L
a cité athénienne s’étend sur l’ensemble de la presqu’île de l’Attique : seul, au Nord, le territoire d’Orôpos a été disputé entre Érétriens, Athéniens et Béotiens et a bénéficié d’un statut particulier lorsqu’il appartenait aux Athéniens ; il est arraché aux Érétriens en 506 par Athènes, les Béotiens s’en emparent en 411 et l’annexent en 401 ; il redevient athénien en 377, mais béotien en 366. Pour obtenir l’alliance thébaine contre Philippe, Athènes reconnaît les droits béotiens sur Orôpos (340) ; après Chéronée (338), Orôpos est rendue par Philippe à Athènes, pour accentuer la discorde entre Thèbes et Athènes.
L’organisation antérieure
Jusqu’à la chute du tyran Hippias en 510, les Athéniens étaient répartis entre les quatre tribus ioniennes (Géléontes, Aigicoreis, Argadeis et Hoplètes), elles-mêmes divisées en trois circonscriptions (trittyes) et douze naucraries ; ils appartenaient aussi à des communautés restreintes, les phratries. Les unes et les autres subsistent dans l’Athènes classique (mais pas les naucraries), après les réformes de Clisthène mais sans jouer un rôle majeur dans l’organisation de la cité, plutôt comme des associations cultuelles. Athènes a connu, durant tout le vie siècle, des troubles civils graves que Solon avait tenté d’apaiser lors de son archontat, en 592, par l’abolition des dettes et l’interdiction de l’esclavage des citoyens athéniens pour dettes. Après lui, la cité connaît un mauvais fonctionnement des institutions qui conduit à la tyrannie de Pisistrate à partir de 561. Aristote fait état d’oppositions entre différentes régions de l’Attique : Paraliens (les gens de la côte), Pédiens (gens de la plaine) et Diacriens (gens de la montagne) ; ces derniers auraient été le parti de Pisistrate. En réalité, ces divisions géographiques correspondent plutôt à des factions soutenant trois clans aristocratiques. La tyrannie a permis la réalisation de certaines réformes appréciées des petits paysans de l’Attique, mais, pour une meilleure participation des citoyens à la vie de la cité, une nouvelle organisation était nécessaire, après le renversement du dernier tyran, Hippias, chassé par les Spartiates et certains aristocrates athéniens comme la famille des Alcméonides, celle de Clisthène.
L’œuvre de Clisthène
Si Hérodote et Aristote soulignent le caractère tactique et circonstanciel de la réforme mise en place en 508/507 – Clisthène avait le dessous dans sa lutte pour le pouvoir, il cherche le soutien du dèmos, en élargissant son rôle dans la cité –, l’ampleur de ces transformations suppose parallèlement que ce plan de réformes de l’État a été mûrement réfléchi à l’avance.
L’élargissement du corps civique
Première mesure de Clisthène, de nouveaux citoyens (les néopolitai) entrent dans le corps civique, dans une proportion qui n’est pas connue ; cette ouverture du corps civique suit celle qui a été effectuée au temps de Solon, et celle qu’a favorisée Pisistrate. Il est vrai, en revanche, que la cité connaît une révision des listes de citoyens après la tyrannie, pour en éliminer ceux qui se seraient glissés dans le corps civique sans y avoir droit.
La réforme tribale
Clisthène a voulu, ensuite, rompre avec les cadres aristocratiques de la vie politique, pour faciliter l’intégration des nouveaux citoyens et restreindre les pouvoirs de la noblesse : c’est le but de la réforme tribale qui s’opère, à côté des anciennes structures (tribus ioniennes et phratries). Les citoyens sont répartis entre dix tribus, sans unité géographique, puisqu’elles comprennent, chacune, une trittye de l’intérieur (ou Mésogée), une de la côte (ou Paralie) et une de la ville (l’asty). Chacune des trittyes comporte un certain nombre de dèmes, qui sont sans doute des circonscriptions plus anciennes, correspondant à des villages ou à des quartiers de la ville, certains très peuplés, comme le dème d’Acharnes, au nord d’Athènes, qui envoie, vers 360, 22 conseillers (bouleutes) au Conseil, alors que d’autres dèmes ne fournissent pas un bouleute tous les ans. Ce même dème est capable de fournir 3 000 hoplites à la cité, selon Thucydide, II, 20, 4 (ce nombre élevé a été mis en doute, mais il n’est pas invraisemblable si l’on compte les citoyens plus âgés classés dans l’armée territoriale). Chaque tribu était présidée annuellement par trois épimélètes élus à raison d’un par trittye.
L’Attique de Clisthène
L’Attique de Clisthène
Les trente trittyes sont donc réparties en dix trittyes de la ville, dix de la côte, dix de l’intérieur. À quelques exceptions près, les trittyes constituent des circonscriptions territoriales homogènes, ce qui n’est pas le cas des tribus formées, chacune, d’un élément de la ville, d’un autre de la côte, d’un troisième de l’intérieur. Comme le rappelait Éd. Will, un tel groupement vise à « noyer les intérêts régionaux dans les intérêts collectifs ». On connaît actuellement, pour le ive siècle, 140 dèmes ; il est tout à fait vain de chercher à en attribuer un nombre déterminé et uniforme à chaque trittye, puisqu’ils sont de dimensions et de populations très inégales, comme on l’a vu pour le dème d’Acharnes ; on peut encore citer d’autres exemples de dèmes importants : dans la tribu Aiantis, le dème d’Aphidna qui se situe dans la trittye de Mésogée fournit 16 bouleutes, celui de Marathon dans la trittye de la côte en fournit 10, celui de Rhamnonte dans la même trittye 8, celui de Phalère dans la ville 9. Dans certains cas, le découpage opéré par Clisthène paraît viser à briser des structures anciennes : ainsi au nord-est de l’Attique, la Tétrapole constituée par Trikorynthos, Probalinthos, Oinoè et Marathon, qui avait pris le parti de Pisistrate, est démembrée : Probalinthos est attribué à la tribu Pandionis, alors que les autres dèmes rejoignent la tribu Aiantis.
Le nouveau Conseil
Le but du découpage du corps civique en dix tribus est surtout de permettre le recrutement du Conseil (la Boulè) des Cinq-Cents destiné à assurer la permanence des intérêts généraux. Dans ce Conseil, chaque tribu désigne 50 bouleutes qui, durant un dixième de l’année, une prytanie (de 35 ou 36 jours), assure la permanence du pouvoir et l’expédition des affaires courantes. Chacune représente également les intérêts moyens de toute l’Attique, sans privilégier telle ou telle région, comme c’eût été le cas si les tribus avaient eu une unité géographique réelle.
Les dix tribus ont reçu des noms d’après les cent héros fondateurs (même si Ajax n’est pas véritablement athénien, mais immédiatement voisin puisqu’il vient de Salamine), dont la Pythie de Delphes a désigné dix qui sont classés dans un ordre officiel ; les tribus sont, dans l’ordre, appelées : Érechtheis (I), Aigeis (II), Pandionis (III), Léontis (IV), Akamantis (V), Oineis (VI), Kékropis (VII), Hippothôntis (VIII), Aiantis (IX), Antiochis (X). Chacun des héros éponymes a son sanctuaire, son prêtre, sa fête. Leurs dix statues se dressent sur une terrasse, au sud de l’agora, près du bouleutérion ; c’est au pied de ces statues que sont affichés sur des tablettes les actes officiels, les listes des éphèbes, comme les appels militaires ; on sait comment Aristophane, dans La Paix (v. 1179-1190), dénonce les manipulations de ces listes de mobilisation sur lesquelles certains voient leurs noms effacés alors que d’autres sont mobilisés plus souvent qu’à leur tour : « “Demain, départ en campagne”. Voici un citoyen qui n’a pas acheté de vivres ; il ignorait qu’il dût partir. Puis, planté devant la statue de Pandion, il a vu son nom sur la liste et ne sachant que penser de cette disgrâce, il court le regard humide. Voilà comment ils nous traitent, nous les paysans ; envers ceux de la ville, ils en usent moins mal. »
La liste des tribus athéniennes reste inchangée jusqu’en 307/306, date à laquelle sont créées deux nouvelles tribus, en l’honneur des deux premiers rois antigonides, les tribus Antigonis et Démétrias. Ce passage de dix à douze tribus a entraîné une réorganisation complète, puisqu’il a fallu affecter à ces nouvelles tribus des dèmes prélevés dans chacune des trois parties de l’Attique : ainsi les dèmes de Phylè et Kothôkidai, dans la trittye de la côte, qui appartenaient à la tribu Oineis, passent à la tribu Démétrias. Vers 224/3, Athènes crée une treizième tribu en l’honneur du roi lagide Ptolémée III, la tribu Ptolémaïs ; en 200, après avoir supprimé les deux tribus Antigonis et Démétrias qui existaient depuis plus d’un siècle, les Athéniens créent une tribu Attalis en l’honneur du roi de Pergame, Attale Ier, ce qui ramène le nombre des tribus à 12 ; on imagine les problèmes administratifs posés par ces trop fréquents changements dans le découpage de l’Attique à l’époque hellénistique.
Le système décimal, sur lequel repose toute la réforme institutionnelle voulue par Clisthène, préside à l’organisation de l’espace de la cité athénienne et au découpage du temps civique : l’année est découpée en dix prytanies (qui ne font pas disparaître les mois), six de 35 jours, quatre de 36 jours, selon la Constitution des Athéniens, attribuée à Aristote (43, 2). Chacune des dix tribus fournit, chaque année, l’un des neuf archontes ou le secrétaire des thesmothètes, avec rotation sur dix ans, pour qu’en une décennie chaque tribu ait désigné un archonte éponyme, un roi, un polémarque, six thesmothètes et leur secrétaire. De même, au moins pendant la première moitié du ve siècle, chaque tribu choisissait l’un des dix stratèges ; ensuite, ils sont choisis parmi tous les Athéniens, ce qui peut conduire une tribu à en désigner deux dans une année, alors qu’une autre tribu ne fournit aucun stratège. Si chaque tribu fournit 50 bouleutes, constituant la commission permanente du Conseil durant une prytanie, de la même façon les juges au tribunal de l’Héliée sont tirés au sort par tribu. Enfin, l’armée elle-même est recrutée par tribu, chacune fournit son contingent et les soldats de chaque tribu combattent côte à côte, sous les ordres d’officiers de leur propre tribu (taxiarques et lochages). Ce n’est pas par simple souci de belles constructions mathématiques ou intellectuelles que Clisthène a procédé à cette révolution institutionnelle dans la cité d’Athènes : cette réorganisation vise à une meilleure participation de chacun des Athéniens à la vie de la cité, en fonction de ses compétences. Cette réforme a permis de réduire le rôle de l’aristocratie et prépare les voies de la démocratie voulue plus tard par Éphialtès et Périclès.