🔰 I. Les tendances des revendications nationales polonaises 🔰
L’opposition nationale polonaise s’exprime surtout dans la partie autrichienne, avec des révoltes historiques (1830, 1846, 1863). La culture polonaise s’y développe plus librement qu’ailleurs dans l’Empire, notamment en Galicie. Les universités de Cracovie et Lemberg (Lviv) sont des foyers intellectuels où s’organisent les oppositions politiques. Le fait que le polonais puisse s’y enseigner montre que la centralisation y est moins forte que dans d’autres parties de l’Empire, attirant les Polonais en quête d’identité nationale dans cette zone autrichienne plutôt que la partie russe.
La Diète polonaise de Galicie collabore avec Vienne tant qu’elle conserve son pouvoir, dominée par une noblesse capitaliste coupée des paysans (4,5 millions d’habitants, essentiellement ruraux). Une opposition interne se fait jour entre Ruthènes (Ukrainiens russophones, « petit-russes ») et Polonais, bien que ces derniers considèrent souvent les Ruthènes comme des membres du catholicisme polonais.
Divers partis politiques existent : Parti national-démocrate (nationaliste), plutôt ukrainophile et russophile ; Parti du droit national (conservateurs), et d’autres tels que paysans, social-démocrates, et un parti catholique national (parti Piast). Aux élections de 1907 au suffrage universel, les nationaux-démocrates l’emportent.
Dans la partie russe, le développement industriel et le réseau ferré favorisent l’émergence d’une bourgeoisie capitaliste. En 1893 est fondée la Ligue Nationale, dominée par Roman Dmowski, qui prône l’indépendance polonaise. En 1897, le Parti national-démocrate en découle, tandis que le Parti Socialiste Polonais (PPS), fondé la même année, est dirigé par Jozef Piłsudski, relayant la devise « Vers le socialisme par l’indépendance ». Rosa Luxembourg, marxiste, fonde en 1900 un parti social-démocrate à Vilnius.
L’Ukraine possède aussi un parti national fondé en 1902. Parmi les Juifs, l’Union générale des travailleurs juifs (Bund) et le mouvement sioniste prennent tournure. En 1882, Léo Pinsker publie « Auto-émancipation », prônant un État juif en Palestine ou en Amérique. En 1896, Theodor Herzl publie « L’État juif » et organise le congrès sioniste de Bâle (1897).
La révolution russe de 1905 aligne mouvements nationaux et grèves sociales. Une grève générale éclate en Pologne et dans les provinces baltes où les autorités tsaristes instaurant l’état d’exception. Des révoltes paysannes secouent la Pologne et l’Ukraine. Ce contexte profite au PPS mais ses effets restent limités avant la Première Guerre mondiale.
⚔️ II. Les oppositions tchèques au gouvernement de Vienne ⚔️
La population tchèque croît fortement, passant de 7,3 millions en 1860 à 10,3 millions en 1910. Les conservateurs tchèques, associés au gouvernement depuis 1879 (obtention ministères, reconnaissance de la langue tchèque), perdent de leur influence au profit des Jeunes Tchèques dans les années 1890, qui jugent plus radicales les revendications nationales.
Les Jeunes Tchèques, autour de Karel Kramar, s’ouvrent politiquement vers la France (avec les linguistes Ernest Denis, Louis Léger) et la Russie (mouvement néoslaviste promouvant la coopération entre nations slaves démocratiques, mais rejetant le panslavisme russe). En 1908, ils organisent un congrès slave à Prague avec l’objectif de coopération politique, critiqués tant par Russes que Serbes pour leur modération lors de l’annexion de la Bosnie-Herzégovine par l’Autriche-Hongrie.
Tomas Garrigue Masaryk condamne le néoslavisme et le nationalisme extrême, témoignant en 1889 contre des faux manuscrits médiévaux utilisés pour revendiquer des droits, défendant aussi en 1900 un accusé juif victime d’accusations de meurtre rituel, et en 1909, prouve l’instrumentalisation politique de documents fleurant la propagande dans des procès contre nationalistes croates et serbes.
Le mouvement social-démocrate (avec Karl Kautsky) possède une branche tchèque. Les affrontements nationaux sont fréquents, notamment en 1893 avec des jeunes emprisonnés et l’état d’exception à Prague. Malgré quelques tentatives d’apaisement, les tensions linguistiques et sociales persistent.
Aux élections de 1907, les Jeunes Tchèques s’allient aux agrariens et devancent les sociaux-démocrates, qui demeurent les premiers en nombre de voix, incarnant une opposition constante à Vienne.
⚖️ III. Les Hongrois entre dualisme et indépendance ⚖️
La Hongrie compte environ 10 millions d’habitants en 1910, moitié moins qu’un demi-siècle plus tôt. Sous le gouvernement modéré de Kalman Tisza (Parti libéral) dans les années 1870, la noblesse moyenne domine, mais des tensions sociales et un antisémitisme grandissant s’intensifient dans les années 1880.
Le nationalisme hongrois se durcit face à Vienne, avec une volonté d’assimilation souvent conflictuelle vis-à-vis des minorités nationales. La société hongroise est marquée par une forte division sociale : la haute noblesse terrienne détient le pouvoir, mais c’est la noblesse moyenne et petite qui exerce une influence importante dans les comitats locaux. Le suffrage censitaire exclut majoritairement les allogènes.
L’enseignement est limité pour maintenir la suprématie culturelle hongroise. La magyarisation gagne surtout les villes, notamment Budapest.
Le nationalisme hongrois éclate lors des fêtes du millénaire en 1896. Istvan Tisza, fils de Kalman, partisan du dualisme, modère la situation, mais en 1905 le Parti de l’Indépendance remporte les élections, suscitant la crainte chez la noblesse face à une possible instauration du suffrage universel, perçue comme une menace.
Tisza revient au pouvoir en 1913. La question nationale en Hongrie est double : pression accrue sur Vienne pour renforcer le pouvoir hongrois dans la Double Monarchie, mais refus de concessions internes aux autres nationalités. En 1868, l’égalité légale des nationalités est proclamée, avec un régime spécial pour la Croatie, mais cette loi est peu appliquée. La magyarisation est aussi largement acceptée par les juifs, qui détiennent la pleine citoyenneté depuis 1849, confirmée en 1867.
Chez les Allemands, cette politique rencontre moins de résistance, tandis que les Slovaques et Roumains subissent une magyarisation forcée. La loi Apponyi de 1907 impose l’enseignement généralisé du hongrois dans les dernières classes du primaire.
La Hongrie compte 3 millions de Croates en 1910, catholiques avec minorités serbes. Au début du XXe siècle, une nouvelle génération politique cherche une coopération entre Serbes et Croates, tout en restant loyaliste à l’Empire austro-hongrois en 1914.