b. Le Directoire et les ministres dans la Constitution de 1795
Constitution de 1795 :
- la justification de la structure dualiste est la même, il faut une autorité, dont les membres seront spécialisés pour pouvoir agir avec efficacité ⇾ cette autorité doit être étroitement surveillée et contrôlée pour que la hiérarchie des fonctions soit préservée ⇾ ne doit pas être surveillée par le Corps législatif ou l’un de ses comités ⇾ faut qu’elle le soit par une autorité extérieure au Corps législatif, dont les membres ne seront pas spécialisés, c’est-à-dire un Directoire exécutif
L’idée qu’on ne peut se passer d’un pouvoir exécutif puissant ⇾ dernière constitution révolutionnaire rédigée ⇾ Directoire renforcé par la réduction du nombre de ses membres, la mise à sa disposition de ministres spécialisés et encore par le fait qu’un pouvoir d’initiative législative lui soit attribué
La dualité du Directoire et des ministres témoigne du fait que l’on tend à reconnaître désormais l’existence de deux fonctions différentes :
- exécution : se ramène à un acte de pure exécution, n’engageant pas la volonté, mais seulement à puissance, la force matérielle
- gouvernement : implique un certain pouvoir discrétionnaire, la faculté de mener et même d’impulser une politique
La reconnaissance de ce pouvoir discrétionnaire se traduit notamment par la modification de la responsabilité du Directoire. On décide en effet de restreindre la responsabilité pénale afin d’éviter qu’elle ne soit engagée à l’occasion de simples désaccords politiques, mais uniquement en cas de crime grave ⇾ L’article 115 prévoit que les membres du Directoire pourront être poursuivis « pour les faits de trahison, de dilapidation, de manœuvres pour renverser la Constitution et d’attentat contre la sûreté intérieure de la République »
la Convention ne va pas jusqu’à établir un régime de responsabilité politique ⇾ elle tente de l’empêcher en durcissant les conditions de la mise en œuvre de la responsabilité pénale afin que celle-ci ne soit pas instrumentalisée à des fins politiques
B – L’émergence du pouvoir réglementaire
Le pouvoir réglementaire est le pouvoir d’adopter des normes générales et abstraites. Une norme est générale lorsqu’elle s’applique à tous ou à des classes de destinataires et elle est abstraite quand elle ne régit pas une situation concrète, précisément identifiée, mais une classe de situations
1 – L’interdiction du pouvoir réglementaire en 1791
Il y avait à l’Assemblée nationale constituante des députés favorables à ce que le roi et ses ministres puissent adopter des normes générales et abstraites restrictions.
Les actes d’exécution ne pouvaient compléter la loi par des nouvelles dispositions, tandis que les proclamations devaient s’apparenter à ce que l’on appelle aujourd’hui « circulaires » ⇾ vocation à rappeler, éventuellement à simplifier, le contenu des lois
Michel Verpeaux ⇾ la pratique s’est considérablement éloignée de cette interdiction pure et simple. Les membres de l’Assemblée nationale constituante n’ont pas cessé de déplorer des actes d’exécution peu fidèles aux lois. Cette pratique réglementaire par la bande sera surtout développée par le Comité de salut public. La Convention va partiellement reconnaître la nécessaire existence d’un pouvoir réglementaire.
2 – L’acceptation partielle du pouvoir réglementaire en 1795
l’article 44 de la Constitution de l’an III : « Le gouvernent propose les lois, et faits les règlements nécessaires pour assurer leur exécution »
Les règlements en question sont pas « autonomes », ils ne peuvent être pris que pour appliquer la loi (il ne s’agit donc pas de règlements temporaires). Mais, il s’agit bien d’actes à caractère général et abstrait.
Cette reconnaissance sera ensuite valable dans la pratique, elle donnera l’occasion pour le Directoire de prendre des actes dont les Conseils s’efforceront ensuite de scruter le caractère plus ou moins novateur. Michel Verpeaux ⇾ la question n’était plus celle de la légitimité ou de la conformité à la constitution de ce pouvoir réglementaire, mais celle de son contrôle
II – La fonction juridictionnelle
A – La conception révolutionnaire de la fonction juridictionnelle
Pendant la période révolutionnaire, ni l’Assemblée nationale constituante ni la Convention constituante n’ont voulu établir d’équilibre entre les trois fonctions législative, exécutive et juridictionnelle. La balance des pouvoirs consistait à établir un équilibre entre les organes participant à l’exercice de la fonction législative, mais il n’en demeurait pas moins que les fonctions exécutive et juridictionnelle étaient regardées comme subordonnées à la loi ⇾ ils auraient usurpé la fonction législative s’ils avaient pu s’émanciper de la loi et exercer un pouvoir de décision autonome ⇾ la séparation des pouvoirs aurait été compromise puisqu’à ces fonctions exécutive ou juridictionnelle aurait été ajoutée dans les mêmes mains la fonction législative
Selon la conception révolutionnaire ⇾ la fonction juridictionnelle consiste à trancher des litiges en application de lois préexistantes et sans que cela implique de choix de la part du juge. Pour le garantir, il convenait que le juge applique le raisonnement syllogistique suivant
- la prémisse majeure est le texte de la loi
- la mineure, le fait et la sentence, la conclusion.
Montesquieu : « si les tribunaux ne doivent pas être fixes, les jugements doivent l’être à un tel point qu’ils ne soient jamais qu’un texte précis de la loi ». De cette façon, la puissance de juger est en quelques façons nulles » et les juges ne sont « que la bouche qui prononce les paroles de la loi ; des êtres inanimés qui n’en peuvent modérer ni la force ni la rigueur »
Au sein de l’Assemblée constituante et de la Convention, de nombreux orateurs ont repris cette thèse :
- Cazales : « le jugement n’est plus que l’acte matériel d’application de la loi »
- Clermont-Tonnerre : « le pouvoir judiciaire, ce qu’on appelle improprement le pouvoir judiciaire, est l’application de la loi ou volonté générale à un fait particulier, ce n’est donc en dernière analyse que l’exécution de la loi »
- Robespierre : « Ce mot de “jurisprudence” doit être effacé de notre langue. Dans un État qui a une constitution, une législation, la jurisprudence des tribunaux n’est autre chose que la loi »
Cette conception étriquée et manifestement erronée de la fonction juridictionnelle semblait avantageuse pour deux raisons :
- Si les juges se bornaient à appliquer la loi, la volonté générale – que la loi était censée traduire – demeurait souveraine. Autrement dit, le moyen de fonder la légitimité matérielle des décisions de justice : celles-ci n’étant que la conséquence de la loi, source légitime de tout pouvoir, car expression de la volonté générale.
- Moyen de faire prévaloir la liberté politique dont on a vu précédemment qu’elle constituait pour Montesquieu notamment l’enjeu principal de la séparation des pouvoirs
Bien que les Constitutions de 1791 et de 1795 mentionnent le « pouvoir » judiciaire, il s’agit d’un pouvoir regardé comme « nul ». Si ce terme est retenu, c'est uniquement pour affirmer son indépendance vis-à-vis des titulaires des fonctions législative et exécutive ⇾ si le pouvoir judiciaire tombait sous la coupe des autres pouvoirs, il n’aurait plus appliqué la loi, mais la volonté de ces organes. Juges ⇾ leur élection rend leur mode de désignation indépendant des autres organes qui pourraient influencer les juges s’ils en contrôlaient la carrière
B – Les institutions révolutionnaires de la fonction juridictionnelle
Les juges ne devaient s’immiscer ni dans la fonction législative ni dans la fonction exécutive ⇾ l’article 203 de la Constitution de l’an III par disposant : : « Les juges ne peuvent s’immiscer dans l’exercice du Pouvoir législatif, ni faire aucun règlement – Ils ne peuvent arrêter ou suspendre l’exécution d’aucune loi, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions »
Cela impliquait que :
- Le législateur soit capable de produire une loi claire, cohérente et complète, d’où l’ambitieux programme de codification décidé par les constituants de 91 et 93
- Dans le cas contraire, le juge ne surmonte pas l’imperfection de la loi par voie interprétative
Au XVIIIe siècle, l’interprétation s’entendait d’un acte de création. Interpréter revenait à refaire la loi
Le référé législatif est l’institution qui permet de rendre cette interdiction d’interpréter effective. Confronté à la nécessité d’interpréter la loi, le juge doit surseoir à statuer et saisir le Corps législatif, seul compétent pour déterminer le sens à donner à la loi. Mais, les constituants sont bien conscients que cela pourrait entraîner l’encombrement du Corps législatif si celui-ci pouvait être saisi de la moindre difficulté interprétative. En 1790, le constituant opère donc une distinction entre interprétation in abstracto – qui porte sur la loi elle-même – et interprétation in concreto – laquelle ne concerne que l’application de la loi au cas d’espèce et recouvrerait en particulier ce que l’on appelle aujourd’hui « qualification juridique des faits »
- Seule la première relèverait de la compétence exclusive du législateur tandis que la seconde pourrait être prise en charge par le juge car elle pourrait être résolue par simple analyse des faits de l’espèce.
Les constituants considéraient qu’une mauvaise interprétation in concreto ne s’apparentait pas à la création d’une nouvelle loi, mais qu’il s’agissait d’une fausse ou d’une mauvaise application de la loi ⇾ le problème pouvait donc être résolu par le pouvoir judiciaire lui-même au moyen de la cassation confiée à un Tribunal suprême établi auprès du Corps législatif