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Chapitre 3 : Les techniques


Introduction : 


Une technique correspond à différents mécanismes. D’abord, le langage juridique et la terminologie juridique. Le droit est une science du langage. Il est aussi vu à travers l'art. La notion de terme permet une maîtrise et forme un ordre juridique. La classification se compose de notions qui permettent une classification des règles derrière, ce qui constitue l’ordre juridique. Il n’existe pas de classification universelle, car il y a des nuances. Le droit est également une construction intellectuelle reposant sur des raisonnements. Le but des raisonnements juridiques est d’évaluer une situation afin de déterminer si les comportements des individus sont conformes ou non aux règles juridiques. L’application du droit consiste en une opération d’évaluation de la situation factuelle pour vérifier leur conformité aux règles de droit.


À cela s’ajoute que ce n’est plus seulement une analyse en conformité, mais une analyse au sens plus large. Les raisonnements du droit sont donc pluriels.

 

Section 1 : Le langage du droit


Comme toute discipline, le droit a pour partie son propre langage. Il s’est développé grâce à une terminologie spécifique, doublement spécifique. On peut distinguer le langage du droit et le langage sur le droit.

  • Du droit correspond au droit positif, c’est le langage utilisé pour l’énonciation des règles et utilisé par le législateur au sens large. Ce langage constitue une source formelle du droit.
  • Sur le droit correspond à la doctrine analytique, qui permet de prendre une distance avec les formes juridiques et d’analyser le droit comme phénomène à part entière.

 

A – Le lexique juridique


Le lexique juridique est très riche. Aujourd’hui, le droit est présent et utilisé dans toutes les sphères sociales, comme pour l’usufruit, la prescription, l’acquisitive, le mandat d’arrêt, le contrat synallagmatique ou la clause abusive. Il contient des termes utilisés dans le langage commun. Le législateur doit trouver un compromis entre la nécessité de créer des institutions originales et celle de coller aux pratiques sociales et aux faits, en reprenant parfois des termes du quotidien.

L’exigence et l’attente à l’égard du législateur sont de réduire le langage pour le rendre le plus simple et compréhensible possible. L’enjeu est de rendre le droit lisible et accessible, un outil démocratique. Cependant, ce programme n’est pas toujours respecté. Le droit dispose d’instruments qui lui sont spécifiques. Le juriste doit être précis et comprendre le sens des termes. Le langage juridique ne possède pas de synonymes, et chaque règle constitue un corpus de règles.

Pour que le droit soit praticable, les mots ne doivent pas se ressembler. Pour cela, il doit y avoir une qualification. La qualification entraîne des conséquences, et la dénomination est la bataille favorite des juristes. Une partie du langage juridique emprunte au français, prenant des mots courants et leur donnant des définitions particulières.

Exemples :


  • Absence : celui qui n’est pas là. En droit, ce concept est plus précis, désignant l’état d’une personne qui a été judiciairement déclarée absente car présumée décédée, faute de signes de vie. Cela permet d’ouvrir la succession grâce à la décision du juge. Cette situation est réversible, et le juge peut mettre fin à ce statut. L’absent est distingué du disparu. En droit pénal, cela correspond à une hypothèse où les circonstances rendent le décès très probable, comme lors d’une catastrophe naturelle. Quand une personne disparaît de manière dangereuse sans que son corps soit retrouvé, il est possible d’ouvrir la succession sans attendre trop longtemps. Cela permet au juge de rendre un jugement déclaratif de décès. Ainsi, même si l’on ne peut pas prouver la mort, il est possible d’ouvrir immédiatement la succession.
  • Immeuble : construction à plusieurs étages. Le sens juridique est plus large. Selon la doctrine, un immeuble est un bien non déplaçable. Le Code civil précise que la terre, le sol, le fonds, et par extension tout ce qui est incorporé au sol, sont également des immeubles. Un terrain nu est un immeuble. Un arbre est un immeuble. Si l’on coupe l’arbre, la partie coupée devient meuble. Le mobilier n’est pas immeuble car déplaçable. Un champ est un bien immeuble car non déplaçable.
  • Créancier tyrographaire : créancier ordinaire, qui n’a pas de priorité sur les autres et subit la concurrence des autres créanciers. Lorsqu’une personne est débitrice, elle peut avoir plusieurs créanciers à rembourser. Certains créanciers sont prioritaires pour saisir certains biens du débiteur ou être payés sur son patrimoine. Ensuite, les créanciers tyrographiques entrent en concurrence pour être remboursés sur le patrimoine restant.

Le droit n’est pas un langage strictement descriptif, mais prescriptif. La qualification permet de déclencher l’application d’une règle.

Il offre une distance avec le réel, insiste ou impose certains comportements. Tous ces concepts sont des représentations abstraites, pas la réalité, mais ce que l’on cherche à réaliser. Ces notions juridiques renvoient à une finalité qui permet d’orienter les comportements. L’objectif n’est pas de décrire une situation, mais de déterminer quelle règle est applicable.

 

B – La syntaxe


Le langage juridique s’exprime dans des phrases, avec une syntaxe considérée comme originale et spécifique. Le langage de la doctrine a beaucoup évolué, tout comme celui des juridictions. La doctrine est plus proche du langage commun. Le texte juridique possède une phrase-logique spécifique, PE juridique. Les tribunaux rendent des décisions particulières : tribunal de première instance = jugement, cour d’appel et hautes cours = arrêt. Le contenu des décisions montre que les juges ont leur langage à eux.

Il existe des codes pour automatiser et codifier la façon de rendre la justice. Ces conventions, si elles sont trop techniques, ne sont pas ouvertes à tous. Il faut trouver un juste équilibre. Le juge doit motiver sa décision au vu de la règle de droit. Le juste milieu consiste à combiner technicité et objectif : rendre la décision acceptable et claire.

Évolution : depuis deux siècles, la Cour de cassation a développé un PE spécifique très similaire entre les hautes juridictions. La forme des décisions reste la même. Cette structure rigide aide à comprendre le langage juridique. À l’intérieur, les paraphrases du juge constituent un PE particulier. La Cour de cassation n’utilise pas de ponctuation classique. La ponctuation particulière commence par "attendu que".

Pour atteindre cet objectif de lisibilité, la Cour de cassation et le Conseil d’État ont modifié leur méthode de rédaction en 2019. Le résultat : hautes juridictions = décisions différentes, arrêt environ 15 pages. Bilan : mitigé, raisonnement expliqué plus en détail, mais lecture plus longue. Cette évolution se fait aussi sous l’influence du droit européen, inspiré du common law. Les jugements sont rédigés de manière précise et longue, méthode imposée au niveau européen et continental.

 

Section 2 : Les classifications


Les notions juridiques sont choisies pour construire une classification, mais en même temps pour opérer un ordonnancement des règles. Cette opération est essentielle, doctrinale, mais elle permet de clarifier le champ d’application des règles. Il existe des règles de responsabilité, pénales et civiles. Il existe aussi un régime de responsabilité administrative, qui permet de nuancer, par les mêmes conséquences et conditions. La classification permet de créer des régimes juridiques spécifiques à chaque spécialisation. Les classifications se font selon certains critères et choix politiques. Ces classifications ne sont pas figées, mais évolutives, parfois discutées, débattues et critiquées, conduisant à des modifications et, par exemple, à la création de nouvelles classifications.

Par exemple, dans le droit du travail, on oppose le travailleur salarié et le travailleur indépendant. Cette classification est dite binaire. Au sein de cette classification, on a voulu rajouter et créer d’autres catégories.

 

Les classifications binaires


Elles ne sont pas exclusives, mais se reposent très souvent sur cette binarité. Les catégories juridiques sont construites sur cette base, et les juristes ont construit leur mode de pensée dessus : fait juridique / acte juridique. Toutes les situations doivent rentrer dans l’une des deux catégories.

  • Une manifestation de volonté produisant des effets de droit correspond à l’acte juridique.
  • Un fait juridique est un événement quelconque, non volontaire. Le droit en tire une conséquence juridique, mais celle-ci n’a pas été recherchée par l’auteur du fait. Pour l’acte juridique, c’est volontaire, l’auteur cherche la conséquence.

Cette qualification est importante car elle entraîne des conséquences en termes de preuve. Elle peut aussi avoir des conséquences en termes de délai pour agir. Elle entraîne des conséquences car le régime juridique de l’acte et du fait juridique est distinct en droit civil. Ces deux classifications sont importantes, il ne faut pas se tromper car les sanctions juridiques sont différentes.

Exemples :

  • Un ticket de métro est un acte juridique, volontaire et consenti.
  • Un accident de vélo entraîne des conséquences juridiques, c’est un fait juridique.

 

On retrouve cette conception de duo partout. En droit civil, on oppose le sujet de droit à l’objet de droit. À partir de ces deux termes, on classe l’intégralité du réel. Le sujet est animé d’une intention, c’est une personne, et tout ce qui n’est pas une personne est un objet. Une personne peut avoir l’usage des objets. On classe ainsi les entités du monde matériel. Les animaux ne sont pas reconnus en droit français comme des sujets de droit. Les animaux sont des êtres vivants mais pas des personnes, donc meubles, objets de droit. Longtemps, toutes les personnes humaines n’étaient pas considérées comme sujets de droit : esclaves, enfants, femmes. Le Code civil permet une classification efficace.

 

Les classifications du corpus : les branches du droit


La classification du régime juridique correspond au corpus, c’est-à-dire l’ensemble des règles juridiques classées. On retrouve une dichotomie : droit public / droit privé. On parle souvent de sous-division ou distinction, pour des raisons historiques. Napoléon a codifié la législation. On ne voulait pas que ce fonctionnement soit lié au droit privé. Les règles de l’État dérogatoire et l’émergence progressive du droit public ont enrichi le XIXe et le XXe siècle. La France a développé le droit public de façon importante, ce qui rend sa mise en commun en Europe difficile. Il existe des sujets de droit dans les deux.

Le droit public concerne toutes les personnes comme l’État ou l’administration. Une entreprise peut être une entité de droit public, tout comme une université, qui est une personne morale de droit public. Cette distinction a une finalité opérationnelle, avec des règles spécifiques à l’administration. Elle peut avoir beaucoup d’incidences procédurales, car les conditions pour agir, pour saisir le juge et les juridictions compétentes ne sont pas les mêmes selon le litige.

Cette distinction n’est pas essentialiste, mais politique, rien de réel. Elle est opérationnelle tant qu’elle reste efficace, même si elle est remise en cause. Par exemple, en matière de responsabilité, une personne qui cause un dommage doit le réparer. Une personne de droit privé relève du Code civil. Une personne hospitalisée dans un hôpital public engage la responsabilité de l’hôpital. En cas de litige, le tribunal administratif est compétent. Dans une clinique privée, la responsabilité est privée. Cette distinction se reproduit souvent et engendre des points de friction entre public et privé.

Cette question s’est beaucoup révélée dans les années 1990, lors de la privatisation des grandes entreprises comme La Poste. Il a fallu trancher la question de la responsabilité, administrative ou privée. On voit bien que cette frontière entre le public et le privé varie selon les époques, les objectifs et les impératifs sociaux et politiques.

 

Les branches du droit


Chaque branche du droit correspond à un domaine juridique. Le droit civil est le droit commun, qui cohabite avec les droits spéciaux comme le droit du travail. Le droit public comporte plusieurs domaines : droit constitutionnel, droit administratif, droit du patrimoine, droit culturel. Certaines branches sont hybrides, dites mixtes.

Exemple : le droit pénal organise la réaction de l’État face aux infractions des délinquants pour maintenir l’ordre public. Cette branche a une dimension de droit public, car elle fixe comment l’État doit réagir. Elle joue un rôle important à travers ses organes. Dans le procès pénal, le ministère public agit contre le suspect, et la victime a une place secondaire. La deuxième partie du procès implique le procureur, qui veut la condamnation. Lorsque l’action pénale est engagée par un particulier, elle touche à des intérêts privés, et on retrouve une dimension privée. Le droit pénal garantit la sauvegarde d’intérêts individuels, par exemple en sanctionnant le vol pour protéger la propriété privée. La victime peut se constituer partie civile et obliger le ministère public à rechercher l’auteur de l’infraction. Le droit pénal et les juridictions répressives font partie du droit privé. Les procès ont lieu devant les juridictions de l’ordre judiciaire. Fondamentalement, en cas de crime ou délit, le juge peut rendre une mesure privative de liberté, ce qui rend essentiel de porter ces litiges devant les juridictions judiciaires.

Le droit procédural est une branche mixte. On distingue le droit matériel, qui contient les règles de fond (famille, contrat), du droit procédural, qui organise le procès, les recours et le fonctionnement des tribunaux. Les tribunaux administratifs appliquent des règles de droit public, pour l’organisation du service public de la justice. Le droit procédural régule le justiciable, privé et public. Il s’agit de réformer en permanence cette dichotomie.

 

Différentes branches du droit

 

Le droit civil est la branche maîtresse du droit privé. Historiquement, il était très vaste, complété par des législations spéciales : droit commercial, droit de la consommation. Le Code civil réglemente le droit privé en matière d’état civil, de capacité juridique, de biens des personnes privées, de droit familial et des obligations de droit privé, délictuelles (fait juridique) et contractuelles (acte juridique). Le Code civil est la référence pour éviter les lacunes. Les lois spéciales dérogent parfois au droit civil ou au droit commun. Le droit civil reste résiduel, on s’y réfère toujours, tandis que le droit spécial renvoie à d’autres branches.

 

Au XIXe siècle, le droit civil s’est enrichi. Des branches récentes comme le droit de la consommation sont apparues dans les années 1990, avec l’émergence du marché commun en Europe. Le droit du travail n’existait pas comme branche autonome au XIXe siècle. Le droit des enfants et le contrat de travail étaient régis par le contrat civil. Avec l’industrialisation et l’exode rural, l’émergence de la classe ouvrière salariée a nécessité la création d’une législation pour protéger les salariés. Le droit de grève et d’autres institutions ont ainsi permis au droit du travail de s’autonomiser du droit civil. La notion de salarié relève du droit du travail, mais le contrat reste civil.

 

Le droit commercial et le droit des affaires sont des piliers du droit français, avec une autonomie ancienne. L’ordonnance de Colbert et le Code de commerce de 1807 regroupent les règles applicables aux commerçants et aux opérations commerciales, et aux litiges entre commerçants ou particuliers. Par exemple, la vente d’un fonds de commerce ou de matériel professionnel relève du droit commercial. Historiquement, l’activité commerciale se développait à la marge d’une économie rurale et paysanne, et les règles sont nées des pratiques des commerçants.

 

Le droit du travail régit toutes les relations entre employeurs et salariés, régissant la vie collective du travail, la grève, etc. Le droit de la consommation et le droit commercial prennent en compte la relation entre consommateurs et professionnels, souvent asymétrique. Le droit de la consommation corrige cette asymétrie, en créant des obligations d’information et de signature de contrats, protégeant le consommateur.

 

 

Section 3 : Le raisonnement juridique

 

Il n'existe pas un, mais plusieurs types de raisonnements juridiques. Le raisonnement juridique, qui s'appuie sur le contenu des règles, suppose plusieurs étapes. Il s'agit d'abord d'appréhender les faits pour identifier la règle de droit applicable. Le système juridique est dynamique et non éternel ; le temps y a une place déterminante, tant sur les faits que sur l'application des règles. Ainsi, le juriste doit réfléchir à la fois sur les faits et sur les règles pour construire un raisonnement déductif.

 

1. Appréhender le monde : les fictions et les présomptions

 

Le droit, à travers ses catégories, construit des fictions. Celles-ci sont des artifices ou des créations théoriques qui permettent d'imaginer de nouvelles relations sociales. Le droit est construit sur ces fictions, sa finalité étant de transformer et d'aligner certaines situations sur des finalités juridiques. Pour ce faire, il recourt à l'abstraction en faisant comme si les faits correspondaient à certaines catégories, dans le but de leur faire produire des effets de droit. L'objectif est de rattacher les faits à une catégorie juridique pour qu'ils produisent un effet de droit, quelle que soit la manière dont cette situation a été appréhendée. Cela permet de transformer le social grâce à l'instrument du droit.

 

Exemple de fiction : Infans conceptus

 

Un enfant simplement conçu doit être considéré comme déjà né s'il en va de son intérêt. Cette règle, associée au concept de l'enfant simplement conçu (infans conceptus), a permis au droit français d'accorder une protection juridique à un fœtus s'il y a un intérêt à le protéger. Cette règle cohabite avec le principe de libre disposition du corps de la femme et ne contredit pas le droit à l'IVG.

 

Imaginons un couple attendant un enfant. Au cours de la grossesse, le mari décède dans un accident de voiture. L'enfant, bien que conçu, n'a pas encore de personnalité juridique. En droit français, une personne devient sujet de droit au moment de sa naissance. Si cet enfant à naître a un intérêt à être protégé juridiquement, par exemple pour hériter, il n'existe pas encore en termes juridiques et n'est pas titulaire de droits. Le décès de son père entraîne l'extinction de sa personnalité juridique, et son patrimoine est transmis à ses héritiers, c'est-à-dire sa femme et leurs éventuels autres enfants déjà nés. Pour permettre au fœtus de devenir héritier et de toucher sa part de l'héritage, il faut pouvoir le reconnaître comme un enfant simplement conçu. Le droit permet ainsi à cet enfant de participer à la succession, niant en quelque sorte la réalité, bien que de manière résiduelle et pour des faits purement patrimoniaux.

 

Les deux catégories de sujets de droit

 

Il existe deux catégories de sujets de droit :

 

  • Les personnes physiques, qui sont les êtres humains.
  • Les personnes morales, qui sont des entités théoriques auxquelles le droit accorde la personnalité juridique. C'est une fiction qui, en vertu d'une règle juridique, se voit reconnaître comme un sujet de droit. Une entreprise, par exemple, est un sujet de droit. De même, la loi de 1965 sur la copropriété a donné la personnalité juridique au syndicat des copropriétaires, lui permettant d'avoir un patrimoine distinct de celui des copropriétaires.

 

Le droit construit des personnes morales pour faciliter la gestion des éléments sociaux, comme les hôpitaux ou les entreprises. Une entité morale est protégée dans ses intérêts et peut agir en justice pour défendre ses droits, même si elle n'est qu'une pure fiction. Pour dépasser la difficulté de la preuve, le droit recourt à la technique des présomptions.

Les présomptions

 

Les faits ne sont pas toujours faciles à saisir. La connaissance de certains faits peut être difficile, voire impossible. Pour surmonter cette difficulté, on a recours à la technique de la présomption. Il s'agit d'une déduction intellectuelle, partant d'un fait connu pour en déduire un fait supposé qui reste inconnu. L'intérêt est de faciliter la preuve de l'existence du fait inconnu : il suffit de prouver un fait connu pour en déduire un autre que l'on ne peut pas connaître précisément. Une présomption est édictée par le législateur pour résoudre des situations compliquées. L'ancien article 1350-49 du Code civil donnait une définition de cette présomption : "Les présomptions sont les conséquences que la loi ou le magistrat tire d'un fait connu à un fait inconnu."

 

  • Exemple de présomption de possession : Si une personne possède quelque chose, il est facile de prouver qu'elle possède la chose. On présume alors qu'elle en est la propriétaire. En droit civil, cette présomption facilite l'établissement de la propriété d'un bien en l'absence de trace écrite, en prenant acte de la situation actuelle. Cette présomption correspond à une vérité statistique : la plupart des gens possèdent des choses qui leur appartiennent.
  • Présomptions simples et irréfragables :
  • La présomption simple est une présomption qui peut être renversée. La personne qui la conteste peut prouver que le possesseur n'est pas le vrai propriétaire. Elle doit alors apporter la preuve contraire. C'est une règle qui s'applique par défaut, mais qui peut être contestée devant le juge.
  • La présomption irréfragable est celle contre laquelle on ne peut pas apporter la preuve contraire. Elles sont de plus en plus rares car elles s'opposent à un principe de justice, notamment en droit civil. Elles reviennent à créer une fiction à la place du droit, où celui qui bénéficie du droit ne peut pas en être privé.
  • Présomption de conception : Pendant longtemps, il était impossible de déterminer la date de conception d'un enfant, alors que cette date était importante pour la reconnaissance de certains droits. Le droit a donc créé une présomption : l'enfant est présumé avoir été conçu entre le 180ème et le 300ème jour avant l'accouchement.

 

2. Appréhender le temps : la prescription acquisitive et extinctive

 

Le temps est un point essentiel, car le système juridique n'est ni intemporel ni éternel. Les règles sont adoptées à un moment donné et peuvent être abandonnées, oubliées, ou ne plus s'appliquer. Elles peuvent être abrogées de manière expresse ou tacite.

 

  • L'abrogation expresse se fait par l'intervention de l'autorité qui a fait voter la loi ; ce que la loi peut faire, elle peut le défaire.
  • L'abrogation tacite se produit lorsque le législateur ne vote pas une loi contraire mais une loi qui rend l'autre impossible à appliquer. Dans ce cas, la nouvelle règle prévaut sur l'ancienne.

 

Ces règles permettent de comprendre comment les normes juridiques entrent en vigueur et comment elles sont supprimées. L'ordre juridique de 1985 n'est pas le même que celui de 2025, d'où la nécessité de savoir se situer dans le temps.

 

Il existe un autre mécanisme concernant le droit subjectif : la prescription. C'est un délai à l'issue duquel un droit peut être créé ou, au contraire, s'éteindre. C'est aussi un délai à l'issue duquel une action en justice peut être intentée ou paralysée. Le système juridique ne peut pas fonctionner sans la notion de prescription. Chaque branche du droit a des délais de prescription qui lui sont propres, spécifiques à chaque action en justice et au temps jugé raisonnable pour protéger un droit.

 

  • Exemple : l'usucapion (prescription acquisitive)
  • C'est un mécanisme du droit civil des biens immobiliers qui permet au possesseur d'être reconnu propriétaire par le seul écoulement du temps, après un délai de 30 ans ou, dans certains cas, un délai abrégé de 10 ans.
  • La prescription extinctive
  • C'est un mécanisme par lequel un droit s'éteint si son titulaire ne l'utilise pas. Par exemple, en droit de la consommation, une personne peut avoir un droit de rétractation de 7 jours après l'achat d'un produit. Si ce droit n'est pas utilisé dans ce délai, il s'éteint. C'est un principe de sécurité juridique.
  • La prescription de l'action en justice
  • La prescription ne porte pas sur le droit lui-même, mais sur la possibilité de le défendre devant un juge. Par exemple, toute action immobilière s'éteint au bout de 5 ans. En matière pénale, il existe également des délais de prescription, qui sont propres à cette matière et singuliers. Certains crimes sont imprescriptibles, ce qui signifie que l'on peut toujours poursuivre leurs auteurs. La perpétuité existe, mais la protection des intérêts privés et publics en droit pénal est limitée dans le temps. Pour les crimes les plus graves, on peut être poursuivi plus longtemps. La demande publique, notamment au nom de la protection des victimes, peut allonger les délais de prescription, comme cela a été le cas avec le mouvement #MeToo, notamment pour les agressions sexuelles où la preuve est parfois difficile à établir.

 

Le point de départ du délai de prescription

 

C'est un enjeu majeur. Le point de départ est le moment à partir duquel on commence à décompter le délai qui va éteindre l'action en justice. En droit pénal, il commence en principe le jour de la réalisation de l'infraction. Toutefois, cette règle ne suffit pas dans certains cas :

 

  • Pour les infractions d'habitude qui se reproduisent, comme le harcèlement, le point de départ du délai est reporté au dernier fait réalisé.
  • Pour les infractions continues, qui durent dans le temps, comme l'abandon de famille (quand un parent ne subvient pas aux besoins de ses enfants), on prend en compte le dernier moment qui permet de qualifier l'infraction.
  • Pour les infractions dissimulées volontairement, comme l'abus de biens sociaux, il faut prendre en compte le temps de la découverte. Le jour de la prescription est reporté au jour où l'infraction est découverte.

 

En droit civil, il faut être attentif au délai de prescription. En principe, le point de départ est le jour même de l'acte juridique, mais dans certains cas, il peut être reporté.

Conclusion sur le temps

 

La gestion du temps en droit n'est pas toujours alignée sur la perception subjective du temps. La gestion du temps dans l'ordre juridique répond aussi à d'autres impératifs, comme le bon fonctionnement de la justice et la recherche d'un compromis social. Cela peut créer des sentiments d'injustice, mais ces règles s'imposent au nom du bon fonctionnement du système juridique.

 

3. Fonder le raisonnement : le syllogisme juridique

 

La construction de la règle de droit a une finalité première : l'évaluation et l'encadrement des comportements. Il s'agit d'apprécier une situation factuelle pour déterminer si un comportement est conforme à une règle juridique. Pour cela, les juristes ont recours à un raisonnement : le syllogisme.

Le syllogisme n'est pas le seul raisonnement juridique, mais c'est le plus élémentaire. Il n'est pas propre au droit et est utilisé au quotidien pour évaluer les comportements. C'est un raisonnement déductif formalisé depuis l'Antiquité et appliqué dans des domaines scientifiques ou philosophiques. Son but est de démontrer la conformité d'une situation à une règle. Ce n'est pas un raisonnement qui permet de découvrir de nouveaux faits, mais il permet, pour le droit, de déterminer une règle applicable, d'évaluer la conformité d'un comportement à cette règle et d'en déduire une solution (le comportement est-il conforme ou non ?). Il s'agit de confronter la règle de droit aux faits.

 

Le syllogisme est un raisonnement logique qui permet de démontrer avec force les conséquences d'une règle. Il a été problématisé par Aristote. Un exemple classique est : "Tous les hommes sont mortels ; Socrate est un homme ; donc Socrate est mortel."

 

Le syllogisme se compose de trois parties :

 

  1. La majeure : la règle générale et impersonnelle. Dans l'exemple, "Tous les hommes sont mortels". C'est une règle biologique.
  2. La mineure : la proposition qui renvoie à une situation factuelle, en reprenant une des catégories de la majeure. Dans l'exemple, "Socrate est un homme". En droit, ce sont les faits, la situation factuelle, que l'on qualifie juridiquement.
  3. La conclusion : l'application de la règle de droit aux faits.

 

Les complications de l'application pratique

 

Si l'application de la règle de droit semble simple, elle ne l'est pas toujours dans la pratique.

 

  • Première complication : l'interprétation de la majeure. Si l'on remplace "Socrate" par "Jocelyne", on doit se demander si "Jocelyne est un homme". Il faut un consensus pour éviter les difficultés d'application. Le mot "homme" renvoie à l'humanité, ce qui implique une opération intellectuelle d'interprétation. Il faut resituer le terme dans son contexte, avec un sens extensif qui inclut tout le monde, y compris les femmes. Pour appliquer la majeure, il faut donc interpréter les notions, ce qui complique le syllogisme juridique.
  • Deuxième complication : la qualification des faits. "Socrate est un homme" est une évidence pour Aristote. Mais en droit, associer un fait à une catégorie juridique peut être difficile (par exemple, un chauffeur Uber est-il un salarié ?).

 

Toute l'application des règles juridiques repose sur ces deux opérations : l'interprétation de la règle et la qualification des faits. Le juge, l'avocat et tout juriste doivent faire ce travail pour élaborer leur syllogisme juridique.




 

Exemple de vol

 

Le Code pénal définit le vol à l'article 311-1 comme "la soustraction frauduleuse de la chose d'autrui". C'est la majeure. Deux articles plus loin, il est précisé que le vol est puni de 3 ans de prison et de 45 000 euros d'amende.

 

Prenons une situation concrète : Paul prend un vélo non attaché dans la rue et part avec. A-t-il commis un vol ? Avant de conclure, il faut envisager tous les problèmes.

 

  • D'abord, il faut définir la soustraction frauduleuse. Si Paul prend le vélo de son père, il n'y a pas de soustraction frauduleuse. Le vol implique de déposséder une personne d'un bien contre sa volonté. S'il a emprunté le vélo, il n'a pas commis de vol, car il n'a pas voulu se l'approprier. Par contre, si Paul a pris le vélo d'une personne qui est entrée quelque part, profitant de son absence pour partir avec, il y a une soustraction contre sa volonté. Dans ce cas, on peut supposer qu'il s'agit d'un vol.
  • Ensuite, il faut vérifier la définition d'une "chose". Est-ce que l'électricité est une chose que l'on peut voler ? Le Code civil considère que les choses sont des biens matériels (table, ordinateur, eau). Il y a donc un enjeu de qualification et d'interprétation. Et qu'en est-il d'un bien numérique, comme un blog ? Le code ne répond pas directement à cette question, c'est donc au juge d'y répondre. Si les faits se multiplient, le législateur peut trancher, ou un consensus se forme pour considérer qu'une "chose" peut être dématérialisée. La Cour de cassation, par exemple, a estimé que le vol était possible pour des biens immatériels.

 

Le syllogisme juridique ne remet pas en cause la règle de droit positive ; il la prend pour acquise. Le but est de l'appliquer et de vérifier la conformité des situations à cette règle. Néanmoins, le travail d'interprétation comporte aussi un travail critique. Un juriste ne doit pas toujours résoudre un problème social par une interprétation extensive, au risque de faire perdre son efficacité au droit. Le syllogisme juridique, en tant que raisonnement déductif, peut parfois ne pas permettre l'adaptation aux exigences sociales. Le risque pour une personne qui l'applique au quotidien est d'oublier que les règles juridiques sont des conventions sociales qui peuvent être remises en cause.


L'émancipation du juge                                                                                                                                                     

 

Les juges, historiquement cantonnés à un rôle d'application de la loi, se sont nécessairement émancipés de ce rôle trop étroit. L'étude de la jurisprudence montre que le syllogisme n'exclut pas l'adaptation de la règle aux normes sociales. Le juge doit se fonder sur des règles juridiques, mais aussi rendre une décision juste.

 

Exemple de l'arrêt de la Cour de cassation du 4 décembre 2013

 

Dans cette affaire, une femme, après avoir eu un enfant avec son mari, divorce et se remarie avec un autre homme. 22 ans plus tard, ce second époux décède. L'ex-mari de la femme, rancunier, demande la nullité du mariage de son ex-épouse pour qu'elle ne soit pas considérée comme la conjointe survivante et qu'elle soit exclue de la succession. La Cour de cassation se retrouve face à un conflit de règles : la nullité du mariage au nom du Code civil, ou la validité au nom de la Convention européenne des droits de l'homme. La Cour a jugé que "le droit au respect de la vie privée et familiale au sens de l'article 8 [de la Convention européenne des droits de l'homme] commande de rejeter la demande d'annulation du mariage célébré par l'officier public". Elle écarte ainsi l'application du Code civil pour faire application de l'article 8 qui protège la vie familiale. La Cour a estimé que, même si l'officier d'état civil avait fait une erreur, la situation juridique ayant duré 22 ans, il fallait protéger la vie privée.

 

Cet arrêt montre que la Cour de cassation ne se fonde pas seulement sur le syllogisme, mais qu'elle procède aussi à une interprétation de deux règles pour en déduire qu'il n'y a pas de problème de qualification. Le raisonnement syllogistique n'exclut pas une interprétation constructive de la règle de droit.

 

Un autre exemple, l'arrêt du 8 octobre 2016


Dans une affaire différente, une jeune femme, élevée par sa mère et son beau-père, se marie avec ce dernier. La cour d'appel annule le mariage, estimant que l'annulation ne constituait pas une atteinte au droit à la vie privée et familiale. La Cour de cassation rejette la prétention de la femme de rester mariée. Cela montre que la Cour de cassation n'a pas statué de la même manière pour une situation qui pourrait sembler similaire, car les circonstances de chaque affaire sont essentielles.

 

 

 

 






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Chapitre 3 : Les techniques


Introduction : 


Une technique correspond à différents mécanismes. D’abord, le langage juridique et la terminologie juridique. Le droit est une science du langage. Il est aussi vu à travers l'art. La notion de terme permet une maîtrise et forme un ordre juridique. La classification se compose de notions qui permettent une classification des règles derrière, ce qui constitue l’ordre juridique. Il n’existe pas de classification universelle, car il y a des nuances. Le droit est également une construction intellectuelle reposant sur des raisonnements. Le but des raisonnements juridiques est d’évaluer une situation afin de déterminer si les comportements des individus sont conformes ou non aux règles juridiques. L’application du droit consiste en une opération d’évaluation de la situation factuelle pour vérifier leur conformité aux règles de droit.


À cela s’ajoute que ce n’est plus seulement une analyse en conformité, mais une analyse au sens plus large. Les raisonnements du droit sont donc pluriels.

 

Section 1 : Le langage du droit


Comme toute discipline, le droit a pour partie son propre langage. Il s’est développé grâce à une terminologie spécifique, doublement spécifique. On peut distinguer le langage du droit et le langage sur le droit.

  • Du droit correspond au droit positif, c’est le langage utilisé pour l’énonciation des règles et utilisé par le législateur au sens large. Ce langage constitue une source formelle du droit.
  • Sur le droit correspond à la doctrine analytique, qui permet de prendre une distance avec les formes juridiques et d’analyser le droit comme phénomène à part entière.

 

A – Le lexique juridique


Le lexique juridique est très riche. Aujourd’hui, le droit est présent et utilisé dans toutes les sphères sociales, comme pour l’usufruit, la prescription, l’acquisitive, le mandat d’arrêt, le contrat synallagmatique ou la clause abusive. Il contient des termes utilisés dans le langage commun. Le législateur doit trouver un compromis entre la nécessité de créer des institutions originales et celle de coller aux pratiques sociales et aux faits, en reprenant parfois des termes du quotidien.

L’exigence et l’attente à l’égard du législateur sont de réduire le langage pour le rendre le plus simple et compréhensible possible. L’enjeu est de rendre le droit lisible et accessible, un outil démocratique. Cependant, ce programme n’est pas toujours respecté. Le droit dispose d’instruments qui lui sont spécifiques. Le juriste doit être précis et comprendre le sens des termes. Le langage juridique ne possède pas de synonymes, et chaque règle constitue un corpus de règles.

Pour que le droit soit praticable, les mots ne doivent pas se ressembler. Pour cela, il doit y avoir une qualification. La qualification entraîne des conséquences, et la dénomination est la bataille favorite des juristes. Une partie du langage juridique emprunte au français, prenant des mots courants et leur donnant des définitions particulières.

Exemples :


  • Absence : celui qui n’est pas là. En droit, ce concept est plus précis, désignant l’état d’une personne qui a été judiciairement déclarée absente car présumée décédée, faute de signes de vie. Cela permet d’ouvrir la succession grâce à la décision du juge. Cette situation est réversible, et le juge peut mettre fin à ce statut. L’absent est distingué du disparu. En droit pénal, cela correspond à une hypothèse où les circonstances rendent le décès très probable, comme lors d’une catastrophe naturelle. Quand une personne disparaît de manière dangereuse sans que son corps soit retrouvé, il est possible d’ouvrir la succession sans attendre trop longtemps. Cela permet au juge de rendre un jugement déclaratif de décès. Ainsi, même si l’on ne peut pas prouver la mort, il est possible d’ouvrir immédiatement la succession.
  • Immeuble : construction à plusieurs étages. Le sens juridique est plus large. Selon la doctrine, un immeuble est un bien non déplaçable. Le Code civil précise que la terre, le sol, le fonds, et par extension tout ce qui est incorporé au sol, sont également des immeubles. Un terrain nu est un immeuble. Un arbre est un immeuble. Si l’on coupe l’arbre, la partie coupée devient meuble. Le mobilier n’est pas immeuble car déplaçable. Un champ est un bien immeuble car non déplaçable.
  • Créancier tyrographaire : créancier ordinaire, qui n’a pas de priorité sur les autres et subit la concurrence des autres créanciers. Lorsqu’une personne est débitrice, elle peut avoir plusieurs créanciers à rembourser. Certains créanciers sont prioritaires pour saisir certains biens du débiteur ou être payés sur son patrimoine. Ensuite, les créanciers tyrographiques entrent en concurrence pour être remboursés sur le patrimoine restant.

Le droit n’est pas un langage strictement descriptif, mais prescriptif. La qualification permet de déclencher l’application d’une règle.

Il offre une distance avec le réel, insiste ou impose certains comportements. Tous ces concepts sont des représentations abstraites, pas la réalité, mais ce que l’on cherche à réaliser. Ces notions juridiques renvoient à une finalité qui permet d’orienter les comportements. L’objectif n’est pas de décrire une situation, mais de déterminer quelle règle est applicable.

 

B – La syntaxe


Le langage juridique s’exprime dans des phrases, avec une syntaxe considérée comme originale et spécifique. Le langage de la doctrine a beaucoup évolué, tout comme celui des juridictions. La doctrine est plus proche du langage commun. Le texte juridique possède une phrase-logique spécifique, PE juridique. Les tribunaux rendent des décisions particulières : tribunal de première instance = jugement, cour d’appel et hautes cours = arrêt. Le contenu des décisions montre que les juges ont leur langage à eux.

Il existe des codes pour automatiser et codifier la façon de rendre la justice. Ces conventions, si elles sont trop techniques, ne sont pas ouvertes à tous. Il faut trouver un juste équilibre. Le juge doit motiver sa décision au vu de la règle de droit. Le juste milieu consiste à combiner technicité et objectif : rendre la décision acceptable et claire.

Évolution : depuis deux siècles, la Cour de cassation a développé un PE spécifique très similaire entre les hautes juridictions. La forme des décisions reste la même. Cette structure rigide aide à comprendre le langage juridique. À l’intérieur, les paraphrases du juge constituent un PE particulier. La Cour de cassation n’utilise pas de ponctuation classique. La ponctuation particulière commence par "attendu que".

Pour atteindre cet objectif de lisibilité, la Cour de cassation et le Conseil d’État ont modifié leur méthode de rédaction en 2019. Le résultat : hautes juridictions = décisions différentes, arrêt environ 15 pages. Bilan : mitigé, raisonnement expliqué plus en détail, mais lecture plus longue. Cette évolution se fait aussi sous l’influence du droit européen, inspiré du common law. Les jugements sont rédigés de manière précise et longue, méthode imposée au niveau européen et continental.

 

Section 2 : Les classifications


Les notions juridiques sont choisies pour construire une classification, mais en même temps pour opérer un ordonnancement des règles. Cette opération est essentielle, doctrinale, mais elle permet de clarifier le champ d’application des règles. Il existe des règles de responsabilité, pénales et civiles. Il existe aussi un régime de responsabilité administrative, qui permet de nuancer, par les mêmes conséquences et conditions. La classification permet de créer des régimes juridiques spécifiques à chaque spécialisation. Les classifications se font selon certains critères et choix politiques. Ces classifications ne sont pas figées, mais évolutives, parfois discutées, débattues et critiquées, conduisant à des modifications et, par exemple, à la création de nouvelles classifications.

Par exemple, dans le droit du travail, on oppose le travailleur salarié et le travailleur indépendant. Cette classification est dite binaire. Au sein de cette classification, on a voulu rajouter et créer d’autres catégories.

 

Les classifications binaires


Elles ne sont pas exclusives, mais se reposent très souvent sur cette binarité. Les catégories juridiques sont construites sur cette base, et les juristes ont construit leur mode de pensée dessus : fait juridique / acte juridique. Toutes les situations doivent rentrer dans l’une des deux catégories.

  • Une manifestation de volonté produisant des effets de droit correspond à l’acte juridique.
  • Un fait juridique est un événement quelconque, non volontaire. Le droit en tire une conséquence juridique, mais celle-ci n’a pas été recherchée par l’auteur du fait. Pour l’acte juridique, c’est volontaire, l’auteur cherche la conséquence.

Cette qualification est importante car elle entraîne des conséquences en termes de preuve. Elle peut aussi avoir des conséquences en termes de délai pour agir. Elle entraîne des conséquences car le régime juridique de l’acte et du fait juridique est distinct en droit civil. Ces deux classifications sont importantes, il ne faut pas se tromper car les sanctions juridiques sont différentes.

Exemples :

  • Un ticket de métro est un acte juridique, volontaire et consenti.
  • Un accident de vélo entraîne des conséquences juridiques, c’est un fait juridique.

 

On retrouve cette conception de duo partout. En droit civil, on oppose le sujet de droit à l’objet de droit. À partir de ces deux termes, on classe l’intégralité du réel. Le sujet est animé d’une intention, c’est une personne, et tout ce qui n’est pas une personne est un objet. Une personne peut avoir l’usage des objets. On classe ainsi les entités du monde matériel. Les animaux ne sont pas reconnus en droit français comme des sujets de droit. Les animaux sont des êtres vivants mais pas des personnes, donc meubles, objets de droit. Longtemps, toutes les personnes humaines n’étaient pas considérées comme sujets de droit : esclaves, enfants, femmes. Le Code civil permet une classification efficace.

 

Les classifications du corpus : les branches du droit


La classification du régime juridique correspond au corpus, c’est-à-dire l’ensemble des règles juridiques classées. On retrouve une dichotomie : droit public / droit privé. On parle souvent de sous-division ou distinction, pour des raisons historiques. Napoléon a codifié la législation. On ne voulait pas que ce fonctionnement soit lié au droit privé. Les règles de l’État dérogatoire et l’émergence progressive du droit public ont enrichi le XIXe et le XXe siècle. La France a développé le droit public de façon importante, ce qui rend sa mise en commun en Europe difficile. Il existe des sujets de droit dans les deux.

Le droit public concerne toutes les personnes comme l’État ou l’administration. Une entreprise peut être une entité de droit public, tout comme une université, qui est une personne morale de droit public. Cette distinction a une finalité opérationnelle, avec des règles spécifiques à l’administration. Elle peut avoir beaucoup d’incidences procédurales, car les conditions pour agir, pour saisir le juge et les juridictions compétentes ne sont pas les mêmes selon le litige.

Cette distinction n’est pas essentialiste, mais politique, rien de réel. Elle est opérationnelle tant qu’elle reste efficace, même si elle est remise en cause. Par exemple, en matière de responsabilité, une personne qui cause un dommage doit le réparer. Une personne de droit privé relève du Code civil. Une personne hospitalisée dans un hôpital public engage la responsabilité de l’hôpital. En cas de litige, le tribunal administratif est compétent. Dans une clinique privée, la responsabilité est privée. Cette distinction se reproduit souvent et engendre des points de friction entre public et privé.

Cette question s’est beaucoup révélée dans les années 1990, lors de la privatisation des grandes entreprises comme La Poste. Il a fallu trancher la question de la responsabilité, administrative ou privée. On voit bien que cette frontière entre le public et le privé varie selon les époques, les objectifs et les impératifs sociaux et politiques.

 

Les branches du droit


Chaque branche du droit correspond à un domaine juridique. Le droit civil est le droit commun, qui cohabite avec les droits spéciaux comme le droit du travail. Le droit public comporte plusieurs domaines : droit constitutionnel, droit administratif, droit du patrimoine, droit culturel. Certaines branches sont hybrides, dites mixtes.

Exemple : le droit pénal organise la réaction de l’État face aux infractions des délinquants pour maintenir l’ordre public. Cette branche a une dimension de droit public, car elle fixe comment l’État doit réagir. Elle joue un rôle important à travers ses organes. Dans le procès pénal, le ministère public agit contre le suspect, et la victime a une place secondaire. La deuxième partie du procès implique le procureur, qui veut la condamnation. Lorsque l’action pénale est engagée par un particulier, elle touche à des intérêts privés, et on retrouve une dimension privée. Le droit pénal garantit la sauvegarde d’intérêts individuels, par exemple en sanctionnant le vol pour protéger la propriété privée. La victime peut se constituer partie civile et obliger le ministère public à rechercher l’auteur de l’infraction. Le droit pénal et les juridictions répressives font partie du droit privé. Les procès ont lieu devant les juridictions de l’ordre judiciaire. Fondamentalement, en cas de crime ou délit, le juge peut rendre une mesure privative de liberté, ce qui rend essentiel de porter ces litiges devant les juridictions judiciaires.

Le droit procédural est une branche mixte. On distingue le droit matériel, qui contient les règles de fond (famille, contrat), du droit procédural, qui organise le procès, les recours et le fonctionnement des tribunaux. Les tribunaux administratifs appliquent des règles de droit public, pour l’organisation du service public de la justice. Le droit procédural régule le justiciable, privé et public. Il s’agit de réformer en permanence cette dichotomie.

 

Différentes branches du droit

 

Le droit civil est la branche maîtresse du droit privé. Historiquement, il était très vaste, complété par des législations spéciales : droit commercial, droit de la consommation. Le Code civil réglemente le droit privé en matière d’état civil, de capacité juridique, de biens des personnes privées, de droit familial et des obligations de droit privé, délictuelles (fait juridique) et contractuelles (acte juridique). Le Code civil est la référence pour éviter les lacunes. Les lois spéciales dérogent parfois au droit civil ou au droit commun. Le droit civil reste résiduel, on s’y réfère toujours, tandis que le droit spécial renvoie à d’autres branches.

 

Au XIXe siècle, le droit civil s’est enrichi. Des branches récentes comme le droit de la consommation sont apparues dans les années 1990, avec l’émergence du marché commun en Europe. Le droit du travail n’existait pas comme branche autonome au XIXe siècle. Le droit des enfants et le contrat de travail étaient régis par le contrat civil. Avec l’industrialisation et l’exode rural, l’émergence de la classe ouvrière salariée a nécessité la création d’une législation pour protéger les salariés. Le droit de grève et d’autres institutions ont ainsi permis au droit du travail de s’autonomiser du droit civil. La notion de salarié relève du droit du travail, mais le contrat reste civil.

 

Le droit commercial et le droit des affaires sont des piliers du droit français, avec une autonomie ancienne. L’ordonnance de Colbert et le Code de commerce de 1807 regroupent les règles applicables aux commerçants et aux opérations commerciales, et aux litiges entre commerçants ou particuliers. Par exemple, la vente d’un fonds de commerce ou de matériel professionnel relève du droit commercial. Historiquement, l’activité commerciale se développait à la marge d’une économie rurale et paysanne, et les règles sont nées des pratiques des commerçants.

 

Le droit du travail régit toutes les relations entre employeurs et salariés, régissant la vie collective du travail, la grève, etc. Le droit de la consommation et le droit commercial prennent en compte la relation entre consommateurs et professionnels, souvent asymétrique. Le droit de la consommation corrige cette asymétrie, en créant des obligations d’information et de signature de contrats, protégeant le consommateur.

 

 

Section 3 : Le raisonnement juridique

 

Il n'existe pas un, mais plusieurs types de raisonnements juridiques. Le raisonnement juridique, qui s'appuie sur le contenu des règles, suppose plusieurs étapes. Il s'agit d'abord d'appréhender les faits pour identifier la règle de droit applicable. Le système juridique est dynamique et non éternel ; le temps y a une place déterminante, tant sur les faits que sur l'application des règles. Ainsi, le juriste doit réfléchir à la fois sur les faits et sur les règles pour construire un raisonnement déductif.

 

1. Appréhender le monde : les fictions et les présomptions

 

Le droit, à travers ses catégories, construit des fictions. Celles-ci sont des artifices ou des créations théoriques qui permettent d'imaginer de nouvelles relations sociales. Le droit est construit sur ces fictions, sa finalité étant de transformer et d'aligner certaines situations sur des finalités juridiques. Pour ce faire, il recourt à l'abstraction en faisant comme si les faits correspondaient à certaines catégories, dans le but de leur faire produire des effets de droit. L'objectif est de rattacher les faits à une catégorie juridique pour qu'ils produisent un effet de droit, quelle que soit la manière dont cette situation a été appréhendée. Cela permet de transformer le social grâce à l'instrument du droit.

 

Exemple de fiction : Infans conceptus

 

Un enfant simplement conçu doit être considéré comme déjà né s'il en va de son intérêt. Cette règle, associée au concept de l'enfant simplement conçu (infans conceptus), a permis au droit français d'accorder une protection juridique à un fœtus s'il y a un intérêt à le protéger. Cette règle cohabite avec le principe de libre disposition du corps de la femme et ne contredit pas le droit à l'IVG.

 

Imaginons un couple attendant un enfant. Au cours de la grossesse, le mari décède dans un accident de voiture. L'enfant, bien que conçu, n'a pas encore de personnalité juridique. En droit français, une personne devient sujet de droit au moment de sa naissance. Si cet enfant à naître a un intérêt à être protégé juridiquement, par exemple pour hériter, il n'existe pas encore en termes juridiques et n'est pas titulaire de droits. Le décès de son père entraîne l'extinction de sa personnalité juridique, et son patrimoine est transmis à ses héritiers, c'est-à-dire sa femme et leurs éventuels autres enfants déjà nés. Pour permettre au fœtus de devenir héritier et de toucher sa part de l'héritage, il faut pouvoir le reconnaître comme un enfant simplement conçu. Le droit permet ainsi à cet enfant de participer à la succession, niant en quelque sorte la réalité, bien que de manière résiduelle et pour des faits purement patrimoniaux.

 

Les deux catégories de sujets de droit

 

Il existe deux catégories de sujets de droit :

 

  • Les personnes physiques, qui sont les êtres humains.
  • Les personnes morales, qui sont des entités théoriques auxquelles le droit accorde la personnalité juridique. C'est une fiction qui, en vertu d'une règle juridique, se voit reconnaître comme un sujet de droit. Une entreprise, par exemple, est un sujet de droit. De même, la loi de 1965 sur la copropriété a donné la personnalité juridique au syndicat des copropriétaires, lui permettant d'avoir un patrimoine distinct de celui des copropriétaires.

 

Le droit construit des personnes morales pour faciliter la gestion des éléments sociaux, comme les hôpitaux ou les entreprises. Une entité morale est protégée dans ses intérêts et peut agir en justice pour défendre ses droits, même si elle n'est qu'une pure fiction. Pour dépasser la difficulté de la preuve, le droit recourt à la technique des présomptions.

Les présomptions

 

Les faits ne sont pas toujours faciles à saisir. La connaissance de certains faits peut être difficile, voire impossible. Pour surmonter cette difficulté, on a recours à la technique de la présomption. Il s'agit d'une déduction intellectuelle, partant d'un fait connu pour en déduire un fait supposé qui reste inconnu. L'intérêt est de faciliter la preuve de l'existence du fait inconnu : il suffit de prouver un fait connu pour en déduire un autre que l'on ne peut pas connaître précisément. Une présomption est édictée par le législateur pour résoudre des situations compliquées. L'ancien article 1350-49 du Code civil donnait une définition de cette présomption : "Les présomptions sont les conséquences que la loi ou le magistrat tire d'un fait connu à un fait inconnu."

 

  • Exemple de présomption de possession : Si une personne possède quelque chose, il est facile de prouver qu'elle possède la chose. On présume alors qu'elle en est la propriétaire. En droit civil, cette présomption facilite l'établissement de la propriété d'un bien en l'absence de trace écrite, en prenant acte de la situation actuelle. Cette présomption correspond à une vérité statistique : la plupart des gens possèdent des choses qui leur appartiennent.
  • Présomptions simples et irréfragables :
  • La présomption simple est une présomption qui peut être renversée. La personne qui la conteste peut prouver que le possesseur n'est pas le vrai propriétaire. Elle doit alors apporter la preuve contraire. C'est une règle qui s'applique par défaut, mais qui peut être contestée devant le juge.
  • La présomption irréfragable est celle contre laquelle on ne peut pas apporter la preuve contraire. Elles sont de plus en plus rares car elles s'opposent à un principe de justice, notamment en droit civil. Elles reviennent à créer une fiction à la place du droit, où celui qui bénéficie du droit ne peut pas en être privé.
  • Présomption de conception : Pendant longtemps, il était impossible de déterminer la date de conception d'un enfant, alors que cette date était importante pour la reconnaissance de certains droits. Le droit a donc créé une présomption : l'enfant est présumé avoir été conçu entre le 180ème et le 300ème jour avant l'accouchement.

 

2. Appréhender le temps : la prescription acquisitive et extinctive

 

Le temps est un point essentiel, car le système juridique n'est ni intemporel ni éternel. Les règles sont adoptées à un moment donné et peuvent être abandonnées, oubliées, ou ne plus s'appliquer. Elles peuvent être abrogées de manière expresse ou tacite.

 

  • L'abrogation expresse se fait par l'intervention de l'autorité qui a fait voter la loi ; ce que la loi peut faire, elle peut le défaire.
  • L'abrogation tacite se produit lorsque le législateur ne vote pas une loi contraire mais une loi qui rend l'autre impossible à appliquer. Dans ce cas, la nouvelle règle prévaut sur l'ancienne.

 

Ces règles permettent de comprendre comment les normes juridiques entrent en vigueur et comment elles sont supprimées. L'ordre juridique de 1985 n'est pas le même que celui de 2025, d'où la nécessité de savoir se situer dans le temps.

 

Il existe un autre mécanisme concernant le droit subjectif : la prescription. C'est un délai à l'issue duquel un droit peut être créé ou, au contraire, s'éteindre. C'est aussi un délai à l'issue duquel une action en justice peut être intentée ou paralysée. Le système juridique ne peut pas fonctionner sans la notion de prescription. Chaque branche du droit a des délais de prescription qui lui sont propres, spécifiques à chaque action en justice et au temps jugé raisonnable pour protéger un droit.

 

  • Exemple : l'usucapion (prescription acquisitive)
  • C'est un mécanisme du droit civil des biens immobiliers qui permet au possesseur d'être reconnu propriétaire par le seul écoulement du temps, après un délai de 30 ans ou, dans certains cas, un délai abrégé de 10 ans.
  • La prescription extinctive
  • C'est un mécanisme par lequel un droit s'éteint si son titulaire ne l'utilise pas. Par exemple, en droit de la consommation, une personne peut avoir un droit de rétractation de 7 jours après l'achat d'un produit. Si ce droit n'est pas utilisé dans ce délai, il s'éteint. C'est un principe de sécurité juridique.
  • La prescription de l'action en justice
  • La prescription ne porte pas sur le droit lui-même, mais sur la possibilité de le défendre devant un juge. Par exemple, toute action immobilière s'éteint au bout de 5 ans. En matière pénale, il existe également des délais de prescription, qui sont propres à cette matière et singuliers. Certains crimes sont imprescriptibles, ce qui signifie que l'on peut toujours poursuivre leurs auteurs. La perpétuité existe, mais la protection des intérêts privés et publics en droit pénal est limitée dans le temps. Pour les crimes les plus graves, on peut être poursuivi plus longtemps. La demande publique, notamment au nom de la protection des victimes, peut allonger les délais de prescription, comme cela a été le cas avec le mouvement #MeToo, notamment pour les agressions sexuelles où la preuve est parfois difficile à établir.

 

Le point de départ du délai de prescription

 

C'est un enjeu majeur. Le point de départ est le moment à partir duquel on commence à décompter le délai qui va éteindre l'action en justice. En droit pénal, il commence en principe le jour de la réalisation de l'infraction. Toutefois, cette règle ne suffit pas dans certains cas :

 

  • Pour les infractions d'habitude qui se reproduisent, comme le harcèlement, le point de départ du délai est reporté au dernier fait réalisé.
  • Pour les infractions continues, qui durent dans le temps, comme l'abandon de famille (quand un parent ne subvient pas aux besoins de ses enfants), on prend en compte le dernier moment qui permet de qualifier l'infraction.
  • Pour les infractions dissimulées volontairement, comme l'abus de biens sociaux, il faut prendre en compte le temps de la découverte. Le jour de la prescription est reporté au jour où l'infraction est découverte.

 

En droit civil, il faut être attentif au délai de prescription. En principe, le point de départ est le jour même de l'acte juridique, mais dans certains cas, il peut être reporté.

Conclusion sur le temps

 

La gestion du temps en droit n'est pas toujours alignée sur la perception subjective du temps. La gestion du temps dans l'ordre juridique répond aussi à d'autres impératifs, comme le bon fonctionnement de la justice et la recherche d'un compromis social. Cela peut créer des sentiments d'injustice, mais ces règles s'imposent au nom du bon fonctionnement du système juridique.

 

3. Fonder le raisonnement : le syllogisme juridique

 

La construction de la règle de droit a une finalité première : l'évaluation et l'encadrement des comportements. Il s'agit d'apprécier une situation factuelle pour déterminer si un comportement est conforme à une règle juridique. Pour cela, les juristes ont recours à un raisonnement : le syllogisme.

Le syllogisme n'est pas le seul raisonnement juridique, mais c'est le plus élémentaire. Il n'est pas propre au droit et est utilisé au quotidien pour évaluer les comportements. C'est un raisonnement déductif formalisé depuis l'Antiquité et appliqué dans des domaines scientifiques ou philosophiques. Son but est de démontrer la conformité d'une situation à une règle. Ce n'est pas un raisonnement qui permet de découvrir de nouveaux faits, mais il permet, pour le droit, de déterminer une règle applicable, d'évaluer la conformité d'un comportement à cette règle et d'en déduire une solution (le comportement est-il conforme ou non ?). Il s'agit de confronter la règle de droit aux faits.

 

Le syllogisme est un raisonnement logique qui permet de démontrer avec force les conséquences d'une règle. Il a été problématisé par Aristote. Un exemple classique est : "Tous les hommes sont mortels ; Socrate est un homme ; donc Socrate est mortel."

 

Le syllogisme se compose de trois parties :

 

  1. La majeure : la règle générale et impersonnelle. Dans l'exemple, "Tous les hommes sont mortels". C'est une règle biologique.
  2. La mineure : la proposition qui renvoie à une situation factuelle, en reprenant une des catégories de la majeure. Dans l'exemple, "Socrate est un homme". En droit, ce sont les faits, la situation factuelle, que l'on qualifie juridiquement.
  3. La conclusion : l'application de la règle de droit aux faits.

 

Les complications de l'application pratique

 

Si l'application de la règle de droit semble simple, elle ne l'est pas toujours dans la pratique.

 

  • Première complication : l'interprétation de la majeure. Si l'on remplace "Socrate" par "Jocelyne", on doit se demander si "Jocelyne est un homme". Il faut un consensus pour éviter les difficultés d'application. Le mot "homme" renvoie à l'humanité, ce qui implique une opération intellectuelle d'interprétation. Il faut resituer le terme dans son contexte, avec un sens extensif qui inclut tout le monde, y compris les femmes. Pour appliquer la majeure, il faut donc interpréter les notions, ce qui complique le syllogisme juridique.
  • Deuxième complication : la qualification des faits. "Socrate est un homme" est une évidence pour Aristote. Mais en droit, associer un fait à une catégorie juridique peut être difficile (par exemple, un chauffeur Uber est-il un salarié ?).

 

Toute l'application des règles juridiques repose sur ces deux opérations : l'interprétation de la règle et la qualification des faits. Le juge, l'avocat et tout juriste doivent faire ce travail pour élaborer leur syllogisme juridique.




 

Exemple de vol

 

Le Code pénal définit le vol à l'article 311-1 comme "la soustraction frauduleuse de la chose d'autrui". C'est la majeure. Deux articles plus loin, il est précisé que le vol est puni de 3 ans de prison et de 45 000 euros d'amende.

 

Prenons une situation concrète : Paul prend un vélo non attaché dans la rue et part avec. A-t-il commis un vol ? Avant de conclure, il faut envisager tous les problèmes.

 

  • D'abord, il faut définir la soustraction frauduleuse. Si Paul prend le vélo de son père, il n'y a pas de soustraction frauduleuse. Le vol implique de déposséder une personne d'un bien contre sa volonté. S'il a emprunté le vélo, il n'a pas commis de vol, car il n'a pas voulu se l'approprier. Par contre, si Paul a pris le vélo d'une personne qui est entrée quelque part, profitant de son absence pour partir avec, il y a une soustraction contre sa volonté. Dans ce cas, on peut supposer qu'il s'agit d'un vol.
  • Ensuite, il faut vérifier la définition d'une "chose". Est-ce que l'électricité est une chose que l'on peut voler ? Le Code civil considère que les choses sont des biens matériels (table, ordinateur, eau). Il y a donc un enjeu de qualification et d'interprétation. Et qu'en est-il d'un bien numérique, comme un blog ? Le code ne répond pas directement à cette question, c'est donc au juge d'y répondre. Si les faits se multiplient, le législateur peut trancher, ou un consensus se forme pour considérer qu'une "chose" peut être dématérialisée. La Cour de cassation, par exemple, a estimé que le vol était possible pour des biens immatériels.

 

Le syllogisme juridique ne remet pas en cause la règle de droit positive ; il la prend pour acquise. Le but est de l'appliquer et de vérifier la conformité des situations à cette règle. Néanmoins, le travail d'interprétation comporte aussi un travail critique. Un juriste ne doit pas toujours résoudre un problème social par une interprétation extensive, au risque de faire perdre son efficacité au droit. Le syllogisme juridique, en tant que raisonnement déductif, peut parfois ne pas permettre l'adaptation aux exigences sociales. Le risque pour une personne qui l'applique au quotidien est d'oublier que les règles juridiques sont des conventions sociales qui peuvent être remises en cause.


L'émancipation du juge                                                                                                                                                     

 

Les juges, historiquement cantonnés à un rôle d'application de la loi, se sont nécessairement émancipés de ce rôle trop étroit. L'étude de la jurisprudence montre que le syllogisme n'exclut pas l'adaptation de la règle aux normes sociales. Le juge doit se fonder sur des règles juridiques, mais aussi rendre une décision juste.

 

Exemple de l'arrêt de la Cour de cassation du 4 décembre 2013

 

Dans cette affaire, une femme, après avoir eu un enfant avec son mari, divorce et se remarie avec un autre homme. 22 ans plus tard, ce second époux décède. L'ex-mari de la femme, rancunier, demande la nullité du mariage de son ex-épouse pour qu'elle ne soit pas considérée comme la conjointe survivante et qu'elle soit exclue de la succession. La Cour de cassation se retrouve face à un conflit de règles : la nullité du mariage au nom du Code civil, ou la validité au nom de la Convention européenne des droits de l'homme. La Cour a jugé que "le droit au respect de la vie privée et familiale au sens de l'article 8 [de la Convention européenne des droits de l'homme] commande de rejeter la demande d'annulation du mariage célébré par l'officier public". Elle écarte ainsi l'application du Code civil pour faire application de l'article 8 qui protège la vie familiale. La Cour a estimé que, même si l'officier d'état civil avait fait une erreur, la situation juridique ayant duré 22 ans, il fallait protéger la vie privée.

 

Cet arrêt montre que la Cour de cassation ne se fonde pas seulement sur le syllogisme, mais qu'elle procède aussi à une interprétation de deux règles pour en déduire qu'il n'y a pas de problème de qualification. Le raisonnement syllogistique n'exclut pas une interprétation constructive de la règle de droit.

 

Un autre exemple, l'arrêt du 8 octobre 2016


Dans une affaire différente, une jeune femme, élevée par sa mère et son beau-père, se marie avec ce dernier. La cour d'appel annule le mariage, estimant que l'annulation ne constituait pas une atteinte au droit à la vie privée et familiale. La Cour de cassation rejette la prétention de la femme de rester mariée. Cela montre que la Cour de cassation n'a pas statué de la même manière pour une situation qui pourrait sembler similaire, car les circonstances de chaque affaire sont essentielles.

 

 

 

 





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