Weber établit une distinction fondamentale entre pouvoir (Macht) et domination.
- Le pouvoir (Macht) est défini comme "toute chance de faire triompher au sein d'une relation sociale sa propre volonté, même contre des résistances, peu importe ce sur quoi repose cette chance." C'est une notion relationnelle et sociologique : le pouvoir n'est pas inhérent à une personne, mais naît des interactions sociales.
- Comment le pouvoir s'exerce-t-il ?
- Par la violence ou la menace de son usage : C'est l'« ultima ratio » (le dernier argument). Cependant, comme le souligne Rousseau, la force seule ne suffit pas à maintenir le pouvoir durablement. Pour perdurer, la force doit se transformer en droit et l'obéissance en devoir. C'est ici que la légitimité entre en jeu.
- Par la légitimité : Selon Weber, la domination est une relation de pouvoir acceptée par ceux qui la subissent. Il insiste sur le fait que "tout véritable rapport de domination comporte un minimum de volonté d'obéir." Un pouvoir qui s'impose uniquement par la force n'est pas stable ; il doit susciter une adhésion pour devenir une domination légitime. La domination est donc un pouvoir légitimé.
Weber identifie trois types idéaux de domination basés sur la légitimité revendiquée par le pouvoir. Il est important de noter que ce sont des "idéaux-types", c'est-à-dire des constructions théoriques pures qui ne se retrouvent jamais telles quelles dans la réalité. Les raisons pour lesquelles les individus acceptent le pouvoir peuvent être diverses : l'habitude d'obéir, l'attrait exercé par le pouvoir, ou le fait que chacun y trouve un certain intérêt.
La question posée est de savoir si le cadre conceptuel de Weber peut expliquer la chute de la IVe République. Si c'était le cas, cela impliquerait un manque de croyance des citoyens en la légitimité du régime. Cependant, le texte nuance cette hypothèse :
- Peu de signes empiriques montrent un effritement des croyances dans la légitimité de la IVe République avant sa chute.
- Les sondages d'opinion de l'époque (réalisés par l'Ifop) ne révèlent pas une population particulièrement préoccupée par les problèmes de gouvernement (seulement 10%), ni une méfiance généralisée envers les institutions.
- Il n'y a pas eu de mobilisations massives, de hausse significative du taux de syndicalisation ou d'abstention qui pourraient indiquer une délégitimation du régime.
Cela suggère que la IVe République n'était pas nécessairement délégitimée en amont de sa chute. En revanche, la Ve République et/ou le Général de Gaulle ont pu bénéficier d'une forte légitimité. L'adoption de la Constitution de la Ve République par référendum en septembre 1958 avec 82,6% de "oui" semble le confirmer.
Cependant, des sondages de l'IFOP de 1958 viennent nuancer cette interprétation :
- Un pourcentage élevé de "ne sait pas" ou "non réponse" (37,5%) concernant l'appréciation du projet de Constitution.
- Près de la moitié des personnes interrogées (49,5%) n'avaient "pas du tout" lu le projet constitutionnel.
- Plus de la moitié (56,6%) n'en avaient pas discuté avec leur entourage.
Quant à la figure du Général de Gaulle, le texte indique qu'il n'était pas particulièrement populaire début 1958, malgré son image charismatique en 1940. Son charisme aurait connu un déclin sous la IVe République avant de se renforcer en 1958.
Ces observations mènent à plusieurs interprétations :
- La délégitimation de la IVe République n'était pas certaine avant sa chute, et la légitimation de la Ve République ou de De Gaulle n'était pas totale d'emblée.
Cela ouvre la voie à la distinction entre deux types de légitimité :
- Légitimité verticale : C'est la croyance des gouvernés envers leurs gouvernants. C'est le sens principal de la légitimité chez Weber, où l'autorité est acceptée "d'en haut".
- Légitimité horizontale : Introduite par M. Dobry, cette notion fait référence aux échanges et au soutien entre acteurs au sein de différents espaces sociaux. Elle se manifeste par la confiance qu'un État peut accorder à sa police, par exemple, où la relation repose sur des liens de soutien réciproques et des intérêts individuels partagés. Cette légitimité ne découle pas seulement de la reconnaissance d'une autorité supérieure, mais aussi des interactions et de la confiance mutuelle entre les différents acteurs d'une société.
Mai 1958 est marqué par une crise politique en France où la légitimité horizontale est remise en question, menant à une rupture. Avec l'impasse politique sur la question algérienne et le sentiment d'instabilité, le général de Gaulle émerge en figure charismatique capable de résoudre la crise, entraînant un ralliement paradoxal autour de sa personne.
Entre 1956 et 1958, une série de tentatives échouent à résoudre le problème algérien, renforçant le consensus sur la nécessité d’une solution gaullienne comme voie de sortie. Pendant la période 1958-1962, la stratégie de « parole déléguée » sur l'Algérie et la mise en valeur du charisme de De Gaulle consolident son rôle prééminent et le début de la Ve République.
Avec la naissance du nouveau régime, des élites auparavant marginalisées, telles qu’une nouvelle génération de hauts-fonctionnaires modernisateurs, prennent un rôle central. Ces individus, éloignés du pouvoir précédent, diffusent un savoir « modernisateur » et participent activement à la construction et à la formation du nouveau régime, renforçant son implantation et sa légitimité.
Ils investissent le régime en lui apportant une vision novatrice, œuvrant à reformuler les structures politiques et administratives françaises et assurant ainsi la pérennité de la Ve République.