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Source : Stora, Benjamin et Ellyas, Akram. Les 100 portes du Maghreb : l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, trois voies singulières pour allier islam et modernité, Paris, Les Editions de l’Atelier, 1999. Section1 : Le fait colonial au Maghreb « Colonisation » La colonisation française du Maghreb* débute en 1830 avec la prise d’Alger. Cette incursion des troupes françaises dans une Algérie* plus ou moins assujettie à l’Empire ottoman apparaît après coup comme un véritable banc d’essai de la politique coloniale. Les forces économiques sont alors loin de pousser à la colonisation de l’Algérie (même si le fameux coup d’éventail de 1827 qu’a infligé le Bey d’Alger au Consul de France, et qui justifiera l’expédition française, est lié à une obscure affaire de livraison de blé de l’Algérie à la France et à des créances non honorées par le gouvernement français). Par contre, les intérêts financiers français sont très engagés vis-à-vis de la Tunisie* et du Maroc*. Les deux pays étant fortement endettés, les banques souhaitent leur mise sous tutelle pour s’assurer, dans un premier temps de la poursuite des remboursements, puis du contrôle de leurs richesses. De façon générale, la colonisation française au Maghreb va connaître deux grandes phases. La première (1870-1930) est celle de l’expansion. Sous la IIIe République de Jules Ferry qui symbolise le parti colonial (la droite et les radicaux de Clémenceau sont contre), est amorcée la colonisation de l’Algérie (voir ci-après). De 1880 à 1885, la colonisation française dans le monde connaît un essor majeur. La Tunisie (1881), l’Afrique équatoriale (1880) et le Tonkin (1885) tombent sous le contrôle français. Dans le même temps, la doctrine coloniale évolue. La droite, qui l’a combattue à ses débuts, la soutient tandis que la gauche socialiste souhaite son humanisation sans toutefois demander son annulation. En cette fin de XIXe siècle, trois courants d’idées, d’importances inégales, s’affrontent. Le premier est celui de « l’exploitation ». Il représente les milieux d’affaires qui voient dans la colonisation la possibilité de tirer des profits par le biais de placements de capitaux et d’investissements. Le second prône « l’assimilation » politique, administrative, et, plus rarement, ethnique. Le dernier, plus pragmatique et alarmé par les dépenses engendrées par l’annexion de l’Algérie, prône « l’association » comme le montre cette phrase de Jules Harmand (Domination et colonisation, 1910) citée par l’historien Xavier Yacono : « La plus grande somme d’indépendance administrative, économique et financière qui soit compatible avec la plus grande dépendance politique possible. » C’est ce courant qui va pousser la France à adopter la stratégie du protectorat en lieu et place de l’annexion pour le Maroc et la Tunisie. 1930 marque l’apogée de la colonisation. Consolidée, stable en apparence, elle donne l’impression de s’être donnée les moyens de sa pérennité. Mais, sans s’en douter, les populations européennes du Maghreb entrent dans une période de turbulences qui va amener leur départ, après les indépendances des trois pays maghrébins. La baisse de la démographie européenne au Maghreb, le réveil des mouvements nationalistes, la crise économique née de la dépendance totale des colonies à l’égard de la Métropole, la Seconde Guerre mondiale et l’émergence de l’influence américaine, tout cela va concourir à lézarder l’Empire colonial français. Décidée sans enthousiasme, l’aventure militaire en Algérie ne se transformera en intention de conquête totale qu’en 1840. D’abord militaire, la présence coloniale va se doubler de la présence de colons civils attirés par la perspective d’une « nouvelle vie ». C’est à partir de 1847 que débute réellement la spoliation des terres, l’administration coloniale saisissant les terres des confréries* qui se sont révoltées. À cette époque, la petite colonie civile européenne compte 60 000 personnes qui vivent dans des conditions d’extrême précarité (en 1855, la mortalité infantile dépasse les 50 %). Si la colonisation est un temps freinée par le souhait de Napoléon III de créer un royaume arabe*, elle va reprendre, avec la défaite de 1870 face à l’Allemagne, la perte de l’Alsace et la Lorraine et, un an plus tard, l’échec de l’insurrection du Cheikh Mokrani. Selon l’historien Charles-Robert Ageron, 870 000 hectares vont être ainsi livrés aux colons entre 1871 et 1919 (98 % des spoliations vont avoir lieu dans le Tell). Cela va se traduire par la constitution de domaines de plusieurs milliers d’hectares aux mains de grands colons tandis que d’autres Européens, notamment espagnols, se voient attribuer des petits lots de terre. Jusqu’en 1914, la colonisation va lier son avenir à l’agriculture. Après la Première Guerre mondiale, les colons français obtiennent un large emprunt destiné à financer la modernisation de l’agriculture. Cette colonisation (1870-1930) va totalement déstructurer et paupériser la société paysanne algérienne. En repoussant les paysans autochtones vers les terres les moins fertiles, elle va aussi créer les germes des révoltes à venir. En Tunisie* assujettie depuis 1881 sous la forme d’un traité de protectorat, la colonisation rurale va porter sur 271 000 hectares attribués à 1 200 colons de 1910 à 1929. Au Maroc*, lui aussi soumis au régime du protectorat depuis 1912, la colonisation va offrir, entre 1912 et 1939, 722 000 hectares aux colons. Au total, dans le Maghreb en 1930, un large tiers des superficies cultivées est aux mains des Européens. Concernant la population, l’évolution démographique commence en 1930 à inquiéter certains responsables français. Malgré les efforts de l’administration coloniale, un paysannat européen ne verra jamais le jour dans l’arrière-pays algérien. L’attrait de la ville est le plus fort et les Européens, minoritaires, se regroupent dans les centres urbains. Plus grave encore, la natalité musulmane est plus importante que la natalité européenne dès, semble-t-il, la fin de la Première Guerre mondiale même si de terribles épidémies déciment notamment la population algérienne. Aux indépendances, les Français seront 300 000 (11 % de la population) en Tunisie (1956), 700 000 (7 % de la population) au Maroc (1956) et près de 900 000 (14 % de la population) en Algérie (1962). Section 2 : Les nationalismes maghrébins « Nationalisme » Le 5 janvier 1948, l’émir Abdelkrim*, leader prestigieux de la révolte rifaine (voir guerre du Rif*) des années 1920, annonce la création au Caire d’un Comité pour la libération du Maghreb arabe. Le Néo-Destour de Habib Bourguiba*, le Parti du peuple algérien (PPA) de Messali Hadj*, le Parti démocratique marocain de Hassan El-Ouazzani * et le parti de l’Istiqlal d’Allal El-Fassi* signent en commun le manifeste de ce Comité. Ils rejettent le principe de toute négociation avec la France avant l’indépendance des trois pays. En dépit des profondes différences que revêt la présence coloniale (mise en place de départements français en Algérie*, protectorats au Maroc* et en Tunisie*), les grandes formations indépendantistes entendent coordonner leurs activités. Les circonstances de leur naissance et leur trajectoire sont pourtant distinctes. Les mécanismes du pouvoir qui ont prévalu après les indépendances dans le Maghreb central ont prolongé les histoires longues et complexes des grandes orientations nationalistes constituées au temps de la présence coloniale française. En Tunisie, la lutte pour l’indépendance s’est incarnée dans un homme, Habib Bourguiba, qui est parvenu, une fois le régime du bey aboli (voir dynastie* et Tunisie), à confisquer le pouvoir à son profit et à celui du Néo-Destour (aujourd’hui Rassemblement constitutionnel démocratique, RCD). Il faudra attendre la destitution du « Combattant suprême » en novembre 1987 pour qu’émerge définitivement, et fragilement, le principe du pluralisme politique (Bourguiba a accepté le multipartisme en 1981, mais sous l’étroite surveillance du parti au pouvoir). En Algérie, au contraire, l’éviction du « père » du nationalisme, Messali Hadj, a ouvert la voie à la constitution d’un Front (FLN) pendant la guerre contre la France où se sont retrouvés des nationalistes, des communistes, des religieux (oulemas) ainsi que des courants considérés par certains comme « berbéristes ». Mais les populistes radicaux, qui dirigeaient le Front, exigeront, après l’indépendance, la dissolution de tous les anciens partis pour former un « parti-nation », véritable parti unique, dont le monopole ne sera remis en cause qu’après les émeutes d’octobre 1988*. Au Maroc, la tradition du pluralisme politique, même si elle a survécu à l’indépendance, s’est effacée devant la personnalité du roi, devenu symbole religieux dans les combats nationalistes. Un système politico-religieux bâti sur des allégeances à sa personne se mettra en place dès l’indépendance. - Le mouvement nationaliste algérien radical, indépendantiste, se crée à l’extérieur, dans les milieux de l’immigration ouvrière en France. Cela s’explique en grande partie par les conditions dans lesquelles la France a instauré sa présence coloniale en Algérie (colonie de peuplement, mise en place de trois départements français, par opposition aux systèmes de protectorat tunisien et marocain). Impulsée par Hadj Ali Abdelkader et Messali Hadj, l’Étoile nord-africaine (ENA) se constitue à Paris en 1926, avec l’aide du Parti communiste français (PCF). L’organisation réclame « l’indépendance pour les pays d’Afrique du Nord » et « l’élection d’une Assemblée constituante » pour l’Algérie. Au moment de sa dissolution en 1929, l’ENA, qui compte 3 000 militants dans l’immigration, rompt définitivement avec le PCF. Elle renaît en 1933, avec son journal, El Ouma, et comme principal dirigeant Messali Hadj, entouré de Amar Imache et Radjeff Belkacem. L’Étoile, qui s’oppose au projet de statut Blum-Violette, pendant le Front populaire, est dissoute par le gouvernement en janvier 1937. Pendant ces années de l’entre-deux-guerres, deux autres courants se développent en Algérie même. Le premier, les Jeunes Algériens, réclame l’égalité des droits et l’accession des Musulmans à la pleine citoyenneté française. Il est représenté notamment par Ferhat Abbas*. Le second, les oulemas, lutte pour une prise en considération d’un islam algérien particulier et, partant, d’une « nation algérienne ». La figure la plus significative de ce mouvement est le cheikh Abdelhamid Ben Badis*. Dans le journal des oulemas, Ech-Chihab (Le Météore), sont fréquemment reproduits les articles de l’émir Chekib Arslan, résidant à Genève, qui prône la renaissance de la « nation arabe ». Le 11 mars 1937, les nationalistes indépendantistes lancent le Parti du peuple algérien (PPA), qui prend la suite de l’Étoile. En s’installant en Algérie, l’organisation connaît une progression foudroyante, surtout parmi la jeunesse. Le PPA est dissous à la veille de la Seconde Guerre mondiale, et ses principaux dirigeants arrêtés. D’autres, en plus petit nombre, sont tentés par une collaboration avec les puissances de l’Axe, par souci nationaliste d’affaiblir la présence coloniale française. Après le débarquement anglo-américain de novembre 1942, les nationalistes algériens de toutes tendances se regroupent dans une structure unitaire : Les Amis du Manifeste et de la liberté (AML), qui compte près de 100 000 adhérents en 1944. Le 8 mai 1945, jour de l’armistice, les membres des AML organisent des manifestations pour la libération de Messali Hadj et « l’indépendance de l’Algérie ». La répression à Sétif et à Guelma fera plusieurs milliers de morts (voir Mai 1945*). Dès lors, une nouvelle génération entre en scène, préoccupée avant tout par le recours à la lutte armée. Le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD), qui succède au PPA, remporte les élections municipales d’octobre 1947 et crée, la même année, une organisation militaire chargée de préparer l’insurrection armée : l’Organisation spéciale (OS) dirigée par Hocine Aït Ahmed * puis par Ahmed Ben Bella*. Mais le MTLD, principale organisation indépendantiste, qui groupe plus de 20 000 militants actifs, est traversé par de multiples crises internes. En 1949, des dirigeants de sa fédération de France sont exclus, accusés de « berbérisme ». En 1950-1951, les responsables de l’OS s’opposent à la direction, à la suite de la répression policière qui s’abat sur eux. Et surtout, à partir de 1952-1953, une vive tension s’installe entre Messali et ses partisans d’une part, les membres du comité central (la tendance « centraliste ») d’autre part, sur la démarche politique à suivre pour conquérir l’indépendance. La scission entre les deux courants intervient au congrès d’Hornu, en Belgique, où les messalistes sont majoritaires. Un troisième courant, qui se fixe l’objectif de reconstruire « l’unité du parti » par l’engagement dans la lutte armée, voit le jour en mars 1954 : le Comité révolutionnaire pour l’unité et l’action (CRUA). Ce sont les membres de ce dernier qui seront à l’origine du déclenchement de l’insurrection du 1er novembre 1954. Ils donnent à leur mouvement le sigle Front de libération nationale (FLN). Au cours de la guerre d’indépendance, le FLN et les partisans de Messali Hadj, regroupés dans le MNA (Mouvement national algérien) s’affronteront par les armes. Les nationalistes algériens, qui avaient formulé la revendication d’indépendance avant les Tunisiens et les Marocains, seront les derniers à s’engager dans l’insurrection contre la France et les derniers à obtenir l’indépendance. - Le mouvement national tunisien commence avec le parti des Jeunes Tunisiens fondé en 1907, soit un quart de siècle après la proclamation du protectorat (traité du Bardo en 1881, convention de La Marsa en 1883). Il se poursuit avec le Destour (Constitution), créé en 1920, et la Confédération générale des travailleurs tunisiens, la plus ancienne centrale syndicale autonome existant dans une colonie française. Un événement décisif intervient avec la création du Néo-Destour dirigé par Habib Bourguiba qui, au congrès de Ksar Hellal le 2 mars 1934, revendique clairement l’indépendance pour la Tunisie, dénonçant « l’impérialisme français ». Après avoir passé dix-huit mois de résidence obligatoire dans le Sud tunisien, Habib Bourguiba réaffirme publiquement sa position le 11 septembre 1936, pendant le Front populaire, contre ceux qu’il appelle en bloc les « prépondérants » (colons, dirigeants des affaires industrielles et commerciales, fonctionnaires non tunisiens). La dureté de la répression française au moment des émeutes d’avril 1938 (état de siège proclamé le 9 avril à Tunis, Sousse, cap Bon ; arrestation des principaux dirigeants destouriens dont Habib Bourguiba, Slimane Ben Slimane et Salah Ben Youssef*, et de 3 000 membres du Néo-Destour) provoque la radicalisation du mouvement nationaliste. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les destouriens manœuvrent entre les Allemands, qui entrent en Tunisie pour des motifs stratégiques, et les Alliés, principalement les Américains, pour tenter d’affaiblir la présence coloniale française. Au moment où le sort des armes tourne nettement à l’avantage des Alliés, Habib Bourguiba prend l’initiative d’un appel : « Les Alliés ne tromperont pas nos espoirs [sous-entendu, nos espoirs d’indépendance [...]. Hors d’une organisation internationale garantissant aux petites nations leur droit à la vie, aucune paix durable n’est concevable entre les grandes puissances. » Le général Alphonse Juin juge ces propos séditieux et interdit le tract. Habib Bourguiba décide d’agir de l’extérieur sur la France, et quitte clandestinement le territoire tunisien le 26 mars 1945 en direction de l’Égypte, où vient de se constituer la Ligue des États arabes (il restera à l’étranger jusqu’en septembre 1949). Cette même année intervient la fondation, en mai, de l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT), dirigée par Ferhat Hached*. Cette organisation syndicale jouera un rôle considérable, et comptera jusqu’à 100 000 adhérents dans cette phase de lutte, le 14 avril 1950, Habib Bourguiba expose à Paris, dans une déclaration à l’AFP, un « plan en sept points » réclamant entre autres la création d’une Assemblée constituante tunisienne élue au suffrage universel. Le 10 juin de la même année, Robert Schuman fait naître un espoir en annonçant que le nouveau résident général, Louis Perillier, « aura pour mission de conduire la Tunisie vers le plein épanouissement de ses richesses et de l’amener vers l’indépendance, qui est l’objectif final pour tous les territoires au sein de l’Union française ». En 1951, la politisation nationaliste progresse, gagnant les campagnes aussi bien que les villes. À la fin de l’année, le Néo-Destour, toujours illégal, compte 150 000 adhérents répartis en 470 sections et 23 fédérations. Nombre de ses membres appartiennent également à I’UGTT. Le 13 janvier 1952, Jean de Hautecloque, successeur à la résidence de Louis Perillier, arrive à Tunis. Le 18, il fait arrêter Habib Bourguiba, qui était revenu le 2 janvier après une absence de près d’une année. Les Tunisiens répondent par une grève générale et des manifestations populaires dans la région du cap Bon. Le monde arabe est alors particulièrement sensibilisé par la bataille du canal de Suez qui se poursuit depuis novembre en Égypte, et par l’indépendance de la Libye*, proclamée le 24 décembre 1951. Le 2 décembre 1952, Ferhat Hached, fondateur de l’UGTT, est assassiné. Dans les campagnes, le mouvement de lutte armée des fellaghas prend de l’ampleur. Le 17 juin 1954, le ministère de Mohamed Salah Mzali démissionne, laissant sans « interlocuteur valable » le nouveau gouvernement Mendès France qui a été investi le 18 juin 1954. Six semaines après la défaite sans appel de l’armée française à Diên Biên Phu, en Indochine, Pierre Mendès France est investi président du Conseil ; le 31 juillet 1954, il prononce à Carthage le discours historique dans lequel « l’autonomie interne de l’État tunisien est recouvrée », et proclamée sans arrière-pensée par le gouvernement français. L’indépendance est imminente. Pendant que s’achèvent les négociations franco-marocaines, Bahi Ladgham, Habib Bourguiba et Tahar Ben Ammar obtiennent du cabinet Guy Mollet que soit signé, le 20 mars 1956, le protocole par lequel « la France reconnaît solennellement l’indépendance de la Tunisie ». - Le nationalisme marocain s’affirme en 1934. C’est l’année où s’achève la conquête du Maroc, mais aussi celle de la naissance du premier parti politique marocain : le Comité d’action marocaine, dirigé par Allal El-Fassi, Mohamed Hassan El-Ouazzani et Ahmed Balafrej*. Le protectorat français ne datait alors que de vingt-deux ans. Les premiers nationalistes marocains ne demandent, le 1er décembre 1934, que le retour à la « formule contrôlée » du protectorat préconisée par Lyautey contre la « formule administration directe », laquelle était devenue la règle. Les autorités françaises ne répondent pas à ce « plan de réformes ». La propagande nationaliste s’organise autour des mosquées, mais reste limitée aux villes traditionalistes comme Fès, Meknès, Salé et Rabat. La répression qui frappe les manifestations organisées en septembre 1937 par les nationalistes, la déportation en octobre - au Gabon - d’Allal El-Fassi (il y restera jusqu’en octobre 1946) et la mise en résidence surveillée au Sahara de d’El-Ouezzani mettent provisoirement fin à l’agitation nationaliste. La Seconde Guerre mondiale apparaîtra comme un tournant majeur dans l’histoire du nationalisme marocain. En décembre 1943, à la demande du sultan Sidi Mohammed (Mohammed V*, qui a rencontré le président américain Franklin D. Roosevelt à Anfa le 22 janvier 1943), les mouvements nationalistes, qui étaient divisés, fusionnent sous la direction de Ahmed Balafrej. Le 11 janvier 1944, un document intitulé Manifeste du parti de l’lstiqlal (indépendance), portant cinquante-huit signatures de fonctionnaires ou enseignants marocains, demande « l’indépendance du Maroc dans son intégralité territoriale sous l’égide de Sa Majesté Sidi Mohammed Ben Youssef, que Dieu le glorifie ». Le résident général répond au sultan qu’il « n’admet pas la remise en cause unilatérale du traité de protectorat de 1912 ». La fin de la guerre est marquée par les émeutes de Fès et la fermeture de l’université Karaouiyne (février 1944). La plupart des prisonniers politiques arrêtés seront libérés le 14 juillet 1945. Lors de sa visite officielle en France, en octobre 1950, le sultan dépose un mémoire réclamant « une révision générale des rapports franco-marocains ». Le général Juin exprime son désaccord avec la position du sultan. Cependant, les idées d’indépendance progressent dans tous les centres économiques, et surtout à Casablanca. L’Union générale des syndicats confédérés du Maroc recrute massivement dans les milieux ouvriers des villes. L’istiqlal est rejoint par de nombreux nouveaux militants. La France encourage alors un mouvement d’opposition au sultan, en s’appuyant sur le pacha de Marrakech, Tahmi El-Glaoui (ce dernier recueille les signatures de 270 caïds et pachas sur une pétition demandant le remplacement du sultan). Des émeutes éclatent le 16 août 1953 à Marrakech, Casablanca et Oujda. Sidi Mohammed, déposé le 19 août 1953, abdique le 20 août et est exilé à Madagascar. Il est remplacé par le candidat du Glaoui, Sidi Mohammed ben Moulay Arafa. Dès le 25 août 1953, le terrorisme urbain fait son apparition et ne cessera pas jusqu’en 1956, moment de l’indépendance. Ben Arafa abandonne le pouvoir le 1er octobre 1955, et El-Glaoui se rallie, le 26 octobre, au sultan Sidi Mohammed. Ce dernier, prend le titre de roi et est appelé dorénavant Mohammed V*. Il quitte Paris pour Rabat le 16 novembre 1955 où il est reçu avec un immense enthousiasme par une foule innombrable. Le 2 mars 1956, une déclaration commune est signée entre Christian Pineau, pour la France, et Embarek Bekkaï, pour le Maroc. Elle « confirme solennellement la reconnaissance de l’indépendance du Maroc, laquelle implique en particulier une diplomatie et une armée ». En 1959, l’Istiqlal connaît une scission majeure avec la création de l’Union nationale des forces populaires (à partir de laquelle émergera l’Union socialiste des forces populaires). Cette cassure n’empêche pas le parti de revendiquer rapidement la réduction du pouvoir royal et l’instauration d’une monarchie constitutionnelle. Quelle forme le nationalisme maghrébin prend-il aujourd’hui ? S’il est à l’origine des indépendances des trois pays, les désenchantements nationaux nés des désillusions post-coloniales, ont considérablement réduit sa portée. Certes, au Maroc, en Tunisie, ou en Algérie, le « nationalisme ombrageux », pour reprendre une expression du président algérien Abdelaziz Bouteflika*, reste répandu et prend parfois l’allure d’un véritable chauvinisme. Ainsi, le Maghrébin ne tolère pas que l’indépendance de son pays puisse être remise en cause, d’une manière ou d’une autre. Très soupçonneux à l’égard des « donneurs de leçons occidentaux », il est facilement mobilisable sur des thèmes liés à « l’agression extérieure ». Le discours anti-français reste ainsi très mobilisateur en Algérie et à un degré moindre, au Maroc et en Tunisie. Mais dans le même temps, les nationalistes d’hier, au pouvoir aujourd’hui, ont de plus en plus de difficultés à maintenir leur légitimité. Dans des pays où plus de 50 % de la population est née après l’indépendance, la contestation islamiste est plus facilement mobilisatrice car la jeunesse supporte de moins en moins les discours lénifiants sur le « sacrifice des aînés ». Néanmoins, le réflexe nationaliste n’est pas prêt de disparaître et les mouvements islamistes, traditionnellement favorables à une « Union » de la communauté des croyants, en tiennent désormais compte (longtemps, les leaders du Front islamique du salut ont refusé de saluer le drapeau algérien avant de faire machine arrière après les protestations des militants de base).