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Post-Bac
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CHAPITRE N°3 : PSYCHOPATHOLOGIE CLINIQUE.

Psychologie clinique


Introduction.

(À lire absolument pour cette partie : La psychiatrie biologique : une bulle spéculative ? François Gonon, disponible sur Iris ou internet).

Pour rappel avec les cours de L1, de nombreux auteurs qui s’intéressent à la psychologie clinique ont tendance à différencier celle-ci de la psychopathologie. Dans la pratique, en France, les psychologues cliniciens travaillent pour une grande part auprès de personnes présentant un trouble mental ou du moins un état de souffrance nécessitant un accompagnent psychologique.

Il existe alors une psychologie clinique appliquée à la pathologie mentale comme il existe une psychologie clinique appliquée à d’autres domaines (groupes, communications, développement).

Dans les définitions que nous allons présenter, il y a peu de différences des structures entre une partie de la psychologie clinique et la psychopathologie. D’ailleurs, la définition de Lagache est éclairante : « La psychopathologie met en œuvre toutes les méthodes psychologiques possibles, et elle les applique à des hommes vivants, pour lesquels les plus grandes réalités humaines, la vie et la mort, la santé et la maladie, la liberté et la détention, l’amour et le travail sont en jeu ».

Cette partie du cours est empreinte de l’histoire de la psychopathologie en tant que discipline et bien entendu du cadre psychologique dans lequel elle est enseignée. Pour nous, la psychopathologie est la « psychologie du pathologique », entendez ici l’étude, la théorie psychologique des formes de souffrances qu’elles que soit leurs causes (Pedinielli, 2002). La notion de psychologie du pathologique désigne l’analyse psychologique du fait pathologique (ou dimension psychologique du fait pathologique).

La psychopathologie s’appuie donc sur des situations concrètes d’interaction avec des sujets présentant une souffrance et produit une interprétation, venant alimenter les connaissances en psychopathologie.

L’analyse des phénomènes pathologiques comporte deux niveaux complémentaires :

-       Le premier a trait à la description des aspects psychologique des faits pathologiques comme les angoisses, les troubles de la perception, du raisonnement, les hallucinations... La description d’un trouble consiste alors à trouver les phénomènes concrets qui permettent de le reconnaître, d’en drésser un portrait, que l’on se situe au niveau de l’apparence (comme dans la sémiologie psychiatrique) ou des processus inconscients (descriptions des formes d’angoisses et des mécanismes de défense pour la psychanalyse par exemple [Pedinielli, 2002]) ;

-       Le second niveau concerne les théories explicatives psychologiques des troubles. L’explication vise à fournir une origine (étiologie) qui répond à la question pourquoi ? et les mécanismes (pathogénie) qui répondent à la question comment ? (Pedinielli, 2002). 

En tant qu’introduction à la psychopathologie, ce cours a d’ailleurs comme ambitions de présenter principalement les aspects descriptifs et pathogénique de la névrose et de la psychose.

La psychopathologie tout en étant une discipline interprétative, s’appuie sur des descriptions qui permettent de distinguer les troubles entre eux, elle reste donc une discipline concrète, pratique et clinique. La psychopathologie clinique est un outil qui nous permet de relever, d’analyser et d’interpréter des éléments qui s’échangent dans la relation avec le sujet (effets de transfert et de contre-transfert).

Le savoir psychopathologique ne s’applique pas au sujet de manière dogmatique, il correspond à des questions, des hypothèses, des analogies que fait le clinicien et qui permettent d’entendre d’autre dimensions dans le discours du sujet. Faire de la psychopathologie clinique c’est se donner les moyens de susciter le discours du sujet, de s’interroger sur sa logique et de l’interpréter.


 

I.              Définition de la psychopathologie.

Classiquement, une discipline scientifique se définit à partir de son objet d’étude, ses méthodes, son histoire et son champ d’application. La définition varie aussi en fonction du cadre de référence choisi par les différents auteurs.

De nos jours, la psychopathologie est l’objet de définitions multiples, dont le dénominateur commun est le suivant : « il s’agit de l’étude des troubles mentaux, des maladies mentales, du fonctionnement mental anormal, soit encore de la psychologie des conduites pathologiques. Elle envisage les phénomènes de l’activité psychique morbide du point de vue de leur description, de leur classification, de leurs mécanismes et de leur évolution » (Samacher et al., 1998)

Parmi les auteurs contemporains Pedinielli (1994) considère que la psychopathologie fait partie de la psychologie clinique qu’il définit comme : « la sous-discipline de la psychologie qui a pour objet l’étude, l’évaluation, le diagnostic, l’aide et le traitement de la souffrance psychique, quelle que soit son origine. »

Pedinielli ne distingue pas psychologie clinique et psychopathologie, tandis que Ménéchal considère que la psychopathologie fonde la psychologie clinique. En revanche, chacun d’eux leur assigne le même objet : la souffrance psychique (Capdevielle, Doucet, 1999).

La psychopathologie est donc définie par « son champ d’étude » qui est le même que celui de la psychiatrie. Cependant, les buts et les moyens diffèrent.

Le but de la psychopathologie est la compréhension et la connaissance, celui de la psychiatrie est la thérapeutique, la prophylaxie et la réadaptation. Les moyens de la psychiatrie ne sont pas seulement psychologiques, mais aussi médicaux, biologique, etc. 

La psychopathologie « fait appel à l’ensemble des cadres de références et des disciplines (psychiatrie, psychologie, psychanalyse, sociologie, anthropologie, linguistique, psychopharmacologie, neurobiologie, ...) susceptible d’apporter des éléments de connaissance sur la maladie mentale et les dysfonctionnements psychiques sous tous leurs aspects » (Capdevielle, Doucet, 1999).

L’opposition entre décrire et interpréter (ou expliquer) possède des effets sur la manière de classer les états pathologiques. Il est faux de penser que la psychopathologie clinique répugne aux classifications : elles y sont omniprésentes. Mais deux types peuvent être opposés :

-       Les classifications syndromiques fidèles à l’aspect médical qui décrivent les phénomènes pathologiques à partir des éléments observables de l’extérieur et de leurs fréquences d’association. Ainsi l’état dépressif pourra être décrit à partir de la présence de la tristesse, de pessimisme, de ralentissement psychomoteur, d’idées de suicide et d’insomnies et/ou d’anorexie... L’association de ces troubles forme alors l’épisode dépressif. Ce type de classification syndromique (ou taxinomique) correspond aux classifications internationales (CIM-10, DSM IV) ;

-       Les classifications étio-pathogéniques quant à elles classent les troubles à partir des mécanismes ou des conflits qu’on estime à leur origine. On estimera que par opposition aux névroses qui reposent sur le refoulement, les psychoses sont liées à une défense comme le déni de la réalité, la projection, le clivage pour lutter contre des angoisses de morcellement liées à une relation d’objet fusionnelle. La classification repose ici sur un phénomène interprété, difficile à percevoir, ce qui lui confère une dimension spéculative (Pedinielli, 2002).


 

II.            Du normal au pathologique.

La psychopathologie pose de façon cruciale la question du normal et du pathologique. Elle ne peut se concevoir indépendamment d’une réflexion sur la maladie mentale et sur son rôle dans la société. Désigner la maladie mentale conduit à prendre position sur la place laissée à la déviance et à la marginalité dans les conduites humaines et à délimiter les contours subjectifs du normal (Foucault, 1954). La psychopathologie décrit cet espace de pensée entre la reconnaissance de la maladie mentale, externe à la raison, et à la compréhension du trouble psychique du sujet qui fait appel à la communauté de l’humain. Elle est en permanence située dans un mouvement d’inclusion/d’exclusion, entre neutralité et jugement elle est à la frontière de la bienveillance et de l’observation scientifique. Elle se situe donc entre le biologique et le politique, entre l’inscription génétique différenciée du sujet, et de ses choix intersubjectifs d’alliance et de séparation (Ménéchal, 1997).

La question de la normalité est très connotée par des considérations idéologiques personnelles. Il est donc très important de se montrer extrêmement prudent si l’on veut avoir accès à un jugement pertinent.

Encore une fois la perception du normal et du pathologique est assujetti au contexte social, économique et cultuel dans lequel nous évoluons en tant que clinicien, mais surtout au contexte dans lequel a évolué et évolue le sujet.

Quand pouvons-nous dire que nous sommes dans le pathologique ou non ?

Deux grandes conceptions existent :

1)    Le point de vue discontinuiste, correspond à une opposition nette du normal et du pathologique. La normalité est conçue en tant que concept statistique ou en tant qu’absence de maladie. L’approche discontinuiste oppose le normal et le pathologique et correspond à un point de vue médical où les maladies comme la schizophrénie sont considérées comme qualitativement différentes de la normalité ou de la santé mentale ;

2)    Le point de vue continuiste, la maladie et la santé constituent un continuum qui part de la normalité et se termine avec les formes les plus graves de la pathologie mentale. La psychanalyse a contribué au développement de cette notion de continuité. Freud a montré qu’il n’existait aucune coupure, aucun hiatus entre les fonctionnements psychiques considérés comme « normaux » et le fonctionnement de type névrotique.

L’impossible séparation est affirmée par Freud (1940) quand il écrit dans l’Abrégé de psychanalyse, qu’il était « impossible d’établir scientifiquement une ligne de démarcation entre états normaux et anormaux ».

De nombreux psychologues cliniciens, psychiatres acceptent aujourd’hui l’idée d’un continuum de changements imperceptibles conduisant d’un fonctionnement efficace à une désorganisation sévère de la personnalité. Sur ce continuum, un comportement est conçu comme pathologique lorsqu’il représente une déviance sociale ou lorsqu’il s’accompagne de la part de la personne qui le manifeste de témoignage de souffrance ou de détresse et enfin, lorsqu’il engendre un handicap psychologique (Goldstein et al., 1986).

Dans le domaine de la psychopathologie de l’enfant, Ajuriaguerra et Marcelli (1982) soulignent que le normal et le pathologique ne doivent pas être considérés comme distincts l’un de l’autre. Les champs du normal et du pathologique s’interpénètrent : « un enfant peut être pathologiquement normal » (enfants conformistes, enfants hyper matures » ou « normalement pathologique » (phobie de la petite enfance, conduites de ruptures à l’adolescence, ...). Marcelli et Braconnier (1984), dans Psychopathologie de l’enfance montrent que la question du normal et du pathologique se pose avec acuité à l’adolescence. Les critères sur lesquels se fondent la notion du normal et du pathologique sont tous mis en échec : la norme statistique ou sociologique et la normalité opposée à la maladie ne suffisent pas à établir une distinction entre elles.

Même si les approches discontinues et continuiste sont en opposition par leur perception du normal et du pathologique, il n’en reste pas moins un désir commun d’identifier le moment, la période ou un sujet perd sa capacité d’adaptation et son homéostasie psychique.

La diversité des approches du normal et du pathologique témoigne de la complexité de ces concepts clés en psychopathologie et en psychologie clinique. Les débats qu’engendre la définition des concepts de normal et de pathologique ont une grande valeur heuristique. Ils contribuent au développement de nos connaissances concernant les troubles psychopathologiques et plus particulièrement, dans les domaines du diagnostic, de l’évolution, du dépistage des personnes à risque et de la prévention. Ces débats ont contribué à la constitution du champ de la psychopathologie et de celui de la psychologie clinique.

III.          Les structures de personnalité et leurs expressions pathologiques.

Être psychologue clinicien, c’est rencontrer des sujets, qui se trouvent en plus ou moins grande souffrance et qui vont réagir plus ou moins bien à l’aide que l’on peut leur proposer. Il est extrêmement difficile de prévoir comment les patients vont évoluer. Le recours à la notion de structure psychique du sujet est une aide pour penser l’état actuel du patient et son devenir. Pour « penser la structure psychique », le clinicien se pose un certain nombre de questions : concernant les enfants, est-ce que le potentiel d’évolution est sauvegardé ? Quelle est la structure de base ? L’organisation va-t-elle pouvoir s’enrichir ? Il s’agit d’apprécier les capacités et les compétences qui soutiennent les acquisitions. À propos des enfants plus grands, les adolescents et des adultes, on s’interroge, quand ils amorcent une décompression[1] (c'est-à-dire qu’ils expriment une souffrance, décrivent des symptômes gênants) sur le type de pathologie qu’ils risquent de développer. C’est en vue d’apporter des éléments de réponse à de telles questions pratiques que l’analyse clinique et conceptuelle de la structure psychique apparaît utile. De plus, la confrontation à l’incompréhension du fonctionnement psychique, nous conduit cliniciens chercheurs, à une tentative de représentation, d’abstraction de la dynamique intrapsychique afin de pouvoir en retranscrire le fonctionnement. Les modèles structuralistes jouent ce rôle quel que soit leurs origines.

La structure psychique. Freud est parmi les premiers à avoir proposer un modèle de compréhension de la signification fonctionnelle des symptômes névrotiques qui privilégie le milieu et le développement affectif de l’individu sur l’équipement biologique. Ces symptômes seraient que la représentation ou la fixation de l’angoisse liée à l’équilibre de trois instances (le Ça, le Moi et le Surmoi) organisé en fonction de la maturation affective de la personnalité. Cette théorie dite psychodynamique, révolutionnaire à l’époque, est toujours actuelle tout en ayant ingéré les connaissances cliniques et scientifiques actuelles. Même si celle-ci a été écartée pour la description des troubles mentaux dans les dernières versions des grandes classifications internationales (DSM V, CIM-11), elle reste cependant importante dans la compréhension des symptômes contemporains dont l’étiologie est au croisement de l’histoire individuelle, collective et du contexte sociétal dans lequel elles s’actualisent. En fait, beaucoup de clinicien défendent une lecture psychodynamique comme un modèle théorique explicatif et compréhensif qui a une valeur dans ses applications pratiques. C’est donc à chaque clinicien de faire fonctionner ce modèle en fonction des situations cliniques rencontrées.

Selon Bergeret (1986), la structure de personnalité organise l’articulation des mécanismes intrapsychiques (mécanismes de défense, conflits, angoisses, positions libidinales, relation d’objet) et l’apparition des phénomènes pathologiques (symptômes et signes concrets de celle-ci). Stable et définitif, elle peut ne jamais décompresser er exister sans symptômes et signes pathologiques. En d’autres termes, le modèle structural de Bergeret distingue deux grandes structures du fonctionnement psychique : névrotique et psychotique, et une catégorie dite « astructuration » : les états limites (Rabeyron, 2018).

Selon ce modèle, la structure de personnalité se constitue dans les premières années de la vie et existe chez chacun, « sujet malade ou sujet sain ».

Toutefois, si le sujet est soumis à de trop fortes difficultés internes et/ou externes, on peut assister à une décompensation selon un schéma préétabli. Elles ont en commun leur incapacité à rétablir l’équilibre perturbé autrement que par la voie régressive (et non progressive : développement, réorganisations créatives, etc.). C’est donc leur ancrage libidinal profond qui justifie l’individualisme des structures psychiques de base. L’évolution libidinale plus tardive installe des modalités supplémentaires de fonctionnement qu’on peut désigner comme organisations. Ainsi la névrose est une structure, mais l’obsession, la phobie ou l’hystérie peuvent être considérées comme des organisations.

Structure

Instance dominante

Angoisse

Mécanisme de défense

Relation d’objet

Névrose

Surmoi

Castration

Refoulement

Génitale

Psychose

Ça

Morcellement

Déni

Fusionnelle

États-Limites

Idéal du Moi

Perte d’objet

Clivage

Anaclitique

Tableau récapitulatif des repères cliniques pour l’analyse structurelle (Bergeret)

L’analyse structurale nous conduira alors dans le cadre d’une étude de cas à investiguer après le recueil des symptômes (manifestations évoquées par le patient) la nature de l’angoisse, les mécanismes de défense, le type de relation d’objet mise en œuvre. Ces trois niveaux permettant de dégager des hypothèses quant à la structure du sujet (psychotique, névrotique, perversion, états-limites).

Une autre contribution française à la psychopathologie structuraliste est apportée par Lacan. Celui-ci insiste sur l’importance du language qui structure l’inconscient : « l’inconscient fonctionne comme un language structuré ». Dans Les Formations de l’inconscient, Lacan (1956-1957) écrit à ce sujet : « Il y a y une structure homogène dans les symptômes, les rêves, les actes manqués et les mots d’esprit. Il s’y joue les mêmes lois structurales de condensation et de déplacement qui sont les lois de l’inconscient. Ces lois sont les mêmes que celles qui créent le sens du language ». Une des thèses importantes de Lacan est que les mécanismes des formations de l’inconscient s’assimilent à ceux du language selon deux figures centrales : (a) la métaphore ou condensation et (b) la métonymie ou déplacement. Le type d’étude proposé par Lacan lui a valu différentes critiques, dont le reproche majeur, que mentionne Godefroy (1983), est d’avoir « algébrisé » l’inconscient. Beauchesne (1986) note qu’à la suite de Lacan, on a tenté de définir les principales organisations pathologiques en termes de structures (névrotiques, psychotiques, perversion, états-limites par exemple).

De l’analyse structurale à l’analyse processuelle. La modélisation structuraliste du psychisme qu’elle soit celle de Lacan ou celle de Bergeret, nous permettent actuellement d’aller plus loin et d’évoluer vers une perception dite processuelle, qui insiste sur l’idée qu’un même sujet peut être organisé selon différents types de processus, permettant une vision moins figée et correspondant à une clinique plus en adéquation avec le contexte sociétal favorisant les souffrances narcissiques-identitaires.

L’analyse processuelle poursuit le travail de l’analyse structurale en dégageant les processus prévalant chez le sujet. L’enjeu est important puisqu’il s’agit ici de reconstruire la subjectivité et ses logiques inconscientes et les souffrances qui y sont liées. Cette analyse processuelle permet de constituer différentes hypothèses du fonctionnement psychique afin de le rendre compréhensible, mais il est important de noter que cela n’est en rien la vérité mais une mise en sens des éléments cliniques des différents niveaux d’analyses. La démarche s’apparente à une démonstration des hypothèses, dans l’objectif de montrer de quelle manière les indices collectés aident à comprendre certaines logiques inconscientes en lien avec les difficultés du sujet.

Quoi qu’il en soit, nous ne pouvons jamais véritablement savoir ce qui constitue et anime la vie psychique d’une personne que nous prenons en charge, donc nous ne pouvons produire que des hypothèses qui tendent d’en restituer sa complexité en s’appuyant sur un raisonnement précis et rigoureux.

IV.          La névrose et ses formes pathologiques.

Dans les débuts de leur rencontre avec la psychologie clinique et la psychopathologie, les étudiants confondent souvent névrose et personnalité névrotique. Il s’agit donc de commencer par faire le point sur ce qu’est la structuration névrotique et ce que sont les pathologies névrotiques.

La psychologie clinique et la psychopathologie proposent une approche complémentaire à la perceptive médicale en apportant une lecture subjective de certaines problématiques. La souffrance psychique est appréhendée de point de vue de son intériorité dans l’objectif d’en dégager les processus psychiques à son origine et tentant de répondre aux questions comment et pourquoi souffre-t-il ?

Le conflit œdipien représente pour Freud le complexe central des névrosés. Le sujet se confronte aux désirs et interdits, inceste et parricide, liés à l’Œdipe positif ou négatif. Le complexe de castration est lié au complexe d’Œdipe, la menace de castration devenant effective comme sanction possible aux désirs interdits : cette menace engendre une angoisse de castration, angoisse spécifique à la névrose. Complexe d’Œdipe et de castration sont des « épreuves » psychiatriques du développement traversés par tout un chacun.

Cette structuration centrée autour du complexe d’Œdipe fonctionne sous le primat du principe de réalité. Elle caractérise par l’intégration de la problématique œdipienne, l’existence de conflits internes entre désirs et défenses et la présence d’une angoisse dite de castration (culpabilité) qui infiltre tous les domaines de la vie psychique. Tant que la structure reste « compensée », il n’y a pas (ou très peu) de manifestations symptomatiques.

Dans cette configuration psychique, le conflit dit névrotique est nourri par le désir du sujet auquel vient s’opposer la défense, suscitant angoisse et symptôme comme formation de compromis.

L’angoisse occupe une place centrale dans la névrose, ce qui a contribué à ce que les classifications internationales (DSM) rangent certaines manifestations symptomatiques (TOC, phobies, etc.) dans la catégorie des Troubles Anxieux supprimant ainsi la catégorie « névroses ». Dans le champ psychanalytique, la névrose va être caractérisée par le dérapage de ce système de fonctionnement de l’individu qu’est la structuration névrotique. Si le moteur de la structuration névrotique est l’anxiété ou l’angoisse, la principale cause et le principal symptôme de la maladie névrotique va être la perte du contrôle par le patient du symptôme « angoisse ». Dans les cas les plus graves, ceci vient parfois rendre inopérant les mécanismes censés réduire l’angoisse. Cette angoisse va s’exacerber, évoluer par crises incontrôlables, devenir ingérable et orienter le patient vers deux grands types de dérives :

-       Le repli ;

-       La transformation de l’angoisse en un activisme pathologique, qu’il soit moteur (obsessionnel ou compulsif), mental (phobie), fantasmatique (hystérie) ou interprétatif (hypochondrie).

Ces transformations de l’angoisse vont être les seuls moyens pour l’individu de rester intégré et socialisé. Le repli pourra cependant engendrer une perte notable des capacités de l’individu de même que la réduction considérable de ses interfaces relationnelles.

Il est à noter que la dépression ne fait pas partie de la maladie névrotique, mais l’angoisse qu’elle génère en surcroît peut être à l’origine d’une décompression névrotique.

A.   La névrose hystérique.

Définition : La névrose hystérique correspond à des pathologies psychiques particulièrement marquées par des symbolisations, éventuellement déplacées sur le corps (conversions). 

Présentation clinique : L’hystérie se caractérise par un polymorphisme symptomatique. Ses limites restent donc difficiles à cerner. Classiquement, l’hystérie se définit par l’association :

-       De critères objectifs comportementaux : conversions somatiques ;

-       De critères symptomatiques : intense demande affective, hyper expressivité des affects, vie imaginaires dense et labile, grande suggestibilité ;

-       De critères de structure : le mécanisme de défense prévalent est le refoulement, qui vise à lutter contre la culpabilité œdipienne.  

La conversion hystérique

Caractéristiques générales de la conversion : Elle s’exprime préférentiellement au niveau des organes de la vie de relations et de façon involontaire. Elle n’est pas la conséquence d’une atteinte organique et ne réponds pas aux lois de l’anatomie ni de la physiologie. Les examens cliniques et paracliniques n’en donnent pas l’explication. Elle apparaît souvent après un conflit avec l’entourage, un choc affectif ou à la faveur d’une régression importante et est en général réversible après un laps de temps très variable. L’influence du milieu extérieur sur la disparition des symptômes est importante (variations selon le contexte). Elle survient souvent chez un sujet ayant des antécédents médicaux ou après mise en contact avec des sujets malades avec répétitions des symptômes observés chez autrui. Elle paraît souvent remarquablement toléré sur le plan affectif. C’est au maximum la « belle indifférence » de l’hystérique. Le niveau d’anxiété de base peut être plus ou moins élevé, mais le patient n’exprime aucune angoisse en évoquant son symptôme. Elle entraîne une impotence fonctionnelle et une réduction de l’autonomie du sujet disproportionnées en regard de l’atteinte. Elle est souvent exhibée, expressive, parfois labile et sensible à la suggestion. L’amélioration peut être spectaculaire en quelques minutes. Elle peut s’observer chez des sujets présentant des personnalités très différentes et pas seulement hystérique. Enfin, le sujet utilise fréquemment la conversion pour alarmer ou manipuler l’entourage et obtenir des bénéfices secondaires. Mais rappelons que le sujet est convaincu de la réalité de son trouble, il ne s’agit pas d’une simulation.

Les symptômes somatiques de conversion : ils sont protéiformes, peuvent être associés et touchant la motricité, la sensibilité, les fonctions sensorielles. Ils peuvent simuler toutes les maladies et aucun n’est spécifique de l’hystérie. On décrit classiquement :

-       Les symptômes moteurs (grande crise épileptoïque pseudo-convulsive décrite par Charcot, les formes dites dégradées, les pseudo-paralysies, les mouvements anormaux, les atteintes de la phonation, l’astasie-abasie... ;

-       Les symptômes sensitifs (hypoesthésies ou anesthésie, hyperesthésies, algies, frigidité...) ;

-       Les troubles des organes sensoriels (de l’audition, vision, goût...) ;

-       Les troubles fonctionnels (de la déglutition, miction, respiration...).

Les symptômes de conversion psychique : Un état psychique particulier a été décrit au moment des crises motrices. C’est un état proche de l’hypnose où l’esprit est envahi de représentations et au cours duquel le sujet perd partiellement conscience de son corps (pertes de connaissance ou pseudo-coma, état d’obnubilation dit crépusculaire, états seconds avec production oniroïde d’images visuelles d’allure hallucinatoire).

Ces symptômes psychiques peuvent survenir en dehors du contexte : le plus souvent intermittents, ils sont qualifiés de troubles dissociatifs (à ne pas confondre avec la dissociation psychotique). La dissociation serait liée à une altération soudaine et transitoire des fonctions d’intégration, de la conscience, de l’identité ou du comportement moteur. On peut observer différents troubles dissociatifs :

-       Les troubles de la mémoire : amnésie souvent sélective, illusions amnésiques, fabulations embrouillant la biographie :

-       Les fugues psychogènes : s’associant souvent à une amnésie :

-       Le somnambulisme avec exécution de scènes imaginaires ou reproduction d’évènements vécus ;

-       Les états de dépersonnalisation s’accompagnant de déréalisation sont en général transitoires. Ils sont souvent concomitants d’états de transe.

Ces traits de personnalité peuvent se rencontrer chez n’importe quel sujet. Aussi, pour porter le diagnostic de ce trouble de la personnalité hystérique, ces traits doivent être durables et largement prédominants aux détriments des autres traits de personnalité possibles. Enfin, la personnalité hystérique est souvent associée à la personnalité phobique.

Vignette clinique : Dora, Fragment d’une analyse d’hystérie

Dora est une jeune fille soignée par Freud durant 3 mois, à la fin de l’année 1899. Bien que l’interruption précoce de l’analyse laisse un certain nombre de points obscurs, la brièveté de la prise en charge facilité sa présentation, qui se centre autour de l’analyse de deux rêves successifs.

La famille de Dora entretient une relation d’amitié avec la famille K., dont la femme avait soigné le père de Dora lorsque celui-ci était maladie. Mr K. s’est toujours montré aimable envers Dora, d’autant qu’elle s’occupait beaucoup des deux enfants en bas âge du ménage K. Deux ans auparavant, alors que Dora devait passer les vacances chez les K., elle demanda, avec insistance, à partir au bout de quelques jours à peine. Elle racontera plus tard à sa mère que Mr K. lors d’une promenade au bord du lac, lui avait fait une déclaration. Ce que Mr K., mit au courant, nia farouchement, soutenu par son épouse, jetant ainsi la suspicion sur Dora, qui se serait « imaginé » la scène. Depuis lors, Dora exige que son père rompe toute relation avec les K., particulièrement Mme K., ce que son père refuse. Le début du traitement laisse apparaitre un événement antérieur, survenu alors que Dora avait 14 ans : seule avec Mr K., dans son magasin, celui-ci la serra contre lui et l’embrassa. Suite à quoi elle avait éprouvé un violent dégoût. Dora ne parle pas volontiers de ces rapports avec Mr K. Toutes ses pensées semblent tournées vers son père à qui elle ne pardonne pas la continuation de ses relations avec les K. Surtout avec Mme K., dans la mesure où elle est persuadée qu’ils entretiennent une liaison et qu’il la sacrifie pour ne pas perdre Mme K. Ses reproches ne sont pas infondés : il semble que le père ne souhaite pas voir le comportement de Mr K. pour ne pas être gêné dans ses relations avec Mme K.

Au cours du travail entrepris, Freud montrera en quoi et comment les reproches que Dora adresse à son père sont en fait de la projection de ses propres ressentis. Il exposera également comment Dora s’identifiait fantasmatiquement à Mme K. et comment le renforcement subi d’amour envers son père lui servait à réprimer son amour pour Mr K. et sa jalousie (et donc son amour) envers M.me K. Dora. Fragment d’une analyse d’hystérie (1905), Paris, Payot, coll. « Petite Bibliothèque Payot », 2010

B.   La névrose obsessionnelle.

Définition : La névrose obsessionnelle est une formation névrotique qui met en œuvre une régression sadique-anale, d’importantes défenses contre un affect notamment sur le mode de l’idée obsédante et des rituels, et qui recourt fréquemment à la toute-puissance de la pensée. Le conflit psychique s’exprime ici par des symptômes compulsionnels caractérisés par des idées et des actes indésirables que le sujet se sent poussé à accomplir par une contrainte interne.

On observe une lutte contre ces idées et ses tendances. Le mode de pensée est dominé par la rumination mentale, le doute, les scrupules, l’inhibition de la pensée et de l’action.

Aspects théoriques : Dans le champ psychanalytique, la névrose obsessionnelle résulte d’une fixation de l’enfant, au cours de son développement, au stade sadique-anal à la suite d’un traumatisme. C’est le stade où l’enfant expérimente le plaisir d’expulsion, de rétention et d’agressivité. Il précédé le complexe d’Œdipe. Les symptômes obsessionnels traduiraient l’existence du conflit entre les pulsions refoulées et un Surmoi particulièrement interdicteur, rigide et sadique. Les mécanismes de défense prévalents sont l’inversion (transforme les désirs sadiques, interdits en crainte) et le déplacement (remplace les buts par d’autres). Cette théorie facilite la compréhension d’une grande partie des symptômes obsessionnels.

Les obsessions peuvent être considérées comme les symptômes névrotiques les plus élaborés mentalement. Elles sont caractérisées par l’importance des formations réactionnelles, qui permettent le refoulement intense de désirs liés aux stades primitifs de l’évolution libidinales, et par l’échec relatif de ce processus de refoulement, échec d’entraînant un retour du refoulé infiniment plus pénible que dans les autres névroses. Quelles que soient les précautions prises, le patient n’est jamais sûr, de ne pas avoir détruit ou salit un objet précieux, ce qui l’oblige à vérifier qu’il n’en n’est rien. Mais, en exécutant cette vérification, il n’est pas certain de ne pas avoir couru un nouveau risque de destruction ou de souillure, ce qui entraine le besoin de recommencer, à moins que le rituel propitiatoire ne lui permette pas l’annulation rétroactive de l’acte agressif qu’il n’est jamais sûr de ne pas avoir commis. Par opposition aux phobiques, l’obsessionnel n’attend aucun secours d’autrui, pas plus qu’il ne craint un danger venu de l’extérieur. Loin de le rendre dépendant, les formations réactionnelles du patient se substituent à l’objet (contre-investissement) et l’obligent à des démarches compliqués et souvent rigides à l’égard d’éventuels personnages à aimer, à craindre ou à haïr.

Présentation clinique : La névrose obsessionnelle se caractérise elle aussi par un polymorphisme symptomatique. Classiquement, on décrit l’association des manifestation suivantes :

·     L’obsession :

C’est une pensée ou une idée qui fait irruption dans l’esprit du sujet et qui s’impose à lui de façon répétée et incoercible. Elle se caractérise par les éléments suivants :

-       Le sujet en reconnaît le caractère morbide, absurde ou immoral ;

-       Il reconnaît sa propre activité psychique, bien qu’étant en désaccord avec elle. Les idées obsédantes ne lui paraissent pas imposées de l’extérieur (différemment des schizophrènes) ;

-       Il tente en vain de l’ignorer ou de la chasser dans un processus de lutte anxieuse ;

-       L’obsession n’entraîne pas de passage à l’acte.

Les trois principales variétés d’obsessions sont :

-       L’obsession phobique : Il s’agit de la crainte spécifique d’un objet où l’angoisse apparaît à la simple évocation mentale de l’objet ou de la situation responsable de la crainte obsédante. Elle persiste en l’absence de l’objet (à la différence de la phobie).

Les plus communes sont : la crainte des maladies (nosophobie), des microbes, de la saleté, par peur de la contamination. Elles conduisent à un évitement des contacts (« folie du toucher ») et à des rituels de lavage. La crainte des objets dangereux par peur de blesser quelqu’un.

-       L’obsession idéative : Il s’agit de ruminations obsédantes souvent très aliénantes, où le sujet est assiégé par des idées centrées sur la morale, la religion, la philosophie, la métaphysique, etc. ou des idées désagréables ou culpabilisées concernant des mots grossiers ou sacrilèges, des chiffres, des noms, l’ordre, la symétrie, etc. (exemple : « la folie du doute » : crainte d’une erreur ou d’une omission dans un des domaines cités plus haut. Ceci amène à des rituels de vérifications interminables).

-       L’obsession impulsive : C’est la crainte de commettre un acte absurde, sacrilège ou criminel. Le terme de phobie d’impulsion est considéré comme synonyme. L’acte redouté n’est pratiquement jamais commis. (Exemple : obsession de prononcer des phrases sacrilèges dans une église, de tenir des propos scatologiques à table, de commettre un homicide, un acte pervers sur son enfant, un acte agressif, de se défenestrer).

·     Les compulsions :

Ce sont des phénomènes équivalents des obsessions, mais concernant non plus les idées, mais des actes. Ces actes partagent le caractère de obsessions : phénomènes répétés et pénibles qui s’imposent de façon contraignante au sujet, impossible à différer, reconnus comme absurdes, gênant le fonctionnement social.

Ces actes sont parfois dérisoires et accomplis selon un cérémonial déterminé, rigoureux et plus ou moins complexe. Aucun plaisir n’est tiré de ces compulsions si ce n’est une relative et temporaire sédation de l’angoisse.

Les plus fréquentes sont : les complussions de lavage, contre l’obsession de saleté, ou de vérification contre la crainte de commettre une erreur (fermeture des portes, des robinets, du gaz).

·     Les rituels :

Ils ont souvent un caractère conjuratoire et magique, destiné à prévenir d’éventuelles catastrophes. L’acte n’a plus la logique d’une compulsion de lavage ou de vérification.

Il en est ainsi de : l’onomatomanie (recherche incessante de la signification de mots), l’arithmomanie (contrainte d’opérer des séries de calculs mentaux, de plus en plus complexe, à répéter à la moindre hésitation), des rites d’habillement et de toilette. 

L’angoisse augmente si le sujet rente de résister à l’accomplissement de ces rites. La crainte d’avoir commis une imperfection au cours du rite entraîne la répétition de celui-ci. L’accomplissement de ces rituels peut nécessiter plusieurs heures par jours. Le nombre d’heures passées est une indication de la gravité du trouble.

Comme les autres névroses, le cadre de la névrose obsessionnelle a fait l’objet de remaniements. On parle actuellement du trouble obsessionnel compulsif qui fait partie du chapitre des troubles anxieux dans les nouvelles classifications. Sur le plan clinique, le TOC est défini par la survenue d’obsessions et de rites compulsifs chez un sujet présentant souvent, mais pas toujours, une personnalité pathologique obsessionnelle-compulsive ou psychasthénique. Dans ses formes sévères, cette névrose constitue la forme la plus organisée, la plus grave et la plus rebelle des pathologies névrotiques.

Vignette clinique : L’Homme aux rats : remarque sur un cas de névrose obsessionnelle.

Le docteur Ernest Lanzer, juriste est un homme encore jeune qui consulte Freud, car il souffre d’obsessions. Il redoute qu’il n’arrive un malheur à deux personnes qui lui sont chères, à savoir son père et une « dame, à laquelle il a voué un amour respectueux ». Il éprouve des impulsions, comme se trancher la gorge avec un rasoir, et des interdictions portant sur des choses insignifiantes. Cela fait des années qu’il lutte en vain contre ces idées qui s’imposent à lui. Lors de la cure analytique avec Freud, il s’engage à dire tout ce qui lui vient à l’esprit, même si cela est pénible, et il évoque, sans difficultés, sa sexualité infantile. Cependant, la grande appréhension qui l’obsède concerne un évènement beaucoup plus récent, qui est survenu pendant qu’il faisait des manœuvres en tant qu’officier de réserve. En quelques mots, il s’agit du récit que lui fit un capitaine (à noter que ce capitaine l’effraie beaucoup du fait de sa cruauté et de son recours aux châtiments corporels) au sujet d’un supplice épouvantable pratiqué en Orient. Avec l’aide de Freud, le patient pourra mettre en mot cette évocation qui lui fait horreur : il s’agit d’enfoncer des rats dans l’anus du condamné. Cette scène (dont l’horreur consciente vient masquer la jouissance inconsciente), donnera lieu au surnom « l’homme aux rats ». En effet, lors de cette mise en mots, Freud remarque l’expression bizarre de son patient évoquant « l’horreur d’une jouissance par lui-même ignorée ». Le transfert entre Lanzer et Freud est par ailleurs manifeste : dans les moments de grande agitation, le patient interpelle sont analyste en le nommant « mon capitaine ». Cette cure permettra à Freud d’affiner sa compréhension de la névrose obsessionnelle, et notamment le rôle joué par la haine et la jouissance, l’ambivalence des sentiments, le surinvestissement anal de l’argent, la culpabilité liée aux vœux de morts envers le père (dont le cruel capitaine est l’une des figures fantasmique). Freud et l’Homme aux rats, un cas de névrose obsessionnelle, Paris, Payot, coll. « Petite Bibliothèque Payot », 2010

C.   La névrose phobique.

D’une manière schématique, la phobie peut se caractériser par la projection des pulsions destructrices et par un clivage de l’objet d’amour L’exemple du petit Hans cité plus bas peut servir ici d’illustration. L’enfant était en plein conflit œdipien et éprouvait à l’égard de son père des sentiments violemment contradictoires : il aimait tendrement et en même temps se sentait en rivalité avec lui. Les désirs agressifs à son égard étaient insupportables et ne pouvaient devenir conscients. Il s’en est suivi une projection et un déplacement. Le sentiment de haine à l’égard du père s’est transformé en peur d’une agression venue de l’extérieur et polarisée sur les chevaux qu’il risquait de rencontrer dans la rue. Par cette transformation, la relation de l’enfant avec son père s’est trouvée épurée de tout affect agressif ou dangereux, et le père n’a plus joué qu’un rôle affectueux et protecteur.

Dans les nouvelles classifications, les troubles phobiques font partie des troubles anxieux et ont été séparés en trois groupes :

-       L’agoraphobie ;

-       La phobie sociale ;

-       Les phobies simples.

La phobie est le déplacement et la concentration de l’angoisse sur un objet externe ou une situation redoutée, ce qui libère le reste du fonctionnement psychique de la charge d’angoisse. La phobie apparaît à chaque exposition de l’objet phobogène (conduisant souvent à un comportement d’évitement) et s’apaise en l’absence de celui-ci. Elle apparaît totalement disproportionnée avec le danger réel encouru. Le sujet reconnaît le caractère absurde de sa crainte. La gêne occasionnée par ce trouble dépend du type de l’objet phobogène et de l’intensité des comportements d’évitement.

L’agoraphobie : Dans l’agoraphobie, l’angoisse est déclenchée par un endroit ou une situation d’où il serait difficile de s’échapper ou dans lequel aucun secours ne pourrait être dispensé en cas de crise d’angoisse ou de symptômes apparentés. Ces situations sont variées (ponts et tunnels, ascenseurs, grands magasins, endroits clos, avion, métro, automobile, hauteurs, foule ou espace vides). L’agoraphobie peut être associée ou non à un trouble panique.

Les phobies sociales : Le spectre de l’anxiété sociale regroupe les phobies sociales proprement dites, mais aussi la timidité (qui n’est pas pathologique), l’anxiété de performance, le déficit d’affirmation de soi, ou encore les personnalités évitantes. L’individualisation récente (depuis 15 ans) de ces pathologies a permis la prise en charge d’une partie de la population qui consultait peu malgré un handicap social ou professionnel important. Ce sont des pathologie fréquentes en médecine générale (prévalence de 15%), à l’origine de conduites d’alcoolisation ou de prises excessives de Benzodiazépines (BZD), mais qui restent encore trop souvent méconnues.

Dans les phobies sociales, l’angoisse est liée au regard d’autrui, qui s’agisse d’un individu ou d’un groupe. Cette peur repose sur l’impression d’être jugé ou évalué de façon négative. Elle s’accompagne de la crainte de se conduire de manière embarrassante, voire humiliante, aux yeux des autres. L’exposition à ce type de situations déclenche quasiment systématiquement une réaction anxieuse plus ou moins intense, qui peut aller parfois jusqu’à une véritable attaque de panique. La peur que celle-ci soit remarquée par les autres est caractéristique des phobies sociales : peur de rougir, de trembler, de perdre le contrôle de ses urines ou de ses intestins ou encore de bégayer, d’avoir des trous de mémoire.

Une anxiété anticipatoire peut apparaitre avant la confrontation à la situation redoutée (parler en public, jouer sur scène, épreuve sportive, passer un examen, aborder un inconnu, etc.). Celle-ci peut s’accompagner de symptômes physiques et d’une perturbation des fonctions cognitives.

L’intensité de l’anxiété ressentie au moment de l’exposition et/ou avant celle-ci et les conduites d’évitement qui vont s’organiser progressivement sont des indicateurs de la gravité de cette pathologie dont le ressentiment sur la vie sociale, affective ou professionnelle peut être majeur. Les stimuli phobogènes peuvent être :

-       La prise de parole en public (réunion, discours, examen) ;

-       L’exécution de tâche sous le regard d’autrui (écrire, manger, travailler, utilisation des toilettes publiques) ;

-       L’initiation de conversation avec des personnes connues ou étrangères ;

-       Le simple fait d’attirer l’attention d’autrui (arriver en retard à une réunion, marcher devant une terrasse de café ou une file d’attente, se montrer en maillot de bain).

Les phobies simples : Dans les phobies, l’angoisse se fixe sur un objet. Cet objet dit pathogène peut être un animal, un environnement naturel (orage, eau) ou encore un objet potentiellement dangereux (aiguilles, couteaux).

La phobie du sang et des injections est considérée à part, car associée à des signes d’hyperstimulation vagale et serait favorisée par une vulnérabilité familiale. Le stimulus phobogène conduit à des comportements d’évitement plus ou moins invalidants.

Vignette clinique Analyse d’une phobie d’un petit garçon de cinq ans : Le Petit Hans

L’observation, publiée par Freud en 1909, concernant le symptôme que présentait un jeune garçon de trois ans et demi, est une référence exemplaire et irremplaçable pour la compréhension du phénomène phobique. Hans, fils d’un disciple et ami de Freud, confie à son père qu’il a peur qu’un cheval ne le morde. Une phobie des chevaux se constitue chez lui, qui l’amène à fuir toutes les situations, les lieux et circonstances où l’objet de sa peur se manifesterait à lui. Le père, tentant de comprendre psychanalytiquement la chose (la « bêtise » comme Hans et ses parents nomment cette phobie), entreprend de se faire le psychothérapeute de son petit garçon et transmet au maître ses notations, interventions et interprétations. Selon Freud, la phobie de Hans est liée, dans son surgissement même, à ce qui, du conflit œdipien auquel est voué chaque petit d’homme, s’organise à partir du complexe de castration, lequel est lié lui-même à la différence des sexes. Hans a une petite sœur depuis quelques mois. Il aime déjà de façon masculine sa mère qui est le centre de son monde, encore qu’il interroge les rapports de puissance et d’autorité entre le mari et la femme. En fait, il interroge le monde de réalités et de significations obscures dans lequel il cherche à se situer. Il écoute et vérifie les discours qui sont prononcés autour de lui, il joue avec les mots, avec les images, avec les comportements des autres. Il joue aussi avec ses rêves et ses phantasmes[2] (et le père interrogateur l’y incite). Mais tout cela se rassemble et se fixe en une question qui concerne le corps, et plus particulièrement le sexe. Décentré de sa position initiale du fait de la naissance d’Anna sa petite sœur, son attention se fixe sur le lieu d’où apparait la « différence » qu’il veut d’abord méconnaître. Le « fait-pipi » d’Anna est tout petit, dit-il : il grandira ! Maman a un grand « fait-pipi » ... Le cheval aussi... Seuls les objets inanimés n’en ont pas. Telle est l’affirmation liminaire qui traduit, pour le père et pour Freud, la mise en parole de l’angoisse du petit Hans. Confronté pour la première fois au mystère de la naissance (sont-ce les cigognes qui apportent les bébés ?), à l’intégrité de son corps propre, du fait de la dissemblance entre le sien et celui d’Anna, il élit le pénis qui est le sien (mais qui peut manquer à d’autre) comme le symbole, l’objet garant, mais menacé de l’ordre premier du monde. Le développement de la phobie des chevaux apparaît ainsi comme une opération qui vise autant la sauvegarde des avantages acquis que les ouvertures du désir. Le petit Hans est à la fois conservateur et progressiste. Il en résulte une faille en lui et devant lui : quelle est la puissance tierce, médiatrice ou terrorisante qui en surgira ? Le cheval intervient ici comme substitut d’un exigible père castrateur (auquel le papa d’Hans ne ressemble pas vraiment).

Conclusion sur la névrose :

Unies par leur étiopathogénie commune dans une perspective analytique, les névroses ont subi, ces dernières années, des découpages nosographiques tels que le concept même de névrose a presque disparu de la terminologie des troubles psychiatriques utilisée dans le domaine de la recherche. Les nouvelles classifications préfèrent une approche descriptive, voire symptomatique, mais ne donne aucune orientation sur l’articulation entre les différents symptômes repérés. Plusieurs acteurs ont critiqué cet excessif morcellement et l’incapacité des nouveaux systèmes de classification à repérer les formes « mixtes » de névroses.

De nombreux travaux ont en effet montré que l’existence d’un syndrome pur est rare et que les troubles d’anxiété généralisée panique, obsessionnel-compulsif et phobique, coexistait fréquemment. De plus, la comorbidité anxiété-dépression semble importante.

La mise en évidence de cette interdépendance des syndromes névrotiques a conduit certains auteurs à réhabiliter, en dehors de toute perspective étiopathogénique, le concept de névrose à travers la reconnaissance clinique d’un éventuel syndrome névrotique général.

Il ne faut cependant pas étendre le concept de névrose au-delà de certaines limites. Nombre de troubles du comportement, caractérisés par l’incapacité de médiatiser le désir, de supporter les frustrations, par des réactions immédiatement « agies », sans qu’une élaboration mentale suffisante puisse intervenir, ne doivent pas être considérées comme témoignant d’une structure névrotique. Pour des raisons assez comparables, de nouveaux malades atteints d’affections psychosomatiques ne peuvent être assimilés au névrosés (Pirlot, 1994). Cette distinction est importante, puisqu’elle implique des attitudes thérapeutiques très différentes pour les uns et pour les autres. Enfin, les états d’angoisse aiguë ainsi que la névrose d’angoisse sont caractérisés par la faillite, sous divers effets, des processus défensifs habituels. Ils doivent donc être distingués des organisations névrotiques.

Synthèse sur la névrose :

§ Il y a une absence de délire ;

§ Il y a une adaptation au système de réalité qui est maintenu ;

§ Le sujet est conscient du caractère pathologie de ses troubles ;

§ Le sujet souffre de ses symptômes ;

§ Il critique ses symptômes ;

§ Il est en mesure de demander de l’aide et des soins ;

§ Le conflit psychique oppose les pulsions inconscientes et les interdits.

V.            La psychose et ses formes pathologiques.

(Lire Les psychoses de l’adulte (2002), JL Pedinielli, G. Gimenez)

Dans notre explication de la psychose, nous nous attacherons à utiliser une double approche. Une approche ou le singulier (la psychose) domine et qui renvoie en psychopathologie à l’existence d’un trouble psychologique irréductible à tout autre, se différenciant des autres entités psychopathologiques (et notamment de la névrose). Ensuite, nous nous intéresserons au point de vue empirique qui relève des spécificités cliniques, permettant de différencier les troubles psychotiques entre eux.

De manière générale, le terme de psychose désigne des états psychiques caractérisés par une altération profonde de la conscience du sujet (troubles grave de l’identité) et de son rapport avec la réalité. (Besançon, 1993)

Le fonctionnement psychotique.

Avant de s’intéresser à l’aspect sémiologique de la psychose, il est essentiel de comprendre le fonctionnement psychologique qui sous-tend l’étiologie des troubles et quels sont les processus à l’origine de la psychose.

Le modèle psychanalytique tente d’expliquer la psychose à partir de l’histoire du sujet et des difficultés dans l’organisation libidinale, objectale ou pré-œdipienne. Cette conception herméneutique (science de l’interprétation) permet de souligner l’importance de la vie du sujet dans la psychogénèse du fonctionnement psychotique.

La métapsychologie freudienne : La psychanalyse soutient l’hypothèse que la psychose trouve son origine dans les premiers mois de la vie. Elle avance plusieurs idées :

-       Les symptômes psychotiques ont un sens en rapport avec le développement ou la vie du sujet ;

-       Des mécanismes psychologiques inconscient participent à leur genèse ou à leur mise en forme ;

-       Certains symptômes sont des tentatives (échouées) de guérison ;

-       La maladie (au sens psychiatrique) n’est que la partie visible et derrière un trouble dont l’origine est plus ancienne. Pour Freud le trouble a commencé avant que les symptômes n’apparaissent. C’est l’échec de l’équilibre pathologique antérieur qui entraîne l’apparition des aspects spectaculaire de la maladie.

Globalement, la psychanalyse envisage le psychisme qui ne surgit pas « tout fait » au moment de la naissance, comme une construction progressive, se développant au cours de l’enfance et de l’adolescence, puis pouvant faire l’objet de certains remaniements pendant la vie adulte. La psychogénèse est un élément essentiel du système explicatif de la psychopathologie clinique.

Dans la métapsychologie freudienne, l’organisation de la structure psychologique envoie à différentes étapes charnières, permettant d’expliquer, après décompensation, son expression pathologique sous forme de symptômes polymorphes.

Bien qu’il y ait de nombreuses différences entres les conceptions psychanalytiques, on peut dégager des invariants (Pedinielli, 2002) :

-       Des troubles de la constitution du sujet rendant difficile l’accès à l’identité, à l’autonomie et à la séparation ;

-       Pas d’accès à l’Œdipe, ni à la différence des sexes, ni à l’altérité ;

-       Une instabilité dans les relations dedans-dehors ;

-       Mise en place de mécanismes de défense contraignants, mais permettant de limiter l’angoisse, entrainant ainsi une limitation des rapports à soi et au monde extérieur ;

-       Une modification interne (rupture de l’équilibre...) ou externe (traumatisme...) réactive le sentiment de perte d’identité, de la continuité corporelle et psychique ;

-       Pour lutter contre les angoisses (notamment de morcellement du corps) le sujet utilise des systèmes de défense qui tentent de rendre les mondes extérieur et intérieur supportables (hallucinations et délires).

Des auteurs comme Bergeret en s’appuyant sur la conception freudienne du psychisme ont formalisé des grandes étapes pouvant être impliquées dans le développement de la structure psychotique. Plusieurs caractéristiques peuvent être relevées :

1.    La lignée psychotique est marquée au stade oral ou dans la première partie du stade anal par des frustrations précoces tirant leur origine du pôle maternel. L’organisation du Moi n’a pas atteint le stade objectal et ses stratifications (orale, anale, phallique) permettant d’accéder aux aspects essentiels de la structuration objectale et surtout œdipienne. C’est la progression maturante de ses structurations successives et leur achèvement dans la primauté du génital qui manquent chez le psychotique. Les expériences vécues de l’éprouvé anal ou génital sont présentes, mais ce sont des phases de structuration anale ou génitale qui sont mal définies chez lui ;

2.    Le Moi ayant subi d’importante fixations ou régressions à ce niveau se préorganise selon le mode psychotique.

Le type d’angoisse de la psychose est une angoisse de morcellement et/ou de mort (au sens d’écartement).

La relation d’objet est fusionnelle, symbiotique à la mère. Elle se révèle incomplète et ne peut concevoir la séparation de cette partie d’elle (le fœtus, puis le bébé), ni physiquement, ni psychiquement. Le père est souvent effacé, « absent » physiquement et psychiquement.

Les principaux mécanismes de défenses sont : déni, indentification projective, dédoublement du Moi, clivage (clivage du Moi, de l’objet).

3.    Au moment de la période de latence, il y a un arrêt de l’évolution structurelle (comme pour la névrose) :

4.    Au moment de l’adolescence, dans la majorité des cas, le Moi préorganisé sur le mode psychotique va poursuivre son évolution au sein de la lignée psychotique dans laquelle il se trouve déjà suffisamment engagé. Il s’organisera ensuite de façon définitive, sous la forme de structure psychotique véritables et stable. Cependant, le sujet garde une petite chance de voir l’axe d’évolution quitter la lignée psychotique (pas encore totalement fixée) pour aller rejoindre la lignée névrotique.

5.    Organisation définitive sous forme de structure psychotique (cf. les différents types de psychoses).

A.   La pathologie psychotique.

Il est important de distinguer ce qui est de l’ordre de la structure, de la personnalité psychotique et ce qui est de l’ordre de la pathologie.

Un sujet peut être de structure psychotique et présenter des traits de personnalité relatifs au fonctionnement psychotique sans qu’il présente des symptômes psychotiques. Au même titre qu’un sujet névrotique ne présente pas systématiquement des symptômes d’une névrose (phobique, obsessionnelle...), un sujet de structure psychotique n’est pas systématiquement schizophrène, paranoïaque... C’est bien la perte d’une homéostasie psychique qui va entraîner l’apparition de symptôme en lien direct avec la structure psychique du sujet. La forme des symptômes n’apparaît pas par hasard, mais elle est dépendante du mode de fonctionnement du sujet.

La sémiologie : Plusieurs éléments sémiologiques sont communs aux psychoses. Ainsi, la méconnaissance de l’état morbide, la gravité des troubles et l’impossibilité de répondre aux exigences de la vie quotidienne. Mais par-dessus tout, ce qui prédomine dans tous les tableaux sont les perturbations identitaires et la perte de contact avec la réalité.

Cette perte de contact avec la réalité est à la fois une disparition du sens commun, mais aussi la construction de cette néo-réalité qui la remplace et à laquelle le sujet va croire, adhérer : le délire.

Rappelons qu’un délire est une réalité complexe qui comprend un ou plusieurs mécanismes et un ou plusieurs thèmes. Le délire peut s’étendre de façon cohérente, systématisée ou être un magma polymorphe, on peut noter ou non une participation thymique. Les idées délirantes sont différentes du mensonge, de l’idée fausse (qui suppose une possibilité de correction), de la fabulation (présenter des productions imaginaires comme des souvenirs). La définition met l’accent sur l’aspect individuel de la croyance, sur le décalage avec la réalité, sur la certitude inébranlable et sur le caractère excessif.

B.   La schizophrénie.

Le terme de schizophrénie désigne un groupe de troubles qui se distinguent des délires chroniques, des psychoses aiguës et des psychoses thymiques. Bien que Kraepelin ait isolés ses principaux traits sous le concept de « démence précoces » c’est Bleuler qui créa en 1911 le terme de « schizophrénie ». Sous la notion de schizophrénie sont regroupées les affections qui auparavant étaient isolées (démence paranoïde, catatonie, hébéphrénie).

Description des symptômes principaux : Elle est caractérisée par l’association de trois troubles principaux : la dissociation de la personnalité, le délire paranoïde et l’autisme. Les modes d’entrée dans la schizophrénie peuvent être plus ou moins lents en progressifs ou brutaux.

a)    La dissociation (ou discordance) traduit une scission qui s’opère dans la conscience et la personnalité du sujet. C’est la perte de l’unité de la personne dans l’ordre de la pensée, de l’affectivité, de la communication et comportement. Elle se traduit à plusieurs niveaux :

·      La dissociation de la sphère de la pensée peut de manifester par :

-      Troubles/altération du cours de la pensée. Affaiblissement de l’attention et de la concentration, troubles du débit des idées (illogique, subjective, symbolique, bizarre, incohérente, floue, abstraite sans lien avec le réel) ;

-      Troubles du language pouvant aboutir (en de rares cas) à un language complètement incompréhensible appelé schizophasie. Les troubles les plus fréquents sont le mutisme, logorrhée, les altérations sémantiques, des néologismes (création ou détournement de mots), la tendance au symbolisme (recours à des métaphores, donnant un style maniéré, précieux et hermétique), le rationalisme morbide (la pensée se perd dans des explications philosophiques ou pseudo scientifiques détachés du réel) ;

-      Troubles du système logique : altération des concepts, pensée magique, pensée déréelle, abstraction systématique, symbolisme, paralogisme...

·      La dissociation affective se manifeste par l’indifférence, le détachement, le négativisme, l’émoussement affectif, la régression affective et se révèle dans ses pulsions archaïques orales (boulimies, suçotement, tabagisme forcené, balancements) et anales (stéréotypies obsessionnelles, incurie, ...) et dans la sexualité (auto-érotisme, exhibitions sexuelles, tentative de réaliser des fantasmes œdipiens soit par l’inceste, soit par le déplacement sur des tiers, auto-mutilations sexuelles parfois, ambivalence affective (aspects violents et paradoxaux tantôt intenses, tantôt hostiles) ;

·      La dissonance dans la sphère corporelle s’exprime par apragmatisme, absence d’initiatives, indécisions (actes volitionnels, motricité corporelle) d’où des attitudes figées, raides. Attitudes contradictoires (expressions paradoxales simultanées mimiques discordantes par rapport aux situations, des gestes contraires à l’intention supposée, ...). Manifestations de type catatonique : négativisme, repli hostile, ironie défensive, refus de tendre la main, des stéréotypies (répétition de gestes, de mots). Passage à l’acte impulsifs et immotivés (suicide, automutilations, agression, meurtre, ...).

b)    Le délire paranoïde est un délire polymorphe, flou, variable, non systématisé, changeant dans le temps, incommunicable dont les thèmes multiples sont dominés par des idées de persécution, d’influence, d’atteinte corporelle (transformation, maladie, empoissonnement, ...), thème religieux et surnaturels (possession, mission, réincarnation), protection, mégalomanie (omnipotence, idéalisme, richesse, ...), identité (filiation, possession). Tous les mécanismes délirants peuvent coexister : hallucinations, imaginations, illusions, interprétations.

c)    Les symptômes autistiques, caractérisent la rupture de la vie mentale du sujet avec le mode extérieur, le repliement sur lui-même et la reconstitution d’un monde intérieur hermétique à autrui.

Vignette clinique : exemple de discordance.

Pierre, 20 ans, a été un brillant élève jusqu’à la terminale, mais depuis deux ans il ne s’intéresse plus à rien, reste indifférent, sans volonté (aboulie), absorbé par des pensées abstraites et hermétiques qu’il ne livre qu’avec réticence. Délaissant ses amis, il reste des heures assis devant sa fenêtre en se balançant (stéréotypie). Il ne s’occupe pas de ses affaires personnelles et depuis trois mois, il ne fait plus rien du tout (apragmatisme), restant au lit toute la journée (clinophilie) et tenant parfois des propos bizarres à sa mère et à son frère. Il a été adressé dans le service de psychiatrie, car il a tenté de se couper un doigt (automutilation). Au cours de l’entretien, il parle peu, se bornant à se plaindre de « vertiges de l’âme », terme qu’il ne peut – ou ne veut – expliquer (hermétisme). Son discours est difficile à suivre : il passe d’un thème à l’autre, sans lien, s’arrête brusquement (barrage), semble ne pas comprendre les interventions, répète des mots... Il ressort de l’entretien la présence d’hallucinations diffuses. Les thèmes délirants sont peu évoqués, mais ils sont multiples. Des idées assez vagues de transformation corporelle et de persécutions par ses parents apparaissent. Les troubles du contact sont patents (refus de regarder, voix monocorde) et il présente des troubles de la mimique (parakinésies). Il semble répéter les gestes et attitudes de l’interlocuteur (échopraxie), mais n’exprime aucune émotion (athymhornie). [Pedinielli, 2002]

C.   Délires chroniques systématisés ou paranoïa.

(Lire Schreber D.P (1902) Les mémoire d’un névropathe, TR FR P. Duquenne et N. Sels, Paris, Seuil, 1985)

Dans les médecines grecque et latine, le terme de « paranoïa » était employé dans un sens large équivalent à la folie.

Les délires paranoïaques systématisés regroupement un ensemble de pathologies qui auraient en commun des idées délirantes organisées en – systèmes – (véritable pathologie de croyance) caractérisées par l’ordre, la cohérence et la clarté. Ils en sont donc systématisés et interprétatifs. À l’origine, on pensait que le délire survenait chez les sujets présentant une personnalité particulière : orgueil, méfiance, psychorigidité, hypertrophie du Moi, fausseté du jugement... On s’est ultérieurement rendu compte que cette affirmation commode était fausse et que tous ceux qui présentaient un délire paranoïaque étaient loin d’avoir cette personnalité.

Ces psychoses sont caractérisées par des idées délirantes permanentes auxquelles le sujet adhère de façon inébranlable, tout en gardant une perception conforme à la réalité. Elles surviennent vers 40-50 ans. Il n’y a pas d’évolution déficitaire. Le sujet vit dans la réalité et conserve ses capacités d’adaptation, mis à part le secteur délirant de sa pensée.

Ils sont caractérisés par des idées délirantes permanentes qui font l’essentiel du tableau clinique. Le délire paranoïaque apparait souvent brutalement, mais précédé par une période d’angoisse, de perplexité qui va déboucher sur un syndrome de dépersonnalisation et d’étrangeté qui ouvre sur le vécu persécutoire. On a souvent décrit la personnalité prémorbide comme une personnalité pathologique où domine la méfiance, l’orgueil, la surestimation de soi, l’intransigeance, la susceptibilité, l’agressivité défensive et la rigidité psychiatrique (masquant in sentiment profond d’insuffisance) et la fausseté du jugement (recours constant à des explications et des déductions pseudo-logiques aux bases affectives et erronées). De telles personnalités dites paranoïaques sont cependant loin de constituer le substrat de tous les délires paranoïaques et ceux-ci peuvent survenir sur des personnalités très diverses, pathologiques ou non.

Il est d’ailleurs important de différencier les idées obsédantes et les rituels que l’on peut retrouver chez le sujet paranoïaque des symptômes obsessionnels vu dans la névrose. Dans la paranoïa, l’obsession est liée à une interprétation délirante de la part du sujet qui n’a pas conscience de son état pathologique, alors que dans la névrose obsessionnelle le sujet a conscience de ses symptômes et en souffre.

Les différents types de délires paranoïaques :

-       Le délire d’interprétation ;

-       Le délire de relation ou délire de référence ;

-       Les délires passionnels (érotomaniaque et de jalousie) ;

-       Délire de jalousie ;

-       Délire érotomaniaque.

Si dans le language courant paranoïa est synonyme de persécution, les délires paranoïaques ne se réduisent pas aux thématiques de persécution. Par ailleurs, celles-ci sont tellement fréquentes (y compris dans les schizophrénies ou les BDA), qu’elles ne sauraient constituer un élément central dans les classifications.

C’est dans son commentaire sur l’ouvrage de Daniel Paul Schreber Les mémoire d’un névropathe que Freud (1911) met en avant sa théorie de la paranoïa. Les interprétations de Freud viennent rendre compte de la paranoïa de persécution, de l’érotomanie, de la mégalomanie et du délire de jalousie. Pour lui, le patient est confronté à un fantasme homosexuel, sous la forme « moi un homme, j’aime un homme » qu’il ne peut tolérer et qu’il va donc nier.

Plusieurs négations sont alors possibles qui rendent compte des différents troubles.

Ainsi, dans la paranoïa de persécution, le fantasme devient « je ne l’aime pas, je le hais » et par la suite d’une rationalisation « je le hait parce qu’il me hait » qui devient « il me hait » par projection. Dans la jalousie, la phrase « j’aime un homme » devient « ce n’sont pas moi qui l’aime, c’est elle qui l’aime ». Dans l’érotomanie, c’est l’objet qui est nié et « j’aime un homme » devient « j’aime une femme parce qu’elle m’aime » qui par projection se traduit par le sentiment d’être aimé par cette femme (illusion délirante d’être aimée). Enfin, dans la mégalomanie, c’est un ensemble de la phrase qui est nié et le sujet n’aime que lui et s’attend à être aimé de tous.

Vignette clinique : exemple de délires d’interprétations systématisés.

Victor, 50 ans, est hospitalisé après qu’il a attaqué un passant dans la rue. Il proteste avec fermeté et véhémence contre cet internement qu’il considère comme arbitraire. Il nous explique « il existe un complot contre moi depuis trois ans. Tout à commencer sur mon lieu de travail : mon téléphone sonnait et lorsque je décrochais, il n’y avait personne au bout du fil ; vous trouvez ça normal vous ? Après on a essayé de m’empoisonner. Mais je me méfiais et je m’en suis tiré avec une diarrhée. Après ils sont allés chez moi et ils ont mal fermé la porte pour que je le sache. C’est une affaire politique ; ils appartiennent à deux bandes qui s’affrontent et ils veulent m’impliquer dans leurs manœuvres et essayer de me salir. Mais moi je suis un homme intègre, honnête. J’ai ma dignité. ». Victor devient de plus en plus exalté « Ils ont fait courir le bruit que je trompais ma femme, que j’avais des mœurs malhonnêtes. Ils étaient partout, des voitures stationnaient en bas de chez moi pour me surveiller ; dans l’immeuble, ça devait se savoir, les voisins se regardaient d’un air entendu sur mon passage, et même les passants dans la rue... J’ai fini par perdre patience... ». On notera l’aspect sthénique, la non-reconnaissance des troubles, les thèmes de persécution, d’empoisonnement, les thèmes politiques, la mégalomanie, le mécanisme interprétatif (exogène et endogène), la chronicité, la congruence à l’humeur, l’extension en réseau, l’âge de début. (Pedinielli, 2002)

D.   Les psychoses affectives : la psychose maniaco-dépressive (PMD).

Individualisée par Kraepelin (1921), la psychose maniaco-dépressive est caractérisée classiquement chez un même sujet par l’alternance d’épisode dépressifs habituellement sévères et d’accès maniaques. Si ces troubles sont bien de forme psychotique (perte du contact avec la réalité, rejet, délire...), en revanche les sujets qui les présentent ne sont pas obligatoirement psychotiques. L’existence d’un retour à un état antérieur entre les épisodes dépressif et maniaque, en fait un trouble transitoire. Il y a également la mise en évidence dans certains cas de causes biochimique et génétique, où l’idée d’une psychogenèse était difficile à soutenir.

Les aspects cyclique, transitoire et la perte du contact avec la réalité permettent de différencier la PMD de la dépression, qui se caractérise chez le sujet par une perte d’un élan vital, un état dépressif chronique tout en restant conscient de ses troubles et en maintenant un contact avec la réalité. 

La PMD fait alterner dans sa forme complète ou bipolaire des accès dépressifs ou mélancoliques et des accès maniaques séparés par des intervalles libres de toute manifestation thymique ou psychotique. Premier accès vers 30 ans. La fréquence des épisodes est variable. Évolution aiguë : durée 6 à 8 mois. La fin de l’accès aigu peut se produire brutalement de quelques heures à quelques jours, avec risque d’inversion de l’humeur (passage à une phase d’excitation). Le risque suicidaire est constant tout au long de l’évolution et élevée au moment de la levée de l’inhibition. Évolution vers la chronicité lorsque :

-       Sujet plus âgé ;

-       Accès nombreux ;

-       Répétition des thèmes délirants ;

-       Accès successifs rebelles à la thérapeutique antidépressive ;

-       Détérioration intellectuelle associée.

·     Les accès mélancoliques : apparaissent à la suite d’un conflit familial, d’un deuil, d’un surmenage ou d’une affection somatique. Ces épisodes semblent survenir plus souvent chez la femme à l’automne et à l’hiver. Début brutal (tentative de suicide par exemple) qui surprend l’entourage par sa soudaineté. Le début est insidieux marqué par le développement progressif des troubles dépressifs. Le rendement intellectuel baisse et un ralentissement psychomoteur apparaît. Les signes cliniques sont : humeur triste avec douleur morale intense, inhibition psychomotrice avec ralentissement, perturbations neuro-végétatives (troubles du sommeil, digestifs, amaigrissement, ...), idéation délirante à thèmes mélancoliques (indignité, incurabilité, damnation, ruine, ...) et par des idées de suicide prégnantes ;

·     Les accès maniaques : Début brutal après des chocs émotionnels, des conflits affectifs, des difficultés professionnelles, des affections somatiques, deuil récent.

Les signes cliniques sont :

-       Hyperactivité inhabituelle et insomnie ;

-       Excitation psychique avec accélération des processus intellectuels, fuite des idées, discours diffluent, passage du coq à l’âne, perturbations majeures de l’attention et de la concentration ;

-       Excitation motrice plus ou moins importante avec hyperactivité souvent improductive, trouble des conduites sociales, démarches intempestives, déambulations nocturnes et matinales, hyperthymie expansive (euphorie morbide accompagnée d’une labilité thymique extrême – le patient passe du rire aux larmes, d’une attitude familière à une ironie agressive, d’un sentiment d’élation et de toute puissance à des attitudes provoquantes ou hostiles) ;

-       Des troubles de la vie instinctuelle constitués par une insomnie rebelle sans sensation de fatigue par une restriction de l’appétit avec déshydratation fréquente et par une hypersexualité avec ou sans hypergénésie.

Ces états maniaques s’accompagnent d’idées mégalomaniaques quasi délirantes avec projets grandioses, sentiments de grandeur, de richesse et d’infaillibilité, intuitions prophétiques, certitudes de découverte scientifique fondamentale. Thèmes érotiques ou idées délirantes de filiation voir idées de persécution avec revendication. Les mécanismes sont le plus souvent imaginatifs.

Le traitement : chimiothérapie après les bilans cliniques et biologiques (antidépresseurs, neuroleptiques). L’hospitalisation est souvent nécessaire (en fonction de l’évaluation de la gravité de l’état dépressif ou maniaque et les risques encourus par le patient). La psychothérapie constitue une thérapie complémentaire dont les effets sont souvent appréciables.

Vignette clinique : exemple de PMD

Madame C, 50 ans, mariée, mère de deux enfants est en inactivité et en invalidité professionnelle depuis un accident de voiture grave survenu deux ans auparavant. L’entourage de Madame C ne rapportent aucun épisode psychopathologique antérieur à l’accident où elle a effectué plusieurs « tonneaux » avant de sombrer dans un coma consécutif au traumatisme crânien. À son réveil, elle est plongée dans un état mélancolique sévère. Elle ne présente pas de séquelle cliniquement ou neuroradiologiquement objectivable. Mise sous antidépresseur, elle vire son humeur sur un mode maniaque avec une tonalité agressive sarcastique. Rapidement épuisante, son état impose une hospitalisation en service de psychiatrie où elle est mise sous neuroleptique. L’accès maniaque est maîtrisé en quinze jours. Madame C reste stable durant quelques jours avant de nous annoncer qu’elle ressent des prodromes d’un nouvel état dépressif. À partir de ce moment, Madame C n’a plus cessé d’alterner des épisodes dépressifs mélancoliques et des épisodes maniaques avec une forte participation somatique. La patiente se trouve enfermée dans une circularité maniaco dépressive sans intervalle libre. Les épisodes mélancoliques sont francs, impressionnant, volontiers délirants, mais les thèmes délirants sont congruents à l’humeur. Le ralentissement est sévère, l’amaigrissement est lié à une anorexie tenace. La peau est sèche, la patiente est allongée en « chien de fusil » sur son lit et dit attendre la mort. Au cours des états d’exaltation de l’humeur, Madame C est expansive, joviale, familière, elle chante à tue-tête et interpelle les uns et les autres. Sa peau est grasse, sa gloutonnerie lui fait prendre du poids. Le diagnostic de psychose maniaco-dépressive ne fait pas de doute.

E.   Psychoses délirantes aiguës ou bouffées délirantes aigues (BDA).

Pour la psychiatrie, dans sa composante descriptive des maladies, il y a donc des troubles chroniques et des troubles aigus, certains d’entre eux présentant des caractéristiques sémiologiques semblables. En revanche, la question est plus difficile pour les théories psychopathologiques structurales. En effet, la psychopathologie qui s’intéresse principalement au sujet risque de ne pas pouvoir rendre compte de la différence entre acuité et chronicité autrement qu’en termes d’événements déclenchants : si la structure du sujet est déterminante et si l’apparition de troubles manifestes est secondaire à un mode particulier d’organisation, la notion de trouble aigu devient moins importante.

Pourtant, le « vécu » de la personne est très différent selon qu’il s’agit d’un épisode ou bien d’un fonctionnement continu. Le défi lancé à la psychopathologie par ces troubles est donc clair : décrire les phénomènes psychologiques qui surviennent, leur logique et rendre compte de la continuité ou de la discontinuité entre la structure du sujet et l’épisode : peut-on présenter un trouble psychotique sans être psychotique ? La question des rapports entre le symptôme et la structure est donc très directement posée.

Le terme de bouffée délirante caractérise un état (transitoire) délirant d’installation brutale, à la symptomatologie riche et polymorphe, dont l’évolution est rapidement et spontanément résolutive, avec retour à l’état antérieur.

Le délire s’installe d’emblée en quelques heures parfois précédé par des phases d’inquiétude vague altérant avec des états d’exaltation, des moments d’anxiété, d’insomnie. Le délire est polymorphe et variable d’un moment à l’autre, dans les thèmes (toute puissance, filiation, persécution, influence) et ses mécanismes (hallucinations psychiques sans sensorialité : représentation de bruits, de paroles, odeurs, visions, mouvements, transformation de la pensée [elle fait écho, est deviné ou est imposée], hallucinations psycho-sensorielles : visuelles, auditives, gustatives, olfactives, cénesthésiques[3], kinesthésiques[4]). Il est immédiatement vécu avec une conviction totale et s’accompagne de fluctuations thymiques intenses, de l’euphorie à l’angoisse et la tristesse. Les expériences de dépersonnalisation et de déréalisation sont fréquentes : transformations morphologiques, modifications de la perception du monde, du temps, de l’espace... Le vécu a un aspect oniroïde : état de rêve délirant, ineffable, énigmatique et magique, coexistant de façon flottante avec le maintien de la perception du réel. Les troubles de l’humeur sont fréquents (exaltation affective tantôt mélancolique – avec abattement, tristesse, idée de mort, tantôt illuminée et triomphante – expansivité, agitation, tantôt anxieuse). Leur parenté avec les psychoses maniaco-dépressives est indéniable. Le comportement se caractérise par :

-       Un risque majeur de passage à l’acte agressif ou suicidaire avec risque d’actions médico-légales (vols, fugues, conduites dangereuses, agressions...) ;

-       L’importance de la quête affective ;

-       La recherche d’un rôle, d’un personnage, dans un discours souvent œdipien.

L’évolution à court terme se fait en quelques jours ou quelques semaines vers la guérison. La persistance du délire au-delà de ce délai doit faire récuser le diagnostic de bouffée délirante et faire craindre une évolution schizophrénique chronique ou vers une psychose maniaco-dépressive.

Le traitement nécessite une hospitalisation. L’obtention rapide d’une sédation du délure et des troubles affectifs relève d’un traitement par les neuroleptiques incisifs (anti-délirants) et sédatifs (pour réduire l’angoisse et l’agitation). Souvent on a recours à la sismothérapie en raison de son efficacité de sa rapidité d’action.

F.   La psychose puerpérale.

Le cours de la grossesse s’accompagne souvent de manifestations névrotiques liées à des facteurs biologiques, psychologiques et sociaux. Il est rare qu’une schizophrénie débute pendant la grossesse. Les suites à court terme d’un accouchement sont souvent marquées par une phase dépressive brutale et transitoire (post-partum : rumination accompagnée de troubles du sommeil sous forme d’insomnie avec cauchemars et agitation nocturne) qui peut cependant être parfois annonciatrice d’une psychose puerpérale survenant entre le 5ème et 25ème jour.

Cette dernière réalise un tableau confusionnel avec vécu oniroïde généralement centré sur l’enfant (la naissance récente peut être niée : l’enfant n’est pas encore né ou n’a jamais existé ou n’est pas du sexe déclaré à l’état civil, ou vécu sur un mode persécutoire : il va mourir, risque d’être tué ou enlevé et oscillations thymiques (abattement dépressif, stupeur, angoisse intense). Elle nécessite un traitement neuroleptique d’urgence en milieu spécialisé avec si possible une hospitalisation conjointe de l’enfant. Son pronostic est variable : bon au prix parfois de nouveaux épisodes puerpéraux ou plus préoccupants annonçant une schizophrénie ou un PMD. Une dépression peut également s’installer dans les mois qui suivent l’accouchement, avec une évolution parfois traînante lorsqu’elle survient sur une personnalité de type hystérique.

Vignette clinique : exemple de psychose aiguë (BDA)

Roland, 20 ans, a été adressé en urgence à cause de discours bizarres apparus récemment, après plusieurs nuits d’insomnies. Il tient des propos décousus, s’oppose à tout entretien. Il est très agité et paraît désorienté dans le temps à certains moments. Il déclare « ce sont les médiums qui m’ont jeté des sorts, l’ai vu dans leur regard », « je suis un grand, je suis le Dieu, je suis mort, je vais renaître ». Au cours de l’entretien, à plusieurs reprises il suspend sa conversation, le regard fixé dans l’espace. Il dira un peu plus tard que les gourous lui parlaient et qu’ils répétaient dans sa tête « maintenant c’est fini ». II passe du rire aux larmes et semble vivre intensément l’expérience dont il est l’objet. Les regards de « ceux qui savent » (les médiums) le brûlent, à tel point qu’il se plaint de douleurs cutanées et cherche à dissimuler ses mains et son visage. Il ne peut regarder autour de lui à cause du risque de brûlures. À d’autres moments il paraît plus sûr de lui, se redresse et parle avec une certaine emphase des « pouvoirs » qu’il leur a pris. Il n’a jamais eu de problèmes de cet ordre, mais semble avoir mal réagi à l’annonce du divorce de ses parents. Il l’a appris alors qu’il était isolé, en début d’année, dans une université nouvelle pour lui. Après quatre semaines de traitement, ses idées délirantes ont disparu, il en garde un souvenir déplaisant et tente de rattraper le temps qu’il a perdu. En thérapie, il évoque à plusieurs reprise le lien troublant entre les pensées sur sa chance d’avoir une famille unie et l’annonce de la séparation de ses parents : « coup de tonnerre dans le ciel qui me paraissait serein. Tout s’est effondré et les ordres ont commencé à vibrer ». (Pedinielli, 2002).

Conclusion sur les psychoses :

Les psychoses représentent un ensemble morbide marqué par une rupture radicale avec la réalité et dont la gravité est importante. Les principales formes cliniques sont les schizophrénies (marqués par la dissociation) et les troubles délirants chroniques (marqués par le délire) et les psychoses aiguës marquées par la brutalité des troubles. Sur le plan de l’interprétation des phénomènes morbides ; il apparaît, d’un point de vue psychanalytique, que les symptômes négatifs (retrait de la réalité, repli sur soi) sont à entendre comme un désinvestissement massif d’une réalité non conforme au Moi, les troubles positifs (productifs) comme le délire et les hallucinations apparaissent comme des tentatives de guérison, de réinvestir la réalité plus conforme au Moi.

Synthèse sur la psychose :

·     Présence de délires ;

·     Une absence d’adaptation au système de réalité ;

·     Le sujet est non conscient du caractère pathologique de ses troubles ;

·     Le conflit psychique fait affronté le Moi et la réalité qui est rejetée ;

·     Les pulsions s’extériorisent sous forme de productions délirantes et hallucinatoires : le sujet crée une néo-réalité conforme à son désir ;

·     Le sujet psychotique cherche à annuler sa réalité extérieure.

VI.          La perversion : repères cliniques et psychopathologiques.

A.   Un peu d’histoire pour mieux saisir l’évolution du concept.

L’adjectif « pervers » est attesté dès 1190, comme dérivé de « perversitas » désignant l’extravagance, l’absurdité, la corruption, le dérèglement, la dépravation et de « perversus », participé de « pervertere » signifiant « retourner », « renverser », et dans une connotation péjorative « renverser les mœurs elles-mêmes », « retournement fâcheux ». Au XVIIIème siècle, la notion de perversion a un sens bien établi dans le domaine médical : elle qualifie une « altération », et en particulier une altération des humeurs ou de perversion des humeurs selon Portal (1803), renvoyant à un processus de viciation et de perte de la qualité normale des fluides (le sang, la bile, la lymphe) induisant des manifestations pathologiques, en les acidifiant, en les épaississant, en les faisant fermenter. En 1873, le Littré, définit la « perversion » en l’appliquant à la psychologie. Est pervers qui détourne une règle, une loi, un fonctionnement physiologique, un processus, pour un surplus de plaisir, de jouissance, parfois à l’insu du sujet lui-même. Progressivement, les termes de « perversion des humeurs » sont proposés pour nommer un changement qualitatif, une modification de la qualité des humeurs pouvant aboutir à la maladie, voire à la mort.

Au début du XIXème siècle, la médecine s’intéresse à ce qu’elle nomme les altérations, les déviations, les aberrations des instincts ou encore de perversion des instincts désignant des actes aberrants liés à une force qui pousse irrésistiblement à l’action. Aussi, les instincts deviennent l’objet d’une classification médicale en fonction de leur mobilité : ils peuvent faire l’objet d’affectations spécifiques, localisées, qualifiées alternativement de « monomanie instinctive », de « monomanie affective », de « perversion de l’instinct ». Est formulée ainsi toute une description de la pathologique des différents instincts, instincts envisagés comme des « fonctions » essentielles de la vie, indépendantes de tout acte intellectuel et susceptibles de présenter des « perversions ».

Dans les années 1820/1850, la perversion fait l’objet de débats médico-légaux opposants la notion médicale de « perversion maladive » et la notion juridique de « perversité morale ». Sur la base de ces débats, la définition du concept de perversion en psychiatrie s’est établie et s’est précisée, notamment par sa distinction avec la perversité.

C’est dans ce cadre politique et idéologique que la psychiatrie reproche ainsi aux magistrats de confondre ou d’amalgamer la notion de perversité se rapportant à une conduite vicieuse volontaire et habituelle et celle de perversion (renvoyant pour la psychiatrie de l’époque) à une perturbation maladive des penchants qui conduit des personnes à agir sans vouloir leurs actes. Certains psychiatres, comme Falret (1854) et Morel (1857), vont récuser le principe même d’une perversion en tant que « monomanie instinctive » (définit comme un délire partiel, localisé dans tel acte ou tel fonction) pour affirmer qu’elle est le fait d’un « état plus général et plus profond ».

La perversion, de tel ou tel penchant, n’est donc plus considérée comme un phénomène isolé et accidentel dans la personnalité du sujet mais comme un trait fondamental de cette personnalité de laquelle peuvent germer divers phénomènes pathologiques.

Peu à peu, la distinction entre perversion et perversité s’affirme dans la clinique psychiatrique. Il est désormais admis que les perversions se rapportent au comportement sexuel tandis que la perversité désigne une disposition permanente du caractère, la duplicité cruelle et maligne.

Le débat psychiatrique sur la notion de perversion est relancé au milieu du XIXème siècle, dans un contexte de législation sévère à l’encontre de l’homosexualité dans certains pays. Plusieurs études psychiatriques ont pour but de faire connaître et reconnaître l’homosexualité comme un phénomène n’ayant rien de monstrueux, mais représentant une variété d’accès à la jouissance. Les travaux de Richard von Krafft-Ebing (1896) ou encore Havelock Ellis (1897) sur l’étude psychiatrique des anomalies et les conduites sexuelles perverses (telles que l’homosexualité, l’exhibitionnisme, le sadisme, le masochisme, la pédophilie ou encore la gérontophilie) participent à délimiter le domaine des perversions en y intégrant toutes les satisfactions érotiques dont la conservation de l’espèce ne semble pas l’objectif. Ces auteurs cherchent à décrire la perversion comme une entité clinique psychiatrique dans ses différentes formes et la définiront comme une déviation de l’instinct. La perversion est classifiée dans la nosographie psychopathologique à la fin du XIXème siècle.

Avec la psychanalyse, les débats sur la perversion prennent un tout autre tournant. S’inspirant des travaux de Krafft-Ebing (1896), Moll (11893), Havelock Ellis (1897), Freud remet en question le rôle de l’hérédité dans la genèse de la perversion. Pour l’auteur, les perversions sont, non pas liées à des phénomènes de dégénérescences, mais en relations avec des phénomènes psychiatriques, subjectifs et non biologiques.  

B.   Clinique psychanalytique de la perversion.

La perversion occupe une place centrale pour la clinique psychanalytique. Les travaux du fondateur de la psychanalyse auront pour préoccupation première de sortir de la perversion de sa connotation morale. Comme le rappelle Dubré (1996), pour Freud « il n’y a de perversions que sexuelles », loin de perversion du sens moral ou des perversions des instincts, Freud ne parlera que de perversion qu’en relation à la sexualité. L’auteur essaie de conceptualiser l’unicité du processus psychopathologique de la perversion mais au fil des remaniement de la métapsychologie ce processus va s’organiser selon plusieurs modèles successifs (quatre modèles présentés ci-après) qui feront de la perversion une catégorie psychopathologique instable, d’abord proche de la névrose puis de la psychose. Par la suite, d’autres auteurs considérerons la perversions (notamment depuis les travaux de Bergeret) comme une forme d’états limites opposés aux névroses et aux psychoses.

Nous verrons plus loin en quoi la clinique psychanalytique contemporaine a contribué à élargir le concept de perversion sur un plan métapsychologique.

Dans le Vocabulaire de la psychanalyse, Laplanche et Pontalis rappellent la définition de la perversion que Freud reprend à la psychiatrie du XIXème siècle : « Déviation par rapport à l’acte sexuel « normal », défini comme coït visant à obtenir l’orgasme par pénétration génitale, avec une personne du sexe opposé » (Laplanche, Pontalis, 1978, p. 307)

1.     La perversion selon Freud.

Ainsi que nous l’évoquions précédemment, la pensée de Freud concernant les perversions va évoluer tout au long de son œuvre, elle sera l’occasion de nouveaux remaniements théoriques. Les bases de la réflexion freudienne sont posées dans les Trois essais sur la thérapie de la sexualité (1905) dans lesquels Freud envisage la perversion comme une composante psychologique universelle. Notons cependant que pour Freud, l’enjeu n’est pas d’élaborer une théorie de la perversion mais de fonder sa propre « théorie sexuelle ».

« Les perversions ne sont ni des bestialités, ni de la dégénérescence dans l’acceptation pathétique du mot. Elles sont dues au développement de germes qui tous sont contenus dans la prédisposition sexuelle non différenciée de l’enfant, germes dont la suppression ou la dérivation vers des buts sexuels supérieurs – la sublimation – est destinée à fournir des forces d’une grande part des œuvres de la civilisation » Freud, 1905, 35-36.

 


 

a)    Disposition perverse polymorphe de l’enfant. La perversion comme régression et la fixation à la sexualité infantile.

La disposition perverse polymorphe de l’enfant : Les Trois essais sur la théorie de la sexualité (1905) sont pour Freud l’occasion d’exposer ses théories sur le développement sexuel caractérisé par son instauration en deux temps : la petite enfance et la puberté. Pour Freud, la sexualité infantile est perverse en soi parce que caractérisée par deux éléments majeurs : son auto-érotisme et le primat des pulsions partielles. C’est dans ce sens-là que l’on peut dire, avec S. Freud (1905, page 118), que « L’enfant a une disposition perverse polymorphe[5] ». La problématique œdipienne, l’angoisse de castration, la peur de perdre l’amour de l’objet, la constitution d’un Surmoi, instance héritière du complexe de l’Œdipe à l’origine de la conscience morale, amènent l’enfant à renoncer à cet auto-érotisme par la promotion de l’investissement de l’objet. Les pulsions partielles se soumettant au primat du génital infantile. Cette sexualité perverse polymorphe sombre partiellement sous l’effet du refoulement mais également avec la latence qui permet de contenir et de détourner le débordement pervers infantile en préparant la synthèse et la subordination des pulsions partielles à la puberté. Pour l’adolescent, la voie vers la sexualité adulte passe d’une part, par la représentation de la sexualité infantile qui fait renoncer aux plaisirs infantiles et hiérarchise les zones érogènes en les subordonnant à la génitalité, et d’autre part, par la prohibition de l’inceste qui marque le sexe de l’objet d’amour en interdisant le plus proche de l’enfant (Lanteri-Laura, 2012)

Pour rappel : Freud postule que la sexualité humaine ne commence pas avec la capacité physiologique de la reproduction, soit la puberté, mais est inscrite au plus profond de l’homme dès sa naissance. Freud (1905) met en évidence l’existence d’une sexualité infantile précoce fondée sur les expériences de satisfaction des besoins fondamentaux. L’apaisement obtenu dans la satisfaction des besoins donne naissance à la recherche d’un plaisir indépendant de cette satisfaction.

Après être passée par un objet externe (le sein maternel), la satisfaction sexuelle est obtenue par l’investissement d’une partie du corps propre de l’enfant : passage de la succion (comme activité fonctionnelle et adaptative visant au maintien de la survie par la satisfaction du besoin) au suçotement, activité purement érotique ne visant qu’à obtention du plaisir. Chaque zone érogène est investie pour elle-même. Il décrit ainsi une sexualité infantile dont la base pulsionnelle s’organise autour d’orifices ou de zones innervés et vascularisés, qui suit des stades de développement (oral, anal, phallique, génital), et qui subit des remaniements (refoulement, déplacement...) auxquels s’ajoutent des traumatismes individuels. Cette sexualité est dite auto-érotique, c'est-à-dire que le corps n’a besoin ni d’un autre corps ni d’un objet extérieur à lui : excitation par les lèvres et la langue dans l’oralité, par les matières fécales et le sphincter strié dans l’analité, par les mains dans la masturbation des organes génitaux. De plus, la sexualité infantile s’étaye sur une fonction physiologique qui satisfait un besoin (par exemple la faim), le plaisir étant obtenu par l’excitation d’une zone érogène, source d’une pulsion partielle.

Avec la puberté et l’instauration du primat génital, le sujet investit de nouveaux buts sexuels et ne nouveaux objets dans la génialité. Les objets sexuels infantiles auxquels l’enfant était attaché sont désinvestis.

Du primat des zones érogènes qui organisent la sexualité perverse polymorphe au primat des zones génitales qui caractérisent la sexualité adulte, la libido change de camp. La problématique œdipienne, l’angoisse de castration, la peur de perdre l’amour de l’objet, la constitution d’un Surmoi, instance du complexe d’Œdipe à l’origine de la conscience morale, amènent l’enfant à renoncer à cet auto-érotisme par la promotion de l’investissement de l’objet, les pulsions partielles se soumettant au primat génital infantile. Il s’agit tout d’abord de renoncer aux satisfactions authentiques de la sexualité infantile, pour atteindre, après une période de latence, une expérience du plaisir dans l’objet soit quelqu’un de l’autre sexe et dont le but soit la réunion des organes génitaux masculin et féminin. Le développement naturel de la sexualité suppose donc une issue favorable du complexe d’Œdipe, de manière à ce qu’elle ne soit plus auto-érotique, mais prenne pour objet le sexe opposé, et qu’elle ne reste pas anarchique mais subordonne les autres zones érogènes à la génitalité.

La perversion chez l’adulte : Freud rapproche ce que l’on observe dans les perversions adultes de l’activité sexuelle polymorphe de l’enfant. C’est donc à partir de la notion de perversité polymorphe de l’enfant et de la théorie des pulsions partielles que Freud propose une première conception des perversions de l’adulte comme régression et fixation à la perversité infantile. Ce sont, la fixation incestueuse de la libido aux objets d’amour infantile (auxquels l’enfant doit renoncer à la puberté) ainsi que la régression à des organisations prégénitales résultats des inhibitions du développement sexuel normal, qui font les perversions. L’auteur perçoit alors la perversion comme une sexualité de caractère infantile et propose de considérer que les perversions adultes résultent de la fixation ou de régression à des stades libidinaux de cette période de l’enfance où :

-       La sexualité est dominée par les pulsions partielle, la prégénitalité ;

-       L’angoisse de castration ne produit pas ses effets ;

-       La conflictualité psychique reste embryonnaire.

Tel que le précise Marty (2007), la perversion pathologique chez l’adulte reprend les traits de la sexualité infantile (notamment perverse et polymorphe) qui, elle, ne constitue qu’une étape sur le chemin de la sexualité adulte. Ce qui caractérise le sexuel humain, c’est son caractère biphasé, le sexuel infantile n’en constituant que la première phase, la deuxième étant la puberté et l’instauration de la génitalité. Entre les deux, la latence qui permet, dans son au-delà, la reprise dans l’après-coup de ce sexuel infantile refoulé. Dans la perversion, c’est ce bi-phasage qui pose question, comme si la latence n’avait pas permis de reprise de la sexualité infantile, comme si la sexualité infantile poursuivait son chemin sans refoulement (Marty, 2007).

Ainsi, ce qui domine et qui est commun chez l’enfant pervers polymorphe et chez le pervers adulte, c’est la recherche à tout prix d’une satisfaction qui ne rencontre pas de limite internes, qui n’est pas subordonnée à la recherche de l’objet total comme pouvant apporter dans la rencontre intersubjective la satisfaction et la complémentarité sexuelles. La perversion résulterait d’une sorte d’arrêt du développement de la libido qui n’irait pas jusqu’à l’investissement de l’objet total dans la sexualité génitale ou d’une régression jusqu’à ce stade de son organisation (prégénitalité). Elle poursuivait comme but la recherche impérative de la satisfaction libidinale comme au temps de l’enfance, dans un mouvement anarchique, en ne tenant compte que de cet impératif.

Aussi, de nombreuses perversions de l’adultes représenteraient l’amplification et la spécialisation de telle ou telle partie de la sexualité infantile. Dans ce cas, l’adulte diffère de l’enfant car, loin d’être polymorphe, il est plutôt monomorphe : le sujet adulte n’évolue plus, car il se fixe à un certain comportement et le répète sans en changer.

Pour Freud, il y a perversions quand l’orgasme est obtenu avec d’autres objets, d’autres zones corporelles (évitement des organes génitaux), par rapport à la sexualité adulte définie, quant à elle, comme relation soumise à l’organisation génitale avec une personne du sexe opposé. Selon l’auteur, la perversion se caractériserait par des déviations de la libido quant au but : transgression anatomique des zones corporelles destinées à l’union sexuelle, arrêt aux relations intermédiaires avec l’objet sexuel (toucher, regarder), entretient d’une relation sadique ou masochiste avec l’objet.

Notons ici que, selon Freud (et plus généralement pour la clinique psychanalytique contemporaine), plusieurs anomales du but sexuel sont considérées comme pathologiques, non pas de par le comportement lui-même, mais du fait que ce dernier devienne prévalant, exclusif, la condition même de l’orgasme.

b)    La perversion comme régression et fixation au narcissisme.

Ce modèle dérive du précédent. La perversion est toujours une régression de fixation, non plus à la prégénitalité, mais au narcissisme (Freud, 1914). Là encore, les perversions permettent à Freud d’introduire le concept de narcissisme dans la métapsychologie et de proposer un nouveau dualisme qui oppose libido narcissique et libido objectale. L’auteur caractérise « les pervers » par leur type de choix d’objet (il est narcissique) et leur régression narcissique en de ça de l’idéal du Moi.

Pour le pervers le choix de l’objet narcissique « a pour but et pour satisfaction d’être aimé ». La perversion comme régression narcissique en de ça de l’idéal du Moi intervient dans l’idéal du Moi (substitut du narcissisme perdu de l’enfance) n’a pu se développer, ni donc produire « du côté du Moi » le refoulement.

En 1915, Freud développe et poursuit l’analyse pulsionnelle des perversions. Il donne alors une importance centrale à l’un des destins pulsionnels (à côté du refoulement et de la sublimation) : le retournement. Freud fait l’hypothèse que le retournement de la pulsion en son contraire (de l’activité à la passivité) ou sur le sujet lui-même (du voyeurisme à l’exhibitionnisme, du sadisme au masochisme) aurait une fonction défensive (narcissique).

c)    La perversion héritière au complexe d’Œdipe.

Freud (1919) constate la fréquence du fantasme infantile de fustigation chez ses patients hystériques et obsessionnels. Interrogeant sa signification et son destin, pour l’auteur un tel fantasme « ne peut être conçu que comme un trait primaire de perversion ». Aussi, les processus sont susceptibles d’entraver cette perversion infantile font défaut « alors la perversion se maintient dans l’âge mûr » et peut induire chez l’adulte un comportement sexuel aberrant (pas seulement masochiste). Là encore, le modèle de la fixation prévaut. Freud s’attache ici à l’analyse de fantasme masochiste de l’enfant « empêtré dans les excitations de son complexe parental » et non au comportement masochiste de l’adulte. À partir de cette analyse, Freud fait dépendre les perversions du complexe d’Œdipe : un tel fantasme[6] (et d’autres fixations perverses analogues) ne serai(en)t alors que des cicatrices ou des séquelles du complexe d’Œdipe.

La perversion serait à comprendre comme une cicatrice laissée par le complexe d’Œdipe. Entre le masochisme infantile posé comme le paradigme (œdipien) des perversions er la théorisation du fétichisme (Freud, 1927) qui deviendra le modèle des perversions tel que nous le verrons en suivant, et avec le remaniement pulsionnel de 1920, Freud introduit l’hypothèse (sans réellement l’explorer) d’une désunion pulsionnelle comme mécanisme susceptible de produire la perversion. Le sadisme devient en effet un exemple de la pulsion de mort « non mélangé aux pulsions de la vie ce sadisme vise l’anéantissement de l’objet mais son intrication à Éros donne la pulsion sexuelle sa composante sadique » (Freud, 1920). Freud revient sur le fantasme de fustigation et les dispositifs réels des pervers masochistes qui le mettent en scène : étayés sur le masochisme érogène, ces scénarios satisferont le besoin de punition lié au sentiment de culpabilité inconscient (masochisme moral). C’est de la désunion pulsionnelle du sadisme d’avec d’Éros que pourrait naître la perversion. Les mécanismes du fétichisme vont prendre une place déterminante dans la psychopathologie et la métapsychologie freudienne. Pour Freud (1927), le fétichisme devient explicitement le modèle de la toute perversion.

d)    Le fétichisme comme paradigme des perversions.

Le fétichisme apparaît dans l’œuvre freudienne avant 1927. Il se constitue par surestimation (idéalisation) et investissement sexuel d’un objet-substitut (exemple : la chevelue, les pieds...), par représentation (1905) ou souvenir-écran (1920) lié à un objet sexuel primaire, auto-érotique. La surestimation ou l’idéalisation de l’objet sexuel ou de sa pulsion sont pour Freud le processus d’où naît le fétiche. Pour l’auteur, la surestimation de l’objet n’est pas pathologique en tant que tel « un certain degré de fétichisme se retrouve régulièrement dans l’amour normal » nous dit-il (1905). L’idéalisation de la pulsion sexuelle, quant à elle, témoigne d’une importante activité psychique de transformation ou de la sublimation.

Le fétichisme devient pathologique que s’il y a fixation au fétiche. Après avoir évoqué le rôle de l’analité dans la genèse du fétiche, Freud (1927) va centrer la perversion sur la relation au phallus et le rôle déterminant du complexe de castration.

« Le fétiche est le substitut du phallus de la femme (la mère) auquel a cru le petit enfant et auquel, nous savons pourquoi, il ne veut pas renoncer. Le processus est donc celui-ci : l’enfant s’était refusé à prendre connaissance de la réalité de sa perception : la femme ne possède pas de pénis. Non ce ne peut être vrai car si la femme est châtrée, une menace pèse sur la possession de son propre pénis à lui, ce contre quoi se hérisse ce morceau de narcissisme dont la nature prévoyante à justement doté cet organe » Freud, 1927, p.134

Le fétiche apparaît comme la solution perverse face à une angoisse de castration provoquée par la différence des sexes et l’absence effective de pénis chez la femme. Il incarne et maintient au-dehors la trace et le recouvrement de la trace du conflit interne entre le fantasme et la réalité dont témoigne la perception visuelle du sexe opposé. La reconnaissance qu’une partie du Moi fait de cette réalité, tandis que l’autre la désavoue, donne lieu au clivage du Moi, un mode de défense différent du refoulement dans la mesure où, ce déni porte sur la réalité extérieur – et non sur la réalité interne – et sur un point précis de cette réalité : la différence des sexes. C’est également un élément du monde extérieur qui devient prévalant pour le fétichiste. Notons ici que le clivage du Moi n’est pas spécifique de la perversion mais peut se manifester à toutes les organisations psychiques. Cette défense est susceptible de se mettre en place à chaque fois qu’une certaine fantasmatique sexuelle viens menacer la stabilité narcissique du Moi.

Ainsi, le fétichisme est devenu au fil de l’élaboration freudienne le modèle de toute perversion, sinon la perversion elle-même. Comme le souligne Neau (2004), c’est avec le fétichisme que Freud réduit le pluriel des perversions au singulier d’une catégorie psychopathologique. Le pervers devient dès lors celui qui déni la réalité de sa perception ainsi que la portée symbolique de la différence des sexes, en restant particulièrement fixé à la représentation du pénis féminin.

e)    La perversion, entre névrose et psychose.

Freud a varié sur sa façon de comprendre la perversion qu’il situe d’abord sur l’axe des névroses puis sur l’axe des psychoses dans l’Abrégé de psychanalyse (1938).

Rappel : Dans les Trois essais Freud souligne en quoi c’est un même processus de fixation ou de régression aux motions infantiles perverses en soi qui est à l’œuvre dans les symptômes des névrosés comme dans les conduites perverses « la névrose est pour ainsi dire le négatif de la perversion » avance-t-il (1905, p.81). Dans Un enfant est battu, la perversion comme névrose partage le même noyau : le complexe d’Œdipe dont elles sont les restes. L’analyse du fantasme masochiste de fustigation, qui résulte de l’amour œdipien pour le père, sur un versant sadique pour la fille et masochiste pour le garçon, rapproche l’organisation névrotique de l’organisation perverse, même si le destin de ce fantasme diffère selon les sexes conduisant les femmes à la névrose et les hommes à la perversion.

C’est finalement à partir de l’étude du fétichisme que Freud rapproche progressivement la perversion de la psychose. Dans la perversion, comme dans la psychose, le conflit psychiatrique se déploie entre le Moi et le monde/la réalité extérieure, tandis que la névrose naît d’un conflit intrapsychique entre le Moi et le Surmoi, ou le Ça. Toutefois, psychose et perversion présentent des différences. Dans la perversion, le déni ne porte que sur une partie de la réalité. De même, le clivage de type pervers entre les deux positions – celle qui déni une partie de la réalité (absence de l’objet ou absence du pénis féminin) et celle qui la reconnaît – permet la coexistence de ces deux positions et le maintien dans l’ancrage de la réalité. Dans la psychose, un des deux courant, celui fondé sur la réalité a vraiment disparu. Pour Freud, ce rejet de la réalité caractérise la psychose (comme déni de la réalité de la différence des sexes signe de la perversion, et sa reconnaissance la névrose). Une autre différence distingue la perversion de la psychose : dans sa construction fétichiste, il y a un travail d’élaboration psychique qui s’apparente au travail du rêve, qu’il n’y a pas dans le délire psychotique caractérisé par la réalisation hallucinatoire de désir où la satisfaction se veut immédiate.

Rappel : Dans Pour introduire le narcissisme, Freud affirme que le choix d’objet du pervers est narcissique. L’auteur renforce ce rapprochement entre perversion et psychose : la relation d’objet narcissique caractérise aussi les sujets psychotiques, l’identification narcissique est commune à la mélancolie et à la perversion. Les pervers s’en trouvent pathologisés. Dans le fétichisme, cette proximité se renforce encore. Psychose et perversion ont en commun de détournement de la réalité et des mécanismes de défense identiques : le déni et le clivage.

2.     La perversion après Freud : approfondissements et ouvertures psychanalytiques.

Comme le soulignent Laplanche et Pontalis (1978, p.308) « en psychanalyse » beaucoup d’auteurs classiques « ne parlent de perversion qu’en rapport à la sexualité ». Ainsi, après Freud, la clinique de la perversion a fait l’objet d’une importante théorisation comme en témoigne la littérature clinique psychanalytique postfreudienne et contemporaine. Les successeurs de Freud privilégient, les uns et les autres, chacune des pistes ouvertes par lui, à savoir la perversion résultant des troubles de la prégénitalité, la fonction défensive de la constitution de l’objet-fétiche, le statut métapsychologique de la perversion.

Parmi les travaux les plus significatifs s’orientant vers les troubles de la prégénitalité, citons pour exemple ceux de Mélanie Klein (1927) qui renforcent le point de vue freudien sur la perversité polymorphe de l’enfant : les fixations à des fantasmes sadiques-oraux et sadique-anaux très précoces et refoulés constitueraient « la base de toutes les perversions ».

S’agissant des travaux fondamentaux s’orientant vers la constitution et/ou la fonction défensive de l’objet-fétiche, citons pour exemple ceux de :

a)    Janine Chasseguet-Smirget (1984) ou de Guy Rosolato (1970) signalant le rôle majeur du complexe de castration dans les perversions. Ces travaux confirment en quoi ces dernières se caractérisent par le déni de la génitalité et l’idéalisation concomitante de l’analité, en deçà de la différence des sexes et des générations. Cette idéalisation de l’analité ou cette régression anale sur laquelle se fonde la perversion résulte de la projection de l’idéal du Moi (héritier du narcissisme primaire) sur les fèces ;

b)    Phyllis Greenacre (1953) pour qui est la construction même du fétichisme (que l’auteure rattache au registre narcissique), paradigmatique de la perversion, résulterait d’un trouble des identifications sexuelles précoces. L’auteure insiste sur les difficultés d’individualisation dont procéderait le fétiche en créant une cristallisation qui tendrait à limiter le développement des premières relations ;

c)    Évelyne Kestemberg (1978) qui, dans la même lignée que les travaux de Greenacre, analyse l’instauration d’une relation fétichiste à l’objet comme une défense face à une menace d’anéantissement au plus près de la psychose. La fétichisation (perverse) signerait une complétude de la construction narcissique ;

d)    Paul-Claude Racamier (1985) pour qui « un colmatage perversif des angoisses psychotiques » peut être un recours dans des « perversions narcissiques non érogènes » ou des « perversités narcissiques » : le sujet nourrit son propre narcissisme aux dépend d’autrui dans un mode de relation où, à la suite de la projection sur l’autre de ses propres déchirures et souffrances, le Moi de l’autre se trouve disqualifié ;

e)    Robert J. Stoller (1978) faisant de la perversion « la forme érotique de la haine ». L’auteur soutient que l’acte pervers est fondamentalement un acte d’agressivité ou l’homme doit posséder et détruire la mère pour éviter le retour fusionnel et la perte de son identité sexuelle masculine.

Enfin, concernant les travaux significatifs à propos du statut métapsychologique de la perversion, citons pour exemple les travaux de Jacques Lacan (1957) centrés sue le complexe d’Œdipe et ses avatars. En s’appuyant sur l’article de Freud « un enfant est battu » (1919), c’est en termes de structure que Lacan comprend la notion de perversion, soulignant ainsi, au-delà des pratiques sexuelles perverses relativement contraignantes, une articulation spécifique de la relation de désir dans la triangulation œdipienne à côté des structures normales, névrotiques et psychotiques.

Dans la structure perverses la triangulation de la relation de désir ne se fait pas : cette relation se limite à une triade imaginaire « mère-enfant-phallus » avec une mise hors-jeu de l’instance paternelle susceptible d’introduire à « la relation symbolique » et à « l’ordre symbolique ». Dans la structure perverse, ne sont opérantes ni la menace de castration paternelle ni l’identification paternelle : le sujet pervers n’a pu « se référer » au Père en tant qu’agent de la castration et support de la loi. Cette loi se trouve, en effet désavouée (ici le désaveu est la traduction lacanienne du déni freudien « Verleugnung », mais du point de vue lacanien, ce que désavoue le pervers, ce n’est pas tant la réalité de la différence des sexes (effectivement perçue par le pervers), que la portée signifiante de cette réalité à savoir : la loi de prohibition de l’inceste en tant qu’elle fonctionne dans l’inconscient comme une loi de castration symbolique. Loin de l’ignorer du fait d’un Surmoi défaillant, le pervers provoque et défie la loi du législateur afin d’y substituer son propre désir (quitte à se faire à son tour moraliste, initiateur, créateur de monde...).

Notons que chez Lacan, les problématiques de la perversion et du narcissisme sont indissociables dans la mesure où la relation subjective mère-enfant est perverse et narcissique (Lacan, 1957).

3.     Pour conclure : La perversion, nouveaux repérages, nouvelles cliniques.

Les travaux résumés précédemment nous conduisent à souligner que « les perversions » occupent une place au carrefour d’un certain nombre d’organisations psychiques ou psychopathologiques, notamment, en termes de mécanismes de défense et de problématique. La question demeure de cerner plus précisément cette place : par exemple la perversion constituerait-t-elle une composante de fonctionnement psychiatrique spécifique au même titre que la névrose ou la psychose ?

Ainsi, après Lacan, d’autres cliniciens pensent la perversion d’une part, au-delà des pratiques sexuelles perverses et d’autre part, en la spécifiant telle qu’une « véritable » organisation perverse de la personnalité autrement dit, un mode de fonctionnement de la vie psychique caractérisé. Précisions alors que nous parlons d’organisation perverses, nous nous situons au sein des aménagements possibles de l’état-limite proposé par Bergeret (1970).

Enfin, dans la continuité des travaux précurseurs, certains cliniciens contemporains cherchent à approfondir la clinique de la perversion en rapport aux sexualités dites perverses (comme par exemple, le fétichisme, l’exhibitionnisme, le voyeurisme, le masochisme, le sadisme...) et/ou délictueuses (comme par exemple la pédophilie), d’autres tentent d’étendre la psychopathologie de la perversion à d’autres problématiques dans lesquelles la masochisme est massivement convoqué telles que les addictions (McDougall, 1982, 1996), les troubles des conduites alimentaires (Chabert, 1999), les conduites violentes (Jeammet, 1991, 1997 ; Balier, 1996). Tous ces travaux constituent de véritables avancées théoriques et pratiques pour la clinique psychanalytique contemporaine.


 

Conclusion générale.

La psychologie clinique au défi des symptômes contemporains (Vavassori, Harrati, 2018).

Depuis trois ou quatre ans, l’évolution de la psychologie et de la profession de psychologue est marquée par plusieurs rencontre scientifiques importantes et par la parution d’une série d’ouvrages ou d’articles portant sur l’état de notre discipline, sur son unité et sur sa diversité, sur les modalités de son inscription sociale et politique, sur son avenir.

La psychologie clinique résulte d’une conjonction entre l’évolution de notre profession et l’évolution historique de notre société dans son ensemble, une société moderne pouvant être qualifiée de complexe. Le développement économique des dernières décennies s’est traduit par une modification des structures sociales dans les pays industriels avancés. Ces mutations sociales soutenues par un modèle de gestion néolibéral ont bousculé le temps du sujet, obstruant notamment les notions d’historicisation, de résistance du symptôme et d’après-coup. De ce fait, l’économie du symptôme est moins à entendre dans ses apports avec l’inconscient qu’avec ceux des logiques managériales et de rendement.

Cette évolution économique et sociale inscrit ainsi le psychologue clinicien dans une position inconfortable. Cet inconfort tient à ce que l’objet de notre profession se confronte à différents discours visant à confisquer un discours soucieux d’une clinique du singulier aux prises avec une épistémologie complexe du sujet souffrant, un regard témoignant d’une clinique de l’histoire du sujet dans ses dimensions temporelles : psychiques, mais aussi biopsychosociales. Cette position d’inconfort génère la crainte de disparaître dans la marée d’une idéologie sanitaire et sécurisante et de revendications scientistes. De ce fait, elle est aussi pour la psychologie clinique psychanalytique une invitation à penser l’avenir en termes de pouvoir – au sens d’une position d’action – pour rester sur la scène sociale. L’enjeux n’est pas mince, car il s’agit pour nous, psychologues cliniciens, de choisir entre assumer notre position « de pouvoir » au sein de la société ou disparaitre.

Selon Françoise Sironi, la psychologie clinique contemporaine repose sur trois axes fondamentaux faisant d’elle une science incontournable parmi les sciences du vivant. Elle participe « à éclairer la complexité des mécanismes psychologique en interaction avec le monde », elle est en action quand « ses recherches sur le vivant » réinterrogent les pratiques professionnelles et les manières de penser, elle est « prospective quand elle s’attache à garantir l’adéquation entre les concepts qu’elle utilise, les problématiques contemporaines et celles en devenir » notamment lorsqu’elle est confrontée aux impacts des nouvelles technologies, au répercussions des avancées thérapeutiques dans les champs connexes des sciences de la santé ou encore aux avancée de nouvelle disciplines telle que les neurosciences.


[1] La décompression est la rupture d’un équilibre. Dans certaines maladies, des troubles qui existent potentiellement, peuvent être pendant un certain temps « compensés ». Leurs conséquences néfastes n’apparaissent pas, du fait de défenses qui les équilibrent. Lorsque les défenses tombent, l’équilibre est rompu, le trouble va se manifester, la maladie sera « décompensée ».

La décompensation psychique est une crise qui marque l’effondrement des mécanismes de défense habituels d’une personne confrontée à une situation affective nouvelle et insupportable. La déficience psychique originelle se manifeste alors de façon aiguë révélant la fragilité du Moi et les effets des carences affectives ou les tendances psychotiques.

 

[2] Phantasme : Production de l’imaginaire par laquelle le Moi cherche à échapper à l’emprise de la réalité.

[3] Transformation dans son corps.

[4] Hallucinations de mouvements.

[5] L’adjectif « polymorphe » signifie que la pulsion sexuelle chez l’enfant n’est pas unifiée, mais elle se satisfait à partir de différentes zones érogènes et de pulsions partielles.

[6] Freud souligne combien ce fantasme infantile est commun aux pervers et aux névrosés. Il précise qu’il analyse ici un fantasme pervers et non des actes pervers.


Post-Bac
2

CHAPITRE N°3 : PSYCHOPATHOLOGIE CLINIQUE.

Psychologie clinique


Introduction.

(À lire absolument pour cette partie : La psychiatrie biologique : une bulle spéculative ? François Gonon, disponible sur Iris ou internet).

Pour rappel avec les cours de L1, de nombreux auteurs qui s’intéressent à la psychologie clinique ont tendance à différencier celle-ci de la psychopathologie. Dans la pratique, en France, les psychologues cliniciens travaillent pour une grande part auprès de personnes présentant un trouble mental ou du moins un état de souffrance nécessitant un accompagnent psychologique.

Il existe alors une psychologie clinique appliquée à la pathologie mentale comme il existe une psychologie clinique appliquée à d’autres domaines (groupes, communications, développement).

Dans les définitions que nous allons présenter, il y a peu de différences des structures entre une partie de la psychologie clinique et la psychopathologie. D’ailleurs, la définition de Lagache est éclairante : « La psychopathologie met en œuvre toutes les méthodes psychologiques possibles, et elle les applique à des hommes vivants, pour lesquels les plus grandes réalités humaines, la vie et la mort, la santé et la maladie, la liberté et la détention, l’amour et le travail sont en jeu ».

Cette partie du cours est empreinte de l’histoire de la psychopathologie en tant que discipline et bien entendu du cadre psychologique dans lequel elle est enseignée. Pour nous, la psychopathologie est la « psychologie du pathologique », entendez ici l’étude, la théorie psychologique des formes de souffrances qu’elles que soit leurs causes (Pedinielli, 2002). La notion de psychologie du pathologique désigne l’analyse psychologique du fait pathologique (ou dimension psychologique du fait pathologique).

La psychopathologie s’appuie donc sur des situations concrètes d’interaction avec des sujets présentant une souffrance et produit une interprétation, venant alimenter les connaissances en psychopathologie.

L’analyse des phénomènes pathologiques comporte deux niveaux complémentaires :

-       Le premier a trait à la description des aspects psychologique des faits pathologiques comme les angoisses, les troubles de la perception, du raisonnement, les hallucinations... La description d’un trouble consiste alors à trouver les phénomènes concrets qui permettent de le reconnaître, d’en drésser un portrait, que l’on se situe au niveau de l’apparence (comme dans la sémiologie psychiatrique) ou des processus inconscients (descriptions des formes d’angoisses et des mécanismes de défense pour la psychanalyse par exemple [Pedinielli, 2002]) ;

-       Le second niveau concerne les théories explicatives psychologiques des troubles. L’explication vise à fournir une origine (étiologie) qui répond à la question pourquoi ? et les mécanismes (pathogénie) qui répondent à la question comment ? (Pedinielli, 2002). 

En tant qu’introduction à la psychopathologie, ce cours a d’ailleurs comme ambitions de présenter principalement les aspects descriptifs et pathogénique de la névrose et de la psychose.

La psychopathologie tout en étant une discipline interprétative, s’appuie sur des descriptions qui permettent de distinguer les troubles entre eux, elle reste donc une discipline concrète, pratique et clinique. La psychopathologie clinique est un outil qui nous permet de relever, d’analyser et d’interpréter des éléments qui s’échangent dans la relation avec le sujet (effets de transfert et de contre-transfert).

Le savoir psychopathologique ne s’applique pas au sujet de manière dogmatique, il correspond à des questions, des hypothèses, des analogies que fait le clinicien et qui permettent d’entendre d’autre dimensions dans le discours du sujet. Faire de la psychopathologie clinique c’est se donner les moyens de susciter le discours du sujet, de s’interroger sur sa logique et de l’interpréter.


 

I.              Définition de la psychopathologie.

Classiquement, une discipline scientifique se définit à partir de son objet d’étude, ses méthodes, son histoire et son champ d’application. La définition varie aussi en fonction du cadre de référence choisi par les différents auteurs.

De nos jours, la psychopathologie est l’objet de définitions multiples, dont le dénominateur commun est le suivant : « il s’agit de l’étude des troubles mentaux, des maladies mentales, du fonctionnement mental anormal, soit encore de la psychologie des conduites pathologiques. Elle envisage les phénomènes de l’activité psychique morbide du point de vue de leur description, de leur classification, de leurs mécanismes et de leur évolution » (Samacher et al., 1998)

Parmi les auteurs contemporains Pedinielli (1994) considère que la psychopathologie fait partie de la psychologie clinique qu’il définit comme : « la sous-discipline de la psychologie qui a pour objet l’étude, l’évaluation, le diagnostic, l’aide et le traitement de la souffrance psychique, quelle que soit son origine. »

Pedinielli ne distingue pas psychologie clinique et psychopathologie, tandis que Ménéchal considère que la psychopathologie fonde la psychologie clinique. En revanche, chacun d’eux leur assigne le même objet : la souffrance psychique (Capdevielle, Doucet, 1999).

La psychopathologie est donc définie par « son champ d’étude » qui est le même que celui de la psychiatrie. Cependant, les buts et les moyens diffèrent.

Le but de la psychopathologie est la compréhension et la connaissance, celui de la psychiatrie est la thérapeutique, la prophylaxie et la réadaptation. Les moyens de la psychiatrie ne sont pas seulement psychologiques, mais aussi médicaux, biologique, etc. 

La psychopathologie « fait appel à l’ensemble des cadres de références et des disciplines (psychiatrie, psychologie, psychanalyse, sociologie, anthropologie, linguistique, psychopharmacologie, neurobiologie, ...) susceptible d’apporter des éléments de connaissance sur la maladie mentale et les dysfonctionnements psychiques sous tous leurs aspects » (Capdevielle, Doucet, 1999).

L’opposition entre décrire et interpréter (ou expliquer) possède des effets sur la manière de classer les états pathologiques. Il est faux de penser que la psychopathologie clinique répugne aux classifications : elles y sont omniprésentes. Mais deux types peuvent être opposés :

-       Les classifications syndromiques fidèles à l’aspect médical qui décrivent les phénomènes pathologiques à partir des éléments observables de l’extérieur et de leurs fréquences d’association. Ainsi l’état dépressif pourra être décrit à partir de la présence de la tristesse, de pessimisme, de ralentissement psychomoteur, d’idées de suicide et d’insomnies et/ou d’anorexie... L’association de ces troubles forme alors l’épisode dépressif. Ce type de classification syndromique (ou taxinomique) correspond aux classifications internationales (CIM-10, DSM IV) ;

-       Les classifications étio-pathogéniques quant à elles classent les troubles à partir des mécanismes ou des conflits qu’on estime à leur origine. On estimera que par opposition aux névroses qui reposent sur le refoulement, les psychoses sont liées à une défense comme le déni de la réalité, la projection, le clivage pour lutter contre des angoisses de morcellement liées à une relation d’objet fusionnelle. La classification repose ici sur un phénomène interprété, difficile à percevoir, ce qui lui confère une dimension spéculative (Pedinielli, 2002).


 

II.            Du normal au pathologique.

La psychopathologie pose de façon cruciale la question du normal et du pathologique. Elle ne peut se concevoir indépendamment d’une réflexion sur la maladie mentale et sur son rôle dans la société. Désigner la maladie mentale conduit à prendre position sur la place laissée à la déviance et à la marginalité dans les conduites humaines et à délimiter les contours subjectifs du normal (Foucault, 1954). La psychopathologie décrit cet espace de pensée entre la reconnaissance de la maladie mentale, externe à la raison, et à la compréhension du trouble psychique du sujet qui fait appel à la communauté de l’humain. Elle est en permanence située dans un mouvement d’inclusion/d’exclusion, entre neutralité et jugement elle est à la frontière de la bienveillance et de l’observation scientifique. Elle se situe donc entre le biologique et le politique, entre l’inscription génétique différenciée du sujet, et de ses choix intersubjectifs d’alliance et de séparation (Ménéchal, 1997).

La question de la normalité est très connotée par des considérations idéologiques personnelles. Il est donc très important de se montrer extrêmement prudent si l’on veut avoir accès à un jugement pertinent.

Encore une fois la perception du normal et du pathologique est assujetti au contexte social, économique et cultuel dans lequel nous évoluons en tant que clinicien, mais surtout au contexte dans lequel a évolué et évolue le sujet.

Quand pouvons-nous dire que nous sommes dans le pathologique ou non ?

Deux grandes conceptions existent :

1)    Le point de vue discontinuiste, correspond à une opposition nette du normal et du pathologique. La normalité est conçue en tant que concept statistique ou en tant qu’absence de maladie. L’approche discontinuiste oppose le normal et le pathologique et correspond à un point de vue médical où les maladies comme la schizophrénie sont considérées comme qualitativement différentes de la normalité ou de la santé mentale ;

2)    Le point de vue continuiste, la maladie et la santé constituent un continuum qui part de la normalité et se termine avec les formes les plus graves de la pathologie mentale. La psychanalyse a contribué au développement de cette notion de continuité. Freud a montré qu’il n’existait aucune coupure, aucun hiatus entre les fonctionnements psychiques considérés comme « normaux » et le fonctionnement de type névrotique.

L’impossible séparation est affirmée par Freud (1940) quand il écrit dans l’Abrégé de psychanalyse, qu’il était « impossible d’établir scientifiquement une ligne de démarcation entre états normaux et anormaux ».

De nombreux psychologues cliniciens, psychiatres acceptent aujourd’hui l’idée d’un continuum de changements imperceptibles conduisant d’un fonctionnement efficace à une désorganisation sévère de la personnalité. Sur ce continuum, un comportement est conçu comme pathologique lorsqu’il représente une déviance sociale ou lorsqu’il s’accompagne de la part de la personne qui le manifeste de témoignage de souffrance ou de détresse et enfin, lorsqu’il engendre un handicap psychologique (Goldstein et al., 1986).

Dans le domaine de la psychopathologie de l’enfant, Ajuriaguerra et Marcelli (1982) soulignent que le normal et le pathologique ne doivent pas être considérés comme distincts l’un de l’autre. Les champs du normal et du pathologique s’interpénètrent : « un enfant peut être pathologiquement normal » (enfants conformistes, enfants hyper matures » ou « normalement pathologique » (phobie de la petite enfance, conduites de ruptures à l’adolescence, ...). Marcelli et Braconnier (1984), dans Psychopathologie de l’enfance montrent que la question du normal et du pathologique se pose avec acuité à l’adolescence. Les critères sur lesquels se fondent la notion du normal et du pathologique sont tous mis en échec : la norme statistique ou sociologique et la normalité opposée à la maladie ne suffisent pas à établir une distinction entre elles.

Même si les approches discontinues et continuiste sont en opposition par leur perception du normal et du pathologique, il n’en reste pas moins un désir commun d’identifier le moment, la période ou un sujet perd sa capacité d’adaptation et son homéostasie psychique.

La diversité des approches du normal et du pathologique témoigne de la complexité de ces concepts clés en psychopathologie et en psychologie clinique. Les débats qu’engendre la définition des concepts de normal et de pathologique ont une grande valeur heuristique. Ils contribuent au développement de nos connaissances concernant les troubles psychopathologiques et plus particulièrement, dans les domaines du diagnostic, de l’évolution, du dépistage des personnes à risque et de la prévention. Ces débats ont contribué à la constitution du champ de la psychopathologie et de celui de la psychologie clinique.

III.          Les structures de personnalité et leurs expressions pathologiques.

Être psychologue clinicien, c’est rencontrer des sujets, qui se trouvent en plus ou moins grande souffrance et qui vont réagir plus ou moins bien à l’aide que l’on peut leur proposer. Il est extrêmement difficile de prévoir comment les patients vont évoluer. Le recours à la notion de structure psychique du sujet est une aide pour penser l’état actuel du patient et son devenir. Pour « penser la structure psychique », le clinicien se pose un certain nombre de questions : concernant les enfants, est-ce que le potentiel d’évolution est sauvegardé ? Quelle est la structure de base ? L’organisation va-t-elle pouvoir s’enrichir ? Il s’agit d’apprécier les capacités et les compétences qui soutiennent les acquisitions. À propos des enfants plus grands, les adolescents et des adultes, on s’interroge, quand ils amorcent une décompression[1] (c'est-à-dire qu’ils expriment une souffrance, décrivent des symptômes gênants) sur le type de pathologie qu’ils risquent de développer. C’est en vue d’apporter des éléments de réponse à de telles questions pratiques que l’analyse clinique et conceptuelle de la structure psychique apparaît utile. De plus, la confrontation à l’incompréhension du fonctionnement psychique, nous conduit cliniciens chercheurs, à une tentative de représentation, d’abstraction de la dynamique intrapsychique afin de pouvoir en retranscrire le fonctionnement. Les modèles structuralistes jouent ce rôle quel que soit leurs origines.

La structure psychique. Freud est parmi les premiers à avoir proposer un modèle de compréhension de la signification fonctionnelle des symptômes névrotiques qui privilégie le milieu et le développement affectif de l’individu sur l’équipement biologique. Ces symptômes seraient que la représentation ou la fixation de l’angoisse liée à l’équilibre de trois instances (le Ça, le Moi et le Surmoi) organisé en fonction de la maturation affective de la personnalité. Cette théorie dite psychodynamique, révolutionnaire à l’époque, est toujours actuelle tout en ayant ingéré les connaissances cliniques et scientifiques actuelles. Même si celle-ci a été écartée pour la description des troubles mentaux dans les dernières versions des grandes classifications internationales (DSM V, CIM-11), elle reste cependant importante dans la compréhension des symptômes contemporains dont l’étiologie est au croisement de l’histoire individuelle, collective et du contexte sociétal dans lequel elles s’actualisent. En fait, beaucoup de clinicien défendent une lecture psychodynamique comme un modèle théorique explicatif et compréhensif qui a une valeur dans ses applications pratiques. C’est donc à chaque clinicien de faire fonctionner ce modèle en fonction des situations cliniques rencontrées.

Selon Bergeret (1986), la structure de personnalité organise l’articulation des mécanismes intrapsychiques (mécanismes de défense, conflits, angoisses, positions libidinales, relation d’objet) et l’apparition des phénomènes pathologiques (symptômes et signes concrets de celle-ci). Stable et définitif, elle peut ne jamais décompresser er exister sans symptômes et signes pathologiques. En d’autres termes, le modèle structural de Bergeret distingue deux grandes structures du fonctionnement psychique : névrotique et psychotique, et une catégorie dite « astructuration » : les états limites (Rabeyron, 2018).

Selon ce modèle, la structure de personnalité se constitue dans les premières années de la vie et existe chez chacun, « sujet malade ou sujet sain ».

Toutefois, si le sujet est soumis à de trop fortes difficultés internes et/ou externes, on peut assister à une décompensation selon un schéma préétabli. Elles ont en commun leur incapacité à rétablir l’équilibre perturbé autrement que par la voie régressive (et non progressive : développement, réorganisations créatives, etc.). C’est donc leur ancrage libidinal profond qui justifie l’individualisme des structures psychiques de base. L’évolution libidinale plus tardive installe des modalités supplémentaires de fonctionnement qu’on peut désigner comme organisations. Ainsi la névrose est une structure, mais l’obsession, la phobie ou l’hystérie peuvent être considérées comme des organisations.

Structure

Instance dominante

Angoisse

Mécanisme de défense

Relation d’objet

Névrose

Surmoi

Castration

Refoulement

Génitale

Psychose

Ça

Morcellement

Déni

Fusionnelle

États-Limites

Idéal du Moi

Perte d’objet

Clivage

Anaclitique

Tableau récapitulatif des repères cliniques pour l’analyse structurelle (Bergeret)

L’analyse structurale nous conduira alors dans le cadre d’une étude de cas à investiguer après le recueil des symptômes (manifestations évoquées par le patient) la nature de l’angoisse, les mécanismes de défense, le type de relation d’objet mise en œuvre. Ces trois niveaux permettant de dégager des hypothèses quant à la structure du sujet (psychotique, névrotique, perversion, états-limites).

Une autre contribution française à la psychopathologie structuraliste est apportée par Lacan. Celui-ci insiste sur l’importance du language qui structure l’inconscient : « l’inconscient fonctionne comme un language structuré ». Dans Les Formations de l’inconscient, Lacan (1956-1957) écrit à ce sujet : « Il y a y une structure homogène dans les symptômes, les rêves, les actes manqués et les mots d’esprit. Il s’y joue les mêmes lois structurales de condensation et de déplacement qui sont les lois de l’inconscient. Ces lois sont les mêmes que celles qui créent le sens du language ». Une des thèses importantes de Lacan est que les mécanismes des formations de l’inconscient s’assimilent à ceux du language selon deux figures centrales : (a) la métaphore ou condensation et (b) la métonymie ou déplacement. Le type d’étude proposé par Lacan lui a valu différentes critiques, dont le reproche majeur, que mentionne Godefroy (1983), est d’avoir « algébrisé » l’inconscient. Beauchesne (1986) note qu’à la suite de Lacan, on a tenté de définir les principales organisations pathologiques en termes de structures (névrotiques, psychotiques, perversion, états-limites par exemple).

De l’analyse structurale à l’analyse processuelle. La modélisation structuraliste du psychisme qu’elle soit celle de Lacan ou celle de Bergeret, nous permettent actuellement d’aller plus loin et d’évoluer vers une perception dite processuelle, qui insiste sur l’idée qu’un même sujet peut être organisé selon différents types de processus, permettant une vision moins figée et correspondant à une clinique plus en adéquation avec le contexte sociétal favorisant les souffrances narcissiques-identitaires.

L’analyse processuelle poursuit le travail de l’analyse structurale en dégageant les processus prévalant chez le sujet. L’enjeu est important puisqu’il s’agit ici de reconstruire la subjectivité et ses logiques inconscientes et les souffrances qui y sont liées. Cette analyse processuelle permet de constituer différentes hypothèses du fonctionnement psychique afin de le rendre compréhensible, mais il est important de noter que cela n’est en rien la vérité mais une mise en sens des éléments cliniques des différents niveaux d’analyses. La démarche s’apparente à une démonstration des hypothèses, dans l’objectif de montrer de quelle manière les indices collectés aident à comprendre certaines logiques inconscientes en lien avec les difficultés du sujet.

Quoi qu’il en soit, nous ne pouvons jamais véritablement savoir ce qui constitue et anime la vie psychique d’une personne que nous prenons en charge, donc nous ne pouvons produire que des hypothèses qui tendent d’en restituer sa complexité en s’appuyant sur un raisonnement précis et rigoureux.

IV.          La névrose et ses formes pathologiques.

Dans les débuts de leur rencontre avec la psychologie clinique et la psychopathologie, les étudiants confondent souvent névrose et personnalité névrotique. Il s’agit donc de commencer par faire le point sur ce qu’est la structuration névrotique et ce que sont les pathologies névrotiques.

La psychologie clinique et la psychopathologie proposent une approche complémentaire à la perceptive médicale en apportant une lecture subjective de certaines problématiques. La souffrance psychique est appréhendée de point de vue de son intériorité dans l’objectif d’en dégager les processus psychiques à son origine et tentant de répondre aux questions comment et pourquoi souffre-t-il ?

Le conflit œdipien représente pour Freud le complexe central des névrosés. Le sujet se confronte aux désirs et interdits, inceste et parricide, liés à l’Œdipe positif ou négatif. Le complexe de castration est lié au complexe d’Œdipe, la menace de castration devenant effective comme sanction possible aux désirs interdits : cette menace engendre une angoisse de castration, angoisse spécifique à la névrose. Complexe d’Œdipe et de castration sont des « épreuves » psychiatriques du développement traversés par tout un chacun.

Cette structuration centrée autour du complexe d’Œdipe fonctionne sous le primat du principe de réalité. Elle caractérise par l’intégration de la problématique œdipienne, l’existence de conflits internes entre désirs et défenses et la présence d’une angoisse dite de castration (culpabilité) qui infiltre tous les domaines de la vie psychique. Tant que la structure reste « compensée », il n’y a pas (ou très peu) de manifestations symptomatiques.

Dans cette configuration psychique, le conflit dit névrotique est nourri par le désir du sujet auquel vient s’opposer la défense, suscitant angoisse et symptôme comme formation de compromis.

L’angoisse occupe une place centrale dans la névrose, ce qui a contribué à ce que les classifications internationales (DSM) rangent certaines manifestations symptomatiques (TOC, phobies, etc.) dans la catégorie des Troubles Anxieux supprimant ainsi la catégorie « névroses ». Dans le champ psychanalytique, la névrose va être caractérisée par le dérapage de ce système de fonctionnement de l’individu qu’est la structuration névrotique. Si le moteur de la structuration névrotique est l’anxiété ou l’angoisse, la principale cause et le principal symptôme de la maladie névrotique va être la perte du contrôle par le patient du symptôme « angoisse ». Dans les cas les plus graves, ceci vient parfois rendre inopérant les mécanismes censés réduire l’angoisse. Cette angoisse va s’exacerber, évoluer par crises incontrôlables, devenir ingérable et orienter le patient vers deux grands types de dérives :

-       Le repli ;

-       La transformation de l’angoisse en un activisme pathologique, qu’il soit moteur (obsessionnel ou compulsif), mental (phobie), fantasmatique (hystérie) ou interprétatif (hypochondrie).

Ces transformations de l’angoisse vont être les seuls moyens pour l’individu de rester intégré et socialisé. Le repli pourra cependant engendrer une perte notable des capacités de l’individu de même que la réduction considérable de ses interfaces relationnelles.

Il est à noter que la dépression ne fait pas partie de la maladie névrotique, mais l’angoisse qu’elle génère en surcroît peut être à l’origine d’une décompression névrotique.

A.   La névrose hystérique.

Définition : La névrose hystérique correspond à des pathologies psychiques particulièrement marquées par des symbolisations, éventuellement déplacées sur le corps (conversions). 

Présentation clinique : L’hystérie se caractérise par un polymorphisme symptomatique. Ses limites restent donc difficiles à cerner. Classiquement, l’hystérie se définit par l’association :

-       De critères objectifs comportementaux : conversions somatiques ;

-       De critères symptomatiques : intense demande affective, hyper expressivité des affects, vie imaginaires dense et labile, grande suggestibilité ;

-       De critères de structure : le mécanisme de défense prévalent est le refoulement, qui vise à lutter contre la culpabilité œdipienne.  

La conversion hystérique

Caractéristiques générales de la conversion : Elle s’exprime préférentiellement au niveau des organes de la vie de relations et de façon involontaire. Elle n’est pas la conséquence d’une atteinte organique et ne réponds pas aux lois de l’anatomie ni de la physiologie. Les examens cliniques et paracliniques n’en donnent pas l’explication. Elle apparaît souvent après un conflit avec l’entourage, un choc affectif ou à la faveur d’une régression importante et est en général réversible après un laps de temps très variable. L’influence du milieu extérieur sur la disparition des symptômes est importante (variations selon le contexte). Elle survient souvent chez un sujet ayant des antécédents médicaux ou après mise en contact avec des sujets malades avec répétitions des symptômes observés chez autrui. Elle paraît souvent remarquablement toléré sur le plan affectif. C’est au maximum la « belle indifférence » de l’hystérique. Le niveau d’anxiété de base peut être plus ou moins élevé, mais le patient n’exprime aucune angoisse en évoquant son symptôme. Elle entraîne une impotence fonctionnelle et une réduction de l’autonomie du sujet disproportionnées en regard de l’atteinte. Elle est souvent exhibée, expressive, parfois labile et sensible à la suggestion. L’amélioration peut être spectaculaire en quelques minutes. Elle peut s’observer chez des sujets présentant des personnalités très différentes et pas seulement hystérique. Enfin, le sujet utilise fréquemment la conversion pour alarmer ou manipuler l’entourage et obtenir des bénéfices secondaires. Mais rappelons que le sujet est convaincu de la réalité de son trouble, il ne s’agit pas d’une simulation.

Les symptômes somatiques de conversion : ils sont protéiformes, peuvent être associés et touchant la motricité, la sensibilité, les fonctions sensorielles. Ils peuvent simuler toutes les maladies et aucun n’est spécifique de l’hystérie. On décrit classiquement :

-       Les symptômes moteurs (grande crise épileptoïque pseudo-convulsive décrite par Charcot, les formes dites dégradées, les pseudo-paralysies, les mouvements anormaux, les atteintes de la phonation, l’astasie-abasie... ;

-       Les symptômes sensitifs (hypoesthésies ou anesthésie, hyperesthésies, algies, frigidité...) ;

-       Les troubles des organes sensoriels (de l’audition, vision, goût...) ;

-       Les troubles fonctionnels (de la déglutition, miction, respiration...).

Les symptômes de conversion psychique : Un état psychique particulier a été décrit au moment des crises motrices. C’est un état proche de l’hypnose où l’esprit est envahi de représentations et au cours duquel le sujet perd partiellement conscience de son corps (pertes de connaissance ou pseudo-coma, état d’obnubilation dit crépusculaire, états seconds avec production oniroïde d’images visuelles d’allure hallucinatoire).

Ces symptômes psychiques peuvent survenir en dehors du contexte : le plus souvent intermittents, ils sont qualifiés de troubles dissociatifs (à ne pas confondre avec la dissociation psychotique). La dissociation serait liée à une altération soudaine et transitoire des fonctions d’intégration, de la conscience, de l’identité ou du comportement moteur. On peut observer différents troubles dissociatifs :

-       Les troubles de la mémoire : amnésie souvent sélective, illusions amnésiques, fabulations embrouillant la biographie :

-       Les fugues psychogènes : s’associant souvent à une amnésie :

-       Le somnambulisme avec exécution de scènes imaginaires ou reproduction d’évènements vécus ;

-       Les états de dépersonnalisation s’accompagnant de déréalisation sont en général transitoires. Ils sont souvent concomitants d’états de transe.

Ces traits de personnalité peuvent se rencontrer chez n’importe quel sujet. Aussi, pour porter le diagnostic de ce trouble de la personnalité hystérique, ces traits doivent être durables et largement prédominants aux détriments des autres traits de personnalité possibles. Enfin, la personnalité hystérique est souvent associée à la personnalité phobique.

Vignette clinique : Dora, Fragment d’une analyse d’hystérie

Dora est une jeune fille soignée par Freud durant 3 mois, à la fin de l’année 1899. Bien que l’interruption précoce de l’analyse laisse un certain nombre de points obscurs, la brièveté de la prise en charge facilité sa présentation, qui se centre autour de l’analyse de deux rêves successifs.

La famille de Dora entretient une relation d’amitié avec la famille K., dont la femme avait soigné le père de Dora lorsque celui-ci était maladie. Mr K. s’est toujours montré aimable envers Dora, d’autant qu’elle s’occupait beaucoup des deux enfants en bas âge du ménage K. Deux ans auparavant, alors que Dora devait passer les vacances chez les K., elle demanda, avec insistance, à partir au bout de quelques jours à peine. Elle racontera plus tard à sa mère que Mr K. lors d’une promenade au bord du lac, lui avait fait une déclaration. Ce que Mr K., mit au courant, nia farouchement, soutenu par son épouse, jetant ainsi la suspicion sur Dora, qui se serait « imaginé » la scène. Depuis lors, Dora exige que son père rompe toute relation avec les K., particulièrement Mme K., ce que son père refuse. Le début du traitement laisse apparaitre un événement antérieur, survenu alors que Dora avait 14 ans : seule avec Mr K., dans son magasin, celui-ci la serra contre lui et l’embrassa. Suite à quoi elle avait éprouvé un violent dégoût. Dora ne parle pas volontiers de ces rapports avec Mr K. Toutes ses pensées semblent tournées vers son père à qui elle ne pardonne pas la continuation de ses relations avec les K. Surtout avec Mme K., dans la mesure où elle est persuadée qu’ils entretiennent une liaison et qu’il la sacrifie pour ne pas perdre Mme K. Ses reproches ne sont pas infondés : il semble que le père ne souhaite pas voir le comportement de Mr K. pour ne pas être gêné dans ses relations avec Mme K.

Au cours du travail entrepris, Freud montrera en quoi et comment les reproches que Dora adresse à son père sont en fait de la projection de ses propres ressentis. Il exposera également comment Dora s’identifiait fantasmatiquement à Mme K. et comment le renforcement subi d’amour envers son père lui servait à réprimer son amour pour Mr K. et sa jalousie (et donc son amour) envers M.me K. Dora. Fragment d’une analyse d’hystérie (1905), Paris, Payot, coll. « Petite Bibliothèque Payot », 2010

B.   La névrose obsessionnelle.

Définition : La névrose obsessionnelle est une formation névrotique qui met en œuvre une régression sadique-anale, d’importantes défenses contre un affect notamment sur le mode de l’idée obsédante et des rituels, et qui recourt fréquemment à la toute-puissance de la pensée. Le conflit psychique s’exprime ici par des symptômes compulsionnels caractérisés par des idées et des actes indésirables que le sujet se sent poussé à accomplir par une contrainte interne.

On observe une lutte contre ces idées et ses tendances. Le mode de pensée est dominé par la rumination mentale, le doute, les scrupules, l’inhibition de la pensée et de l’action.

Aspects théoriques : Dans le champ psychanalytique, la névrose obsessionnelle résulte d’une fixation de l’enfant, au cours de son développement, au stade sadique-anal à la suite d’un traumatisme. C’est le stade où l’enfant expérimente le plaisir d’expulsion, de rétention et d’agressivité. Il précédé le complexe d’Œdipe. Les symptômes obsessionnels traduiraient l’existence du conflit entre les pulsions refoulées et un Surmoi particulièrement interdicteur, rigide et sadique. Les mécanismes de défense prévalents sont l’inversion (transforme les désirs sadiques, interdits en crainte) et le déplacement (remplace les buts par d’autres). Cette théorie facilite la compréhension d’une grande partie des symptômes obsessionnels.

Les obsessions peuvent être considérées comme les symptômes névrotiques les plus élaborés mentalement. Elles sont caractérisées par l’importance des formations réactionnelles, qui permettent le refoulement intense de désirs liés aux stades primitifs de l’évolution libidinales, et par l’échec relatif de ce processus de refoulement, échec d’entraînant un retour du refoulé infiniment plus pénible que dans les autres névroses. Quelles que soient les précautions prises, le patient n’est jamais sûr, de ne pas avoir détruit ou salit un objet précieux, ce qui l’oblige à vérifier qu’il n’en n’est rien. Mais, en exécutant cette vérification, il n’est pas certain de ne pas avoir couru un nouveau risque de destruction ou de souillure, ce qui entraine le besoin de recommencer, à moins que le rituel propitiatoire ne lui permette pas l’annulation rétroactive de l’acte agressif qu’il n’est jamais sûr de ne pas avoir commis. Par opposition aux phobiques, l’obsessionnel n’attend aucun secours d’autrui, pas plus qu’il ne craint un danger venu de l’extérieur. Loin de le rendre dépendant, les formations réactionnelles du patient se substituent à l’objet (contre-investissement) et l’obligent à des démarches compliqués et souvent rigides à l’égard d’éventuels personnages à aimer, à craindre ou à haïr.

Présentation clinique : La névrose obsessionnelle se caractérise elle aussi par un polymorphisme symptomatique. Classiquement, on décrit l’association des manifestation suivantes :

·     L’obsession :

C’est une pensée ou une idée qui fait irruption dans l’esprit du sujet et qui s’impose à lui de façon répétée et incoercible. Elle se caractérise par les éléments suivants :

-       Le sujet en reconnaît le caractère morbide, absurde ou immoral ;

-       Il reconnaît sa propre activité psychique, bien qu’étant en désaccord avec elle. Les idées obsédantes ne lui paraissent pas imposées de l’extérieur (différemment des schizophrènes) ;

-       Il tente en vain de l’ignorer ou de la chasser dans un processus de lutte anxieuse ;

-       L’obsession n’entraîne pas de passage à l’acte.

Les trois principales variétés d’obsessions sont :

-       L’obsession phobique : Il s’agit de la crainte spécifique d’un objet où l’angoisse apparaît à la simple évocation mentale de l’objet ou de la situation responsable de la crainte obsédante. Elle persiste en l’absence de l’objet (à la différence de la phobie).

Les plus communes sont : la crainte des maladies (nosophobie), des microbes, de la saleté, par peur de la contamination. Elles conduisent à un évitement des contacts (« folie du toucher ») et à des rituels de lavage. La crainte des objets dangereux par peur de blesser quelqu’un.

-       L’obsession idéative : Il s’agit de ruminations obsédantes souvent très aliénantes, où le sujet est assiégé par des idées centrées sur la morale, la religion, la philosophie, la métaphysique, etc. ou des idées désagréables ou culpabilisées concernant des mots grossiers ou sacrilèges, des chiffres, des noms, l’ordre, la symétrie, etc. (exemple : « la folie du doute » : crainte d’une erreur ou d’une omission dans un des domaines cités plus haut. Ceci amène à des rituels de vérifications interminables).

-       L’obsession impulsive : C’est la crainte de commettre un acte absurde, sacrilège ou criminel. Le terme de phobie d’impulsion est considéré comme synonyme. L’acte redouté n’est pratiquement jamais commis. (Exemple : obsession de prononcer des phrases sacrilèges dans une église, de tenir des propos scatologiques à table, de commettre un homicide, un acte pervers sur son enfant, un acte agressif, de se défenestrer).

·     Les compulsions :

Ce sont des phénomènes équivalents des obsessions, mais concernant non plus les idées, mais des actes. Ces actes partagent le caractère de obsessions : phénomènes répétés et pénibles qui s’imposent de façon contraignante au sujet, impossible à différer, reconnus comme absurdes, gênant le fonctionnement social.

Ces actes sont parfois dérisoires et accomplis selon un cérémonial déterminé, rigoureux et plus ou moins complexe. Aucun plaisir n’est tiré de ces compulsions si ce n’est une relative et temporaire sédation de l’angoisse.

Les plus fréquentes sont : les complussions de lavage, contre l’obsession de saleté, ou de vérification contre la crainte de commettre une erreur (fermeture des portes, des robinets, du gaz).

·     Les rituels :

Ils ont souvent un caractère conjuratoire et magique, destiné à prévenir d’éventuelles catastrophes. L’acte n’a plus la logique d’une compulsion de lavage ou de vérification.

Il en est ainsi de : l’onomatomanie (recherche incessante de la signification de mots), l’arithmomanie (contrainte d’opérer des séries de calculs mentaux, de plus en plus complexe, à répéter à la moindre hésitation), des rites d’habillement et de toilette. 

L’angoisse augmente si le sujet rente de résister à l’accomplissement de ces rites. La crainte d’avoir commis une imperfection au cours du rite entraîne la répétition de celui-ci. L’accomplissement de ces rituels peut nécessiter plusieurs heures par jours. Le nombre d’heures passées est une indication de la gravité du trouble.

Comme les autres névroses, le cadre de la névrose obsessionnelle a fait l’objet de remaniements. On parle actuellement du trouble obsessionnel compulsif qui fait partie du chapitre des troubles anxieux dans les nouvelles classifications. Sur le plan clinique, le TOC est défini par la survenue d’obsessions et de rites compulsifs chez un sujet présentant souvent, mais pas toujours, une personnalité pathologique obsessionnelle-compulsive ou psychasthénique. Dans ses formes sévères, cette névrose constitue la forme la plus organisée, la plus grave et la plus rebelle des pathologies névrotiques.

Vignette clinique : L’Homme aux rats : remarque sur un cas de névrose obsessionnelle.

Le docteur Ernest Lanzer, juriste est un homme encore jeune qui consulte Freud, car il souffre d’obsessions. Il redoute qu’il n’arrive un malheur à deux personnes qui lui sont chères, à savoir son père et une « dame, à laquelle il a voué un amour respectueux ». Il éprouve des impulsions, comme se trancher la gorge avec un rasoir, et des interdictions portant sur des choses insignifiantes. Cela fait des années qu’il lutte en vain contre ces idées qui s’imposent à lui. Lors de la cure analytique avec Freud, il s’engage à dire tout ce qui lui vient à l’esprit, même si cela est pénible, et il évoque, sans difficultés, sa sexualité infantile. Cependant, la grande appréhension qui l’obsède concerne un évènement beaucoup plus récent, qui est survenu pendant qu’il faisait des manœuvres en tant qu’officier de réserve. En quelques mots, il s’agit du récit que lui fit un capitaine (à noter que ce capitaine l’effraie beaucoup du fait de sa cruauté et de son recours aux châtiments corporels) au sujet d’un supplice épouvantable pratiqué en Orient. Avec l’aide de Freud, le patient pourra mettre en mot cette évocation qui lui fait horreur : il s’agit d’enfoncer des rats dans l’anus du condamné. Cette scène (dont l’horreur consciente vient masquer la jouissance inconsciente), donnera lieu au surnom « l’homme aux rats ». En effet, lors de cette mise en mots, Freud remarque l’expression bizarre de son patient évoquant « l’horreur d’une jouissance par lui-même ignorée ». Le transfert entre Lanzer et Freud est par ailleurs manifeste : dans les moments de grande agitation, le patient interpelle sont analyste en le nommant « mon capitaine ». Cette cure permettra à Freud d’affiner sa compréhension de la névrose obsessionnelle, et notamment le rôle joué par la haine et la jouissance, l’ambivalence des sentiments, le surinvestissement anal de l’argent, la culpabilité liée aux vœux de morts envers le père (dont le cruel capitaine est l’une des figures fantasmique). Freud et l’Homme aux rats, un cas de névrose obsessionnelle, Paris, Payot, coll. « Petite Bibliothèque Payot », 2010

C.   La névrose phobique.

D’une manière schématique, la phobie peut se caractériser par la projection des pulsions destructrices et par un clivage de l’objet d’amour L’exemple du petit Hans cité plus bas peut servir ici d’illustration. L’enfant était en plein conflit œdipien et éprouvait à l’égard de son père des sentiments violemment contradictoires : il aimait tendrement et en même temps se sentait en rivalité avec lui. Les désirs agressifs à son égard étaient insupportables et ne pouvaient devenir conscients. Il s’en est suivi une projection et un déplacement. Le sentiment de haine à l’égard du père s’est transformé en peur d’une agression venue de l’extérieur et polarisée sur les chevaux qu’il risquait de rencontrer dans la rue. Par cette transformation, la relation de l’enfant avec son père s’est trouvée épurée de tout affect agressif ou dangereux, et le père n’a plus joué qu’un rôle affectueux et protecteur.

Dans les nouvelles classifications, les troubles phobiques font partie des troubles anxieux et ont été séparés en trois groupes :

-       L’agoraphobie ;

-       La phobie sociale ;

-       Les phobies simples.

La phobie est le déplacement et la concentration de l’angoisse sur un objet externe ou une situation redoutée, ce qui libère le reste du fonctionnement psychique de la charge d’angoisse. La phobie apparaît à chaque exposition de l’objet phobogène (conduisant souvent à un comportement d’évitement) et s’apaise en l’absence de celui-ci. Elle apparaît totalement disproportionnée avec le danger réel encouru. Le sujet reconnaît le caractère absurde de sa crainte. La gêne occasionnée par ce trouble dépend du type de l’objet phobogène et de l’intensité des comportements d’évitement.

L’agoraphobie : Dans l’agoraphobie, l’angoisse est déclenchée par un endroit ou une situation d’où il serait difficile de s’échapper ou dans lequel aucun secours ne pourrait être dispensé en cas de crise d’angoisse ou de symptômes apparentés. Ces situations sont variées (ponts et tunnels, ascenseurs, grands magasins, endroits clos, avion, métro, automobile, hauteurs, foule ou espace vides). L’agoraphobie peut être associée ou non à un trouble panique.

Les phobies sociales : Le spectre de l’anxiété sociale regroupe les phobies sociales proprement dites, mais aussi la timidité (qui n’est pas pathologique), l’anxiété de performance, le déficit d’affirmation de soi, ou encore les personnalités évitantes. L’individualisation récente (depuis 15 ans) de ces pathologies a permis la prise en charge d’une partie de la population qui consultait peu malgré un handicap social ou professionnel important. Ce sont des pathologie fréquentes en médecine générale (prévalence de 15%), à l’origine de conduites d’alcoolisation ou de prises excessives de Benzodiazépines (BZD), mais qui restent encore trop souvent méconnues.

Dans les phobies sociales, l’angoisse est liée au regard d’autrui, qui s’agisse d’un individu ou d’un groupe. Cette peur repose sur l’impression d’être jugé ou évalué de façon négative. Elle s’accompagne de la crainte de se conduire de manière embarrassante, voire humiliante, aux yeux des autres. L’exposition à ce type de situations déclenche quasiment systématiquement une réaction anxieuse plus ou moins intense, qui peut aller parfois jusqu’à une véritable attaque de panique. La peur que celle-ci soit remarquée par les autres est caractéristique des phobies sociales : peur de rougir, de trembler, de perdre le contrôle de ses urines ou de ses intestins ou encore de bégayer, d’avoir des trous de mémoire.

Une anxiété anticipatoire peut apparaitre avant la confrontation à la situation redoutée (parler en public, jouer sur scène, épreuve sportive, passer un examen, aborder un inconnu, etc.). Celle-ci peut s’accompagner de symptômes physiques et d’une perturbation des fonctions cognitives.

L’intensité de l’anxiété ressentie au moment de l’exposition et/ou avant celle-ci et les conduites d’évitement qui vont s’organiser progressivement sont des indicateurs de la gravité de cette pathologie dont le ressentiment sur la vie sociale, affective ou professionnelle peut être majeur. Les stimuli phobogènes peuvent être :

-       La prise de parole en public (réunion, discours, examen) ;

-       L’exécution de tâche sous le regard d’autrui (écrire, manger, travailler, utilisation des toilettes publiques) ;

-       L’initiation de conversation avec des personnes connues ou étrangères ;

-       Le simple fait d’attirer l’attention d’autrui (arriver en retard à une réunion, marcher devant une terrasse de café ou une file d’attente, se montrer en maillot de bain).

Les phobies simples : Dans les phobies, l’angoisse se fixe sur un objet. Cet objet dit pathogène peut être un animal, un environnement naturel (orage, eau) ou encore un objet potentiellement dangereux (aiguilles, couteaux).

La phobie du sang et des injections est considérée à part, car associée à des signes d’hyperstimulation vagale et serait favorisée par une vulnérabilité familiale. Le stimulus phobogène conduit à des comportements d’évitement plus ou moins invalidants.

Vignette clinique Analyse d’une phobie d’un petit garçon de cinq ans : Le Petit Hans

L’observation, publiée par Freud en 1909, concernant le symptôme que présentait un jeune garçon de trois ans et demi, est une référence exemplaire et irremplaçable pour la compréhension du phénomène phobique. Hans, fils d’un disciple et ami de Freud, confie à son père qu’il a peur qu’un cheval ne le morde. Une phobie des chevaux se constitue chez lui, qui l’amène à fuir toutes les situations, les lieux et circonstances où l’objet de sa peur se manifesterait à lui. Le père, tentant de comprendre psychanalytiquement la chose (la « bêtise » comme Hans et ses parents nomment cette phobie), entreprend de se faire le psychothérapeute de son petit garçon et transmet au maître ses notations, interventions et interprétations. Selon Freud, la phobie de Hans est liée, dans son surgissement même, à ce qui, du conflit œdipien auquel est voué chaque petit d’homme, s’organise à partir du complexe de castration, lequel est lié lui-même à la différence des sexes. Hans a une petite sœur depuis quelques mois. Il aime déjà de façon masculine sa mère qui est le centre de son monde, encore qu’il interroge les rapports de puissance et d’autorité entre le mari et la femme. En fait, il interroge le monde de réalités et de significations obscures dans lequel il cherche à se situer. Il écoute et vérifie les discours qui sont prononcés autour de lui, il joue avec les mots, avec les images, avec les comportements des autres. Il joue aussi avec ses rêves et ses phantasmes[2] (et le père interrogateur l’y incite). Mais tout cela se rassemble et se fixe en une question qui concerne le corps, et plus particulièrement le sexe. Décentré de sa position initiale du fait de la naissance d’Anna sa petite sœur, son attention se fixe sur le lieu d’où apparait la « différence » qu’il veut d’abord méconnaître. Le « fait-pipi » d’Anna est tout petit, dit-il : il grandira ! Maman a un grand « fait-pipi » ... Le cheval aussi... Seuls les objets inanimés n’en ont pas. Telle est l’affirmation liminaire qui traduit, pour le père et pour Freud, la mise en parole de l’angoisse du petit Hans. Confronté pour la première fois au mystère de la naissance (sont-ce les cigognes qui apportent les bébés ?), à l’intégrité de son corps propre, du fait de la dissemblance entre le sien et celui d’Anna, il élit le pénis qui est le sien (mais qui peut manquer à d’autre) comme le symbole, l’objet garant, mais menacé de l’ordre premier du monde. Le développement de la phobie des chevaux apparaît ainsi comme une opération qui vise autant la sauvegarde des avantages acquis que les ouvertures du désir. Le petit Hans est à la fois conservateur et progressiste. Il en résulte une faille en lui et devant lui : quelle est la puissance tierce, médiatrice ou terrorisante qui en surgira ? Le cheval intervient ici comme substitut d’un exigible père castrateur (auquel le papa d’Hans ne ressemble pas vraiment).

Conclusion sur la névrose :

Unies par leur étiopathogénie commune dans une perspective analytique, les névroses ont subi, ces dernières années, des découpages nosographiques tels que le concept même de névrose a presque disparu de la terminologie des troubles psychiatriques utilisée dans le domaine de la recherche. Les nouvelles classifications préfèrent une approche descriptive, voire symptomatique, mais ne donne aucune orientation sur l’articulation entre les différents symptômes repérés. Plusieurs acteurs ont critiqué cet excessif morcellement et l’incapacité des nouveaux systèmes de classification à repérer les formes « mixtes » de névroses.

De nombreux travaux ont en effet montré que l’existence d’un syndrome pur est rare et que les troubles d’anxiété généralisée panique, obsessionnel-compulsif et phobique, coexistait fréquemment. De plus, la comorbidité anxiété-dépression semble importante.

La mise en évidence de cette interdépendance des syndromes névrotiques a conduit certains auteurs à réhabiliter, en dehors de toute perspective étiopathogénique, le concept de névrose à travers la reconnaissance clinique d’un éventuel syndrome névrotique général.

Il ne faut cependant pas étendre le concept de névrose au-delà de certaines limites. Nombre de troubles du comportement, caractérisés par l’incapacité de médiatiser le désir, de supporter les frustrations, par des réactions immédiatement « agies », sans qu’une élaboration mentale suffisante puisse intervenir, ne doivent pas être considérées comme témoignant d’une structure névrotique. Pour des raisons assez comparables, de nouveaux malades atteints d’affections psychosomatiques ne peuvent être assimilés au névrosés (Pirlot, 1994). Cette distinction est importante, puisqu’elle implique des attitudes thérapeutiques très différentes pour les uns et pour les autres. Enfin, les états d’angoisse aiguë ainsi que la névrose d’angoisse sont caractérisés par la faillite, sous divers effets, des processus défensifs habituels. Ils doivent donc être distingués des organisations névrotiques.

Synthèse sur la névrose :

§ Il y a une absence de délire ;

§ Il y a une adaptation au système de réalité qui est maintenu ;

§ Le sujet est conscient du caractère pathologie de ses troubles ;

§ Le sujet souffre de ses symptômes ;

§ Il critique ses symptômes ;

§ Il est en mesure de demander de l’aide et des soins ;

§ Le conflit psychique oppose les pulsions inconscientes et les interdits.

V.            La psychose et ses formes pathologiques.

(Lire Les psychoses de l’adulte (2002), JL Pedinielli, G. Gimenez)

Dans notre explication de la psychose, nous nous attacherons à utiliser une double approche. Une approche ou le singulier (la psychose) domine et qui renvoie en psychopathologie à l’existence d’un trouble psychologique irréductible à tout autre, se différenciant des autres entités psychopathologiques (et notamment de la névrose). Ensuite, nous nous intéresserons au point de vue empirique qui relève des spécificités cliniques, permettant de différencier les troubles psychotiques entre eux.

De manière générale, le terme de psychose désigne des états psychiques caractérisés par une altération profonde de la conscience du sujet (troubles grave de l’identité) et de son rapport avec la réalité. (Besançon, 1993)

Le fonctionnement psychotique.

Avant de s’intéresser à l’aspect sémiologique de la psychose, il est essentiel de comprendre le fonctionnement psychologique qui sous-tend l’étiologie des troubles et quels sont les processus à l’origine de la psychose.

Le modèle psychanalytique tente d’expliquer la psychose à partir de l’histoire du sujet et des difficultés dans l’organisation libidinale, objectale ou pré-œdipienne. Cette conception herméneutique (science de l’interprétation) permet de souligner l’importance de la vie du sujet dans la psychogénèse du fonctionnement psychotique.

La métapsychologie freudienne : La psychanalyse soutient l’hypothèse que la psychose trouve son origine dans les premiers mois de la vie. Elle avance plusieurs idées :

-       Les symptômes psychotiques ont un sens en rapport avec le développement ou la vie du sujet ;

-       Des mécanismes psychologiques inconscient participent à leur genèse ou à leur mise en forme ;

-       Certains symptômes sont des tentatives (échouées) de guérison ;

-       La maladie (au sens psychiatrique) n’est que la partie visible et derrière un trouble dont l’origine est plus ancienne. Pour Freud le trouble a commencé avant que les symptômes n’apparaissent. C’est l’échec de l’équilibre pathologique antérieur qui entraîne l’apparition des aspects spectaculaire de la maladie.

Globalement, la psychanalyse envisage le psychisme qui ne surgit pas « tout fait » au moment de la naissance, comme une construction progressive, se développant au cours de l’enfance et de l’adolescence, puis pouvant faire l’objet de certains remaniements pendant la vie adulte. La psychogénèse est un élément essentiel du système explicatif de la psychopathologie clinique.

Dans la métapsychologie freudienne, l’organisation de la structure psychologique envoie à différentes étapes charnières, permettant d’expliquer, après décompensation, son expression pathologique sous forme de symptômes polymorphes.

Bien qu’il y ait de nombreuses différences entres les conceptions psychanalytiques, on peut dégager des invariants (Pedinielli, 2002) :

-       Des troubles de la constitution du sujet rendant difficile l’accès à l’identité, à l’autonomie et à la séparation ;

-       Pas d’accès à l’Œdipe, ni à la différence des sexes, ni à l’altérité ;

-       Une instabilité dans les relations dedans-dehors ;

-       Mise en place de mécanismes de défense contraignants, mais permettant de limiter l’angoisse, entrainant ainsi une limitation des rapports à soi et au monde extérieur ;

-       Une modification interne (rupture de l’équilibre...) ou externe (traumatisme...) réactive le sentiment de perte d’identité, de la continuité corporelle et psychique ;

-       Pour lutter contre les angoisses (notamment de morcellement du corps) le sujet utilise des systèmes de défense qui tentent de rendre les mondes extérieur et intérieur supportables (hallucinations et délires).

Des auteurs comme Bergeret en s’appuyant sur la conception freudienne du psychisme ont formalisé des grandes étapes pouvant être impliquées dans le développement de la structure psychotique. Plusieurs caractéristiques peuvent être relevées :

1.    La lignée psychotique est marquée au stade oral ou dans la première partie du stade anal par des frustrations précoces tirant leur origine du pôle maternel. L’organisation du Moi n’a pas atteint le stade objectal et ses stratifications (orale, anale, phallique) permettant d’accéder aux aspects essentiels de la structuration objectale et surtout œdipienne. C’est la progression maturante de ses structurations successives et leur achèvement dans la primauté du génital qui manquent chez le psychotique. Les expériences vécues de l’éprouvé anal ou génital sont présentes, mais ce sont des phases de structuration anale ou génitale qui sont mal définies chez lui ;

2.    Le Moi ayant subi d’importante fixations ou régressions à ce niveau se préorganise selon le mode psychotique.

Le type d’angoisse de la psychose est une angoisse de morcellement et/ou de mort (au sens d’écartement).

La relation d’objet est fusionnelle, symbiotique à la mère. Elle se révèle incomplète et ne peut concevoir la séparation de cette partie d’elle (le fœtus, puis le bébé), ni physiquement, ni psychiquement. Le père est souvent effacé, « absent » physiquement et psychiquement.

Les principaux mécanismes de défenses sont : déni, indentification projective, dédoublement du Moi, clivage (clivage du Moi, de l’objet).

3.    Au moment de la période de latence, il y a un arrêt de l’évolution structurelle (comme pour la névrose) :

4.    Au moment de l’adolescence, dans la majorité des cas, le Moi préorganisé sur le mode psychotique va poursuivre son évolution au sein de la lignée psychotique dans laquelle il se trouve déjà suffisamment engagé. Il s’organisera ensuite de façon définitive, sous la forme de structure psychotique véritables et stable. Cependant, le sujet garde une petite chance de voir l’axe d’évolution quitter la lignée psychotique (pas encore totalement fixée) pour aller rejoindre la lignée névrotique.

5.    Organisation définitive sous forme de structure psychotique (cf. les différents types de psychoses).

A.   La pathologie psychotique.

Il est important de distinguer ce qui est de l’ordre de la structure, de la personnalité psychotique et ce qui est de l’ordre de la pathologie.

Un sujet peut être de structure psychotique et présenter des traits de personnalité relatifs au fonctionnement psychotique sans qu’il présente des symptômes psychotiques. Au même titre qu’un sujet névrotique ne présente pas systématiquement des symptômes d’une névrose (phobique, obsessionnelle...), un sujet de structure psychotique n’est pas systématiquement schizophrène, paranoïaque... C’est bien la perte d’une homéostasie psychique qui va entraîner l’apparition de symptôme en lien direct avec la structure psychique du sujet. La forme des symptômes n’apparaît pas par hasard, mais elle est dépendante du mode de fonctionnement du sujet.

La sémiologie : Plusieurs éléments sémiologiques sont communs aux psychoses. Ainsi, la méconnaissance de l’état morbide, la gravité des troubles et l’impossibilité de répondre aux exigences de la vie quotidienne. Mais par-dessus tout, ce qui prédomine dans tous les tableaux sont les perturbations identitaires et la perte de contact avec la réalité.

Cette perte de contact avec la réalité est à la fois une disparition du sens commun, mais aussi la construction de cette néo-réalité qui la remplace et à laquelle le sujet va croire, adhérer : le délire.

Rappelons qu’un délire est une réalité complexe qui comprend un ou plusieurs mécanismes et un ou plusieurs thèmes. Le délire peut s’étendre de façon cohérente, systématisée ou être un magma polymorphe, on peut noter ou non une participation thymique. Les idées délirantes sont différentes du mensonge, de l’idée fausse (qui suppose une possibilité de correction), de la fabulation (présenter des productions imaginaires comme des souvenirs). La définition met l’accent sur l’aspect individuel de la croyance, sur le décalage avec la réalité, sur la certitude inébranlable et sur le caractère excessif.

B.   La schizophrénie.

Le terme de schizophrénie désigne un groupe de troubles qui se distinguent des délires chroniques, des psychoses aiguës et des psychoses thymiques. Bien que Kraepelin ait isolés ses principaux traits sous le concept de « démence précoces » c’est Bleuler qui créa en 1911 le terme de « schizophrénie ». Sous la notion de schizophrénie sont regroupées les affections qui auparavant étaient isolées (démence paranoïde, catatonie, hébéphrénie).

Description des symptômes principaux : Elle est caractérisée par l’association de trois troubles principaux : la dissociation de la personnalité, le délire paranoïde et l’autisme. Les modes d’entrée dans la schizophrénie peuvent être plus ou moins lents en progressifs ou brutaux.

a)    La dissociation (ou discordance) traduit une scission qui s’opère dans la conscience et la personnalité du sujet. C’est la perte de l’unité de la personne dans l’ordre de la pensée, de l’affectivité, de la communication et comportement. Elle se traduit à plusieurs niveaux :

·      La dissociation de la sphère de la pensée peut de manifester par :

-      Troubles/altération du cours de la pensée. Affaiblissement de l’attention et de la concentration, troubles du débit des idées (illogique, subjective, symbolique, bizarre, incohérente, floue, abstraite sans lien avec le réel) ;

-      Troubles du language pouvant aboutir (en de rares cas) à un language complètement incompréhensible appelé schizophasie. Les troubles les plus fréquents sont le mutisme, logorrhée, les altérations sémantiques, des néologismes (création ou détournement de mots), la tendance au symbolisme (recours à des métaphores, donnant un style maniéré, précieux et hermétique), le rationalisme morbide (la pensée se perd dans des explications philosophiques ou pseudo scientifiques détachés du réel) ;

-      Troubles du système logique : altération des concepts, pensée magique, pensée déréelle, abstraction systématique, symbolisme, paralogisme...

·      La dissociation affective se manifeste par l’indifférence, le détachement, le négativisme, l’émoussement affectif, la régression affective et se révèle dans ses pulsions archaïques orales (boulimies, suçotement, tabagisme forcené, balancements) et anales (stéréotypies obsessionnelles, incurie, ...) et dans la sexualité (auto-érotisme, exhibitions sexuelles, tentative de réaliser des fantasmes œdipiens soit par l’inceste, soit par le déplacement sur des tiers, auto-mutilations sexuelles parfois, ambivalence affective (aspects violents et paradoxaux tantôt intenses, tantôt hostiles) ;

·      La dissonance dans la sphère corporelle s’exprime par apragmatisme, absence d’initiatives, indécisions (actes volitionnels, motricité corporelle) d’où des attitudes figées, raides. Attitudes contradictoires (expressions paradoxales simultanées mimiques discordantes par rapport aux situations, des gestes contraires à l’intention supposée, ...). Manifestations de type catatonique : négativisme, repli hostile, ironie défensive, refus de tendre la main, des stéréotypies (répétition de gestes, de mots). Passage à l’acte impulsifs et immotivés (suicide, automutilations, agression, meurtre, ...).

b)    Le délire paranoïde est un délire polymorphe, flou, variable, non systématisé, changeant dans le temps, incommunicable dont les thèmes multiples sont dominés par des idées de persécution, d’influence, d’atteinte corporelle (transformation, maladie, empoissonnement, ...), thème religieux et surnaturels (possession, mission, réincarnation), protection, mégalomanie (omnipotence, idéalisme, richesse, ...), identité (filiation, possession). Tous les mécanismes délirants peuvent coexister : hallucinations, imaginations, illusions, interprétations.

c)    Les symptômes autistiques, caractérisent la rupture de la vie mentale du sujet avec le mode extérieur, le repliement sur lui-même et la reconstitution d’un monde intérieur hermétique à autrui.

Vignette clinique : exemple de discordance.

Pierre, 20 ans, a été un brillant élève jusqu’à la terminale, mais depuis deux ans il ne s’intéresse plus à rien, reste indifférent, sans volonté (aboulie), absorbé par des pensées abstraites et hermétiques qu’il ne livre qu’avec réticence. Délaissant ses amis, il reste des heures assis devant sa fenêtre en se balançant (stéréotypie). Il ne s’occupe pas de ses affaires personnelles et depuis trois mois, il ne fait plus rien du tout (apragmatisme), restant au lit toute la journée (clinophilie) et tenant parfois des propos bizarres à sa mère et à son frère. Il a été adressé dans le service de psychiatrie, car il a tenté de se couper un doigt (automutilation). Au cours de l’entretien, il parle peu, se bornant à se plaindre de « vertiges de l’âme », terme qu’il ne peut – ou ne veut – expliquer (hermétisme). Son discours est difficile à suivre : il passe d’un thème à l’autre, sans lien, s’arrête brusquement (barrage), semble ne pas comprendre les interventions, répète des mots... Il ressort de l’entretien la présence d’hallucinations diffuses. Les thèmes délirants sont peu évoqués, mais ils sont multiples. Des idées assez vagues de transformation corporelle et de persécutions par ses parents apparaissent. Les troubles du contact sont patents (refus de regarder, voix monocorde) et il présente des troubles de la mimique (parakinésies). Il semble répéter les gestes et attitudes de l’interlocuteur (échopraxie), mais n’exprime aucune émotion (athymhornie). [Pedinielli, 2002]

C.   Délires chroniques systématisés ou paranoïa.

(Lire Schreber D.P (1902) Les mémoire d’un névropathe, TR FR P. Duquenne et N. Sels, Paris, Seuil, 1985)

Dans les médecines grecque et latine, le terme de « paranoïa » était employé dans un sens large équivalent à la folie.

Les délires paranoïaques systématisés regroupement un ensemble de pathologies qui auraient en commun des idées délirantes organisées en – systèmes – (véritable pathologie de croyance) caractérisées par l’ordre, la cohérence et la clarté. Ils en sont donc systématisés et interprétatifs. À l’origine, on pensait que le délire survenait chez les sujets présentant une personnalité particulière : orgueil, méfiance, psychorigidité, hypertrophie du Moi, fausseté du jugement... On s’est ultérieurement rendu compte que cette affirmation commode était fausse et que tous ceux qui présentaient un délire paranoïaque étaient loin d’avoir cette personnalité.

Ces psychoses sont caractérisées par des idées délirantes permanentes auxquelles le sujet adhère de façon inébranlable, tout en gardant une perception conforme à la réalité. Elles surviennent vers 40-50 ans. Il n’y a pas d’évolution déficitaire. Le sujet vit dans la réalité et conserve ses capacités d’adaptation, mis à part le secteur délirant de sa pensée.

Ils sont caractérisés par des idées délirantes permanentes qui font l’essentiel du tableau clinique. Le délire paranoïaque apparait souvent brutalement, mais précédé par une période d’angoisse, de perplexité qui va déboucher sur un syndrome de dépersonnalisation et d’étrangeté qui ouvre sur le vécu persécutoire. On a souvent décrit la personnalité prémorbide comme une personnalité pathologique où domine la méfiance, l’orgueil, la surestimation de soi, l’intransigeance, la susceptibilité, l’agressivité défensive et la rigidité psychiatrique (masquant in sentiment profond d’insuffisance) et la fausseté du jugement (recours constant à des explications et des déductions pseudo-logiques aux bases affectives et erronées). De telles personnalités dites paranoïaques sont cependant loin de constituer le substrat de tous les délires paranoïaques et ceux-ci peuvent survenir sur des personnalités très diverses, pathologiques ou non.

Il est d’ailleurs important de différencier les idées obsédantes et les rituels que l’on peut retrouver chez le sujet paranoïaque des symptômes obsessionnels vu dans la névrose. Dans la paranoïa, l’obsession est liée à une interprétation délirante de la part du sujet qui n’a pas conscience de son état pathologique, alors que dans la névrose obsessionnelle le sujet a conscience de ses symptômes et en souffre.

Les différents types de délires paranoïaques :

-       Le délire d’interprétation ;

-       Le délire de relation ou délire de référence ;

-       Les délires passionnels (érotomaniaque et de jalousie) ;

-       Délire de jalousie ;

-       Délire érotomaniaque.

Si dans le language courant paranoïa est synonyme de persécution, les délires paranoïaques ne se réduisent pas aux thématiques de persécution. Par ailleurs, celles-ci sont tellement fréquentes (y compris dans les schizophrénies ou les BDA), qu’elles ne sauraient constituer un élément central dans les classifications.

C’est dans son commentaire sur l’ouvrage de Daniel Paul Schreber Les mémoire d’un névropathe que Freud (1911) met en avant sa théorie de la paranoïa. Les interprétations de Freud viennent rendre compte de la paranoïa de persécution, de l’érotomanie, de la mégalomanie et du délire de jalousie. Pour lui, le patient est confronté à un fantasme homosexuel, sous la forme « moi un homme, j’aime un homme » qu’il ne peut tolérer et qu’il va donc nier.

Plusieurs négations sont alors possibles qui rendent compte des différents troubles.

Ainsi, dans la paranoïa de persécution, le fantasme devient « je ne l’aime pas, je le hais » et par la suite d’une rationalisation « je le hait parce qu’il me hait » qui devient « il me hait » par projection. Dans la jalousie, la phrase « j’aime un homme » devient « ce n’sont pas moi qui l’aime, c’est elle qui l’aime ». Dans l’érotomanie, c’est l’objet qui est nié et « j’aime un homme » devient « j’aime une femme parce qu’elle m’aime » qui par projection se traduit par le sentiment d’être aimé par cette femme (illusion délirante d’être aimée). Enfin, dans la mégalomanie, c’est un ensemble de la phrase qui est nié et le sujet n’aime que lui et s’attend à être aimé de tous.

Vignette clinique : exemple de délires d’interprétations systématisés.

Victor, 50 ans, est hospitalisé après qu’il a attaqué un passant dans la rue. Il proteste avec fermeté et véhémence contre cet internement qu’il considère comme arbitraire. Il nous explique « il existe un complot contre moi depuis trois ans. Tout à commencer sur mon lieu de travail : mon téléphone sonnait et lorsque je décrochais, il n’y avait personne au bout du fil ; vous trouvez ça normal vous ? Après on a essayé de m’empoisonner. Mais je me méfiais et je m’en suis tiré avec une diarrhée. Après ils sont allés chez moi et ils ont mal fermé la porte pour que je le sache. C’est une affaire politique ; ils appartiennent à deux bandes qui s’affrontent et ils veulent m’impliquer dans leurs manœuvres et essayer de me salir. Mais moi je suis un homme intègre, honnête. J’ai ma dignité. ». Victor devient de plus en plus exalté « Ils ont fait courir le bruit que je trompais ma femme, que j’avais des mœurs malhonnêtes. Ils étaient partout, des voitures stationnaient en bas de chez moi pour me surveiller ; dans l’immeuble, ça devait se savoir, les voisins se regardaient d’un air entendu sur mon passage, et même les passants dans la rue... J’ai fini par perdre patience... ». On notera l’aspect sthénique, la non-reconnaissance des troubles, les thèmes de persécution, d’empoisonnement, les thèmes politiques, la mégalomanie, le mécanisme interprétatif (exogène et endogène), la chronicité, la congruence à l’humeur, l’extension en réseau, l’âge de début. (Pedinielli, 2002)

D.   Les psychoses affectives : la psychose maniaco-dépressive (PMD).

Individualisée par Kraepelin (1921), la psychose maniaco-dépressive est caractérisée classiquement chez un même sujet par l’alternance d’épisode dépressifs habituellement sévères et d’accès maniaques. Si ces troubles sont bien de forme psychotique (perte du contact avec la réalité, rejet, délire...), en revanche les sujets qui les présentent ne sont pas obligatoirement psychotiques. L’existence d’un retour à un état antérieur entre les épisodes dépressif et maniaque, en fait un trouble transitoire. Il y a également la mise en évidence dans certains cas de causes biochimique et génétique, où l’idée d’une psychogenèse était difficile à soutenir.

Les aspects cyclique, transitoire et la perte du contact avec la réalité permettent de différencier la PMD de la dépression, qui se caractérise chez le sujet par une perte d’un élan vital, un état dépressif chronique tout en restant conscient de ses troubles et en maintenant un contact avec la réalité. 

La PMD fait alterner dans sa forme complète ou bipolaire des accès dépressifs ou mélancoliques et des accès maniaques séparés par des intervalles libres de toute manifestation thymique ou psychotique. Premier accès vers 30 ans. La fréquence des épisodes est variable. Évolution aiguë : durée 6 à 8 mois. La fin de l’accès aigu peut se produire brutalement de quelques heures à quelques jours, avec risque d’inversion de l’humeur (passage à une phase d’excitation). Le risque suicidaire est constant tout au long de l’évolution et élevée au moment de la levée de l’inhibition. Évolution vers la chronicité lorsque :

-       Sujet plus âgé ;

-       Accès nombreux ;

-       Répétition des thèmes délirants ;

-       Accès successifs rebelles à la thérapeutique antidépressive ;

-       Détérioration intellectuelle associée.

·     Les accès mélancoliques : apparaissent à la suite d’un conflit familial, d’un deuil, d’un surmenage ou d’une affection somatique. Ces épisodes semblent survenir plus souvent chez la femme à l’automne et à l’hiver. Début brutal (tentative de suicide par exemple) qui surprend l’entourage par sa soudaineté. Le début est insidieux marqué par le développement progressif des troubles dépressifs. Le rendement intellectuel baisse et un ralentissement psychomoteur apparaît. Les signes cliniques sont : humeur triste avec douleur morale intense, inhibition psychomotrice avec ralentissement, perturbations neuro-végétatives (troubles du sommeil, digestifs, amaigrissement, ...), idéation délirante à thèmes mélancoliques (indignité, incurabilité, damnation, ruine, ...) et par des idées de suicide prégnantes ;

·     Les accès maniaques : Début brutal après des chocs émotionnels, des conflits affectifs, des difficultés professionnelles, des affections somatiques, deuil récent.

Les signes cliniques sont :

-       Hyperactivité inhabituelle et insomnie ;

-       Excitation psychique avec accélération des processus intellectuels, fuite des idées, discours diffluent, passage du coq à l’âne, perturbations majeures de l’attention et de la concentration ;

-       Excitation motrice plus ou moins importante avec hyperactivité souvent improductive, trouble des conduites sociales, démarches intempestives, déambulations nocturnes et matinales, hyperthymie expansive (euphorie morbide accompagnée d’une labilité thymique extrême – le patient passe du rire aux larmes, d’une attitude familière à une ironie agressive, d’un sentiment d’élation et de toute puissance à des attitudes provoquantes ou hostiles) ;

-       Des troubles de la vie instinctuelle constitués par une insomnie rebelle sans sensation de fatigue par une restriction de l’appétit avec déshydratation fréquente et par une hypersexualité avec ou sans hypergénésie.

Ces états maniaques s’accompagnent d’idées mégalomaniaques quasi délirantes avec projets grandioses, sentiments de grandeur, de richesse et d’infaillibilité, intuitions prophétiques, certitudes de découverte scientifique fondamentale. Thèmes érotiques ou idées délirantes de filiation voir idées de persécution avec revendication. Les mécanismes sont le plus souvent imaginatifs.

Le traitement : chimiothérapie après les bilans cliniques et biologiques (antidépresseurs, neuroleptiques). L’hospitalisation est souvent nécessaire (en fonction de l’évaluation de la gravité de l’état dépressif ou maniaque et les risques encourus par le patient). La psychothérapie constitue une thérapie complémentaire dont les effets sont souvent appréciables.

Vignette clinique : exemple de PMD

Madame C, 50 ans, mariée, mère de deux enfants est en inactivité et en invalidité professionnelle depuis un accident de voiture grave survenu deux ans auparavant. L’entourage de Madame C ne rapportent aucun épisode psychopathologique antérieur à l’accident où elle a effectué plusieurs « tonneaux » avant de sombrer dans un coma consécutif au traumatisme crânien. À son réveil, elle est plongée dans un état mélancolique sévère. Elle ne présente pas de séquelle cliniquement ou neuroradiologiquement objectivable. Mise sous antidépresseur, elle vire son humeur sur un mode maniaque avec une tonalité agressive sarcastique. Rapidement épuisante, son état impose une hospitalisation en service de psychiatrie où elle est mise sous neuroleptique. L’accès maniaque est maîtrisé en quinze jours. Madame C reste stable durant quelques jours avant de nous annoncer qu’elle ressent des prodromes d’un nouvel état dépressif. À partir de ce moment, Madame C n’a plus cessé d’alterner des épisodes dépressifs mélancoliques et des épisodes maniaques avec une forte participation somatique. La patiente se trouve enfermée dans une circularité maniaco dépressive sans intervalle libre. Les épisodes mélancoliques sont francs, impressionnant, volontiers délirants, mais les thèmes délirants sont congruents à l’humeur. Le ralentissement est sévère, l’amaigrissement est lié à une anorexie tenace. La peau est sèche, la patiente est allongée en « chien de fusil » sur son lit et dit attendre la mort. Au cours des états d’exaltation de l’humeur, Madame C est expansive, joviale, familière, elle chante à tue-tête et interpelle les uns et les autres. Sa peau est grasse, sa gloutonnerie lui fait prendre du poids. Le diagnostic de psychose maniaco-dépressive ne fait pas de doute.

E.   Psychoses délirantes aiguës ou bouffées délirantes aigues (BDA).

Pour la psychiatrie, dans sa composante descriptive des maladies, il y a donc des troubles chroniques et des troubles aigus, certains d’entre eux présentant des caractéristiques sémiologiques semblables. En revanche, la question est plus difficile pour les théories psychopathologiques structurales. En effet, la psychopathologie qui s’intéresse principalement au sujet risque de ne pas pouvoir rendre compte de la différence entre acuité et chronicité autrement qu’en termes d’événements déclenchants : si la structure du sujet est déterminante et si l’apparition de troubles manifestes est secondaire à un mode particulier d’organisation, la notion de trouble aigu devient moins importante.

Pourtant, le « vécu » de la personne est très différent selon qu’il s’agit d’un épisode ou bien d’un fonctionnement continu. Le défi lancé à la psychopathologie par ces troubles est donc clair : décrire les phénomènes psychologiques qui surviennent, leur logique et rendre compte de la continuité ou de la discontinuité entre la structure du sujet et l’épisode : peut-on présenter un trouble psychotique sans être psychotique ? La question des rapports entre le symptôme et la structure est donc très directement posée.

Le terme de bouffée délirante caractérise un état (transitoire) délirant d’installation brutale, à la symptomatologie riche et polymorphe, dont l’évolution est rapidement et spontanément résolutive, avec retour à l’état antérieur.

Le délire s’installe d’emblée en quelques heures parfois précédé par des phases d’inquiétude vague altérant avec des états d’exaltation, des moments d’anxiété, d’insomnie. Le délire est polymorphe et variable d’un moment à l’autre, dans les thèmes (toute puissance, filiation, persécution, influence) et ses mécanismes (hallucinations psychiques sans sensorialité : représentation de bruits, de paroles, odeurs, visions, mouvements, transformation de la pensée [elle fait écho, est deviné ou est imposée], hallucinations psycho-sensorielles : visuelles, auditives, gustatives, olfactives, cénesthésiques[3], kinesthésiques[4]). Il est immédiatement vécu avec une conviction totale et s’accompagne de fluctuations thymiques intenses, de l’euphorie à l’angoisse et la tristesse. Les expériences de dépersonnalisation et de déréalisation sont fréquentes : transformations morphologiques, modifications de la perception du monde, du temps, de l’espace... Le vécu a un aspect oniroïde : état de rêve délirant, ineffable, énigmatique et magique, coexistant de façon flottante avec le maintien de la perception du réel. Les troubles de l’humeur sont fréquents (exaltation affective tantôt mélancolique – avec abattement, tristesse, idée de mort, tantôt illuminée et triomphante – expansivité, agitation, tantôt anxieuse). Leur parenté avec les psychoses maniaco-dépressives est indéniable. Le comportement se caractérise par :

-       Un risque majeur de passage à l’acte agressif ou suicidaire avec risque d’actions médico-légales (vols, fugues, conduites dangereuses, agressions...) ;

-       L’importance de la quête affective ;

-       La recherche d’un rôle, d’un personnage, dans un discours souvent œdipien.

L’évolution à court terme se fait en quelques jours ou quelques semaines vers la guérison. La persistance du délire au-delà de ce délai doit faire récuser le diagnostic de bouffée délirante et faire craindre une évolution schizophrénique chronique ou vers une psychose maniaco-dépressive.

Le traitement nécessite une hospitalisation. L’obtention rapide d’une sédation du délure et des troubles affectifs relève d’un traitement par les neuroleptiques incisifs (anti-délirants) et sédatifs (pour réduire l’angoisse et l’agitation). Souvent on a recours à la sismothérapie en raison de son efficacité de sa rapidité d’action.

F.   La psychose puerpérale.

Le cours de la grossesse s’accompagne souvent de manifestations névrotiques liées à des facteurs biologiques, psychologiques et sociaux. Il est rare qu’une schizophrénie débute pendant la grossesse. Les suites à court terme d’un accouchement sont souvent marquées par une phase dépressive brutale et transitoire (post-partum : rumination accompagnée de troubles du sommeil sous forme d’insomnie avec cauchemars et agitation nocturne) qui peut cependant être parfois annonciatrice d’une psychose puerpérale survenant entre le 5ème et 25ème jour.

Cette dernière réalise un tableau confusionnel avec vécu oniroïde généralement centré sur l’enfant (la naissance récente peut être niée : l’enfant n’est pas encore né ou n’a jamais existé ou n’est pas du sexe déclaré à l’état civil, ou vécu sur un mode persécutoire : il va mourir, risque d’être tué ou enlevé et oscillations thymiques (abattement dépressif, stupeur, angoisse intense). Elle nécessite un traitement neuroleptique d’urgence en milieu spécialisé avec si possible une hospitalisation conjointe de l’enfant. Son pronostic est variable : bon au prix parfois de nouveaux épisodes puerpéraux ou plus préoccupants annonçant une schizophrénie ou un PMD. Une dépression peut également s’installer dans les mois qui suivent l’accouchement, avec une évolution parfois traînante lorsqu’elle survient sur une personnalité de type hystérique.

Vignette clinique : exemple de psychose aiguë (BDA)

Roland, 20 ans, a été adressé en urgence à cause de discours bizarres apparus récemment, après plusieurs nuits d’insomnies. Il tient des propos décousus, s’oppose à tout entretien. Il est très agité et paraît désorienté dans le temps à certains moments. Il déclare « ce sont les médiums qui m’ont jeté des sorts, l’ai vu dans leur regard », « je suis un grand, je suis le Dieu, je suis mort, je vais renaître ». Au cours de l’entretien, à plusieurs reprises il suspend sa conversation, le regard fixé dans l’espace. Il dira un peu plus tard que les gourous lui parlaient et qu’ils répétaient dans sa tête « maintenant c’est fini ». II passe du rire aux larmes et semble vivre intensément l’expérience dont il est l’objet. Les regards de « ceux qui savent » (les médiums) le brûlent, à tel point qu’il se plaint de douleurs cutanées et cherche à dissimuler ses mains et son visage. Il ne peut regarder autour de lui à cause du risque de brûlures. À d’autres moments il paraît plus sûr de lui, se redresse et parle avec une certaine emphase des « pouvoirs » qu’il leur a pris. Il n’a jamais eu de problèmes de cet ordre, mais semble avoir mal réagi à l’annonce du divorce de ses parents. Il l’a appris alors qu’il était isolé, en début d’année, dans une université nouvelle pour lui. Après quatre semaines de traitement, ses idées délirantes ont disparu, il en garde un souvenir déplaisant et tente de rattraper le temps qu’il a perdu. En thérapie, il évoque à plusieurs reprise le lien troublant entre les pensées sur sa chance d’avoir une famille unie et l’annonce de la séparation de ses parents : « coup de tonnerre dans le ciel qui me paraissait serein. Tout s’est effondré et les ordres ont commencé à vibrer ». (Pedinielli, 2002).

Conclusion sur les psychoses :

Les psychoses représentent un ensemble morbide marqué par une rupture radicale avec la réalité et dont la gravité est importante. Les principales formes cliniques sont les schizophrénies (marqués par la dissociation) et les troubles délirants chroniques (marqués par le délire) et les psychoses aiguës marquées par la brutalité des troubles. Sur le plan de l’interprétation des phénomènes morbides ; il apparaît, d’un point de vue psychanalytique, que les symptômes négatifs (retrait de la réalité, repli sur soi) sont à entendre comme un désinvestissement massif d’une réalité non conforme au Moi, les troubles positifs (productifs) comme le délire et les hallucinations apparaissent comme des tentatives de guérison, de réinvestir la réalité plus conforme au Moi.

Synthèse sur la psychose :

·     Présence de délires ;

·     Une absence d’adaptation au système de réalité ;

·     Le sujet est non conscient du caractère pathologique de ses troubles ;

·     Le conflit psychique fait affronté le Moi et la réalité qui est rejetée ;

·     Les pulsions s’extériorisent sous forme de productions délirantes et hallucinatoires : le sujet crée une néo-réalité conforme à son désir ;

·     Le sujet psychotique cherche à annuler sa réalité extérieure.

VI.          La perversion : repères cliniques et psychopathologiques.

A.   Un peu d’histoire pour mieux saisir l’évolution du concept.

L’adjectif « pervers » est attesté dès 1190, comme dérivé de « perversitas » désignant l’extravagance, l’absurdité, la corruption, le dérèglement, la dépravation et de « perversus », participé de « pervertere » signifiant « retourner », « renverser », et dans une connotation péjorative « renverser les mœurs elles-mêmes », « retournement fâcheux ». Au XVIIIème siècle, la notion de perversion a un sens bien établi dans le domaine médical : elle qualifie une « altération », et en particulier une altération des humeurs ou de perversion des humeurs selon Portal (1803), renvoyant à un processus de viciation et de perte de la qualité normale des fluides (le sang, la bile, la lymphe) induisant des manifestations pathologiques, en les acidifiant, en les épaississant, en les faisant fermenter. En 1873, le Littré, définit la « perversion » en l’appliquant à la psychologie. Est pervers qui détourne une règle, une loi, un fonctionnement physiologique, un processus, pour un surplus de plaisir, de jouissance, parfois à l’insu du sujet lui-même. Progressivement, les termes de « perversion des humeurs » sont proposés pour nommer un changement qualitatif, une modification de la qualité des humeurs pouvant aboutir à la maladie, voire à la mort.

Au début du XIXème siècle, la médecine s’intéresse à ce qu’elle nomme les altérations, les déviations, les aberrations des instincts ou encore de perversion des instincts désignant des actes aberrants liés à une force qui pousse irrésistiblement à l’action. Aussi, les instincts deviennent l’objet d’une classification médicale en fonction de leur mobilité : ils peuvent faire l’objet d’affectations spécifiques, localisées, qualifiées alternativement de « monomanie instinctive », de « monomanie affective », de « perversion de l’instinct ». Est formulée ainsi toute une description de la pathologique des différents instincts, instincts envisagés comme des « fonctions » essentielles de la vie, indépendantes de tout acte intellectuel et susceptibles de présenter des « perversions ».

Dans les années 1820/1850, la perversion fait l’objet de débats médico-légaux opposants la notion médicale de « perversion maladive » et la notion juridique de « perversité morale ». Sur la base de ces débats, la définition du concept de perversion en psychiatrie s’est établie et s’est précisée, notamment par sa distinction avec la perversité.

C’est dans ce cadre politique et idéologique que la psychiatrie reproche ainsi aux magistrats de confondre ou d’amalgamer la notion de perversité se rapportant à une conduite vicieuse volontaire et habituelle et celle de perversion (renvoyant pour la psychiatrie de l’époque) à une perturbation maladive des penchants qui conduit des personnes à agir sans vouloir leurs actes. Certains psychiatres, comme Falret (1854) et Morel (1857), vont récuser le principe même d’une perversion en tant que « monomanie instinctive » (définit comme un délire partiel, localisé dans tel acte ou tel fonction) pour affirmer qu’elle est le fait d’un « état plus général et plus profond ».

La perversion, de tel ou tel penchant, n’est donc plus considérée comme un phénomène isolé et accidentel dans la personnalité du sujet mais comme un trait fondamental de cette personnalité de laquelle peuvent germer divers phénomènes pathologiques.

Peu à peu, la distinction entre perversion et perversité s’affirme dans la clinique psychiatrique. Il est désormais admis que les perversions se rapportent au comportement sexuel tandis que la perversité désigne une disposition permanente du caractère, la duplicité cruelle et maligne.

Le débat psychiatrique sur la notion de perversion est relancé au milieu du XIXème siècle, dans un contexte de législation sévère à l’encontre de l’homosexualité dans certains pays. Plusieurs études psychiatriques ont pour but de faire connaître et reconnaître l’homosexualité comme un phénomène n’ayant rien de monstrueux, mais représentant une variété d’accès à la jouissance. Les travaux de Richard von Krafft-Ebing (1896) ou encore Havelock Ellis (1897) sur l’étude psychiatrique des anomalies et les conduites sexuelles perverses (telles que l’homosexualité, l’exhibitionnisme, le sadisme, le masochisme, la pédophilie ou encore la gérontophilie) participent à délimiter le domaine des perversions en y intégrant toutes les satisfactions érotiques dont la conservation de l’espèce ne semble pas l’objectif. Ces auteurs cherchent à décrire la perversion comme une entité clinique psychiatrique dans ses différentes formes et la définiront comme une déviation de l’instinct. La perversion est classifiée dans la nosographie psychopathologique à la fin du XIXème siècle.

Avec la psychanalyse, les débats sur la perversion prennent un tout autre tournant. S’inspirant des travaux de Krafft-Ebing (1896), Moll (11893), Havelock Ellis (1897), Freud remet en question le rôle de l’hérédité dans la genèse de la perversion. Pour l’auteur, les perversions sont, non pas liées à des phénomènes de dégénérescences, mais en relations avec des phénomènes psychiatriques, subjectifs et non biologiques.  

B.   Clinique psychanalytique de la perversion.

La perversion occupe une place centrale pour la clinique psychanalytique. Les travaux du fondateur de la psychanalyse auront pour préoccupation première de sortir de la perversion de sa connotation morale. Comme le rappelle Dubré (1996), pour Freud « il n’y a de perversions que sexuelles », loin de perversion du sens moral ou des perversions des instincts, Freud ne parlera que de perversion qu’en relation à la sexualité. L’auteur essaie de conceptualiser l’unicité du processus psychopathologique de la perversion mais au fil des remaniement de la métapsychologie ce processus va s’organiser selon plusieurs modèles successifs (quatre modèles présentés ci-après) qui feront de la perversion une catégorie psychopathologique instable, d’abord proche de la névrose puis de la psychose. Par la suite, d’autres auteurs considérerons la perversions (notamment depuis les travaux de Bergeret) comme une forme d’états limites opposés aux névroses et aux psychoses.

Nous verrons plus loin en quoi la clinique psychanalytique contemporaine a contribué à élargir le concept de perversion sur un plan métapsychologique.

Dans le Vocabulaire de la psychanalyse, Laplanche et Pontalis rappellent la définition de la perversion que Freud reprend à la psychiatrie du XIXème siècle : « Déviation par rapport à l’acte sexuel « normal », défini comme coït visant à obtenir l’orgasme par pénétration génitale, avec une personne du sexe opposé » (Laplanche, Pontalis, 1978, p. 307)

1.     La perversion selon Freud.

Ainsi que nous l’évoquions précédemment, la pensée de Freud concernant les perversions va évoluer tout au long de son œuvre, elle sera l’occasion de nouveaux remaniements théoriques. Les bases de la réflexion freudienne sont posées dans les Trois essais sur la thérapie de la sexualité (1905) dans lesquels Freud envisage la perversion comme une composante psychologique universelle. Notons cependant que pour Freud, l’enjeu n’est pas d’élaborer une théorie de la perversion mais de fonder sa propre « théorie sexuelle ».

« Les perversions ne sont ni des bestialités, ni de la dégénérescence dans l’acceptation pathétique du mot. Elles sont dues au développement de germes qui tous sont contenus dans la prédisposition sexuelle non différenciée de l’enfant, germes dont la suppression ou la dérivation vers des buts sexuels supérieurs – la sublimation – est destinée à fournir des forces d’une grande part des œuvres de la civilisation » Freud, 1905, 35-36.

 


 

a)    Disposition perverse polymorphe de l’enfant. La perversion comme régression et la fixation à la sexualité infantile.

La disposition perverse polymorphe de l’enfant : Les Trois essais sur la théorie de la sexualité (1905) sont pour Freud l’occasion d’exposer ses théories sur le développement sexuel caractérisé par son instauration en deux temps : la petite enfance et la puberté. Pour Freud, la sexualité infantile est perverse en soi parce que caractérisée par deux éléments majeurs : son auto-érotisme et le primat des pulsions partielles. C’est dans ce sens-là que l’on peut dire, avec S. Freud (1905, page 118), que « L’enfant a une disposition perverse polymorphe[5] ». La problématique œdipienne, l’angoisse de castration, la peur de perdre l’amour de l’objet, la constitution d’un Surmoi, instance héritière du complexe de l’Œdipe à l’origine de la conscience morale, amènent l’enfant à renoncer à cet auto-érotisme par la promotion de l’investissement de l’objet. Les pulsions partielles se soumettant au primat du génital infantile. Cette sexualité perverse polymorphe sombre partiellement sous l’effet du refoulement mais également avec la latence qui permet de contenir et de détourner le débordement pervers infantile en préparant la synthèse et la subordination des pulsions partielles à la puberté. Pour l’adolescent, la voie vers la sexualité adulte passe d’une part, par la représentation de la sexualité infantile qui fait renoncer aux plaisirs infantiles et hiérarchise les zones érogènes en les subordonnant à la génitalité, et d’autre part, par la prohibition de l’inceste qui marque le sexe de l’objet d’amour en interdisant le plus proche de l’enfant (Lanteri-Laura, 2012)

Pour rappel : Freud postule que la sexualité humaine ne commence pas avec la capacité physiologique de la reproduction, soit la puberté, mais est inscrite au plus profond de l’homme dès sa naissance. Freud (1905) met en évidence l’existence d’une sexualité infantile précoce fondée sur les expériences de satisfaction des besoins fondamentaux. L’apaisement obtenu dans la satisfaction des besoins donne naissance à la recherche d’un plaisir indépendant de cette satisfaction.

Après être passée par un objet externe (le sein maternel), la satisfaction sexuelle est obtenue par l’investissement d’une partie du corps propre de l’enfant : passage de la succion (comme activité fonctionnelle et adaptative visant au maintien de la survie par la satisfaction du besoin) au suçotement, activité purement érotique ne visant qu’à obtention du plaisir. Chaque zone érogène est investie pour elle-même. Il décrit ainsi une sexualité infantile dont la base pulsionnelle s’organise autour d’orifices ou de zones innervés et vascularisés, qui suit des stades de développement (oral, anal, phallique, génital), et qui subit des remaniements (refoulement, déplacement...) auxquels s’ajoutent des traumatismes individuels. Cette sexualité est dite auto-érotique, c'est-à-dire que le corps n’a besoin ni d’un autre corps ni d’un objet extérieur à lui : excitation par les lèvres et la langue dans l’oralité, par les matières fécales et le sphincter strié dans l’analité, par les mains dans la masturbation des organes génitaux. De plus, la sexualité infantile s’étaye sur une fonction physiologique qui satisfait un besoin (par exemple la faim), le plaisir étant obtenu par l’excitation d’une zone érogène, source d’une pulsion partielle.

Avec la puberté et l’instauration du primat génital, le sujet investit de nouveaux buts sexuels et ne nouveaux objets dans la génialité. Les objets sexuels infantiles auxquels l’enfant était attaché sont désinvestis.

Du primat des zones érogènes qui organisent la sexualité perverse polymorphe au primat des zones génitales qui caractérisent la sexualité adulte, la libido change de camp. La problématique œdipienne, l’angoisse de castration, la peur de perdre l’amour de l’objet, la constitution d’un Surmoi, instance du complexe d’Œdipe à l’origine de la conscience morale, amènent l’enfant à renoncer à cet auto-érotisme par la promotion de l’investissement de l’objet, les pulsions partielles se soumettant au primat génital infantile. Il s’agit tout d’abord de renoncer aux satisfactions authentiques de la sexualité infantile, pour atteindre, après une période de latence, une expérience du plaisir dans l’objet soit quelqu’un de l’autre sexe et dont le but soit la réunion des organes génitaux masculin et féminin. Le développement naturel de la sexualité suppose donc une issue favorable du complexe d’Œdipe, de manière à ce qu’elle ne soit plus auto-érotique, mais prenne pour objet le sexe opposé, et qu’elle ne reste pas anarchique mais subordonne les autres zones érogènes à la génitalité.

La perversion chez l’adulte : Freud rapproche ce que l’on observe dans les perversions adultes de l’activité sexuelle polymorphe de l’enfant. C’est donc à partir de la notion de perversité polymorphe de l’enfant et de la théorie des pulsions partielles que Freud propose une première conception des perversions de l’adulte comme régression et fixation à la perversité infantile. Ce sont, la fixation incestueuse de la libido aux objets d’amour infantile (auxquels l’enfant doit renoncer à la puberté) ainsi que la régression à des organisations prégénitales résultats des inhibitions du développement sexuel normal, qui font les perversions. L’auteur perçoit alors la perversion comme une sexualité de caractère infantile et propose de considérer que les perversions adultes résultent de la fixation ou de régression à des stades libidinaux de cette période de l’enfance où :

-       La sexualité est dominée par les pulsions partielle, la prégénitalité ;

-       L’angoisse de castration ne produit pas ses effets ;

-       La conflictualité psychique reste embryonnaire.

Tel que le précise Marty (2007), la perversion pathologique chez l’adulte reprend les traits de la sexualité infantile (notamment perverse et polymorphe) qui, elle, ne constitue qu’une étape sur le chemin de la sexualité adulte. Ce qui caractérise le sexuel humain, c’est son caractère biphasé, le sexuel infantile n’en constituant que la première phase, la deuxième étant la puberté et l’instauration de la génitalité. Entre les deux, la latence qui permet, dans son au-delà, la reprise dans l’après-coup de ce sexuel infantile refoulé. Dans la perversion, c’est ce bi-phasage qui pose question, comme si la latence n’avait pas permis de reprise de la sexualité infantile, comme si la sexualité infantile poursuivait son chemin sans refoulement (Marty, 2007).

Ainsi, ce qui domine et qui est commun chez l’enfant pervers polymorphe et chez le pervers adulte, c’est la recherche à tout prix d’une satisfaction qui ne rencontre pas de limite internes, qui n’est pas subordonnée à la recherche de l’objet total comme pouvant apporter dans la rencontre intersubjective la satisfaction et la complémentarité sexuelles. La perversion résulterait d’une sorte d’arrêt du développement de la libido qui n’irait pas jusqu’à l’investissement de l’objet total dans la sexualité génitale ou d’une régression jusqu’à ce stade de son organisation (prégénitalité). Elle poursuivait comme but la recherche impérative de la satisfaction libidinale comme au temps de l’enfance, dans un mouvement anarchique, en ne tenant compte que de cet impératif.

Aussi, de nombreuses perversions de l’adultes représenteraient l’amplification et la spécialisation de telle ou telle partie de la sexualité infantile. Dans ce cas, l’adulte diffère de l’enfant car, loin d’être polymorphe, il est plutôt monomorphe : le sujet adulte n’évolue plus, car il se fixe à un certain comportement et le répète sans en changer.

Pour Freud, il y a perversions quand l’orgasme est obtenu avec d’autres objets, d’autres zones corporelles (évitement des organes génitaux), par rapport à la sexualité adulte définie, quant à elle, comme relation soumise à l’organisation génitale avec une personne du sexe opposé. Selon l’auteur, la perversion se caractériserait par des déviations de la libido quant au but : transgression anatomique des zones corporelles destinées à l’union sexuelle, arrêt aux relations intermédiaires avec l’objet sexuel (toucher, regarder), entretient d’une relation sadique ou masochiste avec l’objet.

Notons ici que, selon Freud (et plus généralement pour la clinique psychanalytique contemporaine), plusieurs anomales du but sexuel sont considérées comme pathologiques, non pas de par le comportement lui-même, mais du fait que ce dernier devienne prévalant, exclusif, la condition même de l’orgasme.

b)    La perversion comme régression et fixation au narcissisme.

Ce modèle dérive du précédent. La perversion est toujours une régression de fixation, non plus à la prégénitalité, mais au narcissisme (Freud, 1914). Là encore, les perversions permettent à Freud d’introduire le concept de narcissisme dans la métapsychologie et de proposer un nouveau dualisme qui oppose libido narcissique et libido objectale. L’auteur caractérise « les pervers » par leur type de choix d’objet (il est narcissique) et leur régression narcissique en de ça de l’idéal du Moi.

Pour le pervers le choix de l’objet narcissique « a pour but et pour satisfaction d’être aimé ». La perversion comme régression narcissique en de ça de l’idéal du Moi intervient dans l’idéal du Moi (substitut du narcissisme perdu de l’enfance) n’a pu se développer, ni donc produire « du côté du Moi » le refoulement.

En 1915, Freud développe et poursuit l’analyse pulsionnelle des perversions. Il donne alors une importance centrale à l’un des destins pulsionnels (à côté du refoulement et de la sublimation) : le retournement. Freud fait l’hypothèse que le retournement de la pulsion en son contraire (de l’activité à la passivité) ou sur le sujet lui-même (du voyeurisme à l’exhibitionnisme, du sadisme au masochisme) aurait une fonction défensive (narcissique).

c)    La perversion héritière au complexe d’Œdipe.

Freud (1919) constate la fréquence du fantasme infantile de fustigation chez ses patients hystériques et obsessionnels. Interrogeant sa signification et son destin, pour l’auteur un tel fantasme « ne peut être conçu que comme un trait primaire de perversion ». Aussi, les processus sont susceptibles d’entraver cette perversion infantile font défaut « alors la perversion se maintient dans l’âge mûr » et peut induire chez l’adulte un comportement sexuel aberrant (pas seulement masochiste). Là encore, le modèle de la fixation prévaut. Freud s’attache ici à l’analyse de fantasme masochiste de l’enfant « empêtré dans les excitations de son complexe parental » et non au comportement masochiste de l’adulte. À partir de cette analyse, Freud fait dépendre les perversions du complexe d’Œdipe : un tel fantasme[6] (et d’autres fixations perverses analogues) ne serai(en)t alors que des cicatrices ou des séquelles du complexe d’Œdipe.

La perversion serait à comprendre comme une cicatrice laissée par le complexe d’Œdipe. Entre le masochisme infantile posé comme le paradigme (œdipien) des perversions er la théorisation du fétichisme (Freud, 1927) qui deviendra le modèle des perversions tel que nous le verrons en suivant, et avec le remaniement pulsionnel de 1920, Freud introduit l’hypothèse (sans réellement l’explorer) d’une désunion pulsionnelle comme mécanisme susceptible de produire la perversion. Le sadisme devient en effet un exemple de la pulsion de mort « non mélangé aux pulsions de la vie ce sadisme vise l’anéantissement de l’objet mais son intrication à Éros donne la pulsion sexuelle sa composante sadique » (Freud, 1920). Freud revient sur le fantasme de fustigation et les dispositifs réels des pervers masochistes qui le mettent en scène : étayés sur le masochisme érogène, ces scénarios satisferont le besoin de punition lié au sentiment de culpabilité inconscient (masochisme moral). C’est de la désunion pulsionnelle du sadisme d’avec d’Éros que pourrait naître la perversion. Les mécanismes du fétichisme vont prendre une place déterminante dans la psychopathologie et la métapsychologie freudienne. Pour Freud (1927), le fétichisme devient explicitement le modèle de la toute perversion.

d)    Le fétichisme comme paradigme des perversions.

Le fétichisme apparaît dans l’œuvre freudienne avant 1927. Il se constitue par surestimation (idéalisation) et investissement sexuel d’un objet-substitut (exemple : la chevelue, les pieds...), par représentation (1905) ou souvenir-écran (1920) lié à un objet sexuel primaire, auto-érotique. La surestimation ou l’idéalisation de l’objet sexuel ou de sa pulsion sont pour Freud le processus d’où naît le fétiche. Pour l’auteur, la surestimation de l’objet n’est pas pathologique en tant que tel « un certain degré de fétichisme se retrouve régulièrement dans l’amour normal » nous dit-il (1905). L’idéalisation de la pulsion sexuelle, quant à elle, témoigne d’une importante activité psychique de transformation ou de la sublimation.

Le fétichisme devient pathologique que s’il y a fixation au fétiche. Après avoir évoqué le rôle de l’analité dans la genèse du fétiche, Freud (1927) va centrer la perversion sur la relation au phallus et le rôle déterminant du complexe de castration.

« Le fétiche est le substitut du phallus de la femme (la mère) auquel a cru le petit enfant et auquel, nous savons pourquoi, il ne veut pas renoncer. Le processus est donc celui-ci : l’enfant s’était refusé à prendre connaissance de la réalité de sa perception : la femme ne possède pas de pénis. Non ce ne peut être vrai car si la femme est châtrée, une menace pèse sur la possession de son propre pénis à lui, ce contre quoi se hérisse ce morceau de narcissisme dont la nature prévoyante à justement doté cet organe » Freud, 1927, p.134

Le fétiche apparaît comme la solution perverse face à une angoisse de castration provoquée par la différence des sexes et l’absence effective de pénis chez la femme. Il incarne et maintient au-dehors la trace et le recouvrement de la trace du conflit interne entre le fantasme et la réalité dont témoigne la perception visuelle du sexe opposé. La reconnaissance qu’une partie du Moi fait de cette réalité, tandis que l’autre la désavoue, donne lieu au clivage du Moi, un mode de défense différent du refoulement dans la mesure où, ce déni porte sur la réalité extérieur – et non sur la réalité interne – et sur un point précis de cette réalité : la différence des sexes. C’est également un élément du monde extérieur qui devient prévalant pour le fétichiste. Notons ici que le clivage du Moi n’est pas spécifique de la perversion mais peut se manifester à toutes les organisations psychiques. Cette défense est susceptible de se mettre en place à chaque fois qu’une certaine fantasmatique sexuelle viens menacer la stabilité narcissique du Moi.

Ainsi, le fétichisme est devenu au fil de l’élaboration freudienne le modèle de toute perversion, sinon la perversion elle-même. Comme le souligne Neau (2004), c’est avec le fétichisme que Freud réduit le pluriel des perversions au singulier d’une catégorie psychopathologique. Le pervers devient dès lors celui qui déni la réalité de sa perception ainsi que la portée symbolique de la différence des sexes, en restant particulièrement fixé à la représentation du pénis féminin.

e)    La perversion, entre névrose et psychose.

Freud a varié sur sa façon de comprendre la perversion qu’il situe d’abord sur l’axe des névroses puis sur l’axe des psychoses dans l’Abrégé de psychanalyse (1938).

Rappel : Dans les Trois essais Freud souligne en quoi c’est un même processus de fixation ou de régression aux motions infantiles perverses en soi qui est à l’œuvre dans les symptômes des névrosés comme dans les conduites perverses « la névrose est pour ainsi dire le négatif de la perversion » avance-t-il (1905, p.81). Dans Un enfant est battu, la perversion comme névrose partage le même noyau : le complexe d’Œdipe dont elles sont les restes. L’analyse du fantasme masochiste de fustigation, qui résulte de l’amour œdipien pour le père, sur un versant sadique pour la fille et masochiste pour le garçon, rapproche l’organisation névrotique de l’organisation perverse, même si le destin de ce fantasme diffère selon les sexes conduisant les femmes à la névrose et les hommes à la perversion.

C’est finalement à partir de l’étude du fétichisme que Freud rapproche progressivement la perversion de la psychose. Dans la perversion, comme dans la psychose, le conflit psychiatrique se déploie entre le Moi et le monde/la réalité extérieure, tandis que la névrose naît d’un conflit intrapsychique entre le Moi et le Surmoi, ou le Ça. Toutefois, psychose et perversion présentent des différences. Dans la perversion, le déni ne porte que sur une partie de la réalité. De même, le clivage de type pervers entre les deux positions – celle qui déni une partie de la réalité (absence de l’objet ou absence du pénis féminin) et celle qui la reconnaît – permet la coexistence de ces deux positions et le maintien dans l’ancrage de la réalité. Dans la psychose, un des deux courant, celui fondé sur la réalité a vraiment disparu. Pour Freud, ce rejet de la réalité caractérise la psychose (comme déni de la réalité de la différence des sexes signe de la perversion, et sa reconnaissance la névrose). Une autre différence distingue la perversion de la psychose : dans sa construction fétichiste, il y a un travail d’élaboration psychique qui s’apparente au travail du rêve, qu’il n’y a pas dans le délire psychotique caractérisé par la réalisation hallucinatoire de désir où la satisfaction se veut immédiate.

Rappel : Dans Pour introduire le narcissisme, Freud affirme que le choix d’objet du pervers est narcissique. L’auteur renforce ce rapprochement entre perversion et psychose : la relation d’objet narcissique caractérise aussi les sujets psychotiques, l’identification narcissique est commune à la mélancolie et à la perversion. Les pervers s’en trouvent pathologisés. Dans le fétichisme, cette proximité se renforce encore. Psychose et perversion ont en commun de détournement de la réalité et des mécanismes de défense identiques : le déni et le clivage.

2.     La perversion après Freud : approfondissements et ouvertures psychanalytiques.

Comme le soulignent Laplanche et Pontalis (1978, p.308) « en psychanalyse » beaucoup d’auteurs classiques « ne parlent de perversion qu’en rapport à la sexualité ». Ainsi, après Freud, la clinique de la perversion a fait l’objet d’une importante théorisation comme en témoigne la littérature clinique psychanalytique postfreudienne et contemporaine. Les successeurs de Freud privilégient, les uns et les autres, chacune des pistes ouvertes par lui, à savoir la perversion résultant des troubles de la prégénitalité, la fonction défensive de la constitution de l’objet-fétiche, le statut métapsychologique de la perversion.

Parmi les travaux les plus significatifs s’orientant vers les troubles de la prégénitalité, citons pour exemple ceux de Mélanie Klein (1927) qui renforcent le point de vue freudien sur la perversité polymorphe de l’enfant : les fixations à des fantasmes sadiques-oraux et sadique-anaux très précoces et refoulés constitueraient « la base de toutes les perversions ».

S’agissant des travaux fondamentaux s’orientant vers la constitution et/ou la fonction défensive de l’objet-fétiche, citons pour exemple ceux de :

a)    Janine Chasseguet-Smirget (1984) ou de Guy Rosolato (1970) signalant le rôle majeur du complexe de castration dans les perversions. Ces travaux confirment en quoi ces dernières se caractérisent par le déni de la génitalité et l’idéalisation concomitante de l’analité, en deçà de la différence des sexes et des générations. Cette idéalisation de l’analité ou cette régression anale sur laquelle se fonde la perversion résulte de la projection de l’idéal du Moi (héritier du narcissisme primaire) sur les fèces ;

b)    Phyllis Greenacre (1953) pour qui est la construction même du fétichisme (que l’auteure rattache au registre narcissique), paradigmatique de la perversion, résulterait d’un trouble des identifications sexuelles précoces. L’auteure insiste sur les difficultés d’individualisation dont procéderait le fétiche en créant une cristallisation qui tendrait à limiter le développement des premières relations ;

c)    Évelyne Kestemberg (1978) qui, dans la même lignée que les travaux de Greenacre, analyse l’instauration d’une relation fétichiste à l’objet comme une défense face à une menace d’anéantissement au plus près de la psychose. La fétichisation (perverse) signerait une complétude de la construction narcissique ;

d)    Paul-Claude Racamier (1985) pour qui « un colmatage perversif des angoisses psychotiques » peut être un recours dans des « perversions narcissiques non érogènes » ou des « perversités narcissiques » : le sujet nourrit son propre narcissisme aux dépend d’autrui dans un mode de relation où, à la suite de la projection sur l’autre de ses propres déchirures et souffrances, le Moi de l’autre se trouve disqualifié ;

e)    Robert J. Stoller (1978) faisant de la perversion « la forme érotique de la haine ». L’auteur soutient que l’acte pervers est fondamentalement un acte d’agressivité ou l’homme doit posséder et détruire la mère pour éviter le retour fusionnel et la perte de son identité sexuelle masculine.

Enfin, concernant les travaux significatifs à propos du statut métapsychologique de la perversion, citons pour exemple les travaux de Jacques Lacan (1957) centrés sue le complexe d’Œdipe et ses avatars. En s’appuyant sur l’article de Freud « un enfant est battu » (1919), c’est en termes de structure que Lacan comprend la notion de perversion, soulignant ainsi, au-delà des pratiques sexuelles perverses relativement contraignantes, une articulation spécifique de la relation de désir dans la triangulation œdipienne à côté des structures normales, névrotiques et psychotiques.

Dans la structure perverses la triangulation de la relation de désir ne se fait pas : cette relation se limite à une triade imaginaire « mère-enfant-phallus » avec une mise hors-jeu de l’instance paternelle susceptible d’introduire à « la relation symbolique » et à « l’ordre symbolique ». Dans la structure perverse, ne sont opérantes ni la menace de castration paternelle ni l’identification paternelle : le sujet pervers n’a pu « se référer » au Père en tant qu’agent de la castration et support de la loi. Cette loi se trouve, en effet désavouée (ici le désaveu est la traduction lacanienne du déni freudien « Verleugnung », mais du point de vue lacanien, ce que désavoue le pervers, ce n’est pas tant la réalité de la différence des sexes (effectivement perçue par le pervers), que la portée signifiante de cette réalité à savoir : la loi de prohibition de l’inceste en tant qu’elle fonctionne dans l’inconscient comme une loi de castration symbolique. Loin de l’ignorer du fait d’un Surmoi défaillant, le pervers provoque et défie la loi du législateur afin d’y substituer son propre désir (quitte à se faire à son tour moraliste, initiateur, créateur de monde...).

Notons que chez Lacan, les problématiques de la perversion et du narcissisme sont indissociables dans la mesure où la relation subjective mère-enfant est perverse et narcissique (Lacan, 1957).

3.     Pour conclure : La perversion, nouveaux repérages, nouvelles cliniques.

Les travaux résumés précédemment nous conduisent à souligner que « les perversions » occupent une place au carrefour d’un certain nombre d’organisations psychiques ou psychopathologiques, notamment, en termes de mécanismes de défense et de problématique. La question demeure de cerner plus précisément cette place : par exemple la perversion constituerait-t-elle une composante de fonctionnement psychiatrique spécifique au même titre que la névrose ou la psychose ?

Ainsi, après Lacan, d’autres cliniciens pensent la perversion d’une part, au-delà des pratiques sexuelles perverses et d’autre part, en la spécifiant telle qu’une « véritable » organisation perverse de la personnalité autrement dit, un mode de fonctionnement de la vie psychique caractérisé. Précisions alors que nous parlons d’organisation perverses, nous nous situons au sein des aménagements possibles de l’état-limite proposé par Bergeret (1970).

Enfin, dans la continuité des travaux précurseurs, certains cliniciens contemporains cherchent à approfondir la clinique de la perversion en rapport aux sexualités dites perverses (comme par exemple, le fétichisme, l’exhibitionnisme, le voyeurisme, le masochisme, le sadisme...) et/ou délictueuses (comme par exemple la pédophilie), d’autres tentent d’étendre la psychopathologie de la perversion à d’autres problématiques dans lesquelles la masochisme est massivement convoqué telles que les addictions (McDougall, 1982, 1996), les troubles des conduites alimentaires (Chabert, 1999), les conduites violentes (Jeammet, 1991, 1997 ; Balier, 1996). Tous ces travaux constituent de véritables avancées théoriques et pratiques pour la clinique psychanalytique contemporaine.


 

Conclusion générale.

La psychologie clinique au défi des symptômes contemporains (Vavassori, Harrati, 2018).

Depuis trois ou quatre ans, l’évolution de la psychologie et de la profession de psychologue est marquée par plusieurs rencontre scientifiques importantes et par la parution d’une série d’ouvrages ou d’articles portant sur l’état de notre discipline, sur son unité et sur sa diversité, sur les modalités de son inscription sociale et politique, sur son avenir.

La psychologie clinique résulte d’une conjonction entre l’évolution de notre profession et l’évolution historique de notre société dans son ensemble, une société moderne pouvant être qualifiée de complexe. Le développement économique des dernières décennies s’est traduit par une modification des structures sociales dans les pays industriels avancés. Ces mutations sociales soutenues par un modèle de gestion néolibéral ont bousculé le temps du sujet, obstruant notamment les notions d’historicisation, de résistance du symptôme et d’après-coup. De ce fait, l’économie du symptôme est moins à entendre dans ses apports avec l’inconscient qu’avec ceux des logiques managériales et de rendement.

Cette évolution économique et sociale inscrit ainsi le psychologue clinicien dans une position inconfortable. Cet inconfort tient à ce que l’objet de notre profession se confronte à différents discours visant à confisquer un discours soucieux d’une clinique du singulier aux prises avec une épistémologie complexe du sujet souffrant, un regard témoignant d’une clinique de l’histoire du sujet dans ses dimensions temporelles : psychiques, mais aussi biopsychosociales. Cette position d’inconfort génère la crainte de disparaître dans la marée d’une idéologie sanitaire et sécurisante et de revendications scientistes. De ce fait, elle est aussi pour la psychologie clinique psychanalytique une invitation à penser l’avenir en termes de pouvoir – au sens d’une position d’action – pour rester sur la scène sociale. L’enjeux n’est pas mince, car il s’agit pour nous, psychologues cliniciens, de choisir entre assumer notre position « de pouvoir » au sein de la société ou disparaitre.

Selon Françoise Sironi, la psychologie clinique contemporaine repose sur trois axes fondamentaux faisant d’elle une science incontournable parmi les sciences du vivant. Elle participe « à éclairer la complexité des mécanismes psychologique en interaction avec le monde », elle est en action quand « ses recherches sur le vivant » réinterrogent les pratiques professionnelles et les manières de penser, elle est « prospective quand elle s’attache à garantir l’adéquation entre les concepts qu’elle utilise, les problématiques contemporaines et celles en devenir » notamment lorsqu’elle est confrontée aux impacts des nouvelles technologies, au répercussions des avancées thérapeutiques dans les champs connexes des sciences de la santé ou encore aux avancée de nouvelle disciplines telle que les neurosciences.


[1] La décompression est la rupture d’un équilibre. Dans certaines maladies, des troubles qui existent potentiellement, peuvent être pendant un certain temps « compensés ». Leurs conséquences néfastes n’apparaissent pas, du fait de défenses qui les équilibrent. Lorsque les défenses tombent, l’équilibre est rompu, le trouble va se manifester, la maladie sera « décompensée ».

La décompensation psychique est une crise qui marque l’effondrement des mécanismes de défense habituels d’une personne confrontée à une situation affective nouvelle et insupportable. La déficience psychique originelle se manifeste alors de façon aiguë révélant la fragilité du Moi et les effets des carences affectives ou les tendances psychotiques.

 

[2] Phantasme : Production de l’imaginaire par laquelle le Moi cherche à échapper à l’emprise de la réalité.

[3] Transformation dans son corps.

[4] Hallucinations de mouvements.

[5] L’adjectif « polymorphe » signifie que la pulsion sexuelle chez l’enfant n’est pas unifiée, mais elle se satisfait à partir de différentes zones érogènes et de pulsions partielles.

[6] Freud souligne combien ce fantasme infantile est commun aux pervers et aux névrosés. Il précise qu’il analyse ici un fantasme pervers et non des actes pervers.


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