§1. Compétence de droit commun.
- Arrêt préfet de la Guyane (TC, 25 novembre 1952) : Le JA est compétent pour le fonctionnement du service public (SP) pénitentiaire, mais pas pour la fonction de juger.
- Évolution avec l’arrêt Hardouin et Marie (1995) : Les sanctions disciplinaires en prison sont considérées comme des actes administratifs, relevant du contrôle du JA.
- Autres décisions :
- CE, 8 décembre 1967 : Affectation d’un détenu dans un établissement particulier.
- CE, 6 juin 2007 : Gestion des biens des détenus.
§2. Le recul des mesures d’ordre intérieur.
Approche historique du juge administratif (JA) :
- Pendant longtemps, nombreuses décisions administratives en prison considérées comme des mesures d’ordre intérieur, sans impact direct sur les droits des détenus.
- Exemple : transfert de prison, pourtant avec un impact évident sur la situation du détenu.
Reconnaissance progressive avant l’arrêt Marie (1995) :
- CE, 12 mars 1980 : Violation du secret des correspondances entre le détenu et son avocat (ex. : ouverture de courriers).
- CE, 15 janvier 1992 : Contestation des horaires et du nombre de repas en prison.
- CE, 3 novembre 1989 : Blocage des sommes sur un compte ouvert en prison, attaquable devant le JA.
Rupture avec l’arrêt Marie (1995) :
- Principe : si une décision a un impact sur le quotidien du détenu, elle devient attaquable.
- Exemples :
- Sanctions disciplinaires.
- Mesures de rotation de sécurité.
- Fouilles.
Avancée majeure avec les arrêts Planchenault, Boussouar et Payet (14 décembre 2007) :
- Le JA raisonne désormais par catégories de décisions ayant un effet systématique sur les droits des détenus.
- Décisions directement attaquables :
- Transfert de maison d’arrêt vers une maison centrale.
- Placement à l’isolement (dernier recours seulement).
- Secteurs porte fermée.
- Conditions des parloirs (durée, fouilles).
- Inscription sur le registre des détenus particulièrement signalés (DPS).
Évolution du régime des fouilles corporelles :
- Influence de la CEDH : interdiction des fouilles intégrales systématiques.
- Principe actuel : palpation de sécurité, attaquable si jugée injustifiée au regard du but poursuivi.
Extension des catégories attaquables :
- Certaines décisions sont désormais attaquables sans examen préalable de leur impact.
- Ex. : Changement d’affectation entre maisons d’arrêt désormais inclus.
§1. Le contrôle des actes réglementaires.
Le juge administratif (JA) contrôle les actes réglementaires en milieu pénitentiaire pour garantir leur légalité, leur proportionnalité et leur conformité aux normes supérieures.
Définition et portée :
- Actes pris par le ministre de la Justice ou les chefs d’établissement pour organiser la vie en prison (ex. : parloirs, régimes disciplinaires).
Limites et contrôle de légalité :
- Annulation pour excès de pouvoir ou empiétement sur le domaine législatif :
- CE, 31 octobre 2008 (OIP) : Annulation d’un décret dépassant les compétences du ministre.
- CE, 29 février 2008 : Annulation d’une note sur les rotations de sécurité, jugée disproportionnée.
Respect des droits fondamentaux :
- Les actes réglementaires doivent respecter la dignité des détenus et leurs droits (articles 3 et 8 CEDH).
- Ex. : CE, 24 octobre 2014 (OIP) : Contrôle des règlements intérieurs pour éviter les atteintes excessives.
Pouvoir des chefs d’établissement :
- Leurs actes, bien que limités, sont soumis au contrôle du JA (ex. : horaires des parloirs, organisation disciplinaire).
§2. Le contrôle des décisions individuelles.
Définition et cadre général :
- Les décisions individuelles concernent des mesures prises à l’égard d’un détenu spécifique.
- Elles incluent notamment :
- Sanctions administratives (disciplinaires).
- Mesures de police administrative (fouilles, isolement, transferts).
- Contrôle du juge administratif (JA) :
- Nécessité : La mesure doit être indispensable.
- Proportionnalité : La mesure doit être adaptée à l’objectif poursuivi.
Exemples de décisions contrôlées :
1. Placement à l’isolement :
- Mesure exceptionnelle, utilisée en dernier recours.
- Nécessité démontrée pour la sécurité de l’établissement ou du détenu.
- CE, 2008 (Section française de l’OIP) : Isolement justifié uniquement si strictement nécessaire.
2. Fouilles des détenus :
- Trois types de fouilles : palpation, fouille intégrale et fouille des cellules.
- Fouille intégrale possible uniquement avec suspicions préalables.
- CEDH, 2006 : Interdiction des fouilles intégrales systématiques, sauf justification.
- Distinction importante :
- Fouille = mesure de police administrative (prévention).
- Isolement = possible sanction disciplinaire.
3. Sanctions disciplinaires :
- Contrôle de la matérialité des faits et de la proportionnalité de la sanction.
- CE, 1995 (Marie) : Les sanctions disciplinaires sont des décisions administratives attaquables.
4. Droit au travail :
- Le travail en prison est une faveur et non un droit.
- CE, 2007 (Planchenault) : Le travail rémunéré peut être accordé sous certaines conditions (ex. : bonne conduite).
Respect des droits fondamentaux :
1. Droits religieux et alimentation :
- CE, 10 février 2016 (M.K.) :
- L’administration n’est pas tenue de fournir une alimentation conforme aux convictions religieuses, mais doit éviter d’y porter atteinte.
- Ex. : éviter de servir du porc systématiquement.
- CE, 16 octobre 2013 :
- Le détenu a le droit de pratiquer son culte, y compris en faisant venir un aumônier.
2. Vie privée et familiale :
- Le JA garantit ces droits dans la mesure du possible (ex. : conditions des parloirs).
- Certaines limitations demeurent, comme le droit de vote, nécessitant une dérogation spécifique.
§1. D’une faute lourde à simple.
1. Origine : la faute lourde :
- CE, 1958, Rakotoarivony :
- La responsabilité de l’administration nécessitait une faute lourde (manquement grave).
- Application : notamment pour la surveillance des détenus.
- Exemple : défaut de ronde pour un détenu suicidaire → faute lourde.
2. Évolution : passage à la faute simple :
- Progressivement, le JA adopte le régime de faute simple (erreur sans gravité particulière).
- Exemples de fautes simples :
- CE, 23 mai 2003 : Suicide d’un détenu dû au défaut de surveillance.
- CE, 2008 : Suicide d’un détenu ayant causé la mort d’autres codétenus.
- CE, 24 avril 2012 : Faute partagée entre deux établissements pour un détenu hospitalisé.
- CE, 4 juin 2014 : Erreur de diagnostic médical → responsabilité partagée entre l’hôpital et la prison.
3. Biens des détenus :
- CE, 6 juillet 2015 :
- L’administration pénitentiaire est responsable de la garde des biens des détenus (ex. : bijoux).
- Toute dégradation ou perte engage sa responsabilité.
4. Intérêt pour les victimes :
- La reconnaissance de la faute simple et de la responsabilité partagée permet :
- Une indemnisation facilitée.
- La possibilité pour les victimes de choisir l’établissement le plus solvable pour leur indemnisation.
Conclusion :
- Passage de la faute lourde à la faute simple = évolution favorable aux détenus.
- Responsabilité engagée non seulement pour l’intégrité physique des détenus, mais aussi pour leurs biens.
§2. La définition de la faute.
1. Principe général :
- En milieu pénitentiaire, la définition de la faute administrative est adaptée aux spécificités du milieu :
- Les missions particulières de l’administration (ex. : sécurité, organisation).
- La situation de particulière dépendance des détenus, dont le quotidien dépend exclusivement de l’administration.
2. Missions spécifiques et assouplissement de la faute :
- Exemple : vols en détention
- CE, 9 juillet 2015 : L’administration n’est pas responsable des vols survenus en détention, même en cas de cellule porte ouverte, car ces aménagements relèvent de ses missions et justifient un assouplissement de la faute.
3. Protection de la dignité des détenus :
- Les conditions de détention ne constituant pas une atteinte à la dignité ne sont pas fautives.
- En cas d’atteinte à la dignité :
- CE, 5 juin 2015 : La dignité bafouée peut justifier l’indemnisation d’un préjudice moral.
- Exemple : surpopulation carcéral.
- Absence d’espace individuel d’au moins 3m² → faute simple engageant la responsabilité de l’administration.
Conclusion:
- La responsabilité de l’administration pénitentiaire est renforcée par la dépendance des détenus.
- Toute atteinte grave à la dignité ou manquement à ses obligations peut entraîner une indemnisation, même en l’absence de faute lourde.
§1. Les LF reconnues en prison.
1. Fondements juridiques :
- Article 3 de la CEDH : Protection du droit à la vie et interdiction de la torture ou des traitements inhumains et dégradants.
- Article 8 de la CEDH : Respect de la vie privée et familiale.
2. Décisions clés du juge administratif :
- Dératisation des Baumettes (Marseille) :
- Ordonnance du 22 décembre 2012 : Présence de cadavres de rats dans les cellules → carence grave de l’administration.
- Décision fondée sur l’article 3 de la CEDH.
- Injonction de réaliser des travaux pour faire cesser une atteinte grave et manifestement illégale à une LF.
- Maison d’arrêt de Nîmes (30 juillet 2015) :
- Détenus contraints de dormir par terre faute de place.
- Le juge a ordonné la fourniture de produits d’entretien et de draps propres.
- Prison de Fleury-Mérogis :
- Utilisation du référé-liberté pour stopper des fouilles attentatoires à la dignité des détenus.
3. Extension des pouvoirs du juge administratif :
- Le juge peut intervenir en cas d’atteinte grave et manifeste à une LF.
- Section française de l’OIP et ordre des avocats de Nîmes (2015) : Reconnaissance du droit d’agir en cas d’atteinte à la vie privée et familiale en détention.
- Les mesures ordonnées sont en principe provisoires, sauf si une mesure permanente est nécessaire pour résoudre durablement le problème.
Conclusion :
- Le référé-liberté permet au JA de protéger les détenus contre des atteintes graves à leurs libertés fondamentales, notamment en matière de dignité, de vie privée et de conditions de détention.
§2. Le référé-provision.
1. Définition :
- Le référé-provision permet d’obtenir une somme due par l’administration lorsque la créance n’est pas sérieusement contestable.
- Objectif : faciliter l’indemnisation sans attendre une décision au fond.
2. Conditions d’application :
- Créance incontestable : Pas de doute sur l’obligation de l’administration.
- Exemples d’utilisation :
- Non-paiement du travail effectué par un détenu.
- Restitution du solde du compte nominatif détenu en prison.
3. Jurisprudence clé :
- CE, 6 décembre 2013 :
- Octroi d’une provision pour mauvaises conditions de détention.
- Reconnaissance du droit à indemnisation des détenus dans ce cadre.
- Cette décision contraint l’administration à résoudre rapidement les problèmes dénoncés.
4. Intérêt pour les détenus :
- Favorable aux victimes : Permet une indemnisation rapide.
- Lien avec le service public (SP) pénitentiaire :
- En tant qu’usager du SP, un détenu peut engager la responsabilité de l’administration pour une créance légitime.
Conclusion :
Le référé-provision est un outil efficace pour obtenir rapidement une indemnisation en cas de préjudice subi en détention, notamment lorsque les mauvaises conditions de vie ou les manquements administratifs sont avérés.
§3. Le RMU restant très fragile en prison.
1. Définition et cadre légal :
- Article L.7 du Code de justice administrative (CJA) :
- Le RMU permet de demander au juge administratif une mesure utile en l’absence de décision administrative préalable.
- Caractère subsidiaire : il est utilisé uniquement lorsque les autres référés (ex. : référé-liberté, référé-provision) ne sont pas applicables.
2. Conditions d’utilisation :
- Le RMU est limité en détention en raison des contraintes spécifiques du milieu carcéral.
- CE, 27 mars 2015 (OIP) : Le juge estime que le RMU en détention ne peut aller jusqu’à ordonner certaines mesures trop contraignantes pour l’administration.
3. Cas pratiques :
- Accès à des documents personnels :
- Exemple : un détenu a utilisé un RMU pour accéder à des documents importants sur une boîte mail en voie de suppression, utiles pour sa réinsertion.
- Décision favorable en raison de l’utilité de la mesure.
- Travaux publics et danger imminent :
- CE, 19 octobre 2020 : Le juge a enjoint à l’administration de mettre fin à des dommages liés à des travaux publics présentant un danger imminent.
4. Limites :
- Le RMU reste fragile en détention :
- Rarement utilisé et soumis à des conditions strictes.
- Ne peut pas imposer des mesures lourdes ou substituer une décision administrative inexistante.
Conclusion :
Le RMU, bien que possible en détention, est un recours exceptionnel et subsidiaire. Son utilisation reste limitée, mais il peut jouer un rôle important pour répondre à des situations urgentes ou particulières, comme l’accès à des documents ou la prévention d’un danger imminent.