A. Un théâtre de l'étrangeté : le théâtre de l'absurde.
Rhinocéros appartient au théâtre de l'absurde, mouvement représenté par des auteurs comme Samuel Beckett (en attendant Godot) ou Jean Genet. Né dans le contexte de l'après-guerre, il s'est bâti sur les traumatismes des deux guerres mondiales et de la montée des totalitarismes. il exprime la perte de sens du monde, l'absurdité de l'existence, l'échec du langage à communiquer une vérité.
Dans Rhinocéros, cette absurdité se manifeste à travers :
- Des dialogue décalés ou vides de sens ;
- l'apparition soudaine d'un rhinocéros dans une ville banale ;
- Des personnages désorientés, incapable de nommer ou de comprendre ce qui leur arrive.
L'étrangeté comique, nourrie des décalages, des contrastes, devient progressivement angoissante puisque le spectateur comprend qu'il ne s'agit pas seulement d'un animal, mais d'un symbole.
B. La rhinocérite : une métamorphose symbolique et politique.
Au fil des tableaux, les habitants deviennent tour à tour rhinocéros, allant jusqu'à dépeupler la ville de ses habitants. Cette transformation symbolique représente l'embrigadement idéologique, c'est à dire que des individus adoptent sans réfléchir un discours politique ou une pensée dominante. Ionesco fait ainsi allusion à ce qu'il a vécu lui-même dans les années 1930 : la montée du nazisme, du fascisme et plus tard du communisme autoritaire, avec tous les mécanisme de propagande, d'endoctrinement , de peur et d'instrumentalisation de la différence. Le néologisme "rhinocérite", évoque une maladie contagieuse, une épidémie de la pensée unique. Au lieu de défendre leur libre-arbitre, les gens cèdent peu à peu à la force du troupeau, à la violence, au rejet de l'humanité.
C. Des personnages - types face à une épreuve morale.
Plusieurs personnages servent à représenter des altitudes humaines. Ce sont des types :
- Jean, l'ami de Bérenger, incarne au début la force, la rigueur, la supériorité intellectuelle. Pourtant, il se transforme, montrant ainsi que même les individus prétendant à une certaine maîtrise peuvent basculer dans l'inhumain.
- Daisy, la collègue de Bérenger dont il tombe amoureux, semble d'abord douce et raisonnable. Mais elle finit aussi par céder et donc à renoncer à sa propre humanité. Ainsi, l'amour et la bonté ne suffisent pas pour résister.
- Au contraire, Bérenger est présenté comme un personnage faillible, faible, désorganisé, sans courage. Il est profondément humain. Contre toute attente, il est le seul à résister jusqu'au bout. Il incarne une forme de héros inattendu : un homme ordinaire qui refuse d'abandonner son humanité. Son évolution invite le lecteur à réfléchir : qu'est ce qu'un être humain ? Résister, est ce dire "non", même quand tout le monde a renoncé ?
D. Le monologue final : une solitude héroïque.
Dans le monologue final, Bérenger est seul au milieu d'une ville entièrement peuplée de rhinocéros. il a assisté à la métamorphose de Jean. Bérenger hésite, doute envisage même un moment de se transformer. Mais pourtant, il résiste, ne tenant qu'à un élément qui représente tout pour lui : sa conscience humaine. Il refuse de devenir comme les autres, même seul, même s'il est difficile de résister et d'être ainsi condamné à souffrir. Ce monologue détient une forte portée philosophique, en soulevant bon nombre d'interrogations existentielles :
- Doit-on se fondre dans la masse pour ne pas souffrir ?
- Peut-on rester fidèle à soi-même, même dans la solitude ?
- Résister, est ce une victoire même si elle ne change pas le monde ?
Ionesco révèle ainsi ainsi que la résistance est un acte individuel, moral, fragile, mais néanmoins essentiel.
E. Une œuvre profondément actuelle.
Même si la pièce a été écrite il y a plus de soixante ans, elle demeure d'une grande modernité. Aujourd'hui encore, elle montre comment l'humain fait face à :
- Des formes de conformisme (dans les réseaux sociaux, les médias, les discours dominants);
- Des tentations de repli, de haine de l'autre, de simplification du monde ;
- Des situations où il est vraiment difficile de dire non, de penser par soi-même, de rester fidèle à ses valeurs.
Rhinocéros rappelle que la pensée critique, le courage moral, la liberté intérieure sont des combats de chaque jours. L'art n'apporte pas de solution, mais il éveille, questionne, dérange, oblige à penser, à se remettre en cause.
Conclusion :
Pour conclure, Rhinocéros demeure d'une actualité, d'une modernité évidente. Elle rappelle que réfléchir, c'est être humain, résister, penser par soi-même grâce à l'éveil de sa conscience. Le théâtre possède une fonction politique, morale existentielle, comme un miroir tendu à la société, une mise en garde contre toutes les formes d'aveuglement collectif, tout en proposant une invitation à rester éveillé.