Chapitre 3 : Perspectives de droit comparé sur le principe de primauté
Définition
Droit de l'Union Européenne (DUE)
Ensemble de règles juridiques qui régissent les institutions européennes et les relations entre les États membres.
Primauté
Principe selon lequel le droit de l'Union Européenne prévaut sur le droit national des États membres.
Cour constitutionnelle
Institution judiciaire chargée de veiller à la conformité des lois à la constitution d'un pays.
Section 1 : La proximité de plusieurs grands États membres sur les limites constitutionnelles à l’intégration européenne
§ 1 : La Cour constitutionnelle allemande
La Cour constitutionnelle allemande a joué un rôle central dans la définition des limites à l'intégration européenne. Une jurisprudence clé, Solange I, a été établie le 29 mai 1974. Elle subordonnait la primauté du DUE sur le droit national à une protection suffisante des droits fondamentaux par le DUE.
Cette position a évolué, notamment avec l'élection au suffrage universel du Parlement européen et des décisions de la Cour de justice de l'UE visant à renforcer la protection des droits fondamentaux. En conséquence, la Cour constitutionnelle allemande a suspendu son contrôle tant que ce niveau de protection est jugé équivalent, comme stipulé dans Solange II, le 29 octobre 1986.
Une décision importante concerne le Traité de Maastricht du 29 octobre 1993, où la Cour allemande a mis en garde contre les abus éventuels des compétences communautaires. Elle a précisé que la primauté n'était acceptée que tant que la communauté agissait dans ses compétences établies. La Cour a introduit explicitement la notion d'identité constitutionnelle, fondée sur l'article 79§3 de la Loi Fondamentale allemande.
§ 2 : La Cour constitutionnelle italienne
La Cour constitutionnelle italienne adopte une approche similaire à celle de l'Allemagne concernant la protection des droits fondamentaux. Cependant, il n'y a pas de dispositions spéciales pour les communautés de l'UE dans la Constitution italienne. Depuis 2001, les traités communautaires ont une valeur supra législative.
Dans l'arrêt Société Fragd du 13 avril 1989, la Cour italienne a affirmé son pouvoir de vérifier la constitutionnalité d'une loi d'exécution du traité concernant les principes fondamentaux de l'ordre juridique italien. L'arrêt Frontini de 1973 a reconnu l'autonomie de l'ordre juridique communautaire tout en affirmant la primauté des principes fondamentaux italiens.
§ 3 : Le Tribunal constitutionnel espagnol
Comme en Italie, la Constitution prévaut sur les traités en Espagne. Le Tribunal constitutionnel espagnol n'effectue pas de contrôle de conventionnalité sur le droit constitutionnel. Toutefois, dans l'arrêt Apesco du 22 mars 1991, il a précisé qu'une décision d'une autorité espagnole non conforme à la Constitution pourrait être censurée même sous l'application du droit communautaire.
Section 2 : La convergence autour de la protection de l'identité constitutionnelle
§ 1 : La position ferme et argumentée de la Cour constitutionnelle allemande
La Décision Lisbonne du 30 juin 2009 de la Cour constitutionnelle allemande renforce le concept d'identité constitutionnelle. Elle juge que le traité de Lisbonne est conforme à la constitution allemande tout en préservant la souveraineté allemande sur son contrôle du droit primaire. L'article 79 de la Constitution allemande est cité pour empêcher la révision de certains droits fondamentaux.
Cette approche systématique de l'identité constitutionnelle permet à l'Allemagne de revendiquer un fondement pour la non-application éventuelle du DUE.
§ 2 : L’écho rencontré par la référence à l’identité constitutionnelle dans les États membres de l’Europe de l’Est
L'Allemagne a initié le lien entre identité constitutionnelle et constitutionnalité. La France a repris cette notion en 2006. En Europe de l'Est, le Tribunal constitutionnel polonais, d'abord avec le traité de Lisbonne, a associé souveraineté et indépendance nationale pour défendre l'identité constitutionnelle.
La République Tchèque, par l'arrêt 'Pension slovaque' de sa Cour constitutionnelle, a critiqué une décision de la CJUE en affirmant que la Cour européenne avait agi ultra vires. De même, la Cour constitutionnelle lettone a soulevé l'importance de protéger l'identité et la souveraineté nationales vis-à-vis du Traité de Lisbonne.
A retenir :
Les juridictions constitutionnelles de plusieurs États membres partagent l'objectif de préserver l'identité constitutionnelle nationale face à l'intégration européenne. L'Allemagne, l'Italie et l'Espagne, entre autres, insistent sur le respect des droits fondamentaux nationaux et la souveraineté constitutionnelle. Tandis que la Cour de justice de l'Union Européenne assure la primauté du droit européen, la tension persiste sur le terrain de l'identité constitutionnelle. En Europe de l'Est, la notion est également utilisée pour défendre la souveraineté nationale. Le dilemme entre le droit communautaire et la préservation des spécificités étatiques continue de susciter des débats juridiques complexes.