Troubles de la personnalité du Cluster A
Les troubles de la personnalité du Cluster A regroupent trois entités cliniques qui présentent toutes un aspect de bizarrerie ou d’étrangeté dans le comportement et la pensée. Ces troubles – la personnalité paranoïaque, schizoïde et schizotypique – ont en commun un retrait social important, une difficulté à établir des liens avec autrui, et des processus cognitifs altérés. Ils sont fréquemment décrits comme appartenant au spectre de la schizophrénie, bien qu’ils ne remplissent pas les critères diagnostiques d’un trouble psychotique. Leur début est précoce, généralement à l’entrée dans l’âge adulte, et leurs manifestations sont stables dans le temps.
Le trouble de la personnalité paranoïaque
Se caractérise par une méfiance envahissante envers autrui. Les intentions des autres sont systématiquement interprétées comme malveillantes, et ce sans preuve objective. Ce trouble a été décrit dès le début du XXe siècle par Kraepelin comme une forme atténuée de schizophrénie.
Toutefois, les données actuelles ne permettent pas de considérer cette personnalité comme un état prémorbide de la schizophrénie. Bleuler a précisé que la personnalité paranoïaque n’est pas délirante au sens psychiatrique du terme. Le style cognitif est profondément orienté vers la suspicion et l’interprétation défavorable des comportements d’autrui. Les personnes atteintes s’attendent à être exploitées, trompées ou blessées, doutent de la loyauté de leurs proches, refusent de se confier par peur d’un usage malveillant de leurs confidences, et perçoivent des menaces dans des propos ou événements anodins. Elles ont tendance à garder rancune, à réagir vivement à la critique, et à soupçonner leur partenaire d’infidélité sans preuve.
Ce tableau clinique se distingue de la schizophrénie par l’absence de symptômes positifs tels que les hallucinations ou les idées délirantes, ainsi que de désorganisation cognitive. Il s’agit d’un trouble peu étudié en recherche, probablement en raison de l’évitement des soins par ces patients, qui considèrent souvent les thérapeutes comme potentiellement hostiles. Pourtant, cette personnalité représente une cause significative d’invalidité et un facteur de risque important de comportements agressifs et de dépression. Le pronostic est généralement réservé, en raison de la rigidité du fonctionnement psychique et des difficultés relationnelles chroniques.
Le trouble de la personnalité schizoïde
Quant à lui, renvoie à un mode de fonctionnement centré sur le retrait affectif et social. Introduit par Eugen Bleuler, il décrit des individus dont l’attention est tournée vers leur monde intérieur, au détriment de toute implication dans les relations humaines. Ces personnes ne recherchent pas de contacts sociaux, y compris au sein de leur famille, et préfèrent des activités solitaires. Elles montrent peu ou pas d’intérêt pour la sexualité, ne prennent du plaisir que dans de rares situations, et n’ont pas de confidents proches.
Sur le plan affectif, elles paraissent indifférentes aux réactions d’autrui, qu’il s’agisse d’éloges ou de critiques, et leur expression émotionnelle est généralement pauvre. Ce tableau clinique présente une forte ressemblance avec les symptômes négatifs de la schizophrénie, comme l’apathie, l’anhédonie et l’émoussement affectif.
Toutefois, contrairement à la schizophrénie, il n’y a pas de symptômes positifs ni de désorganisation du discours. La différence majeure réside dans la conservation de la réalité : ces personnes ne délirent pas, mais vivent en retrait, souvent en marge de la société. Elles consultent rarement car elles ne perçoivent pas leur état comme problématique, ce qui contribue à leur invisibilité dans le champ psychiatrique. Leur pronostic est globalement stable mais peu favorable en termes d’adaptation sociale et affective.
Le trouble de la personnalité schizotypique
Est celui qui présente la plus grande proximité avec la schizophrénie. Il est considéré comme un phénotype atténué du trouble schizophrénique, représentant une vulnérabilité génétique et développementale à la psychose. Le concept de schizotypie, introduit par Rado en 1953, repose sur l’idée d’un continuum entre la personnalité normale et la schizophrénie.
Il se manifeste par une gêne sociale intense, des distorsions cognitives et perceptuelles, ainsi que par un comportement excentrique. Les croyances bizarres, comme la foi dans la télépathie ou les dons de voyance, sont fréquentes, tout comme les illusions corporelles ou les perceptions inhabituelles. Le langage peut être vague, stéréotypé ou alambiqué. L’apparence et le comportement peuvent sembler étranges. Le sujet souffre d’une anxiété sociale importante, qui ne diminue pas avec l’habituation, car elle est liée à des idées de persécution plutôt qu’à une mauvaise estime de soi. Contrairement au trouble schizoïde, il existe ici une souffrance manifeste dans la relation à autrui. Le fonctionnement affectif est souvent appauvri, et les relations intimes sont rares ou absentes.
Ce trouble est conceptualisé de façon plus riche dans la recherche actuelle. Le questionnaire SPQ (Schizotypal Personality Questionnaire) permet d’en mesurer les traits, répartis en trois dimensions : cognitive-perceptuelle (symptômes positifs), interpersonnelle (symptômes négatifs) et désorganisation. Sur le plan théorique, deux modèles principaux s’opposent. Le modèle de Meehl (1990) défend une vision catégorielle, où une anomalie neuronale héréditaire (la schizotaxie), causée par un « gène schizo », conduit à la schizotypie. Cette dernière peut évoluer vers la schizophrénie en fonction de facteurs environnementaux.
À l’opposé, Claridge (1997) propose un modèle dimensionnel, selon lequel la schizotypie est une combinaison de traits cognitifs et émotionnels présents dans la population générale, issus d’un déterminisme polygénique, et porteurs à la fois de vulnérabilité et de potentialité adaptative. Il n’existe pas aujourd’hui de consensus clair entre ces deux perspectives. Ce qui est certain, c’est que les traits schizotypiques constituent un indicateur de risque de développement de troubles du spectre psychotique, en particulier à l’adolescence, période à laquelle ces traits émergent souvent pour la première fois.
En résumé, les troubles de la personnalité du Cluster A se distinguent par un repli sur soi, une altération des relations sociales et une manière atypique de percevoir ou de penser le monde. Le trouble paranoïaque est marqué par la suspicion, le schizoïde par le détachement émotionnel, et le schizotypique par des anomalies cognitives et perceptives. Leur point commun est un fonctionnement social très altéré et une proximité avec le spectre schizophrénique, bien qu’ils ne relèvent pas de la psychose au sens strict. Ils sont peu accessibles à la thérapie, et souvent difficiles à diagnostiquer du fait de leur caractère évasif ou secret.