Ma bohème (Fantaisie)
Je m'en allais, les poings dans mes poche crevées;
Mon paletot aussi devenait idéal;
J'allais sous le ciel, Muse! et j'étais ton féal;
Oh! là là! que d'amours splendides j'a rêvées!
Mon unique culotte avait un large trou.
-Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge étais a la Grande-Ourse.
-Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou
Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre ou je sentais des gouttes
De rosée a mon front, comme un vin de vigueur;
Ou, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés. un pied près de mon cœur!
MOUVEMENT 1: Un départ plein d'allant
> Un récit de voyage
- Arthur Rimbaud a travers ce poème s'inscrit dès le titre et le 1er quatrain dans un récit de voyage, avec le mot "bohème" rappelant les tribus itinérantes de l'Est de l'Europe et la répétition du verbe de mouvement "aller", a l'imparfait au vers 1et 3.
- Il s'agit d'une expérience personnelle comme le signalent les déterminants possessifs de la 1ère personne dans le titre ("Ma") at aux vers 1et 2 ("mes", "Mon"), ainsi que l'usage d pronom JE a 4 reprise dans le premier quatrain, notamment en tête de vers: "Je m'en allais" et "J'allais".
> Un voyage marqué par le dénuement
- Les "poches crevées" suggèrent une pauvreté matérielle.
- L'adjectif "idéal" pour qualifier le paletot traduit également l'usure extrême de la veste du poète fugueur qui n'a qu'une idée de paletot sur lui.
> Pourtant, il s'agit d'un voyage source de joie : le départ est confient, déterminé et libre:
- La liberté est suggérée dès le sous titre "fantaisie" qui renvoie a un exercice affranchi de contraintes.
- L'absence de complément au verbe aller au vers 1 puis COI "sous le ciel" au vers 3 accentuent l'idée d'une errance libre, sans destination précise (ce n'est pas la destination qui importe mais bien le mouvement, le voyage).
- L'évocation des "poings" au vers 1 peut traduire l'envie du poète, sa détermination
- La polysémie du mot "idéal" peut suggérer que le paletot élimé de Rimbaud devient aussi source e joie: il ne pourrait pas rêver mieux.
- La rime entre "crevées" et "rêvées" manifeste cette sublimation de la pauvreté : elle n'est plus un frein mais se transforme en énergie, en force
- La ponctuation exclamative traduit également l'énergie du poète
>Dans les bagages de Rimbaud, la poésie
- Les termes "muse", "féal" et "amour splendides" renvoient a une tradition lyrique de la poésie : Rimbaud manifeste ainsi sa connaissance du genre poétique et son ambition initiale placée a l'hémistiche : le mot "Muse" qui renvoie a l'inspiration.
- Il semble aussi considérer avec ironie et distance cet idéal lyrique comme en témoigne l'interjection amusée
MOUVEMENT 2: Un poète vagabond et rêveur
>Tout d'abord, le vers 5 met en évidence la pauvreté du poète
- A travers les adjectifs "unique" pour la "culotte" c'est-a-dire le pantalon, et "large" pour le "trou". Cela rappelle les "poches crevées" du vers 1. La référence au "Petit Poucet" au vers 6 rappelle aussi la précarité (un enfant abandonné par ses parents qui n'ont plus l'argents pour l'élever)
>Une errance sublimée / embellie
- Cette dure réalité se trouve vite adoucie, dès le vers 7: "Mon auberge était a la Grande-Ourse" ce qui signifie qu'il dort dehors mais la métaphore de la constellation devenue auberge, et l'usage du possessif "Mes étoiles" au vers suivants, rend compte d'une Nature positive et protectrice comme le soulignent les adjectifs mélioratifs "Grande" pour "Grande Ourse" et "doux" pour "doux frou-frou" des étoiles
>Il s'affranchit de son dénuement, se libère des contingences matérielles pour s'adonner a la poésie
De fait, cette réalité inquiétante de la fugue est métamorphosée positivement et
devient une libération, un moment de création poétique. L'adjectif "rêveur", qui
rappelle le 1er quatrain "rêvées", nuance l'évocation du Petit Poucet qui ne
sème plus ici de cailloux pour retrouver son son chemin mais des rimes, signe
de sa libération créatrices. Le poète n'est pas perdu, il se plait dans l'errance
Le vocabulaire poétique "Des rimes" est mis en lumière par sa place en rejet et
le pluriel sur le profusion que le verbe "égrener" sous-entend. Rimbaud donne
également a entendre la musicalité propre a a poésie comme le suggère
l'assonance en OU.
Ainsi, la Nature (qui était hostile au Petit Poucet dans le conte) devient
bienfaitrice : d'où l'appropriation des étoiles soulignée par le déterminant
possessif (" mes étoiles "). > la fugue devient ainsi un moment de création
poétique.
MOUVEMENT 3: Un voyage protégé par la nature
>Le poète insiste sur l'éveil des sens lorsqu'il est dans la nature
qu'il s'agisse du sens de de la vue que l'évocation de la Grande-Ourse et des "étoiles au ciel" mettait en évidence.
Mais aussi le sens de l'ouïe mis en avant dans les deux strophes qui s'enjambent avec le nom "frou-frou" associé a l'adjectif "doux" - cela crée une assonance en [ou] qu'on retrouve au début du tercet dans le verbe significatif "écoutais" ainsi qu'en fin du vers 9 avec "routes". Le poète "écoute" la nature, ce lien privilégié l'inspire. Le jeu sonore se poursuit au vers suivant avec l'allitération en [s] (" Ces bons soirs de septembre ou je sentais des gouttes "), soulignant la encore le sentiment de sérénité.
Un verbe de sensation apparait alors qui permet la bascule vers le sens du toucher mais aussi du gout comme le suggère le vers 11 : "De rosée a mon front comme un vin de vigueur" : les sens au complet sont convoqués soulignant l'exaltation du poète et rappelant les correspondances sensorielles, signe d'harmonie qui sont si présentes chez le poète Baudelaire que Rimbaud admire.
>La nature le nourrit et lui apporte de l'énergie et le comble
De fait, la nature est source de bonheur et de vitalité poétique : Les gouttes de rosée sont comparées a un vin de vigueur, ce qui souligne le coté nourricier de la nature (comparaison)
Dans sa fugue, la rosée, qui est un élément de la nature devient alors une source de motivation pour lui.
- Avec l'utilisation de l'adjectif qualificatif "bon", cela montre le coté positif des soirs de septembre. Avec le recours d'un mot positif, ceci fait ressortir son harmonie avec la nature car il aime les soirs de septembre jusqu'au point de se rappeler qu'il sentait des gouttes de rosée sur son front. De plus, ca nous montre qu'il est comblé par la nature. ( adjectif qualificatif positif )
- On remarque qu'il y a un enjambement entre le deuxième et le troisième vers de ce tercet montrant ainsi que les gouttes de rosée se prolongent jusqu'à son front. Il montre aussi le fluidité, du texte, sans fin.
>Il transforme le dénuement en force
MOUVEMENT 4: De la fugue a la fugue poétique, un poète qui montre sa liberté
>Il crée une poésie qui change, audacieuse et qui joue (avec le double sens et les référence poétiques)
On retrouve dans le dernier tercet l'idée du développement de l'imaginaire dans ce moments de fugue, souligné par le participe présents "riment" en début de strophe, mettant en avant une action longue.
La présences des "ombres fantastiques" n'a rien d'inquiétant : le réel du poète s'enrichit et l'adjectif "fantastique" prend une valeur méliorative.
Se dessine l'image finale d'un artiste créatif et espiègle : la posture finale du poète s'éloigne de son attitude déterminée du 1er quatrain. Ici, il s'amuse a détourner les codes. Il se présentes dans une posture inconfortable, le pied près du cœur, mais c'est pour se moquer de la posture lyrique qu'il reprend pour mieux en jouer : cela est souligné par la comparaison mise en avant au début du vers 2: les élastique de ses souliers deviennent les cordes de sa lyre !
- On peut aussi y lire une véritable déclaration d'amour a la poésie puisqu'il faut entendre la polysémie du mot "pied" qui signifie aussi une syllabe : il a donc la poésie dans le cœur.
Il s'agit pour le poète d'une véritable libération, aussi bien physique avec le voyage que poétique. Rimbaud s'en rend compte d'ailleurs avec l'utilisation du sonnet : il reprend cette forme a la tradition poétique mais en même temps il la bouscule avec des jeux variés aussi bien sur le vocabulaire qui mélange les registres (soutenus "lyres"- et prosaïque -"élastiques"-), ainsi qu'en jouant sur le rythme des vers avec des pauses irrégulières comme dans les vers de ce dernier tercet (1/11 au 1er vers, 5/7 au 2e vers). Le poète casse ainsi les codes.