin de servir d’exemple dans les futures affaires judiciaires.
B. Le Code de Hammurabi (XVIIIème, 1750 avant notre ère)
a) La forme
Hammurabi est le 6ème roi de Babylone. Son règne a duré 42 ans (de 1792 à 1750 avant notre ère) et cette époque est véritablement considéré comme l’âge d’or de la civilisation babylonienne. Ce roi a su réunifier la Mésopotamie par sa politique de conquête et d’unification du socle administratif et social. Sa dynastie se maintiendra sous 5 successeurs, tout de fois elle ne va pas durer. Le royaume va s’enfoncer dans une crise grave. Vers 1595 avant notre ère, la 1ère dynastie de Babylone s’éteint.
L’oeuvre législative d’Hammurabi nous est parvenu entièrement et est au Musée du Louvre. Le Code a été découvert en Iran par des archéologues français et c’est la source la plus riche du droit mésopotamien à l’heure actuelle. Il a été gravé sur une pierre de basalte noir qui mesure 2,25m de haut et environ 55cm de large. Ce code est écrit en écriture cunéiforme et en langue acadienne. Le monarque s’y proclame comme le « roi du droit ». Sur la stèle, on voit le dieu Shamash assis sur un trône. Le dieu remet à Hammurabi les outils de la justice divine et ces
outils, la règle et le cordeau, vont lui permettre de trouver la juste mesure dans le droit. Le droit babylonien est bien un droit d’origine divine.
Dieu donne ainsi au roi la capacité de légiférer. Comme les lois sont issues de la volonté du dieu Soleil, elles ne sont pas destinées à être changées. À la fin du Code, on trouve une formule éloquente qui marque ce
caractère immuable
de ce droit. Ce texte n’est pas destiné à changer. La loi est écrite à jamais.
Le droit perdure, même si le droit immuable pose des difficultés puisqu’il doit s’adapter à l’évolution de la société, parce qu’il est très proche de la morale. Les valeurs morales perdurent et le droit aussi, puisqu’il ne vient sanctionner que les excès, en particulier ceux concernant la morale sexuelle et familiale.
b) Le fond
Le Code de Hammurabi se divise en 3 parties :
-un prologue historique qui raconte l’investiture du roi, la formation de son empire et ses réalisations. Il met en avant le roi Hammurabi qui s’affirme comme un justicier et un protecteur désigné par les dieux.
-un épilogue lyrique qui résume l’œuvre de justice du roi et prépare sa perpétuation dans l’avenir. Il invite aussi à respecter l’ensemble des dispositions, sous la menace de châtiments pour tous ceux qui les violeront.
-puis, sur 41 colonnes, on trouve près de 300 décisions de justice (282 pour être exact), présentées sous forme de cas, qui réglemente la vie courante dans le royaume de Babylone. Ces articles sont brefs et simples, afin que les textes soient accessibles à tous.
Ils se présentent tous sous cette forme : une phrase au conditionnel qui énonce un problème et une réponse mise au futur ; « si un individu a fait telle action, il lui arrivera telle chose ».
Le Code de Hammurabi traite de plusieurs matières, les plus importantes, sans prétention de tout régler. On y retrouve du droit privé, du droit pénal et, la famille étant un des fondements de la société babylonienne, du droit de la famille (fiançailles, mariage, adultère, adoption...).
3 articles concernent l’adultère :
1. le
flagrant délit
: le mari surprend sa femme dans un lit avec son amant. Le mari est autorisé à
faire exécuter sa femme et l’amant
en les ligotant ensemble et en les jetant dans le fleuve. Toutefois, le mari peut néanmoins pardonner sa femme et le roi accorde sa grâce à l’amant. L’inverse ne se pose pas car l’adultère n’est que pour les femmes.
2.
en cas d’accusation sans flagrant délit
, cela peut conduire à la
répudiation immédiate
(le mari fait cesser le mariage). La femme peut néanmoins prêter un serment solennel disant qu’elle n’a pas trompé son époux pour éviter cette répudiation.
3.
si la femme est accusée d’adultère par la rumeur publique.
On assiste alors à une
procédure d’ordalie
, appelé également jugement divin, est un mode de preuves irrationnel où l’on fait appel aux dieux pour déterminer si l’accusé est coupable ou non. Il s’agit d’une épreuve physique à laquelle l’accusée est soumise et qui permet ainsi de révéler la vérité sur les faits pour lesquels nous n’avons aucune preuve. En Mésopotamie, la femme est soumise à l’ordalie fluviale. Le juge ordonne que la femme se rende au fleuve sous une forme très solennelle et ritualisée et doit plonger dans le fleuve. Si elle en ressort vivante, alors son innocence est prouvée. Le juge fixe en amont la profondeur jusqu’à laquelle l’accusée doit aller : parfois, elle doit traverser tout le fleuve, mais des fois, elle se baigne seulement. Le juge a son rôle à jouer. Parfois, la personne qui plonge a une grosse pierre attachée au cours du cou.
Si le droit est d’origine divine, il ne gère que les rapports entre les hommes et non de ceux entre les hommes et les dieux. Les prescriptions morales tiennent une place moins importante que dans le droit hébraïque. Le code est avant tout un règlement de paix qui doit faciliter la fusion des peuples. Le droit est mis au service de l’unification politique, à la disposition des peuples.
La
loi du talion
: talion vient du latin
talis,
qui signifie « tel », « pareil ». Elle consiste en la mise en place d’une juste réciprocité entre le crime et la peine, comme l’adage « oeil pour oeil, dent pour dent ». Cette loi implique que l’on fera à l’auteur du crime la même chose que la victime a subi. Cette loi est un véritable progrès car c’est la 1ère fois qu’on établit une proportion entre le
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FORMATION HISTORIQUE AU DROIT
crime et la sanction : on ne peut plus exiger du coupable autre chose que ce que l’on a subi soi- même. On abandonne avec la loi du talion, une pratique de justice qui était celle de la vengeance.
On va également la retrouver dans la loi hébraïque.