I. La poliadisation : création et diffusion des cités dans l’Empire
1. Les origines républicaines : Jules César et les colonies de peuplement
La poliadisation désigne le processus de création ou de refondation de cités dans les territoires de l’Empire romain. Dès la fin de la République, Jules César en est un acteur majeur. Face à la nécessité de récompenser et de réinstaller les vétérans des guerres civiles et des campagnes de conquête, César choisit de ne pas prendre de terres aux citoyens romains d’Italie. Il préfère fonder ou refonder des cités dans les provinces : ainsi naissent de nombreuses colonies romaines de peuplement. On peut citer Carthage en Afrique, Séville et Barcelone en Hispanie, ou encore Béziers et Arles en Gaule transalpine. En Orient, l’intervention est plus limitée, et concerne surtout des refondations comme Corinthe.
2. L’amplification sous Auguste : vers une normalisation civique de l’Empire
Le processus s’intensifie sous le règne d’Auguste, qui cherche à diffuser les institutions civiques romaines dans les vastes territoires récemment pacifiés ou en voie de pacification, notamment en Occident (Gaule chevelue, régions danubiennes). Une centaine de cités sont déduites entre César et Auguste, majoritairement en Occident, dans des provinces qui deviendront sénatoriales. En Orient, on observe une quinzaine de déductions, mais aucune ne se fait ex nihilo : il s’agit plutôt de refondations sur des structures existantes.
3. De Claude aux Antonins : extension, diversification et ralentissement
Le processus connaît un nouveau souffle sous Claude, qui développe la poliadisation dans des territoires récemment conquis comme la Mauritanie, la Thrace ou encore la Bretagne. De nombreuses tribus sont organisées en cités selon le modèle romain, comme Cologne. Sous les Flaviens, la poliadisation progresse en Afrique du Nord, en Syrie et en Anatolie, mais de manière encore modeste.
Ce sont les règnes de Trajan et d’Hadrien qui marquent un apogée : en une décennie, l’Afrique du Nord est littéralement couverte de nouvelles cités, tandis que les dernières communautés tribales d’Orient sont intégrées dans le modèle civique. Trajan crée des cités en Arabie après son annexion en 106, Hadrien en fonde dans les régions danubiennes. Toutefois, après Hadrien, la dynamique ralentit fortement, même si la poliadisation ne s’interrompt jamais totalement : des cités continuent d’être enregistrées sous Marc Aurèle, Commode, ou encore les Sévères. À la fin du IIe siècle, la quasi-totalité du territoire impérial est organisée en cités.
II. La municipalisation : une promotion civique différenciée
1. Définition et chronologie générale
La municipalisation consiste à élever une communauté au rang de municipe ou de colonie, lui octroyant un statut juridique romain (latin ou romain), sans pour autant créer une nouvelle cité. Ce processus suit une chronologie proche de celle de la poliadisation, bien qu’avec certaines spécificités régionales et impériales.
2. Une politique d’abord orientale, puis généralisée
Dès la fin de la République, les grandes cités d’Orient sont concernées, souvent par le jeu du clientélisme et de la faveur des imperatores. Sous Auguste, la politique est prudente mais réelle : certaines villes comme Nîmes ou Aix reçoivent le droit latin, de même qu’une quinzaine de cités en Afrique proconsulaire deviennent des municipes.
Le règne de Claude marque une accélération. Il accorde le droit latin à de nombreuses cités des Trois Gaules, des provinces alpines, et dans les territoires annexés. Cette politique est reprise et renforcée par les Flaviens : Vespasien et Titus, lors de leur censure (73-74), étendent ce droit aux cités d’Hispanie, entraînant la naissance de nombreux municipes latins, aussi en Dalmatie et en Afrique du Nord. C’est à cette époque que l’on voit apparaître les colonies honoraires, titres prestigieux mais sans déductions réelles.
3. L’apogée sous Trajan, Hadrien et les Sévères
Les empereurs Trajan et Hadrien poursuivent la politique flavienne, notamment en Afrique (Dace, Pannonie). Sous Marc Aurèle et Commode, le processus se poursuit, particulièrement dans les provinces du Danube. Au IIIe siècle, l’Afrique devient la principale bénéficiaire de cette municipalisation, avec des extensions vers l’Arabie et la Syrie (Tyr, Antioche).
Il est important de souligner que cette politique n’est pas uniquement imposée par Rome : elle répond souvent à une demande des élites locales, désireuses d’accéder au prestige et aux avantages juridiques du modèle civique romain. Ainsi, certaines communautés déjà dotées du droit latin souhaitent devenir colonies romaines, sans gain matériel mais pour des raisons symboliques.
La Constitution antonine de 212, qui accorde la citoyenneté romaine à tous les hommes libres, n’a pas mis fin à cette émulation juridique : les distinctions entre colonies, municipes et cités restent recherchées pour leur valeur honorifique.
III. Les subdivisions internes : pagus, vicus et komé
1. Une organisation civique décentralisée
À l’intérieur des cités romaines, on observe une organisation interne complexe, qui varie selon les régions et les époques. En Occident, les subdivisions principales sont le pagus et le vicus, tandis qu’en Orient, on retrouve la komé.
Le pagus est une subdivision territoriale et juridique, équivalente à un canton rural regroupant des villages. Le vicus, quant à lui, peut désigner soit un quartier urbain, soit une petite agglomération secondaire ou un bourg rural.
2. Une reproduction miniature du modèle civique
Les chefs-lieux de pagus ou de vicus reprennent en miniature les institutions du chef-lieu de la cité. On y trouve des magistrats locaux, des décurions, des sanctuaires et des prêtrises. Ces entités disposent d’une personnalité morale, leur permettant d’émettre des décrets ou des dédicaces honorifiques au nom de leur communauté. Ces relais ruraux reproduisent les comportements civiques de la cité, notamment l’évergétisme et la monumentalisation, comme en témoignent les exemples de Toulon (vicus d’Arles) ou Bourges (avec ses fontaines).
3. Hiérarchies internes et statuts évolutifs
Le pagus est en principe plus vaste que le vicus, et il semble avoir existé une forme de hiérarchie administrative entre les deux, bien que les modalités précises nous échappent. Une certaine autonomie locale est attestée, notamment dans des cas extrêmes comme celui d’Antioche en Syrie. Lorsqu’elle soutient le mauvais camp pendant la guerre civile de 193-195, Sévère la punit en lui retirant son statut de cité, la ramenant au rang de komé, dépendante d’une autre cité.