I. Administration et droit administratif sous l’Ancien Régime
- Naissance du droit administratif :
- Émergence sous l’Ancien Régime : Dès le Moyen Âge, les fonctions administratives se séparent progressivement des seigneurs et sont centralisées autour du roi. Ce dernier exerce des prérogatives régaliennes (ordre public, justice, finances), mais sans une organisation administrative autonome.
- Fonctionnement administratif : Les officiers royaux (sénéchaux, baillis) sont chargés de maintenir l’ordre et la justice sur les territoires, souvent par un système de contrat d'affermage. À partir du 14e siècle, les offices deviennent héréditaires, puis vénaux au 16e siècle.
- Séparation des domaines du roi et de la couronne : La distinction entre propriété publique (inaliénable) et privée (aliénable) se met en place, permettant des expropriations pour l’utilité publique.
- Rationalisation sous la monarchie absolue : L’administration du royaume devient plus structurée avec la création de ministères (justice, finances, guerre, etc.) et des intendants (préfigures des préfets) pour gérer les différentes fonctions publiques.
- Problématique de l’autonomie de l’administration sous l’Ancien Régime :
- Administration non-autonome et non-professionnalisée : L’administration reste centrée sur la personne du roi, avec des agents sous son autorité, mais n’est pas encore un système permanent ou autonome.
II. Naissance du droit administratif moderne avec la décision Blanco (TC, 8 février 1873)
- Contexte de la décision Blanco :
- Conflit de compétence : En 1873, un incident survient lorsque Agnès Blanco, une enfant, est renversée par un wagonnet poussé par des ouvriers d’une manufacture de tabac de l’État. Son père demande une indemnisation à l’État, mais le préfet ne répond pas. Le litige est porté devant un tribunal civil qui renvoie la question devant le Tribunal des conflits, soulevant la question de la compétence entre la juridiction judiciaire et la juridiction administrative.
- Principe de la décision Blanco :
- Le Tribunal des conflits tranche que le litige doit être réglé par la juridiction administrative. Cette décision marque la reconnaissance de la spécificité du droit administratif, distinct du droit commun (droit civil).
- L’État, en tant qu’employeur des ouvriers responsables de l’accident, est responsable pour faute de ces derniers, mais la responsabilité administrative ne suit pas les règles du droit civil classique.
- Le Conseil d'État, saisi du cas, estime que l'amputation de la jambe d'Agnès résulte d’une erreur médicale et attribue la responsabilité à l'État pour la faute commise par ses agents. Une indemnisation est accordée à la famille.
- Conséquences juridiques :
- La décision Blanco fonde une jurisprudence selon laquelle la responsabilité de l’administration est régie par des règles spéciales, distinctes de celles applicables aux particuliers. L’administration agit dans l’intérêt général, et ses règles peuvent déroger aux principes du droit commun, notamment en matière de responsabilité.
- Le critère finaliste de l’action administrative, centré sur l’intérêt général, justifie cette distinction.
A. Approches fonctionnelle (Intérêt Général) / matérielle (puissance publique) et leurs limites
- Le Droit Administratif (DA) adapté à l'activité publique :
- Le droit administratif régit les activités spécifiques de l'administration, distinctes des activités privées. Il s'applique aux actions publiques qui ont un but d’intérêt général (IG), comme la police, la justice ou la défense nationale.
- Critère finaliste : L’administration agit dans l’intérêt général, ce qui justifie des règles et une juridiction spécifiques, distinctes du droit commun appliqué aux relations privées.
- Privilège de l’administration : L’administration bénéficie de prérogatives qui lui permettent de faire primer l’intérêt général, y compris par des moyens spécifiques (puissance publique), et de disposer de pouvoirs unilatéraux.
- Puissance publique :
- Différence avec les relations privées : En droit privé, les relations sont basées sur l'égalité des parties (volonté libre des parties). En revanche, l'administration, pour accomplir ses missions, dispose de pouvoirs permettant de surmonter les résistances des individus et d'agir sans leur consentement.
- Exemples : L'administration peut utiliser des moyens coercitifs comme l'expropriation ou le droit de préemption, qui ne peuvent pas être utilisés par des particuliers.
- Unilatéralité : L’administration peut imposer ses décisions unilatéralement, indépendamment de l'accord des particuliers concernés, notamment pour garantir l’exécution des missions d’intérêt général.
- Limites de l’action administrative :
- Bien que l'administration bénéficie de pouvoirs exceptionnels, elle reste soumise à un contrôle juridique. Les administrés peuvent contester ses décisions, notamment devant un juge administratif, dans un délai de deux mois. Cela garantit que l'administration respecte le droit et que ses actions ne portent pas atteinte de manière excessive aux intérêts privés.
B. Approche organique (organes, modes d'administration, déconcentration/décentralisation)
- Les catégories d'organes administratifs :
- L'État : L'État est la personne morale de droit public principale, avec la capacité de définir ses propres compétences et d'organiser son administration. Il possède une personnalité juridique distincte, tant en droit interne qu'international, et gère les fonctions régaliennes (souveraineté, territoire, population).
- Les collectivités territoriales : Ce sont des entités publiques ayant une personnalité morale propre, créées par la Constitution (communes, départements, régions), qui expriment la décentralisation administrative. Elles ont des compétences locales, mais restent sous le contrôle de l'État.
- Les établissements publics : Ce sont des personnes morales de droit public spécialisées, créées pour gérer un service public spécifique. Il en existe deux types : les établissements publics administratifs (EPA) et les établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC). Ces établissements permettent une gestion autonome de certains services publics.
- Déconcentration et décentralisation :
- Déconcentration : Il s'agit d'un mode d’organisation administrative dans lequel l'État central délègue certaines décisions à des autorités locales (préfets, maires, etc.) tout en restant responsable des actions. Ce système vise à rapprocher l'administration des administrés et à rendre la gestion publique plus efficace.
- Décentralisation : Contrairement à la déconcentration, la décentralisation consiste à transférer certaines compétences de l'État à des entités administratives juridiquement distinctes (collectivités territoriales), qui bénéficient d'une certaine autonomie, mais restent sous contrôle de l'État. Cela permet d’adapter la gestion publique aux besoins locaux.
- État unitaire et fédéral : L’État unitaire privilégie la centralisation ou la déconcentration, tandis qu’un État fédéral organise une coopération entre des entités fédérées autonomes.
- Réformes administratives et décentralisation :
- Historique de la décentralisation : Après la Révolution française, la France est passée d’un système centralisé à un système de plus en plus décentralisé. Cela s’est intensifié avec les lois de 1982 sous François Mitterrand, qui ont permis une plus grande autonomie des collectivités locales.
- Décentralisation territoriale : Depuis les années 1980, les collectivités territoriales (communes, départements, régions) ont acquis plus d’autonomie, même si elles demeurent sous le contrôle de l’État. Ce contrôle, auparavant a priori (approbation préalable des actes par le préfet), est désormais principalement a posteriori (contrôle après l’entrée en vigueur des actes).
- Réforme constitutionnelle de 2003 : Elle a inscrit la décentralisation dans la Constitution et a permis un renforcement des compétences des collectivités territoriales, notamment en matière de financement et de démocratie locale.
- Défis de la décentralisation :
- La multiplication des entités publiques (communes, départements, régions, EPCI) a conduit à des superpositions de compétences, créant des doublons et des inefficacités. La France cherche à rationaliser la gestion publique locale, notamment en réduisant les strates administratives et en fusionnant certaines entités pour simplifier l’action publique (réformes sous François Hollande, création de métropoles, etc.).
Séparation des autorités administratives et judiciaires (consequences)
1. Contexte historique :
- Ancien Régime : Les Parlements, malgré leur rôle judiciaire, ont souvent cherché à intervenir dans l'administration, notamment par la fronde des parlements (17e siècle). Ils ont refusé d'enregistrer les édits royaux, ce qui a entravé l'action de l'exécutif.
- Révolution française : Les révolutionnaires ont vu dans l'immixtion du judiciaire une menace à l'indépendance de l'administration. L'objectif était d'éviter que les tribunaux ne paralysent l'exécution des décisions de l'exécutif.
2. Causes de la séparation :
- Première raison : Préserver l’efficacité de l’administration, en l'empêchant d’être entravée par le pouvoir judiciaire.
- Deuxième raison : Une lecture erronée de Montesquieu a conduit à la séparation des pouvoirs. L’idée était que le judiciaire ne devait pas empiéter sur l'exécutif, bien que cette conception fût simplifiée et inexacte (le contrôle juridictionnel n'est pas une immixtion directe dans l'exécutif).
3. Conséquences pratiques :
- Loi du 16-24 août 1790 : Interdiction pour les tribunaux judiciaires de connaître des actes administratifs.
- Autonomie administrative : L’administration se contrôle elle-même sans intervention des juges, un principe qui a perduré avec la théorie du ministre-juge au 19e siècle.
- Loi du 24 mai 1872 : Création d’une juridiction administrative autonome avec un Conseil d’État comme juge suprême.
II. La séparation des juridictions administratives et judiciaires
1. Le système préexistant :
- Avant 1872, l'administration se jugeait elle-même. Le Conseil d’État agissait à la fois comme administrateur et juge.
- La réforme de 1872 crée une séparation définitive entre le juge administratif (CE) et le juge judiciaire.
2. L’évolution avec l'arrêt Cadot (1889) :
- L'arrêt marque la fin de la théorie du juge-administrateur et l'affirmation de l'autonomie du Conseil d'État, qui devient un véritable juge, indépendant de l'administration.
III. Critères de compétence en droit administratif
1. Critères organiques :
- Un litige impliquant une personne publique ou un de ses agents relève en principe de la compétence du juge administratif. Ce critère a toutefois montré ses limites, en raison de son interprétation trop étendue.
2. Critères matériels :
- Critère de l'État débiteur : Abandonné car trop simpliste, il aurait attribué la compétence des litiges financiers à la juridiction administrative.
- Actes de gestion vs actes d'autorité :
- Actes de gestion : Relèvent des juridictions judiciaires (actes de droit commun).
- Actes d’autorité : Relèvent du juge administratif (actes avec prérogatives de puissance publique).
- Critère de la puissance publique : L’administration agit dans un cadre de prérogatives supérieures, et ses actes sont soumis au juge administratif. Lorsque l’administration agit comme un particulier, les juridictions judiciaires sont compétentes.
3. Critère du service public (SP) :
- Introduit par l'arrêt Blanco (1873), ce critère a fait du service public la pierre angulaire du droit administratif.
- Les activités d’intérêt général (IG) assurées par une personne publique relèvent du juge administratif.
- Les Services Publics Industriels et Commerciaux (SPIC) peuvent cependant relever des juridictions judiciaires, car leur gestion est similaire à celle d'une entreprise privée.
- Jurisprudence : L'arrêt Terrier (1903) et d’autres affirment que des activités relevant de l’intérêt général mais exécutées par des personnes privées ou publiques relèvent de la compétence du juge administratif.
4. L’évolution du critère du service public :
- Critère élargi : La notion de service public s’étend à des services publics relevant de la sécurité sociale et d’autres institutions publiques, même gérés par des entités privées (arrêts Feutry et Bertin).
- SPIC : L'administration qui gère des services publics industriels et commerciaux (par ex. gestion de ports ou aéroports) peut être jugée par le juge judiciaire.
IV. Conclusion sur la pluralité des critères du DA
- Diversité des critères : Le droit administratif repose sur plusieurs critères (organique, matériel, service public, puissance publique) pour déterminer la compétence du juge administratif. Ces critères permettent d'appliquer un droit spécifique aux activités administratives tout en préservant la distinction avec le droit privé.
- Exigence de prévisibilité : Bien que ces critères puissent sembler flexibles et empiristes, leur application permet d’assurer une certaine cohérence et prévisibilité des relations juridiques. Les administrés peuvent ainsi définir le régime juridique qui leur est applicable en fonction de la nature de l'acte administratif.