Caractéristiques du modèle matrimonial
- Intensité et précocité du mariage : Jusqu’en 1972, la France connaît une forte augmentation du nombre de mariages, atteignant un record de 416 500 cette année-là. L’âge au premier mariage ne cesse de baisser depuis la fin du XIXe siècle : en 1931, il est de 26,6 ans pour les hommes et 23,7 ans pour les femmes, pour tomber à 24,9 et 22,7 ans en 1972.
- Faible taux de divorce : Le divorce reste rare et stable durant cette période (10,8 % des mariages en 1950, 11,8 % en 1970).
- Fécondité élevée : Le mariage est associé à une forte natalité, dans un contexte où il constitue le seul cadre légitime pour fonder une famille.
- Quasi-universalité du mariage : Seules 5 % des femmes nées vers 1940 resteront célibataires, ce qui témoigne de la généralisation du mariage comme norme sociale.
Contexte et évolution
- La nuptialité s’inscrit dans une société marquée par la stabilité des rôles familiaux et une forte homogénéité des trajectoires de vie. Le mariage précoce et généralisé est alors perçu comme un passage obligé à l’âge adulte, avec une forte pression sociale à la conformité.
L’homogamie sociale : définitions et constats
- Homogamie : Se mettre en couple avec un individu aux caractéristiques sociales proches (origine sociale, niveau d’éducation, profession, religion, etc.).
- Endogamie/exogamie : Mariage à l’intérieur ou à l’extérieur de son groupe social.
- Hypergamie/hypogamie : Union avec un partenaire de statut supérieur/inférieur.
Résultats de l’enquête pionnière d’Alain Girard (1964)
- Malgré la montée du « mariage d’amour » et du principe de libéralisme, l’étude montre le poids des régularités objectives : 7 mariages sur 10 sont contractés entre personnes issues du même milieu, 2 sur 10 entre personnes nées dans la même commune, 3 sur 10 dans le même canton, plus de 5 sur 10 dans le même arrondissement.
- Rôle des lieux de rencontre : Les espaces de sociabilité sont fortement marqués socialement. Le « bal » joue un rôle fondamental dans la rencontre du conjoint, tout comme le voisinage et la famille, selon les milieux sociaux
Évolutions depuis les années 1950
- L’enquête de Bozon et Héran (1987) montre que, malgré de profondes mutations (mobilité sociale et géographique, tertiarisation, recul de la classe ouvrière, nouvelles attitudes post-68), l’homogamie persiste : « la foudre ne tombe pas n’importe où ».
Changements notables :
- le contrôle social s’exerce moins par les parents, davantage par les pairs.
- Diversification des lieux de sociabilité et de rencontre (essor des soirées entre amis, des études, des lieux publics, déclin du bal et du voisinage).
- Dissociation progressive entre couple et mariage : la formation du couple ne passe plus nécessairement par le mariage.
Transformations des lieux de rencontre
- Dans les années 1960, les cinq principaux lieux de rencontre sont : études, bal, soirées entre amis, lieux publics, voisinage.
- Depuis les années 1980-2000 : le bal devient marginal, la boîte de nuit et les soirées entre amis prennent de l’importance, les études et le travail deviennent des lieux centraux de rencontre du conjoint
Nouveaux contextes, nouveaux processus
- L’apparition des sites de rencontres bouleverse les cadres traditionnels de la formation du couple : ils suspendent la médiation des cercles de sociabilité habituels et favorisent des rencontres entre personnes socialement hétérogènes.
Trois grandes étapes dans la formation du couple en ligne :
- Évaluation des profils : Sélection initiale basée sur des critères objectifs (âge, niveau d’études, loisirs, etc.) et subjectifs (photo, style d’écriture).
- Échange écrit : La conversation écrite devient un filtre social puissant, où l’orthographe, le style, l’humour et les références culturelles jouent un rôle déterminant.
- Rencontre en face-à-face : Elle intervient souvent après une présélection, servant à vérifier la compatibilité globale et à incarner socialement les caractéristiques déjà perçues en ligne.
Diffusion et segmentation des sites
- D’abord réservés aux jeunes et aux classes moyennes/supérieures, les sites de rencontres se démocratisent, avec une segmentation croissante (sites « grand public » vs. sites de niche pour les publics dotés en capital culturel/économique).
- Cette « démocratisation ségrégative » recrée des formes d’entre-soi numérique, les utilisateurs les plus diplômés migrant vers des plateformes spécialisées
Homogamie en ligne : constats et nuances
- Les enquêtes montrent que l’homogamie d’éducation reste forte sur les sites de rencontres, parfois plus que dans les lieux publics, mais moins que sur le lieu de travail ou d’études.
- L’homogamie professionnelle est un peu moins marquée en ligne, mais les différences ne sont pas statistiquement significatives.
- Les mécanismes de sélection sociale opèrent de façon renouvelée : la présentation de soi, la qualité de l’écrit, le partage d’un univers référentiel et les codes de séduction deviennent des filtres majeurs
Présentation de soi : stratégies différenciées
- Les profils sont construits comme de véritables vitrines numériques, où la présentation textuelle et visuelle est centrale.
- Les diplômés investissent massivement la description écrite (longueur, originalité, qualité de l’orthographe), tandis que les moins diplômés privilégient la photo et les réponses à choix multiples.
- Les préférences en matière de présentation se retrouvent dans les critères d’évaluation des autres profils : les plus dotés scolairement valorisent l’écrit, les moins dotés la photo.
Processus de sélection et élimination
- La mauvaise orthographe est fortement disqualifiante pour les usagers diplômés, qui y voient un signe de différence sociale et morale.
- Le partage d’un univers référentiel (goûts, loisirs, humour, références culturelles) facilite la poursuite du contact ; l’absence de points communs entraîne l’arrêt des échanges.
Codes de la séduction : contrastes sociaux
- Dans les classes populaires, la séduction est plus explicite, l’évocation de l’intime est rapide et jugée « classique ».
- Dans les classes favorisées, la séduction valorise l’ambiguïté, la progressivité, et le rejet de la « drague » explicite, considérée comme vulgaire.
- Ces différences se retrouvent dans les messages envoyés : certains privilégient la spontanéité et l’humour, d’autres la subtilité et la mise en scène de la personnalité
Temporalité et enjeux de la rencontre en face-à-face
- Après le contact en ligne, la rencontre physique intervient souvent rapidement : 30 % dans la semaine, 38 % dans le mois, 17 % en 1-2 mois, 15 % après plus de 2 mois.
- Le rendez-vous sert à vérifier la compatibilité globale, au-delà de l’attirance physique : il s’agit d’évaluer le mode de vie, les manières de parler, de se comporter, les lieux fréquentés.
- La rencontre « hors ligne » incarne le social : le physique, la voix, les gestes, mais aussi les espaces et les pratiques révèlent l’appartenance sociale.
Vérification des représentations
- Le face-à-face permet de confronter l’image construite en ligne à la réalité, de vérifier si l’identité sociale perçue correspond aux attentes, et d’observer comment les caractéristiques sociales sont « incorporées ».
- L’échec ou la réussite de la rencontre dépend souvent de cette adéquation entre attentes et réalité sociale.