I/ Une citoyenneté dérivée et fonctionnelle
La citoyenneté de l’Union repose juridiquement sur la nationalité d’un État membre (cf. traité de Maastricht, 1992). Elle est dérivée et ne peut exister sans la médiation étatique.
- Elle s’est d’abord construite par l’économie : une citoyenneté de marché liée à la mobilité transnationale.
- Avant sa reconnaissance juridique, une citoyenneté en germe existait, centrée sur la libre circulation dans l’espace européen.
Cette citoyenneté est peu politisée et dépourvue de devoirs. Elle confère des droits individuels octroyés par le haut, et non conquis par le bas.
A/ Tensions théoriques autour de la notion de citoyenneté
Définition classique (statut d’appartenance à une communauté politique) : droits + devoirs, participation politique (pilier républicain), émancipation individuelle (pilier libéral).
- L’UE ne parvient pas à gérer la tension entre les dimensions individuelle et collective. Elle peine à construire une véritable communauté politique.
Notion de communauté politique (Raymond Aron) : conscience de soi face aux autres. Problème de la citoyenneté sans démos.
- L’UE est une construction fonctionnelle où l’économie précède la politique. Elle incarne une désétatisation de la citoyenneté, mais sans dépolitisation claire.
B/Logique juridico fédérale et effets de jurisprudence
Maastricht formalise une citoyenneté de droit, remplaçant une simple citoyenneté de marché.
CJCE, Grzelczyk (2001) : la citoyenneté devient le « statut fondamental » des ressortissants.
Les juges ont dissocié mobilité et activité économique, élargissant les droits :
- Politiques : vote et éligibilité aux élections européennes et municipales dans l’État de résidence.
- Protection extra-juridictionnelle : droit de pétition, médiateur, protection diplomatique.
- Accès aux fonctions publiques (dans certaines conditions).
- Initiative citoyenne européenne (mais peu efficace en pratique).
C/Entre horizontalité fédérative et faiblesse du lien vertical
Deux dimensions :
- Horizontalité : droits dans un autre État membre (logique fédérative).
- Verticalité : relation entre l’individu et l’Union (encore embryonnaire).
L’UE reste une construction régulatrice, non redistributive : pas de solidarité ni de devoirs réciproques forts comme dans les États-nations.
L’individu devient un acteur involontaire de l’intégration : en réclamant ses droits, il pousse à la dénationalisation.
D/Une européanisation juridique mais sans affectio societatis
La citoyenneté européenne est marquée par une logique fonctionnelle : elle sert d’outil au projet d’intégration.
- Les États sont placés en obligation vis-à-vis de ressortissants étrangers, sans conscience d’appartenance collective.
Cette citoyenneté est un alliage entre des obligations pesant sur les États et des droits invocables par les individus.
- Mais cette configuration ne crée pas d'identification forte : absence de démos, faible intégration politique, européanisation négative.
II/La citoyenneté politique et l'appartenance communautaire
A.Un défaut de singularisation politique du citoyen européen
1.Une citoyenneté sans ancrage politique fort
L’UE dénationalise la citoyenneté en affaiblissant le lien exclusif entre l’individu et l’État…
… sans proposer de contrepartie politique forte du côté européen.
Elle s’adresse à l’individu porteur de droits, mais omet sa dimension citoyenne et collective.
Le pilier républicain de l’appartenance à un corps politique est oublié au profit d’une dynamique individualisante.
2.L'ambiguité de la Charte des droits fondamentaux
Contradiction : la Charte s’adresse à « tout individu », mais contient un chapitre intitulé « Citoyenneté ».
Certains droits dits « citoyens » (pétition, médiateur…) sont en fait accessibles à tous, sans lien clair avec une communauté politique définie.
Cela crée une confusion entre droits de l’Homme et droits du citoyen, alors que ces derniers supposent une délimitation politique du corps civique.
3.Une inclusion sélective et fragmentaire
Inégalités persistantes :
- Certains citoyens européens exclus du corps électoral européen (ex. expatriés selon les règles nationales).
- Discrimination dénoncée entre migrants intra-européens et extra-européens.
Depuis 2000, amélioration des droits des ressortissants extra-européens installés durablement dans un État membre, mais sans les intégrer politiquement.
Cette extension juridique sans intégration politique dilue encore la figure du citoyen européen.
4.Une citoyenneté juridico-fédérale sans fondement populaire
Comparaison de Zoller entre fédéralisme américain et européen :
- UE = « fédéralisme à partir de l’individu », forme de cosmopolitisme juridique.
- Aux États-Unis : droits fondés sur une Constitution et un peuple.
- Dans l’UE : droits fondés sur la mobilité transnationale, sans socle démocratique fort.
La citoyenneté européenne est donc fragmentaire, actionnée par la mobilité, dépourvue de légitimité populaire.
Mimétisme étatique : centralisation par les droits fondamentaux, sans communauté politique.
5.Une stratégie de contournement du déficit politique
L’UE cherche à établir un lien direct avec l’individu (logique verticale post-Maastricht).
- Cela compense l’absence de communauté politique européenne : on contourne plutôt qu’on fonde une citoyenneté collective.
Pas de démos européen : collection de peuples-nations, sans affectio societatis.
- Illusion fonctionnaliste : croire que l’intégration économique créerait une communauté politique.
Pour fonder un véritable peuple européen, il faudrait d’autres bases : culturelles, linguistiques, symboliques.
B. La logique dépolitisante des droits fondamentaux
1.Surcharge juridique vs sous-dimension politique
Le déficit politique est compensé par une inflation des droits fondamentaux individuels.
Cela aboutit à une citoyenneté procédurale (Habermas) :
- Pas d’adhésion collective, mais espace de délibération neutre.
- Pas de souveraineté populaire, mais règles et principes post-nationaux.
2.L'échec du patriotisme constitutionnel
Selon Habermas, le patriotisme constitutionnel repose sur une allégeance à des principes universels.
- Ce modèle fait l’impasse sur l’identification substantielle à une communauté politique européenne.
- En l’absence d’un collectif institué, la démocratie européenne ne peut se structurer pleinement.
- L’UE dépolitise la souveraineté en la ramenant à un espace normatif, mais sans véritable incarnation populaire.