Poème l’ennemi
Le temps est l'une des plus obsédantes composantes du spleen de Charles Baudelaire (« L'horloge », « le goût du néant »). Le thème du temps qui passe et apporte irrémédiablement la mort, est source d’angoisse. C’est un des thèmes majeurs du romantisme au XIXe siècle. Le poème L'ennemi, tiré du recueil Les Fleurs du
mal de Charles Baudelaire, souligne que le temps est doublement redoutable sur le plan humain et sur le plan poétique.
Le sonnet est construit sur une métaphore filée : la vie est comparée à un jardin dévasté par les intempéries.
- Premier quatrain : La jeunesse est comparée à un jardin d’été bouleversé par les orages.
- Deuxième quatrain : Le bilan négatif de la maturité, qui est comparée à l'automne. On note l'annonce de la mort.
- Premier tercet : Espoir d'un renouveau qui s'apparente au printemps.
- Deuxième tercet : démenti catégorique : la présence destructrice du temps s'oppose à tout développement et à toute croissance nouvelle (=l'hiver).
Analyse linéaire
Premier quatrain - La jeunesse
- Le premier quatrain se compose de deux parties complémentaires délimitées par la
ponctuation (vers 1-2 et vers 3-4). Le quatrain exprime la nostalgie, dans un rythme doux,
régulier, (césure à l’hémistiche régulière sur les 4 vers) en deux grands mouvements (2
phrases séparées par un point-virgule. Une allitération de consonnes douces (nasales et
liquides) domine.
La jeunesse passée (verbe au passé simple « fut » : c’est un temps révolu) : la jeunesse est
présentée comme ponctuée par une alternance d'ombre et de lumière (« ténébreux »,
« brillant »), c’est-à-dire de souvenirs malheureux et heureux. Cette alternance est
métaphoriquement celle de l'espoir et du désespoir, des élans vers l'idéal et du poids du
spleen. Or il y a plus de moments de malheur (il y a plus de mots négatifs dans cette
strophe : ténébreux orage, tonnerre, pluie, un tel ravage) que de moments de bonheur : « ça
et là », « il reste...bien peu de fruits vermeils »
Le bilan décourageant est souligné par le passé composé « ont fait » (vers 3) et par la
proposition subordonnée de conséquence, introduite par la locution conjonctive
« tel...que » : c'est le résultat d'une jeunesse orageuse. La métaphore se poursuit dans
l'image du jardin (la vie) dévasté et presque entièrement dépouillé de ses productions
comme en automne.
Deuxième quatrain - Bilan négatif du présent
Le deuxième quatrain s'ouvre sur une constatation résignée qui apparaît comme la
conséquence (« Voilà que », vers 5) sur le plan de la pensée de la première strophe. C'est
un résultat donné en deux étapes successives (« voilà que »... « et que », vers 5 et 6).
Il fait apparaître une suite chronologique (l'automne après l'été). L'image du jardin est
prolongée et aggravée (dévastation et nécessité de réparation).
Vers 6-7 : L'utilisation de termes concrets (« pelle », « râteaux ») et l'accumulation des
images font de cette strophe une illustration visuelle des désastres du temps. Il y a un vague
espoir aux vers 6 et 7 réunis par l’enjambement : il traduit la volonté du poète de résister à
l’usure du temps, peut- être peut-il encore lutter et remettre « à neuf », s’il prend son courage
à deux mains, s’il se met au travail ? La pelle et les râteaux suggèrent ce travail qu’il faut
mener pour poursuivre son travail d’artiste.
Vers 8 : mais le découragement est bien là. Ces désastres préfigurent la mort, comme le
suggère la comparaison du vers 8 (« comme des tombeaux ») : la vie et l'inspiration sont
ravagées par le temps. On peut noter l’allitération de consonnes dures de ce dernier
vers.(en caractères gras)
Premier tercet - Espoir d'un renouveau
Le premier tercet suggère une hypothèse (« Et qui sait ») qui apparaît comme un élan
d'espoir. Cet élan prend appui sur les images de la strophe précédente dans le cycle des
saisons, l'automne, puis l'hiver associé à la mort, font espérer le renouveau du printemps
(« fleurs nouvelles », vers 9). Ce sursaut d’espoir est exprimé à la fois par la phrase
interrogative, et par le double enjambement qui crée une sorte d’envolée lyrique.
L'enchaînement des saisons est la représentation symbolique des étapes de la vie ; elle
conduit à considérer les « fleurs nouvelles » comme le printemps des idées, c'est à dire un
renouvellement de l'inspiration après une purification qui s'apparente à un rite. La
dans ce sol lavé comme une grève » suggère que l’esprit du poète va être comme purifié, nettoyé par l’orage, comme une grève (= une plage de galets) est sans cesse lavée à chaque marée.
comparaison « ...
Le « mystique aliment » prend alors une valeur quasi religieuse : c’est l’inspiration divine, ce
mystère intérieur du poète, qui pourrait « nourrir » « les fleurs nouvelles » : évoquant le titre
du recueil : Les Fleurs du Mal. Ce poème donne ainsi une explication au titre : les fleurs
sont les poèmes qui peuvent naître de la souffrance du poète.
Deuxième tercet – L’ennemi : le Temps
Le tiret qui débute la strophe peut être compris soit comme annonçant une réponse à la
question précédente, soit comme un temps de silence lourd. Le deuxième tercet apporte un
démenti catégorique qui s'exprime en deux temps :
- L'expression de la souffrance : le premier hémistiche du vers 12 est un double cri du
désespoir, peut-être une invocation suppliante marquée par la répétition des
exclamatives : « Ô douleur ! ô douleur ! ».
- L'action dévorante et irrémédiable du temps : l’allégorie du temps assimile celui-ci à un
monstre, un vampire qui dévore sa proie et se nourrit de son sang : il est enfin nommé au
vers 12 alors qu'il était omniprésent dans la métaphore des saisons puis désigné par une
périphrase (« l'obscur Ennemi », vers 13) qui insiste sur son hostilité et sur le caractère
caché de son action. L'action du temps, exprimée sous forme d'images réalistes et horribles
(« mange la vie », « ronge le cœur »). Il se nourrit (« croît et se fortifie », vers 14) des forces
vives de l'être humain et détruit en lui toute possibilité d'inspiration nouvelle. L’enjambement
des vers 13 et 14 traduit cette avancée inexorable du temps contre lequel on ne peut pas
lutter.
Conclusion
- Le poème se veut universel puisque le pronom personnel « nous » au vers 13 englobe tous
les humains : en effet, c’est le sort de l’homme que d’être mortel !
L'ennemi est révélateur du spleen Baudelairien, de l'angoisse qui étreint le poète, quand il
constate les ravages du temps sur son organisme et sur sa capacité créatrice. Grâce à l'art,
il met en forme ce malaise existentiel, ce qui constitue une manière de l'exorciser.
L'écriture apparaît alors comme un remède à l'usure du temps et au dégoût de soi
qu'inspire au poète sa dégradation progressive : le poète survit alors par son art, la poésie,
ces « fleurs » qui poussent dans son jardin intérieur dévasté, le « Mal ».
Poème l’ennemi
Le temps est l'une des plus obsédantes composantes du spleen de Charles Baudelaire (« L'horloge », « le goût du néant »). Le thème du temps qui passe et apporte irrémédiablement la mort, est source d’angoisse. C’est un des thèmes majeurs du romantisme au XIXe siècle. Le poème L'ennemi, tiré du recueil Les Fleurs du
mal de Charles Baudelaire, souligne que le temps est doublement redoutable sur le plan humain et sur le plan poétique.
Le sonnet est construit sur une métaphore filée : la vie est comparée à un jardin dévasté par les intempéries.
- Premier quatrain : La jeunesse est comparée à un jardin d’été bouleversé par les orages.
- Deuxième quatrain : Le bilan négatif de la maturité, qui est comparée à l'automne. On note l'annonce de la mort.
- Premier tercet : Espoir d'un renouveau qui s'apparente au printemps.
- Deuxième tercet : démenti catégorique : la présence destructrice du temps s'oppose à tout développement et à toute croissance nouvelle (=l'hiver).
Analyse linéaire
Premier quatrain - La jeunesse
- Le premier quatrain se compose de deux parties complémentaires délimitées par la
ponctuation (vers 1-2 et vers 3-4). Le quatrain exprime la nostalgie, dans un rythme doux,
régulier, (césure à l’hémistiche régulière sur les 4 vers) en deux grands mouvements (2
phrases séparées par un point-virgule. Une allitération de consonnes douces (nasales et
liquides) domine.
La jeunesse passée (verbe au passé simple « fut » : c’est un temps révolu) : la jeunesse est
présentée comme ponctuée par une alternance d'ombre et de lumière (« ténébreux »,
« brillant »), c’est-à-dire de souvenirs malheureux et heureux. Cette alternance est
métaphoriquement celle de l'espoir et du désespoir, des élans vers l'idéal et du poids du
spleen. Or il y a plus de moments de malheur (il y a plus de mots négatifs dans cette
strophe : ténébreux orage, tonnerre, pluie, un tel ravage) que de moments de bonheur : « ça
et là », « il reste...bien peu de fruits vermeils »
Le bilan décourageant est souligné par le passé composé « ont fait » (vers 3) et par la
proposition subordonnée de conséquence, introduite par la locution conjonctive
« tel...que » : c'est le résultat d'une jeunesse orageuse. La métaphore se poursuit dans
l'image du jardin (la vie) dévasté et presque entièrement dépouillé de ses productions
comme en automne.
Deuxième quatrain - Bilan négatif du présent
Le deuxième quatrain s'ouvre sur une constatation résignée qui apparaît comme la
conséquence (« Voilà que », vers 5) sur le plan de la pensée de la première strophe. C'est
un résultat donné en deux étapes successives (« voilà que »... « et que », vers 5 et 6).
Il fait apparaître une suite chronologique (l'automne après l'été). L'image du jardin est
prolongée et aggravée (dévastation et nécessité de réparation).
Vers 6-7 : L'utilisation de termes concrets (« pelle », « râteaux ») et l'accumulation des
images font de cette strophe une illustration visuelle des désastres du temps. Il y a un vague
espoir aux vers 6 et 7 réunis par l’enjambement : il traduit la volonté du poète de résister à
l’usure du temps, peut- être peut-il encore lutter et remettre « à neuf », s’il prend son courage
à deux mains, s’il se met au travail ? La pelle et les râteaux suggèrent ce travail qu’il faut
mener pour poursuivre son travail d’artiste.
Vers 8 : mais le découragement est bien là. Ces désastres préfigurent la mort, comme le
suggère la comparaison du vers 8 (« comme des tombeaux ») : la vie et l'inspiration sont
ravagées par le temps. On peut noter l’allitération de consonnes dures de ce dernier
vers.(en caractères gras)
Premier tercet - Espoir d'un renouveau
Le premier tercet suggère une hypothèse (« Et qui sait ») qui apparaît comme un élan
d'espoir. Cet élan prend appui sur les images de la strophe précédente dans le cycle des
saisons, l'automne, puis l'hiver associé à la mort, font espérer le renouveau du printemps
(« fleurs nouvelles », vers 9). Ce sursaut d’espoir est exprimé à la fois par la phrase
interrogative, et par le double enjambement qui crée une sorte d’envolée lyrique.
L'enchaînement des saisons est la représentation symbolique des étapes de la vie ; elle
conduit à considérer les « fleurs nouvelles » comme le printemps des idées, c'est à dire un
renouvellement de l'inspiration après une purification qui s'apparente à un rite. La
dans ce sol lavé comme une grève » suggère que l’esprit du poète va être comme purifié, nettoyé par l’orage, comme une grève (= une plage de galets) est sans cesse lavée à chaque marée.
comparaison « ...
Le « mystique aliment » prend alors une valeur quasi religieuse : c’est l’inspiration divine, ce
mystère intérieur du poète, qui pourrait « nourrir » « les fleurs nouvelles » : évoquant le titre
du recueil : Les Fleurs du Mal. Ce poème donne ainsi une explication au titre : les fleurs
sont les poèmes qui peuvent naître de la souffrance du poète.
Deuxième tercet – L’ennemi : le Temps
Le tiret qui débute la strophe peut être compris soit comme annonçant une réponse à la
question précédente, soit comme un temps de silence lourd. Le deuxième tercet apporte un
démenti catégorique qui s'exprime en deux temps :
- L'expression de la souffrance : le premier hémistiche du vers 12 est un double cri du
désespoir, peut-être une invocation suppliante marquée par la répétition des
exclamatives : « Ô douleur ! ô douleur ! ».
- L'action dévorante et irrémédiable du temps : l’allégorie du temps assimile celui-ci à un
monstre, un vampire qui dévore sa proie et se nourrit de son sang : il est enfin nommé au
vers 12 alors qu'il était omniprésent dans la métaphore des saisons puis désigné par une
périphrase (« l'obscur Ennemi », vers 13) qui insiste sur son hostilité et sur le caractère
caché de son action. L'action du temps, exprimée sous forme d'images réalistes et horribles
(« mange la vie », « ronge le cœur »). Il se nourrit (« croît et se fortifie », vers 14) des forces
vives de l'être humain et détruit en lui toute possibilité d'inspiration nouvelle. L’enjambement
des vers 13 et 14 traduit cette avancée inexorable du temps contre lequel on ne peut pas
lutter.
Conclusion
- Le poème se veut universel puisque le pronom personnel « nous » au vers 13 englobe tous
les humains : en effet, c’est le sort de l’homme que d’être mortel !
L'ennemi est révélateur du spleen Baudelairien, de l'angoisse qui étreint le poète, quand il
constate les ravages du temps sur son organisme et sur sa capacité créatrice. Grâce à l'art,
il met en forme ce malaise existentiel, ce qui constitue une manière de l'exorciser.
L'écriture apparaît alors comme un remède à l'usure du temps et au dégoût de soi
qu'inspire au poète sa dégradation progressive : le poète survit alors par son art, la poésie,
ces « fleurs » qui poussent dans son jardin intérieur dévasté, le « Mal ».