- Michel Pollak (1948-1992), sociologue autrichien installé en France
- Mort du sida à 44 ans, maladie encore honteuse et marginalisante à cette époque
- son vécu personnel influence profondément son intérêt pour la marginalité, la honte et la survie identitaire
- il s'interroge sur comment une identité se construit dans l'exclusion, la stigmatisation ou la souffrance
- ses recherches portent sur ceux qui vivent "à part", contraints par des expériences extrêmes (maladies, guerre, camps)
présentation générale
L'expérience concentrationnaire
1.le terrain et son approche
- Pollak étudie les camps nazis non comme la négation du social, mais comme un espace de recomposition du social
Dès l'entrée au camp, les déportés sont désacralisés:
- dépouillés de leurs vêtements
- tondus,
- marqués par un matricule tatoué
- Malgré cette déshumanisation, les prisonniers recréent des liens: solidarité, entraide, partage, fidélité, célébrations clandestines
- le camp devient alors un microcosme ou les formes de sociabilité persistent
2.objectif du chercheur
- montrer que la socialité survit à l'extrême: même dans les conditions les plus inhumaines, des structures sociales se maintiennent
- construire le camp comme un fait social total (inspiration maussienne): lieux ou toutes les dimensions humaines coexistent : morale, affective, relationnelle
3.les sources
- seize entretiens approfondis avec des femmes rescapées
- certaines ne peuvent plus témoigner (traumatismes, épuisement psychique)
- ces récits deviennent la seule trace de leur vécu et permettent de comprendre les stratégies de survie physique et identitaire
Méthodologie de Pollak
1.le rôle du récit
- le récit de vie est un instrument de compréhension du social
- il révèle une mémoire souterraine et clandestine, absente des récits officiels
- ces voix représentent les dominés et les oubliés, porteurs de la mémoire collective cachée
2.le silence comme donnée sociologique
- le silence n'est pas une absence: il exprime la pudeur, la peur ou la honte
- il peut naître de la peur de ne pas être compris face à une expérience "indicible"
- le sociologue, par son écoute, donne sens au silence et lui rend valeur analytique
- le silence devient une forme de mémoire, tout aussi révélatrice que la parole
3.la posture du sociologue
- l'enquêté est un sujet sachant, détenteur d'un savoir irremplaçable
- le chercheur doit donner confiance et valoriser la parole du témoin
- but: rappeler aux témoins que leur parole est essentielle pour la mémoire collective
4.l'entretien non directif
- Pollak privilégie un cadre d'entretien ouvert, sans grille imposée
- le narrateur structure lui-même son récit , selon ses émotions et sa mémoire
- objectif: comprendre comment le récit exprime la reconstruction de soi, non établir une vérité historique stricte
Les récits, le temps et l'énonciation
1.travail du temps sur la mémoire
- les récits sont transformés par le temps, mais cela ne les rend pas moins vrais
- le passage du temps modifie le ton, la précision, l'émotion des témoignages
- la mémoire devient une reconstruction identitaire, plus qu'un simple souvenir
2.évolution historique des témoignages
- avant 1949: récits principalement thérapeutiques, visant à aider à surmonter le traumatisme
- années 1950-1960 (trente glorieuses: récits reconstruits, moins précis, plus symboliques, centrés sur la "normalité retrouvée"
- ces transformations reflètent l'évolution du rapport entre société, mémoire et identité
3.culpabilité et non-dit
- nombreux survivants ressentent la "culpabilité du survivant": vivre quand d'autres sont morts
- cette culpabilité provoque le silence, la honte, la peur de témoigner
- le récit devient parfois une réconciliation avec soi-même, non un simple témoignage
4.cadre d'énonciation
- chaque récit dépend du moment, de l'auditoire, de la relation avec le chercheur
- le contexte détermine ce qui est dit et ce qui est tu
- les contraintes narratives produisent du sens: elles façonnent l'expression d'une vérité subjective
Pollak et Bourdieu: débats sur le récit
1.une critique initiale
- dans l'illusion biographique (1986), Bourdieu critique Pollak: les récits reconstruisent artificiellement le passé
- il reproche à cette approche de créer une fausse cohérence rétrospective
2.une reconnaissance ultérieure
- plus tard, Bourdieu reconnaît la valeur heuristique du récit: il éclaire les structures sociales implicites
- Pollak démontre que la parole subjective est une voie d'accès au social, à condition de l'analyser rigoureusement
dimension biographique et engagement personnel
- pollak vit la marginalisation en raison du sida: honte, silence, peur du rejet
- son expérience personnelle renforce son empathie envers les témoins des camps
- il saisit le lien entre souffrances, silence et reconstruction identitaire
Il développe une approche genrée:
- les femmes rescapées expriment des formes spécifiques de survie
- importance des gestes de soin, du maintien de la dignité et de la pudeur
- le corps, la mémoire, et la parole deviennent les lieux de la résistance identitaire féminine
Les apports de Pollak à la sociologie
- réinvention du social en milieu extrême: le camp n'est pas un vide social
- mise en valeur des récits: instruments de mémoire et d'analyse
- redéfinition de la vérité: pas une reproduction factuelle, mais un vécu transformé
- sociologie du silence et de la mémoire: comprendre ce qui se dit et ce qui ne se dit pas
- sociologie humaniste: chaque individu est porteur d'un savoir légitime, même dans la souffrance