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enquête sociologique 6

I.La mort et le suicide: un objet sociologique singulier

La mort, et plus particulièrement le suicide, occupe une place centrale dans la réflexion sociologique, car elle met en lumière la manière dont la société façonne les expériences individuelles et collectives du mourir. Selon Clavandier, la sociologie de la mort s’intéresse à la signification sociale de la mort et à l’organisation de ses pratiques : développement des soins palliatifs, de la thanatopraxie, de la crémation, des testaments obsèques, etc. Le suicide, quant à lui, est considéré comme un objet fondateur de la sociologie, notamment à travers l’œuvre d’Émile Durkheim, qui en fait un fait social révélateur des mécanismes collectifs.


II.Le suicide comme objet fondateur de la sociologie: l'ambition de Durkheim

a) Structure et méthode de l’ouvrage de Durkheim

Durkheim structure son analyse du suicide en trois grandes parties :

  • Livre I : Les facteurs extra-sociaux

Il réfute les explications individuelles et naturelles du suicide (états psychopathiques, hérédité, facteurs cosmiques, imitation). Il démontre que ces facteurs ne suffisent pas à expliquer les variations du suicide, car les taux restent stables dans des groupes sociaux donnés, indépendamment des caractéristiques individuelles.

  • Livre II : Causes sociales et types sociaux

Il pose la méthode sociologique pour identifier les causes sociales du suicide et distingue trois types principaux :

  • Suicide égoïste : causé par un déficit d’intégration sociale.
  • Suicide altruiste : causé par une intégration excessive.
  • Suicide anomique : causé par un défaut de régulation normative.

Il propose aussi une analyse des formes individuelles de ces types

  • Livre III : Le suicide comme phénomène social

Il montre que le suicide est un phénomène collectif, dont le taux dépend de caractéristiques sociales et non individuelles. Il met en relation le suicide avec d’autres phénomènes sociaux et en tire des conséquences pratiques


b) Le suicide comme fait social

Durkheim démontre que le suicide est un fait social : il présente une régularité statistique au sein de groupes sociaux, indépendamment des individus qui les composent. Par exemple, les taux de suicide varient selon l’âge, le sexe, le statut matrimonial, le lieu de résidence et la religion. Il utilise une analyse statistique rigoureuse, en comparant les taux de suicide sur plusieurs années et dans différents groupes sociaux, ce qui lui permet d’objectiver le phénomène et d’en dégager les causes sociales.

III.Analyse statistique de Durkheim: facteurs sociaux du suicide

Durkheim réalise une analyse multivariée, distinguant variables dépendantes (le taux de suicide) et variables indépendantes (âge, sexe, statut matrimonial, lieu de résidence, religion).

  • Âge : Le taux de suicide augmente généralement avec l’âge.
  • Sexe : Les hommes se suicident beaucoup plus que les femmes.
  • Statut matrimonial : Les célibataires, veufs et divorcés ont des taux de suicide plus élevés que les personnes mariées. Le mariage apparaît comme un facteur protecteur, surtout pour les hommes.
  • Lieu de résidence : Les taux de suicide sont plus élevés en milieu urbain qu’en milieu rural.
  • Religion : Les protestants se suicident plus que les catholiques ou les juifs, non à cause de la religion elle-même, mais du degré d’intégration sociale qu’elle procure.

Des tableaux statistiques détaillent ces variations, montrant par exemple que le mariage protège davantage les hommes que les femmes contre le suicide, et que les différences entre villes et campagnes, riches et pauvres, ou entre régions, sont significatives

IV: typologie durkheimienne du suicide
  • Suicide égoïste : Résulte d’un manque d’intégration (ex : célibataires, personnes isolées).
  • Suicide altruiste : Résulte d’une intégration excessive (ex : sociétés traditionnelles où l’individu s’efface devant le groupe).
  • Suicide anomique : Résulte d’un défaut de régulation, souvent lors de crises économiques ou sociales.
  • Suicide fataliste : Résulte d’une régulation trop forte, situation d’oppression extrême (moins développé par Durkheim).

Exemple de l’analyse du divorce : pour Durkheim, le mariage monogamique assigne un objet défini au besoin d’aimer, ce qui crée un équilibre moral chez l’époux. Pour les femmes, il estime (dans une perspective aujourd’hui datée) que la régulation sociale du mariage leur serait moins nécessaire.

V.évolutions et actualisation de l'analyse du suicide

Depuis Durkheim, les analyses se sont enrichies :

  • Prise en compte des différences entre villes et campagnes, riches et pauvres, régions, catégories socioprofessionnelles.
  • Les fonctions protectrices de la famille sont confirmées, mais nuancées selon le sexe et l’âge.
  • Les taux de suicide restent un indicateur social majeur, révélant les transformations des sociétés contemporaines et les nouvelles formes de vulnérabilité sociale (ex : sursuicide agricole, suicide au travail).


VI: prolongements et critiques: Maurice Halbwachs

a) Analyse statistique approfondie

Halbwachs approfondit l’analyse statistique et prend en compte la diversité des modes d’enregistrement du suicide, la dissimulation possible et les variations selon les pays et les époques. Il relativise les critiques adressées à la démarche de Durkheim, soulignant l’intérêt des statistiques pour comprendre le phénomène.


b) Le « genre de vie »

Halbwachs introduit la notion de « genre de vie » : ensemble de coutumes, croyances et manières d’être résultant des occupations habituelles et du mode d’établissement des individus. Il montre que le taux de suicide dépend du genre de vie (rural ou urbain) plus que de la religion ou de la famille en tant que telles. Par exemple, les catholiques ruraux se suicident peu non à cause de leur religion mais parce qu’ils vivent dans des milieux traditionnels.


c) Remise en cause de la distinction motifs individuels/causes sociales

Contrairement à Durkheim, Halbwachs considère que les motifs individuels du suicide sont l’expression du genre de vie du groupe. Il propose une lecture unifiée : le suicide est celui de l’homme disqualifié, mal intégré, qui a intériorisé son isolement social. La difficulté d’intégration ne signifie pas l’inexistence de la société, mais au contraire son existence, dont l’individu souffre l’absence.

VII: Approches contemporaines: la sociologue qualitative du suicide

a) Renouvellement méthodologique

Les sociologues contemporains recourent de plus en plus à l’enquête qualitative (entretiens, observation) pour comprendre les trajectoires individuelles et les logiques sociales menant au suicide. Cela permet de dépasser les obstacles méthodologiques liés à la difficulté d’accès à la parole des proches directs des suicidés.


b) La « juste distance relationnelle » et les « proches éloignés »

Pour étudier le sursuicide agricole, par exemple, il s’agit d’interroger non seulement la famille, souvent sidérée ou culpabilisée, mais aussi les « proches éloignés » (collègues, voisins, travailleurs sociaux), qui disposent d’une connaissance fine de la trajectoire du suicidé tout en gardant une certaine distance. Cette approche révèle :

  • Le poids normatif de la régulation familiale dans l’activité agricole.
  • Les tensions entre logique d’autonomie et logique de reprise familiale.
  • La disqualification sociale vécue par l’individu suicidé au sein de son espace local.

Les « proches éloignés » permettent de mieux comprendre les effets des normes sociales, des conflits familiaux, et la manière dont l’individu perçoit sa propre disqualification.

VIII: synthèse méthodologique
  • Démarche quantitative : Objectiver pour expliquer. Elle implique de définir les catégories, de produire les données et de viser la représentativité pour généraliser les résultats.
  • Démarche qualitative : Contextualiser pour comprendre. Elle vise à rendre compréhensibles des faits a priori incompréhensibles, en tenant compte du rapport à l’enquête et aux enquêtés, et en conceptualisant les logiques sociales à partir des trajectoires individuelles.
Conclusion

Le suicide, loin d’être un simple acte individuel, est un objet sociologique majeur. Il permet de comprendre les mécanismes d’intégration, de régulation et de disqualification sociale. De Durkheim à Halbwachs, puis aux approches qualitatives contemporaines, l’étude du suicide révèle la puissance explicative de la sociologie pour saisir les liens entre individu et société et les évolutions des sociétés modernes face à la mort et au mal-être social.


enquête sociologique 6

I.La mort et le suicide: un objet sociologique singulier

La mort, et plus particulièrement le suicide, occupe une place centrale dans la réflexion sociologique, car elle met en lumière la manière dont la société façonne les expériences individuelles et collectives du mourir. Selon Clavandier, la sociologie de la mort s’intéresse à la signification sociale de la mort et à l’organisation de ses pratiques : développement des soins palliatifs, de la thanatopraxie, de la crémation, des testaments obsèques, etc. Le suicide, quant à lui, est considéré comme un objet fondateur de la sociologie, notamment à travers l’œuvre d’Émile Durkheim, qui en fait un fait social révélateur des mécanismes collectifs.


II.Le suicide comme objet fondateur de la sociologie: l'ambition de Durkheim

a) Structure et méthode de l’ouvrage de Durkheim

Durkheim structure son analyse du suicide en trois grandes parties :

  • Livre I : Les facteurs extra-sociaux

Il réfute les explications individuelles et naturelles du suicide (états psychopathiques, hérédité, facteurs cosmiques, imitation). Il démontre que ces facteurs ne suffisent pas à expliquer les variations du suicide, car les taux restent stables dans des groupes sociaux donnés, indépendamment des caractéristiques individuelles.

  • Livre II : Causes sociales et types sociaux

Il pose la méthode sociologique pour identifier les causes sociales du suicide et distingue trois types principaux :

  • Suicide égoïste : causé par un déficit d’intégration sociale.
  • Suicide altruiste : causé par une intégration excessive.
  • Suicide anomique : causé par un défaut de régulation normative.

Il propose aussi une analyse des formes individuelles de ces types

  • Livre III : Le suicide comme phénomène social

Il montre que le suicide est un phénomène collectif, dont le taux dépend de caractéristiques sociales et non individuelles. Il met en relation le suicide avec d’autres phénomènes sociaux et en tire des conséquences pratiques


b) Le suicide comme fait social

Durkheim démontre que le suicide est un fait social : il présente une régularité statistique au sein de groupes sociaux, indépendamment des individus qui les composent. Par exemple, les taux de suicide varient selon l’âge, le sexe, le statut matrimonial, le lieu de résidence et la religion. Il utilise une analyse statistique rigoureuse, en comparant les taux de suicide sur plusieurs années et dans différents groupes sociaux, ce qui lui permet d’objectiver le phénomène et d’en dégager les causes sociales.

III.Analyse statistique de Durkheim: facteurs sociaux du suicide

Durkheim réalise une analyse multivariée, distinguant variables dépendantes (le taux de suicide) et variables indépendantes (âge, sexe, statut matrimonial, lieu de résidence, religion).

  • Âge : Le taux de suicide augmente généralement avec l’âge.
  • Sexe : Les hommes se suicident beaucoup plus que les femmes.
  • Statut matrimonial : Les célibataires, veufs et divorcés ont des taux de suicide plus élevés que les personnes mariées. Le mariage apparaît comme un facteur protecteur, surtout pour les hommes.
  • Lieu de résidence : Les taux de suicide sont plus élevés en milieu urbain qu’en milieu rural.
  • Religion : Les protestants se suicident plus que les catholiques ou les juifs, non à cause de la religion elle-même, mais du degré d’intégration sociale qu’elle procure.

Des tableaux statistiques détaillent ces variations, montrant par exemple que le mariage protège davantage les hommes que les femmes contre le suicide, et que les différences entre villes et campagnes, riches et pauvres, ou entre régions, sont significatives

IV: typologie durkheimienne du suicide
  • Suicide égoïste : Résulte d’un manque d’intégration (ex : célibataires, personnes isolées).
  • Suicide altruiste : Résulte d’une intégration excessive (ex : sociétés traditionnelles où l’individu s’efface devant le groupe).
  • Suicide anomique : Résulte d’un défaut de régulation, souvent lors de crises économiques ou sociales.
  • Suicide fataliste : Résulte d’une régulation trop forte, situation d’oppression extrême (moins développé par Durkheim).

Exemple de l’analyse du divorce : pour Durkheim, le mariage monogamique assigne un objet défini au besoin d’aimer, ce qui crée un équilibre moral chez l’époux. Pour les femmes, il estime (dans une perspective aujourd’hui datée) que la régulation sociale du mariage leur serait moins nécessaire.

V.évolutions et actualisation de l'analyse du suicide

Depuis Durkheim, les analyses se sont enrichies :

  • Prise en compte des différences entre villes et campagnes, riches et pauvres, régions, catégories socioprofessionnelles.
  • Les fonctions protectrices de la famille sont confirmées, mais nuancées selon le sexe et l’âge.
  • Les taux de suicide restent un indicateur social majeur, révélant les transformations des sociétés contemporaines et les nouvelles formes de vulnérabilité sociale (ex : sursuicide agricole, suicide au travail).


VI: prolongements et critiques: Maurice Halbwachs

a) Analyse statistique approfondie

Halbwachs approfondit l’analyse statistique et prend en compte la diversité des modes d’enregistrement du suicide, la dissimulation possible et les variations selon les pays et les époques. Il relativise les critiques adressées à la démarche de Durkheim, soulignant l’intérêt des statistiques pour comprendre le phénomène.


b) Le « genre de vie »

Halbwachs introduit la notion de « genre de vie » : ensemble de coutumes, croyances et manières d’être résultant des occupations habituelles et du mode d’établissement des individus. Il montre que le taux de suicide dépend du genre de vie (rural ou urbain) plus que de la religion ou de la famille en tant que telles. Par exemple, les catholiques ruraux se suicident peu non à cause de leur religion mais parce qu’ils vivent dans des milieux traditionnels.


c) Remise en cause de la distinction motifs individuels/causes sociales

Contrairement à Durkheim, Halbwachs considère que les motifs individuels du suicide sont l’expression du genre de vie du groupe. Il propose une lecture unifiée : le suicide est celui de l’homme disqualifié, mal intégré, qui a intériorisé son isolement social. La difficulté d’intégration ne signifie pas l’inexistence de la société, mais au contraire son existence, dont l’individu souffre l’absence.

VII: Approches contemporaines: la sociologue qualitative du suicide

a) Renouvellement méthodologique

Les sociologues contemporains recourent de plus en plus à l’enquête qualitative (entretiens, observation) pour comprendre les trajectoires individuelles et les logiques sociales menant au suicide. Cela permet de dépasser les obstacles méthodologiques liés à la difficulté d’accès à la parole des proches directs des suicidés.


b) La « juste distance relationnelle » et les « proches éloignés »

Pour étudier le sursuicide agricole, par exemple, il s’agit d’interroger non seulement la famille, souvent sidérée ou culpabilisée, mais aussi les « proches éloignés » (collègues, voisins, travailleurs sociaux), qui disposent d’une connaissance fine de la trajectoire du suicidé tout en gardant une certaine distance. Cette approche révèle :

  • Le poids normatif de la régulation familiale dans l’activité agricole.
  • Les tensions entre logique d’autonomie et logique de reprise familiale.
  • La disqualification sociale vécue par l’individu suicidé au sein de son espace local.

Les « proches éloignés » permettent de mieux comprendre les effets des normes sociales, des conflits familiaux, et la manière dont l’individu perçoit sa propre disqualification.

VIII: synthèse méthodologique
  • Démarche quantitative : Objectiver pour expliquer. Elle implique de définir les catégories, de produire les données et de viser la représentativité pour généraliser les résultats.
  • Démarche qualitative : Contextualiser pour comprendre. Elle vise à rendre compréhensibles des faits a priori incompréhensibles, en tenant compte du rapport à l’enquête et aux enquêtés, et en conceptualisant les logiques sociales à partir des trajectoires individuelles.
Conclusion

Le suicide, loin d’être un simple acte individuel, est un objet sociologique majeur. Il permet de comprendre les mécanismes d’intégration, de régulation et de disqualification sociale. De Durkheim à Halbwachs, puis aux approches qualitatives contemporaines, l’étude du suicide révèle la puissance explicative de la sociologie pour saisir les liens entre individu et société et les évolutions des sociétés modernes face à la mort et au mal-être social.

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