TITRE I : L’ACTE ADMINISTRATIF UNILATÉRAL
CHAPITRE 1 : LA NOTION D’ACTE ADMINISTRATIF UNILATÉRAL
Définition
L’acte administratif unilatéral (AAU) est une décision prise par une autorité administrative, imposant une modification de l’ordre juridique à des tiers sans leur consentement.
Section 1 : La définition de l’acte administratif unilatéral
§ 1 – Un acte
- Caractérisation :
- Se distingue d’un simple fait administratif (ex. comportement de l’administration), qui n’a pas de portée juridique.
- Différent du document administratif, qui informe ou accompagne l’action sans avoir nécessairement d’effets juridiques.
- Typologie :
- Actes non décisoires : n’imposent pas de décision juridique (ex. circulaires interprétatives).
§ 2 – Un acte unilatéral
- Caractère unilatéral :
- Décision imposée à des tiers (ex. administrés) sans leur participation directe à la décision.
- Différent du contrat, qui engage plusieurs parties avec leur consentement mutuel.
- Cas particuliers :
- Certains actes unilatéraux peuvent être élaborés en consultation avec les administrés, mais la décision finale appartient à l’administration.
- L’unilatéralité s’applique aussi aux actes internes à une personne morale, mais seulement si les membres y sont soumis.
§ 3 – Un acte administratif
- L’AAU est un acte rattaché à la fonction administrative, distinct des actes de droit privé.
I – Un acte de droit public
- Critères d’identification :
- Le critère finaliste (objet de l’acte) est prioritaire sur le critère organique (auteur de l’acte).
A – Les actes de droit privé des personnes publiques
- Lorsqu’une personne publique gère son domaine privé ou un SPIC, elle peut adopter des actes de droit privé.
- Exemples :
- TC, 1921, Société commerciale de l’Ouest africain : Gestion de SPIC = actes de droit privé.
- CE, 1998, Commune de Toulon : Si un acte met en œuvre une prérogative de puissance publique (PPP), il relève du droit public.
B – Les actes administratifs des personnes privées
- Certaines personnes privées peuvent adopter des AAU lorsqu’elles exercent une mission de service public et disposent de prérogatives de puissance publique.
1) Personnes privées gérant un service public administratif (SPA)
- Conditions :
- Existence d’une mission de SPA.
- Usage de PPP pour édicter l’acte.
- Jurisprudence :
- CE, 1942, Monpeurt : Les décisions prises dans le cadre d’un SPA sont des AAU.
- CE, 1961, Magnier : L’usage de PPP est nécessaire pour qualifier un acte administratif.
- Exclusion des actes purement internes :
- Les actes sans portée extérieure ni PPP (ex. règlement intérieur) ne sont pas des AAU.
- Ex. : CE, 1976, GIE Brousse-Cardell.
- Fédérations sportives :
- Délégataires (ex. organisation de compétitions) : leurs actes sont des AAU.
- Agréées (sans PPP) : leurs actes ne sont pas administratifs.
2) Personnes privées gérant un service public industriel et commercial (SPIC)
- Les actes unilatéraux nécessaires à l’organisation du service sont des AAU.
- Exemples :
- TC, 1968, Société Air France : Actes relatifs à l’organisation interne d’un SPIC = AAU.
- TC, 2016, Comité d’établissement ERDF et GRDF : Extension à tous les actes organisant le SPIC.
II – Un objet administratif
Pour être qualifié d’acte administratif unilatéral, l’acte doit avoir un objet administratif. Cela signifie qu’il est lié à la fonction administrative et qu’il se distingue des actes d’une autre nature adoptés par l’État. Les actes parlementaires, juridictionnels ou les actes dits de gouvernement ne remplissent pas toujours cette condition, bien qu’ils puissent parfois être proches dans leur apparence ou leur effet.
A – Acte administratif et acte parlementaire
- Définition :
- Les actes parlementaires sont ceux adoptés par les assemblées législatives, autres que les lois. Lorsque le Parlement adopte une loi, ce n’est pas un acte administratif, car elle appartient à la fonction législative. Cependant, il peut adopter des actes autres que des lois, notamment pour l’organisation interne de ses services ou la gestion des personnels, ce qui soulève la question de leur qualification.
- Critères de distinction :
- Certains actes parlementaires, bien que proches des actes administratifs, ne peuvent être contrôlés par le juge administratif car ils relèvent de l’autonomie du Parlement. Cependant, dans certains domaines précis, notamment le recrutement et la gestion de la carrière des agents parlementaires, le juge administratif peut exercer un contrôle.
- Jurisprudence clé :
- Ordonnance du 17 novembre 1958 : prévoit que les actes relatifs au recrutement ou à la carrière des agents des assemblées peuvent être contrôlés.
- CE, ass., 5 mars 1999, Président de l’Assemblée nationale : les décisions des services des assemblées parlementaires relatives à la passation de contrats administratifs sont considérées comme des actes administratifs.
B – Acte administratif et acte juridictionnel
- Principe :
- L’acte juridictionnel se distingue de l’acte administratif en raison du principe de séparation des pouvoirs (article 64 de la Constitution). Les juridictions ont pour mission de trancher des litiges. Lorsqu’un acte émane d’une juridiction, il n’est pas automatiquement administratif.
- Critères pour identifier une juridiction :
- Le juge utilise trois critères pour déterminer si une institution exerce une fonction juridictionnelle :
- La détention d’un pouvoir de décision.
- Le caractère collégial de l’institution.
- La nature juridictionnelle de sa mission (règlement de litiges).
- Cas de double fonction :
- Certaines institutions cumulent des fonctions juridictionnelles et administratives, comme le Conseil supérieur de la magistrature (CSM).
- CE, ass., 12 décembre 1953, De Bayo : le CSM est une juridiction pour les sanctions disciplinaires des magistrats, mais une autorité administrative pour les nominations.
- Actes assimilés à des actes administratifs :
- Les décisions des chambres régionales des comptes relatives aux budgets locaux (CE, 23 mars 1984, OGEC de Couëron).
- Les décisions disciplinaires des ordres professionnels sur l’inscription au tableau (CE, ass., 2 avril 1943, Bouguen).
- Exclusion des actes relatifs au fonctionnement des juridictions :
- TC, 27 novembre 1952, Préfet de la Guyane :
- Les actes relatifs au fonctionnement des juridictions sont juridictionnels.
- Les actes relatifs à l’organisation du service public de la justice (ex. nomination des magistrats) sont administratifs.
C – Acte administratif et acte de gouvernement
- Définition :
- Les actes de gouvernement sont des décisions prises pour des motifs politiques dans le cadre de la souveraineté de l’État. Ces actes, bien qu’émanant de l’exécutif, ne sont pas administratifs et échappent au contrôle du juge administratif.
- Deux grandes catégories d’actes de gouvernement :
- Relations entre pouvoirs publics constitutionnels :
- Relations avec le Parlement (ex. décret de promulgation d’une loi).
- Décisions internes à l’exécutif (ex. nomination des membres du gouvernement).
- Mise en œuvre des pouvoirs propres du président de la République.
- Relations internationales :
- Décisions relatives à la conduite des affaires étrangères (ex. engagement militaire, essais nucléaires).
- Cependant, certains actes détachables de cette conduite sont qualifiés d’administratifs, comme l’autorisation ou le refus d’extradition.
- Jurisprudence clé :
- CE, 14 août 1865, Courrier du dimanche et CE, 19 février 1875, Prince Napoléon : les interdictions ou révocations motivées par des considérations politiques ne sont pas contrôlées par le juge administratif.
- CE, 27 janvier 2023 : une association contestait l’octroi de licences pour l’exportation de matériel de guerre. Le Conseil d’État a estimé que ces décisions relèvent de la souveraineté de l’État et ne peuvent être contrôlées juridiquement.
Section 2 : La typologie des actes administratifs unilatéraux
L'administration produit différents types d'actes administratifs unilatéraux (AAU). Ces catégories permettent de déterminer les régimes juridiques applicables à chaque acte. L’article L. 200-1 du Code des relations entre le public et l’administration (CRPA) distingue trois catégories :
- Les actes décisoires, qui créent des droits ou obligations.
- Les actes non décisoires, qui n’ont pas d’impact juridique direct.
- Les mesures d’ordre intérieur (MOI), des micro-décisions de faible portée normative, insusceptibles de recours juridictionnel.
Le caractère décisoire se définit par les effets normatifs de l’acte. Il implique une modification de l’ordonnancement juridique, contrairement aux actes non décisoires qui ne font qu’organiser ou guider l’action administrative. Cette distinction a évolué sous l’influence de René Chapus, puis a été confirmée par le législateur en 2000, dans le cadre du CRPA.
§ 1 – Les décisions administratives (ou actes administratifs décisoires)
I – La notion d’acte administratif unilatéral décisoire
Les décisions administratives se caractérisent par leur capacité à produire des effets juridiques normatifs. Elles modifient l’ordonnancement juridique en créant, modifiant ou supprimant des droits.
- Caractéristiques :
- Les décisions affectent juridiquement leurs destinataires, elles "font grief". Par conséquent, elles peuvent être contestées devant le juge administratif ou faire l’objet d’un recours gracieux ou hiérarchique pour leur modification ou abrogation.
- Un acte qui maintient simplement l’état de droit existant n’est pas considéré comme décisoire.
- Conséquences juridiques :
- Tout acte décisoire est justiciable, c’est-à-dire qu’il peut être contesté devant le juge administratif via un recours pour excès de pouvoir (REP).
- CE, 17 février 1950, Dame Lamothe : tout acte décisoire peut faire l’objet d’un REP, même en l’absence de disposition textuelle explicite.
- Les actes décisoires bénéficient toutefois du privilège du préalable, ce qui signifie qu’ils sont présumés légaux tant que le juge ne les a pas annulés. Cela permet d’éviter qu’une contestation bloque l’action administrative.
II – La distinction des actes réglementaires et des actes non réglementaires
Les actes décisoires se subdivisent en deux grandes catégories :
- Les actes réglementaires, qui ont une portée générale et impersonnelle.
- Les actes non réglementaires, qui s’appliquent de manière concrète et spécifique.
A – L’acte réglementaire
Un acte réglementaire se définit par :
- Portée générale : il vise une catégorie de personnes ou de situations sans les désigner nommément.
- Portée impersonnelle : il s’applique à tous ceux qui entrent dans la catégorie visée, présents ou à venir.
- Cas particuliers :
- Certains actes, bien que n’étant pas purement réglementaires, sont assimilés à des actes réglementaires pour des raisons juridiques et pratiques. Par exemple :
- Les mesures relatives à l’organisation des services publics :
- CE, sect., 13 juin 1969, Commune de Clefcy : ces mesures sont considérées comme réglementaires même si elles ne sont pas générales et impersonnelles.
- Les décisions ayant un impact général, comme la radiation d’un médicament de la liste des médicaments remboursables :
- CE, 9 juillet 1993, Association FO Consommateurs.
- Les refus d’édicter, modifier ou abroger un règlement sont eux aussi qualifiés d’actes réglementaires :
- CE, ass., 8 juin 1973, Richard.
B – Les actes non réglementaires
Les actes non réglementaires se distinguent des actes réglementaires par leur application concrète et limitée. Ils se déclinent en deux sous-catégories :
- Les décisions individuelles : visent une ou plusieurs personnes nommément désignées.
- Les décisions d’espèce : concernent des situations spécifiques sans nommer de destinataires.
1) Les décisions individuelles
Une décision individuelle s’applique à des personnes identifiées, qu’elle leur attribue des droits, impose des obligations ou donne des ordres.
a- Décisions créatrices de droits :
Ces décisions confèrent des avantages juridiques ou matériels à leurs destinataires. Par exemple :
- Une subvention accordée à une personne morale ou physique.
- Un permis de construire délivré à un individu.
- Jurisprudence : les décisions qui accordent un avantage financier sont toujours considérées comme créatrices de droits, sauf si elles se limitent à constater un droit préexistant.
- Décisions défavorables ou restrictives de droits :
- Certaines décisions, comme les sanctions disciplinaires ou les interdictions, affectent négativement les droits des administrés. Ces décisions sont également susceptibles de recours.
b) Les décisions individuelles non créatrices de droits
Certaines décisions individuelles, bien qu’elles concernent des personnes identifiées, ne confèrent pas de droits nouveaux :
- Les décisions recognitives (ou déclaratives)
- Elles constatent simplement une situation juridique ou matérielle existante.
- Exemple : la délimitation du domaine public maritime.
- Les décisions défavorables
- Ces décisions, comme une sanction, refusent un droit ou imposent une obligation.
- Elles ne créent pas de droits pour leur destinataire mais peuvent parfois bénéficier à des tiers.
- Exemple : un refus de permis de construire peut conférer un avantage au voisin en préservant son environnement.
- Les décisions obtenues par fraude
- Ces décisions accordent un avantage jugé indigne de protection juridique (jurisprudence CE, Silberstein).
- Toutefois, elles produisent des effets juridiques tant qu’elles n’ont pas été abrogées ou retirées.
- Exemple : une infirmière embauchée frauduleusement pour un diplôme inexistant conserve ses droits acquis avant la découverte de la fraude.
- Les décisions conditionnelles
- Leur effet juridique est subordonné à la réalisation d’une condition.
- Si cette condition n’est pas remplie, la décision ne produit aucun effet créateur de droit.
2) Les décisions d’espèce
Ces décisions concernent des situations particulières sans être ni réglementaires ni individuelles.
- Exemple : une déclaration d’utilité publique.
§ 2 – Les actes administratifs unilatéraux non décisoires
Les actes non décisoires ne produisent pas d’effets juridiques normatifs et sont généralement insusceptibles de recours juridictionnel. Ils se divisent en deux grandes catégories :
- Les actes préparatoires et confirmatifs
- Les actes indicatifs (ou actes de droit souple)
I – Les actes préparatoires et confirmatifs
A – Les actes préparatoires
Ces actes servent à préparer une décision finale sans en préjuger le contenu. Ils incluent :
- Avis simples, recommandations, consultations, propositions préalables.
Exemples jurisprudentiels :
- Les avis des chambres régionales des comptes :
- Si l’avis accepte une demande (par exemple, celle d’un préfet), il est préparatoire.
- Si l’avis rejette la demande, il peut être qualifié de décision.
- Les avis pour la nomination d’une personne peuvent être considérés comme des décisions administratives.
B – Les actes confirmatifs
Ils répètent ou réitèrent le contenu d’un acte juridique antérieur, sans en modifier les effets.
- Jurisprudence :
- CE, sect., 28 mars 1952, Martin, Piteau, L’Huillier : un acte réitératif n’a aucun effet décisoire.
- CE, sect., 25 janvier 1991, Confédération nationale des associations familiales catholiques : si l’acte ajoute une précision ou modifie le contenu initial, il devient décisoire.
II – Les actes indicatifs (ou actes de droit souple)
Ces actes se contentent de formuler des recommandations ou des orientations sans établir de normes impératives.
A – Les actes de droit souple adressés aux administrés
Ils incluent des mesures sans portée normative directe, comme des vœux ou des recommandations.
Jurisprudence :
- CE, 24 juin 1956, Union des industries métallurgiques et minières : un acte avec une portée impérative ou entraînant une sanction peut être requalifié en décision décisoire.
- CE, ass., 21 mars 2016, Société Fairvesta et autres et Société Numericable : les avis des autorités de régulation peuvent être contestés s’ils influencent le comportement des entreprises.
- CE, ass., 19 juillet 2019, Mme Le Pen : un acte impactant significativement les électeurs est justiciable.
Trois types d’actes émergent :
- Actes impératifs : assimilables à des décisions.
- Actes indicatifs influençant les comportements : susceptibles de contrôle.
- Actes déguisés en droit souple mais en réalité décisoires.
B – Les actes de droit souple adressés aux services administratifs
- Les circulaires
- Documents par lesquels un chef de service interprète ou commente un texte juridique pour ses subordonnés.
- En principe, elles ne sont pas décisoires.
Jurisprudence :
- Une circulaire devient caduque lorsque le texte qu’elle commente est abrogé ou modifié.
- CE, 2002, Duvignères : une circulaire contenant des dispositions impératives peut être requalifiée en acte réglementaire.
a) La contestation des circulaires
L’évolution jurisprudentielle concernant les recours pour excès de pouvoir contre les circulaires peut être divisée en trois grandes étapes :
1er temps : La distinction entre circulaires interprétatives et circulaires réglementaires (CE, 1954, Institution Notre-Dame du Kreisker)
- Circulaires interprétatives :
- Elles précisent le sens d’un texte sans ajouter de nouvelles règles.
- Elles sont considérées comme non décisoires, donc insusceptibles de recours.
- Circulaires réglementaires :
- Elles ajoutent des règles de droit ou modifient l'application d'un texte.
- Elles sont décisoires, donc contestables devant le juge par un recours pour excès de pouvoir.
Limite : La jurisprudence CE, 1993, IFOP a ajouté une difficulté en précisant que même les circulaires interprétatives peuvent faire grief si elles méconnaissent le sens et la portée des textes qu'elles interprètent. Cette complexité a conduit à un nouveau critère.
2e temps : La distinction entre circulaires indicatives et impératives (CE, 2002, Duvignères)
Le Conseil d'État modifie son approche et distingue :
- Circulaires impératives :
- Elles donnent des ordres ou imposent des contraintes aux destinataires, réduisant leur liberté.
- Elles sont considérées comme normatives et donc contestables devant le juge, même si elles ne créent pas de nouvelles règles de droit.
- Circulaires indicatives :
- Elles se limitent à des recommandations ou conseils, laissant la liberté aux destinataires.
- Elles ne sont pas décisoires et ne peuvent pas faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.
Critère clé : La formulation impérative (ordres) ou indicative (conseils) des phrases contenues dans la circulaire.
3e temps : Le critère des effets notables des circulaires (CE, 2020, GISTI)
La jurisprudence a évolué avec une approche plus globale :
- Les documents de portée générale émanant des autorités publiques sont susceptibles de recours s'ils :
- Ont un caractère impératif (comme dans l'arrêt Duvignères).
- Ou produisent des effets notables sur les droits ou la situation des administrés.
Cas d’espèce (GISTI) : Une note préconisait un refus systématique de délivrer des papiers à des Guinéens en raison d'une suspicion généralisée sur leurs documents. Cette note, bien qu’indicative, a eu des effets notables sur les administrés concernés et a donc été jugée susceptible de recours.
Conclusion : Une circulaire ou un document général est contestable si :
- Il est impératif.
- Ou il produit des effets notables, même sans caractère impératif.
b) L’invocation des circulaires
L’invocabilité d’une circulaire correspond à la possibilité, pour les administrés, d’exiger son application par l’administration. Cette invocation est encadrée par deux conditions majeures :
1ère condition : La publicité des circulaires
- Loi de 1978 (codifiée à l’article L. 312-2 du CRPA) :
- Une circulaire doit être publiée pour être opposable.
- Les circulaires non publiées sont considérées comme inexistantes.
- Décret de décembre 2008 :
- Obligation de publicité pour les circulaires ministérielles (article R. 312-8 du CRPA).
2ème condition : L’invocabilité par les administrés
La loi ESSOC du 10 août 2018 a clarifié les règles d’invocabilité :
- Principe général :
- Les administrés peuvent invoquer toutes les circulaires pour contester une décision administrative.
- Exceptions :
- Une circulaire ne peut pas être invoquée si :
- Elle prive un tiers de ses droits.
- Elle porte atteinte à la santé publique, la sécurité des personnes ou des biens, ou à l’environnement.
Exemple jurisprudentiel : Ministre de l’Intérieur c/ Époux Korkmaz :
- Les circulaires sur la régularisation des étrangers en situation irrégulière ne peuvent être opposées à l’administration, même si elles sont impératives.
Impact de la loi ESSOC :
- La loi met fin à l’approche jurisprudentielle antérieure, qui limitait l’invocabilité aux seules circulaires réglementaires légales.
2) Les lignes directrices
Définition :
Les lignes directrices sont des actes par lesquels une autorité administrative fixe une ligne de conduite pour orienter ses décisions individuelles futures.
- Origine jurisprudentielle :
- CE, sect., 11 décembre 1970, Crédit foncier de France :
- Les lignes directrices garantissent la cohérence de l’action publique.
- Elles ne modifient pas directement les droits et obligations des administrés et ne sont donc pas décisoires.
a) La contestation des lignes directrices
1. Principe général : Non-décisoires
- Les lignes directrices ne font pas grief car elles n'imposent pas directement de nouvelles règles.
- Exception : Elles peuvent être contestées si elles ont un caractère impératif ou produisent des effets notables.
- Jurisprudence clé :
- CE, 20 déc. 2000, Conseil des industries françaises de défense : Si une ligne directrice influence significativement les droits ou le comportement des administrés, elle devient contestable.
- CE, 13 décembre 2017, Société Bouygues Télécom : Les lignes directrices qui produisent des effets notables sur les administrés peuvent faire l’objet d’un REP.
- CE, sect., 12 juin 2020, GISTI : Reprend la notion d’effets notables pour déterminer le caractère contestable des actes administratifs non décisoires.
2. Contestation indirecte
- Une ligne directrice peut être contestée indirectement par voie d’exception, lors d’un recours contre une décision individuelle prise en application de celle-ci (exception d’illégalité).
b) L’invocation des lignes directrices
Les administrés peuvent invoquer les lignes directrices pour :
- Exiger leur application : L’administration doit respecter ses propres orientations.
- Demander leur inapplication : Si des circonstances particulières justifient une dérogation, l’administration doit motiver sa décision.
3) Les mesures d’ordre intérieur (MOI)
Définition :
Les mesures d’ordre intérieur sont des décisions administratives internes, souvent prises par des chefs de service, qui visent les agents ou les usagers d’un service public.
- Elles sont souvent perçues comme mineures, sans réelle incidence sur les droits des administrés.
I. La catégorie traditionnelle des mesures d’ordre intérieur
Critères d’identification des MOI :
- Décision interne à l’administration : Elle s’applique uniquement dans un cadre interne (agents ou usagers).
- Caractère discrétionnaire : L’administration dispose d’une grande marge d’appréciation.
- Incidence limitée pour les destinataires : La mesure ne modifie pas les droits et obligations des administrés.
Exemples classiques :
- Non contestable : Mutation d’un étudiant d’un groupe de TD à un autre (incidence mineure).
- Contestable : Refus de passage à une classe supérieure, ayant un impact direct sur la scolarité.
II. La régression des mesures d’ordre intérieur
A. L’évolution jurisprudentielle
- CE, ass., 17 février 1995, Hardouin et Marie :
- Critères d'appréciation élargis :
- Hardouin : Effets sur la situation juridique de l’administré.
- Marie : Nature et gravité de la mesure.
- Ex. :
- Une punition militaire peut être contestée si elle affecte les droits fondamentaux.
- Une sanction en milieu carcéral, comme un placement en cellule disciplinaire, peut également être contrôlée (atteinte aux libertés fondamentales).
B. Conséquences
- Réduction de la catégorie des MOI :
- Services publics concernés :
- Éducation nationale :
- Ex. CE, 2 novembre 1992, Kherouaa : Les interdictions dans les règlements scolaires sont devenues susceptibles de recours.
- Armée : CE, ass., 17 février 1995, Hardouin : Les sanctions disciplinaires sont désormais contestables.
- Milieu pénitentiaire : CE, ass., 17 février 1995, Marie : Les décisions ayant un impact grave sur les conditions de détention sont contrôlées par le juge.
- Exemple moderne :
- CE, 2003, Frérot : Les décisions ayant un impact subjectif (ex. éloignement d’un détenu de sa famille ou avocat) sont contestables.
Conclusion
Évolution des catégories d’actes administratifs :
- Actes non justiciables malgré leurs effets :
- MOI traditionnelles (mutation mineure, règlement interne).
- Lignes directrices non impératives.
- Actes justiciables en raison de leurs effets :
- MOI ayant des effets notables (Hardouin, Marie).
- Lignes directrices ou circulaires produisant des effets not