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Lycée
Première

Albert Cohen, Belle du seigneur, incipit

Algèbre

Définition

La syntaxe est enfin soucieuse de musicalité (cadences du vers, ampleur de la phrase). Exemple : le registre lyrique dans le roman : Albert Cohen, Belle du Seigneur, III, 1968.
Introduction : Albert Cohen est un écrivain français du XXe siècle dont l’œuvre la plus connue est le roman Belle du Seigneur (paru en 1968, écrit à partir des années 1930). Dans ce roman, un jeune homme aisé, Solal, tombe amoureux d’Ariane, une femme mariée qui se distingue par sa beauté. Il parvient à la séduire et à la convaincre de fuir avec lui. Mais leur vie commune n’est pas à la hauteur de leurs idéaux et ils finissent par se suicider ensemble. Le passage que nous avons à expliquer correspond au moment de ce suicide. Nous nous demanderons en quoi ce texte est sublime et tragique. Pour cela, nous étudierons d’abord, de la ligne 1 à 9, le souvenir suspendu d’une rencontre amoureuse passionnelle puis, de la ligne 10 à la ligne 22, l’attente déçue et l’accélération de la narration qui l’accompagne.

1.Le souvenir suspendu d’une rencontre amoureuse passionnelle

Le texte commence par une phrase au passé simple (« aspira », « sourit ») qui marque d’emblée le choix fatidique du suicide. C’est celui d’Ariane qui est raconté, ce en focalisation interne car le narrateur nous laisse accéder aux pensées du personnage dans un discours indirect libre.

Après cette phrase d’accroche, c’est l’imparfait de l’indicatif et le plus-que-parfait qui dominent : ce sont des temps qui marquent pour le premier l’action qui dure et pour le second l’action passée qui est achevée et qui a modifié une situation. En l’occurrence, le plus-que-parfait est utilisé pour raconter la première nuit d’Ariane et Solal : « elle avait voulu lui montrer », « ils avaient respiré », « avaient écouté », « elle lui avait dit », « elle avait joué ». Peu après la mention du « toujours » qu’Ariane dit à Solal cette nuit-là pour désigner l’éternité de leur amour et immédiatement après une phrase averbale sous forme d’énumération (« le sofa, les baisers, premiers vrais baisers de sa vie »), on revient à l’imparfait de l’indicatif avec « disait », « s’annonçaient », « s’aimaient », « riaient », « unissaient », « se détachaient ». On revient en cela à une action longue, dont Ariane espère qu’elle ne finira jamais : cette action est celle des premiers baisers et des premières déclarations d’amour.

C’est l’énumération qui domine cette première partie ; elle porte tantôt sur des verbes (avaient respiré, avaient écouté ; s’annonçaient, riaient, unissaient, se détachaient) et tantôt sur des noms ou groupes nominaux (sofa, baisers, premiers vrais baisers de sa vie). L’effet produit est celui d’un tourbillon, d’une ivresse amoureuse. Le lexique est positif dans son ensemble (nuit d’étoiles, murmures, choral, baisers, s’aimaient, bonheur, unissaient, merveilleuse nouvelle). Mais cette abondance de belles choses se succède trop vite : l’adverbe « ensuite » rythme le passage comme pour marquer l’inéluctabilité du temps. Le paragraphe se clôt ainsi sur « Et maintenant, maintenant », adverbe de temps là aussi qui indique cette fois une rupture entre le temps du bonheur passé et la déception présente, laquelle mène à la mort des amants.

2.L’attente déçue et l’accélération de la narration qui l’accompagne

Le deuxième paragraphe ressemble au premier car commence lui aussi par « Elle aspira de l’éther, sourit ». Mais la phrase en reste là, ce qui marque déjà une réduction par rapport au paragraphe précédent. La vague des souvenirs submerge plus tôt Ariane, qui se drogue à l’éther pour parvenir à l’oubli du présent.

Le fil de la narration est repris, toujours au discours indirect libre. La deuxième phrase commence comme une phrase non verbale (« ô les débuts (…) heures ») et continue comme une phrase verbale (« elle était toujours sur le seuil à l’attendre »), comme si le fil de la pensée d’Ariane se défaisait avant d’être reprise et ressaisie. Ce sont des images qui s’imposent à elle plus que des pensées : l’éther fait déjà son effet. La phrase se défait de nouveau à partir de « à l’attendre sur le seuil », qui reprend en chiasme « sur le seuil à l’attendre » : Ariane se répète, revient obsessionnellement aux mêmes souvenirs. La phrase ne termine qu’avec « et c’était l’amour » et s’étire sur 12 lignes. Elle est complexe, faite de propositions juxtaposées pour la plupart, propositions tantôt averbales et tantôt verbales (« il revenait parfois »), avec des insertions de discours direct libre (« je ne peux pas sans toi, il lui disait, je ne peux pas »). Ces bribes de discours sont là encore des souvenirs que convoque Ariane des temps de l’amour avec Solal.

L’accent est mis sur les échanges amoureux avec le champ lexical du désir (« attentes », « belle pour lui », « enthousiasme », « se regarder », « baisers reçus et donnés », « baisers, baisers profonds, baisers interminables », « splendeur de le revoir », « le merveilleux », « amour ») et avec la répétition du mot « baisers » auxquels sont adjoints des expansions du nom différents : « profonds », « interminables », « religieux », encore et encore », « véritables », « d’amour », « grands » « battant de l’aile ». Cette répétition étourdit voir écoeure et laisse entrevoir les raisons de la lassitude des deux amants : le lecteur ressent une saturation face à cet excès d’enthousiasme et de transe. Le parallélisme est également convoqué (« d’amour il pliait genou devant elle qui d’amour pliait genou devant lui ») pour marquer la parfaite symétrie de cet amour.

Mais ce passage s’est ouvert sur le thème de l’attente (« les attentes », « l’attendre », « impatiente », « l’attendre », « après l’avoir quittée », « revenait », « retour », « il restait ») ; cette attente est regrettée, signe que c’est une trop grande proximité qui a contribué à tuer l’amour entre les deux personnages. L’excès de bonheur ne peut être que ponctuel et ne peut tenir la durée.

Le verdict est dès lors sans appel et est donné dans la dernière phrase, de manière irrévocable ; l’association de la conjonction de coordination « et » avec l’adverbe de temps « maintenant », qui ancre dans le temps présent (on parle de déictique pour « maintenant), revient en fin de deuxième partie comme elle avait été utilisée en première partie. Là où la première phrase est reprise pour être réduite, la dernière phrase est reprise pour être développée : on passe de « Et maintenant, maintenant » à « Et maintenant ils ne se désiraient plus (…) bien ». On retrouve une dernière fois l’énumération, mais une énumération sobre et triste de verbe conjugués à la troisième personne du pluriel : Ariane et Solal ne sont plus deux individus l’un face de l’autre, se séduisant et se désirant, mais une seule entité, un « ils », qui ne s’exalte plus. Morts en tant que couple, ils n’ont plus qu’à mourir en tant qu’individu.



A retenir :

Conclusion :

Dans ce passage-clé du roman-fleuve Belle du seigneur, Albert Cohen montre les excès d’une histoire qui se présente comme un amour absolu et tragique mais qui est, en réalité, une passion folle et dévastatrice. Ariane et Solal, empreint d’idéaux et dotés d’une très haute image d’eux-mêmes et de leur couple, ne savent pas accepter la réalité dans sa trivialité. Ils ne peuvent accepter que leur histoire d’amour soit moins sublime que ce qu’ils rêvent. La loi de l’inéluctabilité du temps et de la nécessaire retombée de l’enthousiasme les prend au piège, ce que montre ce passage.

Lycée
Première

Albert Cohen, Belle du seigneur, incipit

Algèbre

Définition

La syntaxe est enfin soucieuse de musicalité (cadences du vers, ampleur de la phrase). Exemple : le registre lyrique dans le roman : Albert Cohen, Belle du Seigneur, III, 1968.
Introduction : Albert Cohen est un écrivain français du XXe siècle dont l’œuvre la plus connue est le roman Belle du Seigneur (paru en 1968, écrit à partir des années 1930). Dans ce roman, un jeune homme aisé, Solal, tombe amoureux d’Ariane, une femme mariée qui se distingue par sa beauté. Il parvient à la séduire et à la convaincre de fuir avec lui. Mais leur vie commune n’est pas à la hauteur de leurs idéaux et ils finissent par se suicider ensemble. Le passage que nous avons à expliquer correspond au moment de ce suicide. Nous nous demanderons en quoi ce texte est sublime et tragique. Pour cela, nous étudierons d’abord, de la ligne 1 à 9, le souvenir suspendu d’une rencontre amoureuse passionnelle puis, de la ligne 10 à la ligne 22, l’attente déçue et l’accélération de la narration qui l’accompagne.

1.Le souvenir suspendu d’une rencontre amoureuse passionnelle

Le texte commence par une phrase au passé simple (« aspira », « sourit ») qui marque d’emblée le choix fatidique du suicide. C’est celui d’Ariane qui est raconté, ce en focalisation interne car le narrateur nous laisse accéder aux pensées du personnage dans un discours indirect libre.

Après cette phrase d’accroche, c’est l’imparfait de l’indicatif et le plus-que-parfait qui dominent : ce sont des temps qui marquent pour le premier l’action qui dure et pour le second l’action passée qui est achevée et qui a modifié une situation. En l’occurrence, le plus-que-parfait est utilisé pour raconter la première nuit d’Ariane et Solal : « elle avait voulu lui montrer », « ils avaient respiré », « avaient écouté », « elle lui avait dit », « elle avait joué ». Peu après la mention du « toujours » qu’Ariane dit à Solal cette nuit-là pour désigner l’éternité de leur amour et immédiatement après une phrase averbale sous forme d’énumération (« le sofa, les baisers, premiers vrais baisers de sa vie »), on revient à l’imparfait de l’indicatif avec « disait », « s’annonçaient », « s’aimaient », « riaient », « unissaient », « se détachaient ». On revient en cela à une action longue, dont Ariane espère qu’elle ne finira jamais : cette action est celle des premiers baisers et des premières déclarations d’amour.

C’est l’énumération qui domine cette première partie ; elle porte tantôt sur des verbes (avaient respiré, avaient écouté ; s’annonçaient, riaient, unissaient, se détachaient) et tantôt sur des noms ou groupes nominaux (sofa, baisers, premiers vrais baisers de sa vie). L’effet produit est celui d’un tourbillon, d’une ivresse amoureuse. Le lexique est positif dans son ensemble (nuit d’étoiles, murmures, choral, baisers, s’aimaient, bonheur, unissaient, merveilleuse nouvelle). Mais cette abondance de belles choses se succède trop vite : l’adverbe « ensuite » rythme le passage comme pour marquer l’inéluctabilité du temps. Le paragraphe se clôt ainsi sur « Et maintenant, maintenant », adverbe de temps là aussi qui indique cette fois une rupture entre le temps du bonheur passé et la déception présente, laquelle mène à la mort des amants.

2.L’attente déçue et l’accélération de la narration qui l’accompagne

Le deuxième paragraphe ressemble au premier car commence lui aussi par « Elle aspira de l’éther, sourit ». Mais la phrase en reste là, ce qui marque déjà une réduction par rapport au paragraphe précédent. La vague des souvenirs submerge plus tôt Ariane, qui se drogue à l’éther pour parvenir à l’oubli du présent.

Le fil de la narration est repris, toujours au discours indirect libre. La deuxième phrase commence comme une phrase non verbale (« ô les débuts (…) heures ») et continue comme une phrase verbale (« elle était toujours sur le seuil à l’attendre »), comme si le fil de la pensée d’Ariane se défaisait avant d’être reprise et ressaisie. Ce sont des images qui s’imposent à elle plus que des pensées : l’éther fait déjà son effet. La phrase se défait de nouveau à partir de « à l’attendre sur le seuil », qui reprend en chiasme « sur le seuil à l’attendre » : Ariane se répète, revient obsessionnellement aux mêmes souvenirs. La phrase ne termine qu’avec « et c’était l’amour » et s’étire sur 12 lignes. Elle est complexe, faite de propositions juxtaposées pour la plupart, propositions tantôt averbales et tantôt verbales (« il revenait parfois »), avec des insertions de discours direct libre (« je ne peux pas sans toi, il lui disait, je ne peux pas »). Ces bribes de discours sont là encore des souvenirs que convoque Ariane des temps de l’amour avec Solal.

L’accent est mis sur les échanges amoureux avec le champ lexical du désir (« attentes », « belle pour lui », « enthousiasme », « se regarder », « baisers reçus et donnés », « baisers, baisers profonds, baisers interminables », « splendeur de le revoir », « le merveilleux », « amour ») et avec la répétition du mot « baisers » auxquels sont adjoints des expansions du nom différents : « profonds », « interminables », « religieux », encore et encore », « véritables », « d’amour », « grands » « battant de l’aile ». Cette répétition étourdit voir écoeure et laisse entrevoir les raisons de la lassitude des deux amants : le lecteur ressent une saturation face à cet excès d’enthousiasme et de transe. Le parallélisme est également convoqué (« d’amour il pliait genou devant elle qui d’amour pliait genou devant lui ») pour marquer la parfaite symétrie de cet amour.

Mais ce passage s’est ouvert sur le thème de l’attente (« les attentes », « l’attendre », « impatiente », « l’attendre », « après l’avoir quittée », « revenait », « retour », « il restait ») ; cette attente est regrettée, signe que c’est une trop grande proximité qui a contribué à tuer l’amour entre les deux personnages. L’excès de bonheur ne peut être que ponctuel et ne peut tenir la durée.

Le verdict est dès lors sans appel et est donné dans la dernière phrase, de manière irrévocable ; l’association de la conjonction de coordination « et » avec l’adverbe de temps « maintenant », qui ancre dans le temps présent (on parle de déictique pour « maintenant), revient en fin de deuxième partie comme elle avait été utilisée en première partie. Là où la première phrase est reprise pour être réduite, la dernière phrase est reprise pour être développée : on passe de « Et maintenant, maintenant » à « Et maintenant ils ne se désiraient plus (…) bien ». On retrouve une dernière fois l’énumération, mais une énumération sobre et triste de verbe conjugués à la troisième personne du pluriel : Ariane et Solal ne sont plus deux individus l’un face de l’autre, se séduisant et se désirant, mais une seule entité, un « ils », qui ne s’exalte plus. Morts en tant que couple, ils n’ont plus qu’à mourir en tant qu’individu.



A retenir :

Conclusion :

Dans ce passage-clé du roman-fleuve Belle du seigneur, Albert Cohen montre les excès d’une histoire qui se présente comme un amour absolu et tragique mais qui est, en réalité, une passion folle et dévastatrice. Ariane et Solal, empreint d’idéaux et dotés d’une très haute image d’eux-mêmes et de leur couple, ne savent pas accepter la réalité dans sa trivialité. Ils ne peuvent accepter que leur histoire d’amour soit moins sublime que ce qu’ils rêvent. La loi de l’inéluctabilité du temps et de la nécessaire retombée de l’enthousiasme les prend au piège, ce que montre ce passage.